Les questions entourant la protection des enfants, en particulier celle des très jeunes enfants souvent qualifiés de « nourrissons », ont fait couler beaucoup d’encre. Les travaux pionniers partis de l’Angleterre au début des années 1980 se répandent dans la foulée de l’histoire des femmes, de l’histoire sociale et de l’histoire de l’enfance. D’abord collés aux frontières nationales – États-Unis, France, Belgique et ailleurs –, ces travaux, en se multipliant, ont donné lieu à des comparaisons transnationales et internationales. Dans cette foulée, le Québec n’est pas en reste. Bien que les études insistent sur l’enjeu éminemment national de la mortalité infantile, on y a observé, comme ailleurs, les politiques sociales liées à l’hygiène et à la santé publique ainsi que les oeuvres et les associations féminines souvent prestataires de services. Quant aux droits des femmes, au Québec comme en Belgique, ils ont été arraisonnés au profit de l’objectif de sauver les enfants dont s’étaient appropriés d’autres pouvoirs tout en interpellant les mères. Cette ambiguïté est au coeur des enjeux rattachés à la prise en considération de la forte mortalité infantile en Occident. Ceux-ci s’installent dans les années 1880 et gagnent en force pendant la période de l’entre-deux-guerres au xxe siècle. Un large consensus s’en dégage, auquel participent fortement des médecins alors en voie de contrôler cet espace sociosanitaire, mais aussi des politiciens et des juristes puisque les États et les systèmes légaux de régulation sociale sont touchés. Les femmes, pour leur part, sont omniprésentes tout en paraissant effacées, en particulier les mères, pourtant les premières visées, les « dames patronnesses » et les bénévoles, qui financent parfois substantiellement les services et prennent part à leur organisation et à leur gestion sur le terrain, de même que les « professionnelles » de l’action sociale, dont les infirmières visiteuses et les assistantes sociales. Des associations féminines et féministes en tous genres, socialistes, libérales, catholiques, se joignent au débat et se positionnent en faveur du mouvement de protection des enfants et des moyens d’intervention privilégiés où l’on met l’accent sur l’éducation des mères et le contrôle de leurs pratiques familiales. La vaste étude de Claudine Marissal ajoute une pierre précieuse à cet édifice de connaissances en analysant avec profondeur et en exposant avec clarté la situation en Belgique pendant la période 1890-1940. Le sous-titre de l’ouvrage, « Enjeux sociaux, politiques et sexués », rend bien l’orientation de cette entreprise qui, tout en offrant une connaissance poussée du cas belge, revisite les lieux communs et les interprétations surfaites en s’appuyant sur une connaissance exhaustive de la production scientifique. La bibliographie, particulièrement étoffée sur le sujet, inclut plusieurs fonds archivistiques allant des archives épiscopales à celles du Royaume, en passant par celles du Centre d’archives pour l’histoire des femmes et divers fonds d’archives privées. On note encore quantité de brochures médicales et de procès-verbaux d’associations féminines et féministes pour la période étudiée. Et pratiquement toutes les études pertinentes sur le sujet tant en Europe qu’aux États-Unis et au Québec s’y trouvent répertoriés. Marissal elle-même s’est intéressée à de multiples aspects du sujet. Au début des années 1990, elle consacrait son mémoire de licence en histoire (Université libre de Bruxelles, 1991) à l’oeuvre de l’hospitalité de Bruxelles sur un siècle d’histoire (1886-1986). Tout récemment (2014), elle examinait la question des oeuvres catholiques dans la ville de Bruxelles (1900-1940), comme on peut le voir dans la bibliographie de l’étude. L’ouvrage de Marissal découle à n’en pas douter d’une étude mature, longuement mûrie. Sa facture originale démarque encore cette oeuvre de synthèse. Elle compte 14 chapitres, d’une vingtaine de pages chacun, et traite le sujet de la …
Claudine Marissal, Protéger le jeune enfant. Enjeux sociaux, politiques et sexués (Belgique, 1890-1940), Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2014, 380 p.[Notice]
…plus d’informations
Johanne Daigle
Université Laval