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Mobilisant les résultats d’une recherche qualitative exploratoire réalisée sur douze familles de travailleurs et de travailleuses pauvres qui bénéficient d’une aide financière de l’État, soit qui cumulent un revenu du travail et un revenu de transfert, le présent article propose d’explorer les expériences de pauvreté laborieuse selon les dispositifs de protection sociale auxquels accèdent les personnes. Dans un contexte de mise en oeuvre des principes d’activation, les transferts sociaux sont non seulement destinés à compléter les revenus des travailleurs et des travailleuses pauvres dans un objectif de redistribution des ressources, mais sont également censés renforcer l’intérêt financier lié au fait de se maintenir ou d’augmenter sa participation sur le marché du travail. Focalisant l’attention sur les travailleurs et les travailleuses pauvres avec enfants, cet article propose d’analyser les différentes expériences de pauvreté laborieuse dans un contexte d’activation de la protection sociale en mettant plus particulièrement l’accent sur la manière dont les dispositifs étatiques soutiennent, facilitent ou entravent l’articulation du travail productif et reproductif. La perspective de genre mobilisée dans cette recherche a pour objectif de sortir d’une compréhension fortement « ergocentrée » de la pauvreté laborieuse (concentrée sur la centralité du travail rémunéré) en remettant en question la séparation des sphères d’activité (Galerand et Kergoat 2008) et en tenant compte de l’articulation entre le travail rémunéré et d’autres types d’activités, notamment le travail domestique et parental.

L’argument est développé en plusieurs sections dans cet article. La première présente rapidement le débat féministe sur les dimensions (in)égalitaires des politiques d’activation de la protection sociale. La deuxième section livre quelques données contextuelles sur les travailleurs et les travailleuses pauvres en Suisse et les dispositifs de soutien étatique. Elle revient également sur le matériel empirique recueilli dans cette recherche. La troisième section expose les résultats de l’analyse qualitative et met en relief quatre expériences de pauvreté laborieuse en tenant compte des injonctions à l’activation selon les dispositifs étatiques. La quatrième et dernière section reprend les principaux résultats en insistant sur certaines dimensions genrées de la pauvreté laborieuse aujourd’hui peu investiguées.

L’activation du système de protection sociale : les apports d’une perspective de genre

En Suisse, l’assignation des femmes au travail domestique a donné lieu à des parcours de vie centrés sur une trajectoire linéaire pour les hommes et des trajectoires d’activité discontinues et très majoritairement à temps partiel pour les femmes (Widmer et Levy 2013). Le système de protection sociale helvétique est fortement marqué, sur le plan historique, par les injonctions normatives à la spécialisation fonctionnelle des sexes (Togni 2015). À l’instar du système de protection sociale français, il reproduit une « idéologie familialiste » favorisant la dépendance des femmes à l’égard de leur conjoint, mais aussi des prestations sociales (Dauphin et Domingo 2014 : 113). Comme le relève Anne Eydoux (2012 : 75-76), « si les potentiels effets désincitatifs des minima sociaux sur l’offre de travail des femmes sont depuis longtemps pointés et débattus, la progressive activation des allocataires n’a été que peu abordée dans une perspective de genre ». Les politiques d’activation, que l’on peut résumer par les termes d’« encouragement » ou d’« obligation à l’emploi », sont particulièrement intéressantes à investiguer de ce point de vue : comment s’articulent-elles avec le modèle historique d’organisation sociale fondé sur la division sexuelle du travail (Kergoat 2012)? Visent-elles l’émancipation des femmes de la sphère domestique et, le cas échéant, avec quelles formes de soutien et quels effets?

Dès les années 90, le passage d’un État social (ou providence) à un État social actif a transformé considérablement le système de protection sociale en instaurant la logique de la « contrepartie » (Dufour, Boismenu et Noël 2003) et la mise sur pied des principes d’activation ou d’« investissement social » (Jenson 2010). Ces principes reposent sur la volonté d’accélérer le retour des personnes sans emploi sur le marché du travail à l’aide de mesures de formation et d’insertion professionnelle, de renforcer l’intérêt financier lié au fait de travailler et de limiter les phénomènes de « trappes à l’assistance » en mettant en oeuvre un suivi personnalisé et des sanctions pour les personnes qui ne respecteraient pas les exigences fixées par les pouvoirs publics (Zajdela 2009). L’instauration des principes d’activation s’inscrit dans un répertoire de l’action publique promouvant des normes égalitaires[2]. Ils ont pour but de favoriser l’autonomie individuelle en dotant chaque personne des moyens nécessaires pour se protéger contre les « nouveaux risques sociaux », notamment la perte d’emploi et la pauvreté, principalement par les revenus du travail (Bonoli 2005). En Suisse, comme dans d’autres pays occidentaux, la « modernisation » du système de protection sociale a contribué à renforcer la centralité du travail rémunéré et introduit une nouvelle norme sexuellement indifférenciée d’activité économique tout au long de la vie : le modèle du travailleur ou de la travailleuse adulte (adult worker) (Daly 2011; Lewis et Guillari 2005). Les travaux féministes soulignent la nécessité de remettre en question les dispositifs publics qui se présentent comme « neutres » du point de vue du genre, car l’égalité formelle ne saurait masquer certaines inégalités réelles qui persistent aujourd’hui en matière d’accès au marché du travail et de modalités d’emploi, mais aussi en matière de partage des tâches domestiques[3].

