Comptes rendus

Ruth Margarete Roelling, Femmes lesbiennes de Berlin (1928), Montpellier, GayKitschCamp, 2014, 56 p.[Notice]

  • Ann Robinson

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  • Ann Robinson
    Université Laval

Ruth Margarete Roelling, chroniqueuse très populaire de la vie lesbienne à Berlin au début du xxe siècle, est surtout connue pour sa publication sur les clubs de lesbiennes de Berlin intitulée Berlins Lesbische Frauen (Roelling 1928). Ce guide « touristique » du début du xxe siècle décrit quatorze clubs et salles de danse berlinois destinés aux lesbiennes. Après avoir révélé l’adresse géographique de chacun de ces bars ou salons privés, l’auteure décrit avec force détails la décoration, l’atmosphère et la faune bigarrée qui fréquente ces lieux et leurs hôtesses. « Et la pimpante Gertie en smoking chic se fait un plaisir d’inviter les dames de “ l’autre bord ” à danser; celles-ci ne rechignent apparemment pas à entrer du bout des orteils dans le royaume inconnu de Lesbos… » (p. 33). L’auteure parle aussi de la joie et du plaisir qu’avaient les femmes de se retrouver enfin entre elles après leurs journées de travail ou de vie familiale où elles donnaient le change sans jamais révéler leur penchant pour leur propre sexe. La partie descriptive du guide est précédée d’une introduction dans laquelle l’auteure dénonce les diverses formes de discrimination contre « les prêtresses de Sappho » (p. 27), ce qui fait dire à l’éditeur de la quatrième édition francophone de ce guide que l’introduction de Roelling « doit être considérée comme une contribution à la littérature du mouvement allemand d’émancipation homosexuelle » (p. 5). Pourtant, dans l’Histoire de l’homosexualité, parue en 2006 sous la direction de Robert Aldrich, cette publication si importante dans l’histoire récente des lesbiennes ne fait l’objet que d’une note au bas d’une illustration d’un tableau de Jeanne Mammen. Pire encore, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, publié en 2003 sous la direction de Didier Eribon, le nom de l’auteure n’apparaît pas dans l’index, alors que le nom du docteur Magnus Hirschfeld qui a préfacé la plaquette jouit de pas moins de 26 entrées (Eribon 2003 : 541) dont la principale qui renvoie à une photo pleine page de ce dictionnaire (ibid. : 245). Bien sûr, si nous lisons cette introduction avec la lunette du xxie siècle qui a consacré les droits des lesbiennes et des homosexuels, les stéréotypes sont légion. Uraniennes, tribades, inverties, femmes homosexuelles (Eribon 2003 : 13), autant de mots pour nommer en ces temps de grande libération sexuelle ces femmes qui aiment les femmes, les lesbiennes. Toujours dans l’introduction et pour illustrer ces stéréotypes, l’auteure prend pour un fait inéluctable qu’un couple lesbien est nécessairement formé d’une femme « plutôt garçonne » et d’une femme « féminine ». La description de leur habillement respectif est en soi un morceau de choix de l’anthologie lesbienne. Ainsi, les femmes masculines, Quant à la lesbienne féminine « qui jouit d’un peu plus de liberté en ce domaine, [elle] peut s’habiller le plus simplement possible, ce qui entraîne précisément parfois des frais très élevés » (p. 20). Les stéréotypes sexistes abondent également dans l’introduction puisque les lesbiennes sont d’abord et avant tout des femmes. À titre d’exemple, lorsque l’auteure veut expliquer le phénomène des amours lesbiennes éphémères dans le Berlin de l’entre-deux-guerres, elle le justifie par le fait qu’une femme est par définition un être faible incapable d’affronter son entourage en vivant des amours marginales. Ainsi, ces « amitiés profondes et durables […] sont toutefois des phénomènes d’exception, car la plupart du temps la force intérieure, qui lui permettrait d’aller à contre-courant, fait défaut à la femme. Il est difficile d’être forte même pour une femme virile; car même cette dernière reste une femme en dépit de …

Parties annexes