Corps de l’article

Le capital érotique est défini par Catherine Hakim (2011) comme un atout aussi précieux sinon plus important que le capital économique, culturel et social, trois formes de capital développées par Pierre Bourdieu (2007). Il est présenté comme une ressource légitime et autonome. Associé aux relations entre les femmes et les hommes en termes de pouvoir, il est balisé par un ensemble de composantes (beauté physique, attractivité sexuelle, grâce, énergie ou vivacité, présentation sociale, sexualité, fertilité) dont il est possible de tirer profit.

Dans le contexte actuel marqué par l’évolution des rôles sociaux de genre, les mouvements des femmes (#MeToo, #BalanceTonPorc) et la possibilité pour chaque personne de se représenter notamment sur Internet, le capital érotique est particulièrement intéressant pour, d’une part, examiner les registres sur lesquels reposent ses représentations aujourd’hui et, d’autre part, réfléchir à leur perception. Le présent article porte sur les (re)configurations de l’érotisation des femmes dans le marketing en ligne de la marque de surf Roxy à partir de la notion de capital érotique ainsi que sur les effets de l’attractivité (esthétique, visuelle, physique, sexuelle) des personnages féminins mis en scène auprès du public français. Il s’intéresse, d’un côté, à la représentation et la légitimation du capital érotique et, de l’autre, à la reconnaissance du public vers lequel il est dirigé.

La notion de capital érotique est articulée avec la sémiologie et le marketing du genre (gender marketing). La sémiologie en tant que « science des formes » considère les signes pour eux-mêmes, les « significations indépendamment de leur contenu » (Barthes 1970 : 1984). Elle est utilisée dans les études en marketing en vue de comprendre les signes mobilisés par les marques pour véhiculer un message en direction des consommateurs et des consommatrices. Concernant le marketing du genre se confondent la différenciation des stratégies marketing et des produits en fonction du genre et la segmentation genrée, marquée dans les messages commerciaux, par le traitement différentiel des femmes et des hommes, les différences de rôle, d’emploi et de valeur entre les personnages publicitaires (Brunetière 2001).

Quelques interrogations sont soulevées à propos du capital érotique dans le marketing en ligne de Roxy. Les représentations sont-elles un bon point de départ pour discuter du capital érotique? Comment le pouvoir érotique des surfeuses est-il façonné par la marque Roxy? Le pouvoir de séduction peut-il être évalué à partir de la perception par le public des images véhiculées sur le site de la marque, notamment celles qui sont tournées vers l’érotisation?

L’étude de l’iconographie (support commercial privilégié du marketing et de la publicité) conduit à une procédure d’analyse, attentive aux formes (analyse formelle inspirée de Georg Simmel (1986)), aux mythes (Durand 1969), qui déterminent les imaginaires de la marque et à la dimension intersectionnelle (genre, ethnicité, sexualité), qui permet de décrire le marquage sexué, les expressions genrées de même que l’érotisation des corps, des postures et des gestuelles. La résonance des images est estimée à partir d’une analyse textuelle des données recueillies auprès de 121 Françaises et Français par l’intermédiaire d’un questionnaire basé sur des photographies extraites du site Web de la marque Roxy. L’analyse informe sur les pensées, les normes, les valeurs et les réactions du public au regard de l’érotisation des femmes.

La première partie de l’article concerne la littérature scientifique française sur le surf ainsi que le cadre théorique et méthodologique de la recherche. La deuxième partie examine la manière dont le capital érotique est représenté sur le site de la marque Roxy. La troisième et dernière partie aborde la question de l’influence de la marque sur la participation des femmes au surf et l’impact du pouvoir érotique sur les Françaises et les Français.