Dans les recherches axées sur le système de protection sociale dans une perspective de genre, on insiste dès lors sur la nécessité de penser simultanément l’injonction faite aux femmes d’intégrer le marché du travail (marchandisation) avec la mise en oeuvre de politiques de défamilialisation permettant l’externalisation des tâches domestiques et la mise en place de services d’accueil et de soins pour les personnes dépendantes (Eydoux 2012). De ce point de vue, certains travaux montrent que les politiques d’activation placent les femmes dans des situations d’injonction contradictoire parce que l’obligation de participer au marché du travail s’additionne aux obligations familiales qui, elles, n’ont pas connu de mutation majeure au cours des dernières décennies (Bould et Falcao Casaca 2011; Morel 2002). Olivier Giraud et Barbara Lucas (2009) affirment que le système de protection sociale helvétique peut être qualifié de « néo-maternaliste », car les moyens financiers investis dans la politique familiale sont limités : aujourd’hui, la prise en charge du travail domestique et de soin (care) reste une affaire de femmes. Dans ce contexte, les politiques d’activation renforcent le phénomène de dualisation de l’emploi féminin : l’activation des femmes pauvres peut servir à financer le libre choix des femmes des classes aisées en leur garantissant un « care familial et flexible » (Giraud et Lucas 2009 : 42). Dans le contexte français, Sandrine Dauphin et Pauline Domingo (2014) affirment que la promotion de l’emploi à travers la mise en place du revenu de solidarité active (RSA) permet certes de lutter contre la pauvreté des femmes, mais peut aussi potentiellement renforcer leur précarité professionnelle dans la mesure où aucune attention politique n’a été prêtée à la qualité des emplois. C’est également la position de Jean Gadrey (2009) qui met en exergue l’institutionnalisation par les pouvoirs publics « d’un précariat féminin subventionné ». Plus largement, Jane Jenson (2011) écrit que, si les principes d’investissement social reflètent une « attention » ou une « sensibilité au genre », ils constituent de fait « une menace » pour le projet féministe de l’égalité des sexes dans la mesure où ils ne remettent pas en question les rapports de domination. Au vu des effets ambivalents des politiques d’activation en matière d’égalité des sexes pointés dans la littérature, nous proposons de prolonger la réflexion en partant des récits des travailleurs et des travailleuses pauvres pour analyser la manière dont hommes et femmes vivent les injonctions à la reprise d’un emploi ou à l’augmentation de leur participation au marché du travail selon leur situation professionnelle et familiale, mais aussi selon le type de dispositif étatique auquel ces personnes accèdent.

Les travailleurs et les travailleuses pauvres en Suisse : les données contextuelles et le dispositif de recherche

Dans le paysage européen, la Suisse est souvent présentée comme un « pays à part » avec un salaire médian brut situé à plus de 6 000 francs suisses[4] par mois et un taux de chômage de 4,7 % (OFS 2016a). Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), une partie importante de la population est pourtant exposée au risque de pauvreté[5] : en 2015, près d’une personne sur sept est touchée (15,6 % de la population). Ce taux se situe légèrement sous la moyenne européenne (UE-28 : 17,3 %), mais au-dessus du taux de risque de pauvreté en France (13,6 %) ou en Allemagne et au Royaume-Uni (16,7 %) (OFS 2015). Si de manière générale l’emploi constitue un facteur de protection contre le risque de pauvreté, les personnes actives occupées ne sont pas épargnées : en 2015, 8,2 % des personnes actives occupées sont touchées par le risque de pauvreté (304 000 personnes) et 3,9 %, par la pauvreté absolue (145 000 personnes)[6]. L’OFS (2012 : 38) relevait de nettes différences entre les sexes à cet égard en soulignant ceci :

[Les] femmes actives occupées affichent un taux de pauvreté près de deux fois plus élevé que celui des hommes actifs occupés (4,8 % contre 2,5 %). Il est probable que les femmes, en raison de leurs obligations familiales, occupent plus souvent des emplois flexibles, moins sûrs et moins bien rémunérés. De plus, les femmes ont plus souvent que les hommes des emplois à bas salaire. Elles élèvent aussi plus fréquemment seules les enfants.

