Comptes rendus

Marie France Labrecque, Féminicides et impunité : le cas de Ciudad Juárez, Montréal, Éditions Écosociété, 2012, 194 p.[Notice]

  • Patricia M. Martin

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  • Patricia M. Martin
    Université de Montréal

Nous vivons à une époque où les modalités principales des violences sociales et politiques sont en profonde mutation. Si, pendant le xxe siècle, les États organisaient et orchestraient « les guerres », encadrant ainsi une violence de masse, à l’heure actuelle de multiples formes de violence échappent au contrôle des États ou maintiennent avec eux des relations plus ou moins ambiguës. Une des conséquences de cette nouvelle réalité est que les distinctions et les frontières entre les situations de « guerre » et de « paix » sont multiples et fragmentées pour devenir bien souvent indiscernables. D’autre part, les médias transforment trop fréquemment cette violence en sujets à la fois spectaculaires et incompréhensibles pour le grand public, le confinant dans le mutisme et même le dépassement. Ces nouvelles formes de violence s’inscrivent dans les changements géopolitiques mondiaux profonds engagés à la suite de la guerre froide, puis des attentats du 11 septembre 2001, ainsi que dans l’émergence d’une nouvelle architecture économique soutenue par la mondialisation des marchés et dans le renforcement des frontières identitaires et géographiques. Malgré l’idée largement répandue selon laquelle nous subissons toutes et tous ces transformations de la même manière, les dangers et les souffrances qui leur sont associés sont vécus de manière très inégale à travers l’espace et selon une hiérarchie identitaire et économique fort marquée. Devant ces transformations profondes, les projets de recherche qui sont à la fois scientifiques (c’est-à-dire qui aident à comprendre le monde actuel) et militants (c’est-à-dire qui donnent priorité aux droits des femmes et aux droits de la personne) et qui s’adressent à un public large et diversifié deviennent primordiaux. L’ouvrage de Marie France Labrecque, Féminicides et impunité : le cas de Ciudad Juárez, en offre un exemple éloquent. L’auteure y présente une analyse approfondie des morts violentes de femmes à Ciudad Juárez, ville frontalière entre le Mexique et les États-Unis. Malgré une mobilisation politique soutenue à différents niveaux, le « féminicide » demeure un enjeu sans fin à Ciudad Juárez, voire au Mexique en général. À travers son analyse, l’auteure démontre la production dynamique de « trous noirs » et d’« espaces d’exception », dans lesquels la justice ne s’immisce pas. L’analyse de Labrecque est développée au fil des quatre chapitres qui constituent son ouvrage et auxquels viennent s’ajouter une introduction et une conclusion. L’auteure commence par expliquer les raisons pour lesquelles elle s’est lancée dans la rédaction d’un ouvrage sur le féminicide. Anthropologue et professeure émérite à l’Université Laval, Labrecque s’est spécialisée dans les études de genre et le développement international, qui s’intéressait à l’époque à l’implantation des maquiladoras (usines multinationales de production pour l’exportation) dans le sud du Mexique. Cet intérêt l’a amenée à voyager à Ciudad Juárez en 1999, ville frontalière du nord du Mexique, structurée autour de ce type de production économique. Pendant ce voyage, l’auteure a entendu parler pour la première fois du phénomène de féminicide. Dès lors, Labrecque s’est intéressée de près à l’évolution de ce phénomène, tout en s’engageant personnellement dans la Commission québécoise de solidarité avec les femmes de Ciudad Juárez. Son ouvrage est donc né d’un intérêt croisé entre la réflexion universitaire et divers engagements féministes et citoyens. Comme l’auteure le souligne dans l’introduction, aborder la question des violences contre les femmes au Mexique peut être un terrain « miné » (p. 22), en partie du fait des nombreux stéréotypes souvent associés au Mexique, notamment celui d’un pays marqué par une culture machiste et violente. Or, tout au long de son ouvrage, Labrecque démontre de manière très convaincante à quel point ce type d’affirmation est tout simplement inapproprié. À …

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