Littérature, cadre théorique et méthodes

Synthèse des travaux sur la place et la représentation des femmes dans le surf

En France, depuis les premiers travaux sur les stations de surf du littoral aquitain (Augustin 1994 et 1997-1998), le processus d’institutionnalisation de la pratique, les territorialités des surfeurs et des surfeuses, et les cultures sportives associées à cette pratique (Loret 1995), les enquêtes se multiplient. Sont alors décryptés les stratégies politiques inhérentes aux représentations dominantes à l’égard des adeptes de cette pratique (Guibert 2006), le développement d’une mythologie fondée sur un mode de vie alternatif (Benassi 2018) ainsi que les dimensions esthétiques, politiques et socioculturelles de ce milieu de culture sportive (Falaix 2017). La plupart des thèmes développés dans ces travaux de recherche sont marqués, à l’échelle hexagonale, par une mise à l’écart des femmes.

Anne-Sophie Sayeux (2008), qui a travaillé sur les adeptes du surf, montre, à travers leur parole, que les « bonnes surfeuses » sont ostracisées. Partant de l’imaginaire publicitaire de la marque Reef, Adolphe Maillot (2010 et 2011) soutient que cette marque de surf se distingue des autres d’abord par la sanctuarisation du registre iconographique sur le postérieur des femmes, ensuite par l’anonymisation des personnages « féminins » mis en scène. À travers les codes iconographiques utilisés en France dans la presse spécialisée et la publicité, Tawa Al Azzawi (2013)[1] observe une coexistence de plusieurs représentations iconographiques des surfeuses, une constante valorisation du corps féminin désirable et une remise en cause des représentations médiatiques des surfeuses par les pratiquantes.

En général, les études montrent que les représentations des athlètes sont structurées par les marques de surf autour de rapports hiérarchiques (hommes/ femmes) et de modes de catégorisation binaires, différenciés, archétypaux de la « féminité » versus la « masculinité ». Dans la publicité des marques de surf, les hommes incarnent l’excellence sportive, tandis que les femmes exhibent un corps idéalisé. Maillot (2011 : 522) suppose que les marques de surf ont une influence positive :

En admettant qu’il y ait eu un effet Blue Crush, pour expliquer le succès grandissant du surf féminin nous privilégierons l’hypothèse d’un « effet Roxy ». En effet, au cours des années 2000, la marque Roxy a su imposer sa griffe à travers la roxylife – un surf lifestyle au féminin – et ses Roxy Girls : « Les Roxy Girls ont montré la voie à la nouvelle génération de surfeuses : sexy, charmantes et bonnes surfeuses ».

Cadre théorique

La recherche sur les représentations du capital érotique et leurs effets (désirables/indésirables) est orientée vers les perspectives théoriques issues des études sur les femmes, le genre et les sexualités (gender, feminist, queer studies), les apports des études visuelles (visual studies) et culturelles (cultural studies) et les conceptualisations consacrées aux dimensions culturelles des phénomènes de consommation (consumer culture theory). La référence aux travaux de Pierre Bourdieu (1998), de Françoise Héritier (1996), d’Erving Goffman (1973) et d’Elsa Dorlin (2008 et 2009) parsème l’analyse qui a pour objectif de rendre compte des codes et des signes ayant trait à l’image sociale dominante de la féminité concourant à la construction de fantasmes ou à l’éveil du désir sexuel, soit à l’érotisme.

Le capital érotique est traité en considérant que le marketing en ligne et le surf sont des espaces (professionnel, sportif) monopolistiques, virils pour reprendre les expressions de Nancy Fraser (2001). Fondée sur le constat d’une surreprésentation des hommes dans le surf et le consensus des chercheurs et des chercheuses quant à la sous-représentation des femmes dans le marketing (Chessel 2012), cette étude suppose que le genre des professionnels du marketing a une importance dans les mises en scène du capital érotique. Elle renvoie à l’hétérosexualité dominante et au maintien de l’« ordre sexuel » (Butler 2005).

La compréhension des données de la recherche part du principe selon lequel les marques de sport combinent le marketing commercial qui présente les qualités fonctionnelles d’un produit et le marketing socioculturel qui enracine le produit dans l’espace social auquel il est consacré. La fonction d’un produit de consommation – plus particulièrement dans le sport (Ohl et Tribou 2004; Ohl et Taks 2008) – est d’en faire usage dans des pratiques sportives, qui sont elles-mêmes l’objet d’une appropriation sociale, culturelle et politique (Pociello 1995).