La surreprésentation des femmes dans la catégorie des travailleurs et des travailleuses pauvres n’est cependant pas toujours visible, car la construction statistique de « travailleur ou travailleuse pauvre » comporte deux niveaux d’analyse : le travail, qui renvoie à l’activité professionnelle individuelle, et la pauvreté, qui caractérise l’insuffisance des ressources du ménage. La prise en compte des revenus du ménage dans les enquêtes statistiques peut donc jouer comme un « cache-sexe de la pauvreté des femmes » (Meulders et O’Dorchai 2011 : 87).

Les résultats que nous présentons ici s’appuient sur une enquête exploratoire menée entre 2014 et 2015 auprès de douze familles de travailleurs et de travailleuses pauvres avec enfants du canton de Vaud dépendantes de revenus de transfert de l’État. Notre échantillon est composé de familles dans lesquelles au moins un ou une adulte exerçait une activité professionnelle rémunérée durant la moitié de l’année. Il regroupait 9 couples, 3 femmes chefs de famille et 26 enfants[7]. Au total, nous avons mené 18 entretiens d’une durée d’une heure à deux heures trente minutes avec 9 hommes et 12 femmes[8]. Les personnes interviewées ont les statuts d’emploi suivants : 12 sont en contrat à durée indéterminée (4 hommes à plein temps, 2 hommes à temps partiel, 6 femmes à temps partiel, dont 4 à moins de 50 %); 2 hommes et 3 femmes occupent un emploi dit atypique (intérim, contrat à durée déterminée, travail sur appel, stage); un homme et 2 femmes sont au chômage et une femme est au foyer. Dans les ménages interviewés, seuls 3 couples sont biactifs. Sur les 12 familles, 6 ont recours à l’aide sociale du Canton (revenu d’insertion) et 4 reçoivent des prestations complémentaires familles, les autres ayant d’autres types de soutien : aide au logement, bourse d’études, subside d’assurance maladie.

En Suisse, l’aide sociale publique (assistance publique) prévoit un soutien financier pour les ménages dont le revenu est situé sous le seuil monétaire de pauvreté. Elle repose sur la preuve de l’indigence et intervient lorsque les prestations d’assurance sont épuisées (ou en cas de non-droit) ou lorsque les ressources familiales sont insuffisantes pour assurer un minimum vital. L’aide sociale est régie par des lois fédérales, mais son application est du ressort des cantons. Le taux national de recours à l’aide sociale est de 3,2 % en 2015[9]. Selon l’OFS, au niveau fédéral, un tiers des bénéficiaires de l’aide sociale exercent une activité rémunérée en 2010[10]. Dans le canton de Vaud, en 2014, le taux d’aide sociale est de 5 % et 17 % des bénéficiaires exercent une activité lucrative : ce taux est particulièrement élevé chez les couples avec enfants (35 %) (Wenker-Pont 2014 : 4).

En 2011, le canton de Vaud met en place un nouveau dispositif à l’intention des familles de travailleurs et de travailleuses pauvres : les prestations complémentaires pour les familles[11]. Financées par cotisations (et non par l’impôt), elles ont pour objectif de faire sortir une catégorie de « pauvres méritants » (personnes actives sur le marché du travail) de l’aide sociale en soutenant financièrement les ménages avec enfant de moins de 16 ans. Calculées annuellement sur la base d’un revenu hypothétique, elles proposent des incitations financières favorables aux personnes exerçant une activité lucrative, mesures qui comprennent la prise en charge des frais de garde des enfants et une franchise sur le revenu plus élevée dans les cas où les deux parents travaillent. En mars 2014, on compte 2 003 familles inscrites dans le canton de Vaud.

Des expériences de pauvreté laborieuse

Nous présentons ci-dessous une typologie des expériences de pauvreté laborieuse qui rend compte de quatre manières radicalement différentes de vivre et de décrire une telle situation[12]. L’originalité de notre typologie réside dans la combinaison d’une analyse de l’articulation du travail productif et reproductif (qui permet ainsi de dépasser le seul rapport au travail rémunéré, déjà souvent investigué dans les recherches[13]) avec une analyse des rapports que les personnes entretiennent, à l’échelle individuelle, avec les dispositifs de protection sociale. Nous insistons plus particulièrement sur la manière dont les personnes vivent les injonctions à l’activation véhiculées par les représentants et les représentantes des pouvoirs publics (recherche d’emploi, assignation à un emploi ou participation obligatoire à des mesures de réinsertion professionnelle, sanction). Nous reproduisons ci-dessous notre typologie de façon schématique (figure 1), en représentant ces deux axes comme un continuum allant de « plus » à « moins » (un « plus » signifiant un vécu positif de la situation; un « moins », un vécu négatif). Nous mettons en exergue les différences importantes qui structurent le vécu d’une situation de pauvreté laborieuse selon trois aspects : 1) le profil des personnes et leur situation d’emploi; 2) le type de dispositif auquel elles ont recours et les injonctions à l’activation; 3) les mesures de (dé)familialisation, soit les formes de soutien au travail parental mises en oeuvre dans les dispositifs. Réalisée d’après un petit nombre de cas, notre typologie ne vise pas l’exhaustivité, mais elle permet de faire ressortir certaines dimensions genrées de la pauvreté aujourd’hui peu investiguées. Elle montre notamment l’importance de tenir compte du type de dispositif étatique pour comprendre le vécu de la pauvreté laborieuse dans un contexte d’activation de la protection sociale.

Figure 1

Expériences de pauvreté laborieuse

Expériences de pauvreté laborieuse

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L’expérience stigmatisante : limiter les contacts avec l’assistance

Le premier type d’expérience de pauvreté laborieuse est rapporté exclusivement par des hommes actifs à temps plein, qui bénéficient de revenus insuffisants pour faire « tourner le ménage » (faible niveau de rémunération, charges familiales élevées, pensions alimentaires à la suite d’un divorce, etc.) et qui dépendent de l’aide sociale (assistance publique). Bien que ce type d’expérience soit très minoritaire dans notre échantillon, il est particulièrement bien documenté dans la littérature qui insiste sur le fait que, dans certains cas, « Avoir un emploi rend la pauvreté plus difficile à vivre » (Simon, Olm et Alberola 2007). Cette expérience cumule un sentiment d’exploitation lié à l’insuffisance des revenus pour faire « vivre sa famille » et le « stigmate de l’assistance » puisque le recours à l’aide financière de l’État est vécu comme une « indignité » ou comme la « marque d’une défaillance sociale » (Messu 2008 : 107). L’emploi se révèle source de tensions identitaires parce qu’il n’assure pas un revenu suffisant, mais il est également une ressource, car il permet de maintenir un statut de travailleur, statut socialement valorisé, et d’éviter le soupçon de paresse et de fainéantise, voire d’abus auprès des représentants ou des représentantes des pouvoirs publics. Du fait de leur activité à temps plein, les hommes ne sont d’ailleurs pas la cible d’injonction à augmenter leur participation au marché du travail. L’emploi est aussi ressource dans la mesure où il permet aux hommes mariés de déléguer les tâches domestiques et parentales à leur conjointe. Dans notre enquête, l’ambivalence de l’attachement à la valeur « travail » est particulièrement bien décrite par Robert qui travaille à plein temps depuis huit ans dans une compagnie privée de transport (contrat à durée indéterminée). Dans son discours, l’emploi à temps plein justifie une totale délégation du travail domestique à sa conjointe, mais aussi tous les contacts avec l’aide sociale :

Des fois, je me dis : « Ben, tiens, j’arrête de travailler, je me mets au social… » [Mais je l’ai pas fait], car j’ai quand même ma fierté et puis le travail, ça m’aide aussi à me changer les idées. Parce que moi, c’est vrai que franchement, si je devais faire… tout ce qu’elle [Jessica] fait, moi, il y aurait longtemps que j’aurais déjà pris un fusil d’assaut et puis j’aurais flingué tout le monde, enfin, façon de parler…

Robert, 50 ans, Suisse, école obligatoire, contrat à durée indéterminée à 100 % depuis huit ans, trois enfants, marié, en couple biactif; conjointe travaillant à l’occasion comme nounou

Élisa Streuli et Stephan Kutzner (2005) ont montré que les arrangements traditionnels de répartition du travail productif et du travail reproductif à l’intérieur des ménages suisses de « travailleurs et travailleuses pauvres » vont au-delà de toute logique économique, voire entretiennent la dépendance à l’aide sociale. Notons également qu’hommes et femmes ne font pas la même expérience de pauvreté laborieuse dans certains couples dits « traditionnels ». Du fait de son attachement à l’emploi, Robert investit fortement la sphère productive malgré une situation de travail insatisfaisante à plusieurs égards (pénibilité, horaire atypique, faible rémunération). Sa conjointe en revanche assume une triple charge de travail : rémunérée (même si elle est active de manière occasionnelle), domestique et administrative auprès de l’aide sociale; et elle subit davantage de pressions que lui en vue d’augmenter sa participation au marché du travail.

L’expérience pacifiée : (re)trouver un équilibre et une qualité de vie

Le deuxième type d’expérience est rapporté par des femmes et des hommes qualifiés, qui occupent un emploi stable à temps partiel, tout en dépendant des prestations complémentaires pour les familles. L’expérience pacifiée renvoie à une forme d’équilibre retrouvé dans des trajectoires de vie marquées par des ruptures (divorce, perte d’emploi, problème de santé, difficultés éducatives). Ces personnes décrivent leur situation comme un « arrangement satisfaisant » dans la mesure où l’accès aux prestations complémentaires leur permet de préserver une certaine qualité de vie. Dans notre échantillon, le recours à ce type de dispositif constitue une augmentation des ressources financières pour les femmes anciennement au foyer qui se retrouvent à l’aide sociale à la suite d’un divorce. L’amélioration d’une situation antérieure n’est toutefois pas toujours financière : elle peut aussi être décrite comme la possibilité de garder du temps pour l’éducation et le soin des enfants. C’est le cas, par exemple, d’un couple d’abord biactif à temps plein, Jonathan et Juliana, âgés respectivement de 31 ans et de 30 ans, qui a diminué sa participation au marché du travail pour des questions de surmenage et de difficultés familiales. Dans le discours de Jonathan, cette situation représente une diminution des ressources à sa disposition et nécessite une nouvelle dépendance aux prestations complémentaires pour les familles, mais permet au couple de souffler en maintenant un certain équilibre familial :