La lecture des sources (photographies et vidéos du site de la marque) repose sur l’idée que les images sont des faits sociaux et qu’elles doivent être comprises en tant qu’objet de communication et de culture, comme des représentations (Moliner 1996). L’approche critique des études visuelles invite à comprendre la façon dont les images sont créées, utilisées et regardées (soit à aller au-delà de l’image et à s’intéresser à la formation du regard).

Dans la mesure où les images publicitaires montrent le rituel et les codes, mais ne révèlent rien sur la manière dont les femmes et les hommes réagissent devant elles (Goffman 1977), cette étude s’intéresse à la contribution de la marque quant à la normalisation des corps, à la conformation aux normes dominantes par le travail du corps, à la quête de beauté et au souci de plaire (Le Breton 2010), mais surtout à sa capacité à instituer la normalisation de la désirabilité. Elle se nourrit des partages et des clivages entre les chercheuses et les chercheurs, notamment sur la question de l’aliénation, l’émancipation des femmes (empowerment) et la reconnaissance-identification (Malbois 2018).

Trois axes de travail issus du courant de recherche consacré aux dimensions culturelles des phénomènes de consommation (Cordelier 2010) semblent particulièrement intéressants pour interpréter les résultats sur la réception des représentations du capital érotique par les Françaises et les Français : la construction identitaire de ceux et celles qui consomment, la culture de consommation et les systèmes de signification que les individus véhiculent au regard des médias.

Méthodes

Roxy est une marque de surf et de planche à neige (snowboard) entièrement consacrée aux femmes. Pendant de la marque Quiksilver, destinée aux hommes, elle a été créée en 1990 en raison de la progression des pratiquantes constatée à partir des années 80. La coordinatrice du marketing digital de Roxy France, rencontrée le 26 juillet 2017 au siège de la société Na Pali, qui gère la marque au niveau européen, a précisé les caractéristiques et le fonctionnement du site Web. Les femmes vues sur ce dernier sont des pratiquantes de sports de glisse (planche longue (longboard), surf) parrainées par Roxy (membres de l’équipe (team riders) de Roxy). Le portrait et le palmarès des égéries y sont détaillés[2]. Parmi elles figure Stéphanie Gilmore (six fois championne du monde de surf), Lisa Andersen (quatre fois championne du monde), Kelia Monitz (deux fois championne du monde; elle participe aux compétitions de planche longue et de planche courte (shortboard)).

Ce sont des photographes professionnels qui réalisent les clichés des égéries, à différents moments et dans divers lieux pour valoriser l’esprit de la marque. La diffusion et le renouvellement des images exclusivement produites par Roxy et postées sur son site Web sont gérés par le biais d’Instagram[3], alors que le photoblogue[4], propriété de la marque, est alimenté par celle-ci. Aucune information n’a été donnée sur la date de création du site Web commercial www.roxy.fr, les critères de sélection des ambassadrices ou l’identité des auteures ou des auteurs des productions visuelles (photographes indépendants ou salariés de la société?).

Dans la mesure où les images sont renouvelées, pour les besoins de l’analyse, elles ont été captées à l’aide de l’application Outil Capture d’écran de Windows. Les vidéos ont été enregistrées dans le logiciel. Les données recueillies sur le site Web ont été stockées dans des fichiers classés par périodes (étés 2016, 2017 et 2018) pour examiner les évolutions ou les transformations dans la manière de représenter les femmes.

Cinq corpus ont ainsi été constitués. Le premier est composé des photos situées sous la rubrique « Collections[5] ». Elles présentent des modèles professionnelles vêtues d’un maillot de bain ou « déguisées » en surfeuse qui posent dans un studio ou ailleurs. Les autres bases de données ont été créées à partir des productions visuelles parues dans l’album @roxy[6] et le blogue de la marque[7]. Le deuxième corpus, appelé « Corps passif », regroupe les images ayant trait aux surfeuses inactives mais situées dans un environnement naturel avec leur équipement (planche de surf). Le troisième corpus, dénommé « Corps en mouvement », rassemble les images qui présentent les formes d’actions réalisées en rapport avec le surf. Le quatrième corpus est axé sur le mode de vie lié au surf (surf lifestyle) des ambassadrices de la marque. Le cinquième et dernier corpus regroupe les productions sur le surf de compétition.