[Deux « temps plein »] c’est clair que ça crée des tensions, et puis on n’avait pas le temps pour le gosse, qui ne l’a pas vécu très bien… Je ne referai pas, ça c’est sûr […] je savais très bien que financièrement ça allait être dur, mais je me suis dit : on ne vit pas pour l’argent.

Jonathan, 31 ans, Suisse, certificat fédéral d’école de commerce, contrat à durée indéterminée d’aide-comptable à 80 % depuis deux ans, deux enfants, marié, en couple biactif, conjointe en stage à 80 %

L’accès aux prestations complémentaires pour les familles agit donc comme un facteur de régulation de la charge de travail, salarié d’un côté, domestique et parental de l’autre. Le bien-être des enfants ressort fréquemment dans les discours des personnes qui vivent ce type d’expérience et justifie le fait qu’elles ne se sentent pas « coupables » ni « honteuses » de bénéficier d’une aide publique. Elles obtiennent par ailleurs reconnaissance et soutien dans leur travail parental : une place dans une structure de garde prise en charge par les pouvoirs publics notamment. Le discours de la justification d’une situation de dépendance par le rôle parental n’est, par ailleurs, pas remis en question par les représentantes et les représentants des pouvoirs publics qui font preuve de compassion devant la difficulté des mères qui assument seules la responsabilité de leurs enfants ou qui encouragent la participation des pères au « travail parental » (Devreux 2004; Stütz et Knüpfer 2012). Cette expérience est donc marquée par une relative « tranquillité », car dans ce dispositif les incitations à l’emploi sont avant tout financières et la situation est d’autant mieux vécue que les personnes s’y projettent facilement à court terme, mais jamais à long terme, imaginant reprendre une formation ou augmenter leur taux d’occupation une fois que les enfants auront grandi, ce qui correspond clairement aux attentes des dispositifs de protection sociale.

L’expérience conflictuelle : la confrontation aux mesures d’activation de la protection sociale

Le troisième type d’expérience concerne des personnes suisses ou issues de la migration, le plus souvent mariées et peu qualifiées (ou dont la qualification n’est pas reconnue en Suisse), sans emploi (aide sociale ou assurance chômage) ou à temps partiel court (moins de 50 %). Dépendantes de l’aide sociale ou de l’assurance chômage, ces personnes désignées comme des « employables » rencontrent mensuellement des conseillers et des conseillères en placement de l’assurance chômage[14]. Dans notre échantillon, ce sont les personnes qui subissent les plus fortes pressions à la reprise d’un emploi ou à l’augmentation de leur taux d’occupation. Si les personnes que nous avons rencontrées ne s’opposent pas à l’idée d’intégrer le marché du travail, en revanche elles résistent ouvertement aux injonctions à reprendre une activité salariée qui ne correspondrait pas à leurs attentes ou à prendre part à des mesures d’insertion professionnelle (qui n’offrent pas de salaire). Dans un contexte d’activation de la protection sociale, le refus d’une place de travail ou d’une mesure constitue une faute aux yeux des pouvoirs publics et est soumis à sanction, soit à la baisse des indemnités de chômage ou du revenu d’assistance pour un temps déterminé. Au vu du manque de ressources économiques, cette décroissance de revenu augmente les privations et complique parfois les relations conjugales puisque les personnes sanctionnées sont responsables d’une diminution des revenus de l’ensemble du ménage.

Dans ce type d’expérience, les tensions avec les conseillers et les conseillères en placement sont particulièrement vives pour les femmes qui assument la prise en charge du travail domestique et parental. Dans le dispositif de l’assurance chômage, les personnes doivent être « employables », c’est-à-dire aptes et disponibles pour travailler, ce qui implique notamment d’avoir une solution de garde pour les enfants. Or la garde est un véritable « casse-tête » pour ces femmes : comme elles sont sans emploi, nécessaire pour avoir une place dans une crèche publique, sans ressource financière ni réseau de proximité, le travail parental peut difficilement être délégué. L’absence de reconnaissance du travail reproductif est donc source de tensions, mais comporte également des enjeux moraux (soupçon d’abus) et financiers (sanctions) qui ont été documentés (Kuehni 2006). Les tensions sont particulièrement vives lorsque les femmes refusent d’accepter un emploi ou de se plier aux injonctions de participer à des mesures d’insertion parce qu’elles ne veulent pas placer leurs enfants dans des structures de garde pour « n’importe quel job », surtout lorsqu’il n’est pas rémunéré et conduirait à les appauvrir davantage en raison des frais liés à la prise en charge :

Je voulais profiter de ma fille, mais c’était quand même un stress au niveau des recherches [d’emploi], […] et il me semblait que tout le monde voulait guider ma vie. Et j’étais bloquée, c’était… c’était horrible en fait, j’avais des cernes, on dirait que j’étais à la guerre ou je ne sais pas, tout le monde me disait : « Non il ne faut pas faire ça, il ne faut pas faire ça », alors que je suis seule ici, je dois faire à manger toute seule, je dois m’occuper de la petite, c’est nouveau pour moi […] Si je place ma fille après 2 ans, je dis oui, […] si je trouve bon travail, pourquoi pas […] Je fais les recherches, mais pour moi. Pas pour eux.

Maria, 40 ans, Marocaine, sans formation, sans emploi, une enfant; mariée avec un homme en contrat à durée indéterminée à temps partiel à la poste

La résistance des femmes à se plier aux différentes injonctions contribue non seulement à envenimer leurs relations avec les agents et les agentes des pouvoirs publics, mais aussi à les délégitimer comme chômeuses et comme travailleuses puisque leur refus d’emploi ou de mesure active n’est jamais compris comme une forme de résistance à la précarisation de leur situation professionnelle et familiale par ceux et celles qui représentent les pouvoirs publics, mais plutôt comme le signe d’un « défaut d’employabilité » ou la marque d’une inaptitude au travail (Kuehni 2016 : 144).

L’expérience aliénante : l’impossible articulation

Rapportée par des migrantes fortement dépendantes du revenu d’aide sociale, qui constitue l’essentiel de leurs ressources financières, l’expérience aliénante[15] de pauvreté laborieuse est marquée par la multiplication des rapports de subordination et l’impossibilité d’articuler travail productif et travail reproductif autour des ressources à la disposition des personnes visées. Caractérisée par de multiples tensions et injonctions contradictoires, cette expérience renvoie à une perte d’emprise des personnes sur la construction de leur quotidien et de leur subjectivité. Assumant le plus souvent seules l’éducation de leurs enfants, les femmes que nous avons rencontrées ont des trajectoires de vie marquées par des événements violents : période de clandestinité, séquestration chez leur employeur, viol ou violence domestique. Peu formées et insérées dans des secteurs d’activité très féminisés (nettoyage, soin à domicile, travail domestique), ces femmes cumulent précarité de l’emploi et précarité du travail (Bouffartigue 2012) : elles occupent un emploi mal rémunéré et sans perspective professionnelle, avec de mauvaises conditions de travail, en particulier des horaires flexibles, impossibles à « concilier » avec une vie familiale. Plusieurs d’entre elles se trouvent, par exemple, écartelées entre la nécessité d’accepter les heures qui leur sont proposées pour garder leur emploi et l’impossibilité de trouver et de financer une garde adaptée pour leur(s) enfant(s) (tôt le matin ou tard le soir pour le nettoyage des bureaux, par exemple). Bien qu’elles soient attachées à leur emploi qui leur offre la possibilité de s’extraire de la sphère privée et de la solitude, ces femmes ne peuvent constamment être disponibles sur appel et en dehors des heures d’ouverture des crèches.

Plus que le travail rémunéré, l’attachement à leur(s) enfant(s) est au coeur du récit de ces femmes, et certaines d’entre elles racontent avoir beaucoup de difficulté à les placer dans les structures collectives. Contrairement à l’expérience conflictuelle décrite précédemment, ces femmes bénéficiaires de l’aide sociale jouissent d’une forte reconnaissance de leur statut de mère et subissent moins d’injonction à l’activation de la part des assistantes sociales (Modak, Messant et Keller 2013; Tabin et Perriard 2016). Elles décrivent ces dernières de manière très positive comme un « soutien nécessaire » (dont elles ne pourraient se passer) et cherchent à répondre du mieux qu’elles peuvent à leurs attentes :

En fait, nous les femmes, on a toujours des problèmes parce que c’est nous qui restons avec les enfants. On a les difficultés de travailler, on a les difficultés pour les horaires, on a… […] En fait, la difficulté et tout, ça me fait penser à ma vie […] Si tu n’es pas bien, tu ne peux pas faire le travail, tu ne peux rien, tu ne peux pas t’occuper des enfants, tu ne peux rien […] J’ai toujours là mon Dieu, ces moments difficiles, mais grâce à mon assistante [sociale], grâce à mon médecin, grâce à ma voisine [qui garde ma fille], j’ai réussi. Voilà. J’ai toujours le respect pour les personnes qui m’ont aidée à m’en sortir.