À quelques nuances près (images sous la rubrique « Collections »), la procédure d’analyse sémiologique a été appliquée à l’ensemble des corpus. Elle s’attache moins aux produits de consommation (planche, maillot de bain, etc.), aux couleurs (pastel surtout), mais davantage aux corps des personnages, aux styles de pratiques scénarisées et aux univers de la marque. Sept critères descriptifs et analytiques, classés à l’intérieur d’une grille de lecture, ont été retenus : modèle (mannequin, surfeuse, etc.); interactions/relations instaurées de la ou des personnes visées (seule, en couple, en groupe, etc.), corps, attitudes, décor/environnement (intérieur/extérieur), pratiques corporelles. Les conséquences des critères choisis par rapport aux composantes du capital érotique définies par Hakim n’ont pas été anticipées. La liberté prise dans le choix des critères ne semble pas rédhibitoire dans la mesure où l’analyse prend en considération le corps, ses usages sociaux, ses perceptions.

Pour savoir comment l’érotisation est reçue par le public, le travail a consisté à élaborer un questionnaire basé sur des photographies extraites du site Web de Roxy accompagnées de différentes questions sur l’image des femmes, la stratégie de la marque et le profil sociodémographique des participantes et des participants (sexe, âge, profession, pratiques sportives, etc.). Si une question avait pour but de connaître l’état matrimonial des personnes interrogées (célibataire, marié ou mariée, etc.), aucune ne portait directement sur leur orientation sexuelle (hétérosexuelle, homosexuelle ou autre). Une des limites de l’approche est donc de ne pas penser la réception du capital érotique sous l’angle des marges.

Pour générer un verbatim, la technique a consisté à demander aux participantes et aux participants de donner cinq mots pour qualifier des images. Le questionnaire imprimé et administré en 2017 et en 2018 sur les plages landaises a été rempli par 121 personnes, mais l’échantillon n’est pas représentatif par rapport à des variables classiques; la faible diversité sociologique constitue donc une autre limite de l’étude.

Les données recueillies ont été analysées avec l’Interface de R pour les analyses multidimensionnelles de textes et de questionnaires (IRAMUTEQ)[8]. Ce logiciel traite des termes qui sont des formes actives et des formes supplémentaires (mots de liaison, déterminants, etc.). Il permet de réaliser des analyses lexicales (fréquence et association des mots), de calculer le nombre d’occurrences (mots), de formes (mots différents), d’hapax (mot n’apparaissant qu’une seule fois dans le texte) et aussi de les classer, avant et après lemmatisation (examen des noms, des verbes, des adjectifs). Une classification hiérarchique descendante (CHD), selon la méthode décrite par Max Reinert (1993), permet de dégager des classes lexicales (groupes homogènes de termes associés). L’appartenance des formes à une classe lexicale est déterminée par un test chi 2 qui permet de voir si la proportion (des formes ici) est statistiquement signifiante.

Images, corps et érotisation dans le marketing en ligne de Roxy

Corps et érotisation

Dans la plupart des corpus iconographiques élaborés dans le contexte de cette recherche, les mises en scène sont structurées autour des personnages caucasiens. Les minorités ethnoraciales ne sont pas représentées sur le site Web de la marque Roxy. Malgré l’hétérogénéité culturelle des ambassadrices (originaires de l’Australie, d’Hawaï, de l’Afrique du Sud, de La Réunion et de la France métropolitaine), la norme culturelle est celle de la « blanchité » (whiteness) qui, dans les études culturelles, désigne, entre autres, l’hégémonie blanche (Hall 2007).