Serena, 27 ans, sans formation, divorcée, une enfant, en emploi à durée déterminée dans le nettoyage (horaires variables)

Dans ce type d’expérience, l’assistance opère comme un puissant prescripteur de normes tant professionnelles que parentales : les femmes interviewées tentent de se conformer tant aux injonctions de reprendre ou d’augmenter leur activité professionnelle qu’aux injonctions de se conformer à un rôle maternel en suivant des mesures de soutien parental proposées par les assistantes sociales (Giuliani 2009). Cette double injonction est souvent source d’épuisement puisque les emplois féminisés du secteur des services dans lesquelles les migrantes, pauvres et peu formées, sont fortement encouragées à s’insérer ne permettent ni de retrouver une autonomie financière ni de « concilier » leur activité productive et reproductive au vu des modalités d’emploi.

Le « genre » des expériences de pauvreté laborieuse dans un contexte d’activation de la protection sociale

La pauvreté laborieuse n’a rien de « nouveau » (elle existe depuis les débuts de l’industrialisation), mais de nos jours elle prend cependant de « nouveaux visages » dans les pays occidentaux en raison des transformations du système de protection sociale (Andress et Lohman 2008; Damon 2007; Ulysse 2009). Dans un contexte d’activation de la protection sociale, la figure des travailleurs et des travailleuses pauvres s’est en quelque sorte diversifiée : elle concerne des personnes actives occupées qui bénéficient de conditions de rémunération insuffisante pour assurer leur survie économique, soit parce qu’elles touchent des « salaires de misère », soit parce qu’elles ont de lourdes charges de famille (ce sont ces personnes que l’on désigne traditionnellement comme les « travailleurs et travailleuses pauvres »), mais la pauvreté laborieuse concerne également les personnes prises en charge par le système de protection sociale qui exercent une activité sur le marché du travail ou dans le contexte de mesures de réinsertion professionnelle (les pauvres qui travaillent) (Kuehni, Cousin et Odier 2015)[16]. Le degré de participation au marché du travail et le niveau de dépendance aux revenus de transfert permettent de tracer une ligne de démarcation entre les expériences stigmatisantes et pacifiées de la pauvreté laborieuse, d’un côté (les travailleurs et les travailleuses pauvres), et les expériences conflictuelles et aliénantes, d’un autre côté (les pauvres qui travaillent).

Malgré son caractère exploratoire, notre recherche montre tout l’intérêt de mobiliser une perspective de genre pour analyser les vécus de la pauvreté laborieuse. Tout d’abord, notre enquête souligne que les hommes et les femmes ne se distribuent pas de manière identique entre ces différents types d’expériences : les femmes se situent majoritairement du côté des pauvres qui travaillent avec une forte dépendance aux dispositifs de soutien étatique, une participation partielle, flexible et peu rémunératrice au marché du travail. D’après les résultats de notre recherche, les dispositifs de soutien étatiques véhiculent des injonctions à l’activation très différenciées, de même qu’ils offrent des possibilités variables d’articuler travail productif et travail reproductif selon les mesures de (dé)familialisation mises en oeuvre et la reconnaissance du travail effectué dans la sphère privée. Reprenant la typologie des expériences de pauvreté laborieuse élaborées précédemment, nous pouvons donc tracer de nouvelles lignes de force qui permettent d’éclairer les dimensions genrées d’une situation de pauvreté laborieuse dans un contexte d’activation de la protection sociale (voir la figure 2 à la page suivante).

Dans le cas des travailleurs et des travailleuses pauvres, les injonctions à l’activation sont faibles : les hommes qui font l’expérience stigmatisante sont déjà actifs à temps plein, tandis que les hommes et les femmes qui font l’expérience pacifiée ont recours à un dispositif qui ne comporte que des incitations financières. Dans ces deux types d’expériences, l’articulation travail productif et travail reproductif ne pose pas de difficultés majeures. Sur cet aspect toutefois il existe une différence fondamentale du point de vue des rapports sociaux de sexe. L’expérience stigmatisante repose sur le modèle traditionnel de l’homme pourvoyeur et de la femme au foyer (male breadwinner/female carer) et la prise en charge du travail dans la sphère privée est entièrement déléguée aux femmes. L’expérience pacifiée repose au contraire sur un dispositif récent, les prestations complémentaires pour les familles, qui s’inscrit dans un registre égalitaire et combine marchandisation et défamilialisation. Dans le discours des pouvoirs publics, ce dispositif a pour objectif d’amener les femmes à quitter l’aide sociale où elles sont majoritaires et de soutenir leur activité salariée en leur offrant des mesures qui permettent la « conciliation travail-famille » (Marmy et Cuendet 2014). Si ce dispositif assure l’émancipation des femmes de la sphère privée (fonction manifeste du dispositif dans un objectif d’activation), soulignons qu’il permet également l’émancipation partielle des femmes et des hommes de la sphère productive. Cette fonction latente du dispositif nous permet indirectement de pointer les enjeux de santé liés à l’intensification du travail. Enfin dans notre enquête, la mise en oeuvre des prestations complémentaires pour les familles et leur succès du point de vue subjectif reposent sur l’exercice du travail productif à temps partiel stable selon des horaires compatibles avec la prise en charge des enfants. Notons que ces modalités contractuelles sont particulièrement rares dans les secteurs d’activité très féminisés où la flexibilisation du travail contractuelle et temporelle est vraiment forte. Dans ce sens, le dispositif ne permet de répondre que partiellement au projet d’égalité des sexes, et ce, malgré l’introduction de mesures de défamilialisation.