Chez Roxy, la construction du corps érotique repose en grande partie sur les traits physiques des personnages féminins. Les traits de leur visage sont fins; les corps, minces; les silhouettes, longilignes. Les modèles peuvent porter les cheveux courts, mais la plupart des surfeuses ont une longue chevelure (blonde), sachant que les cheveux symbolisent la féminité et sont perçus comme objet de séduction, voire de fascination (Mirande 2008). Le type de beauté des surfeuses correspond aux canons occidentaux en vigueur de l’époque moderne. Georges Vigarello (2004) explique qu’au cours du xxe siècle la norme de la sveltesse et de la souplesse s’est imposée. La minceur est encore aujourd’hui un critère de beauté, construit, déterminé et imposé, selon Jean-François Amadieu (2005), par les classes dominantes. L’impact des images corporelles est une dimension qui a été largement prise en considération dans les travaux de recherche. Sont mentionnées la difficile résistance à la conformation aux normes corporelles (Bordo 1993), notamment par la surveillance excessive du poids (voire l’anorexie) par les femmes sensibles aux normes corporelles et au culte de la minceur véhiculés par l’industrie culturelle (Baril, Paquette et Gendreau 2011).

Au-delà des caractéristiques physiques, l’érotisation dans les postures et les gestuelles gagne à être explicitée par quelques exemples. Sous la rubrique « Collections », chaque fois, une femme porte un maillot de bain (souvent échancré) et expose ses formes (de face et de dos). Les gros plans sur la poitrine et les fesses résument bien l’intention de mettre en avant l’aspect charnel et érotique. Les formes de corps sont toujours appuyées par le mouvement de la tête, le regard de séduction, la position des mains et dans le mouvement des jambes du modèle qui dénote, dans la plupart des cas, une posture suggestive caractérisée par une légère ouverture du bassin. Les ambassadrices de la marque Roxy, qui participent à la valorisation des produits destinés à la commercialisation (surtout les maillots de bain), adoptent quasiment les mêmes poses et attitudes séductrices que les mannequins de mode. Ces comportements postulent donc une légitimation du capital érotique. Les égéries semblent se conformer à la philosophie de Roxy. En reprenant les analyses sur la présentation de soi (Goffman 1973), les surfeuses jouent le rôle en se représentant selon les rôles attendus de la marque.

Plusieurs travaux de recherche soulignent la préférence des publicitaires pour l’inertie des personnages féminins (Davis 1998). Roxy n’échappe pas à cette logique. Plages et littoraux sont des espaces exotiques, des lieux de désir où l’esthétisation des corps passifs s’avère dominante. Dans des environnements de rêve, paradisiaques, les ambassadrices en maillot de bain deux pièces sont allongées sur le sable à côté de leur planche : elles prennent un bain de soleil. Elles font une sieste dans un hamac, sont perchées sur une dune de sable blond ou encore flottent ou dérivent sur l’eau dans une bouée de sauvetage.

Les décors naturels sont majoritairement utilisés pour créer une esthétique sensuelle-sensorielle. Celle-ci est exprimée dans les images sous-marines et d’immersion qui occupent une modeste place dans le corpus. Avec le régime nocturne de l’image, Roxy fait de ses déesses de la glisse des aventurières des abysses plongeant en apnée dans les profondeurs de l’océan. Cette approche poétique de l’érotisme transcrit la relation charnelle des femmes avec l’élément eau, mais aussi l’érotisme et la sensualité du contact à l’eau (Peignist 2011). L’eau reflète une image (corporelle) aux contours incertains. Pour vendre, Roxy prend appui sur cette modélisation du corps qui joue de l’imaginaire et suscite du désir. Montrer le corps dans le flou, trouble, en pose une vision ontologique (Andrieu 2010).