Figure 2

Le « genre » des expériences de pauvreté laborieuse

Le « genre » des expériences de pauvreté laborieuse

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Dans le cas des pauvres qui travaillent, la dépendance au système de protection sociale est marquée, de même que les injonctions à l’activation. Dans les expériences conflictuelle et aliénante, l’articulation travail productif et travail reproductif est difficile mais, comme c’est le cas ci-dessus, les enjeux sont très différents du point de vue du projet d’égalité des sexes. Les personnes qui font l’expérience conflictuelle sont désignées comme « employables » et prises en charge par des conseillers et des conseillères en placement du dispositif de l’assurance chômage. Dans ce dernier, la définition de l’employabilité est construite sur le modèle du travailleur masculin qui bénéficie d’une disponibilité totale pour le marché du travail (Togni 2015). Pour les femmes qui font ce type d’expérience, le travail reproductif est donc un important facteur de tension : il n’existe pas de mesures pour la défamilialisation, et ce travail est loin d’être toujours « adaptable », « externalisable » ou « déléguable ». Dans ce cas de figure, le modèle sexuellement indifférencié de l’adulte qui travaille participe donc au renforcement de la hiérarchie du travail selon la sphère d’activité dans laquelle il est réalisé. Ce modèle invisibilise et délégitime le travail accompli dans la sphère privée, et par ricochet celles qui l’exécutent, puisqu’elles ont de la peine à se faire reconnaître comme des travailleuses (Kuehni 2016). Les injonctions faites aux femmes pour augmenter leur participation au marché du travail dans ce type d’expérience les poussent à devoir arbitrer entre deux options peu satisfaisantes : la première consiste à renoncer à leur « employabilité » et à leur légitimité à intégrer la sphère productive (renvoi à la sphère privée); la seconde, à se plier aux exigences d’activation en s’insérant dans des emplois, souvent précaires, dont elles ne veulent pas.

Dans l’expérience aliénante, les injonctions à l’activation sont moindres parce qu’elles sont subsidiaires par rapport à la prise en considération du statut de mère qui prime bien souvent aux yeux des représentants et des représentantes de l’assistance publique. Selon notre recherche, la manière dont les assistantes sociales combinent les objectifs de marchandisation avec le renforcement et la consolidation du rôle maternel pour éviter un délitement des liens familiaux (voire le placement des enfants), n’est toutefois pas sans poser question du point de vue du projet féministe d’émancipation. En effet, cette expérience est aliénante dans la mesure où elle fait reposer sur les femmes les ambivalences du système actuel de protection sociale : une tendance à l’activation pour tout le monde, mais le maintien d’un certain familialisme fortement sexué. Dans un contexte de transformation et de précarisation du marché du travail particulièrement visible dans les secteurs féminisés d’activité, cette ambivalence a des effets dramatiques sur les femmes dans cette situation : épuisement, sentiment d’impuissance ou d’échec, tant dans la sphère privée que dans la sphère publique.

Comme l’écrit Eydoux (2012 : 90), « l’enjeu est bien aujourd’hui de rompre avec la logique patriarcale au coeur des minima sociaux sans entrer dans (ou en sortant de) celle, néolibérale, de la marchandisation et de la flexibilisation du travail qui, pour reprendre les termes de Nancy Fraser […], sacrifie “ le rêve de l’émancipation des femmes […] sur l’autel du capitalisme ” ». La mise en oeuvre des politiques d’activation de la protection sociale est loin d’être homogène et unifiée, comme en témoignent les quatre expériences de pauvreté laborieuse mises en évidence dans notre enquête. De manière générale, les politiques d’activation posent doublement question d’un point de vue féministe : tout d’abord parce qu’elles ne s’accompagnent pas systématiquement de mesures de défamilialisation, ce qui contribue à renforcer la séparation des sphères d’activité (et indirectement le modèle traditionnel de l’homme pourvoyeur); ensuite parce qu’elles constituent un ressort puissant d’acceptation des processus de flexibilisation des conditions d’emploi et de travail des travailleuses pauvres. Dans ces conditions, les politiques d’activation ne servent nullement un projet d’égalité des sexes, mais elles participent plutôt à la (re)production des inégalités.