Dans le marketing en ligne de Roxy, le pouvoir érotique est configuré autour des corps sexualisés, passifs, séduisants et désirables. Les représentations véhiculées par la marque supposent une violence symbolique qui continue d’entretenir cette image sexuée de la femme. Elles soumettent les femmes au désir de l’autre comme objet (Lacan 1972-1973). Elles peuvent être examinées sous l’angle du désir des auteurs ou des auteures des productions visuelles. D’autant que l’industrialisation initiale et croissante du surf est comprise comme masculine (Fendt et Wilson 2012). Il faut toutefois préciser que les femmes (professionnelles de la publicité ou du marketing) peuvent autant que les hommes construire et diffuser ce genre de mises en scène érotisées et stéréotypées. Concernant les ambassadrices, il est difficile de penser qu’elles peuvent se soustraire de leur position désirante. Les avantages qu’elles peuvent tirer de leur mise en scène sont certainement en rapport avec la professionnalisation balbutiante du surf. En tout cas, en France, rares sont les femmes qui peuvent vivre de leur sport.

De l’incompatibilité des engagements physiques et des qualités techniques dans le capital érotique

Presque aucune photographie du site Web de Roxy ne symbolise la technicité ou la performance. Sur les images, les surfeuses fuient au large, rament ou attendent la vague à l’horizon, passent sous la vague qui arrive en face. Elles n’exécutent presque pas de figures connues telles que le virage sur les rails pour revenir vers la partie la plus abrupte de la vague (cut back) ou la prise de vitesse pour prendre de la hauteur (aerial). Les mouvements des surfeuses réalisés manifestent moins une relation combative et « sportive » avec la vague qu’une sensualité du geste esthétique (Knijnik, Horton et Cruz 2010). Les rares images relatives au surf spectacle ou de compétition relayées sur le blogue montrent les gagnantes (vêtues d’une combinaison par-dessus laquelle est enfilé un maillot avec le logo de la marque) sur le podium avec la récompense en main ou portée en triomphe (assise sur les épaules d’un porteur) au milieu d’une foule essentiellement composée d’hommes.

Si, dans les mises en scène du surfeur, ce dernier apparaît « comme un héros sublime qui accomplit des exploits d’équilibriste au milieu d’un environnement périlleux » (Maillot 2011 : 521), le « style féminin » s’écarte du style spectaculaire des surfeurs radicaux et prométhéens. La marque Roxy semble tenir à la distinction entre les femmes et les hommes. La mise à l’écart de l’engagement physique, de la force et de la puissance, attributs de la masculinité hégémonique (Connell 2014), contribue à consolider le présupposé selon lequel le marketing et le surf sont une « citadelle masculine » (Terret 2005) dans laquelle les femmes sont assignées à une hiérarchie sexuée ou à la « sexualisation de la distinction de sexe » (Théry 2007 : 574). Au début des années 90, le constat sur la possibilité des médias spécialisés de marginaliser les performances des femmes-athlètes et de mettre en avant leur hétérosexualité avait déjà été dressé (Messner, Carlisle-Duncan et Jensen 1993).

L’érotisation n’existe pas au regard du surf de haut niveau. Les qualités physiques et techniques ne sont pas des composantes du capital érotique des surfeuses. Se pose alors la question du « transfert » (dans le monde du sport) et, en poussant la réflexion, de l’universalité des composantes du capital érotique déterminées par Hakim.

Représentations du pouvoir érotique résistantes ou émancipatrices

La rupture avec les représentations érotisées apparaît plus particulièrement avec le corpus d’images sur le style de vie lié au surf des Roxy Girls. L’iconographie qui illustre la vie nomade et conviviale fige les ambassadrices aux côtés des autochtones ou participant à des traditions locales. Elles partent à la découverte de paysages, s’engagent sur des reliefs escarpés sans guides et sans l’aide des hommes. L’exposition de ces femmes évoluant entre elles dans des environnements (visiblement) vierges, parfois hostiles, suppose qu’elles sont aguerries, courageuses et audacieuses. En tout cas, elles ne sont pas réduites aux rôles genrés traditionnels (femmes passives, fragiles, peureuses, dépendantes des hommes).

Le positionnement stratégique des marques et le traitement publicitaire fondés sur des personnages féminins forts et indépendants sont expliqués dans la littérature au regard de l’évolution de la place des femmes dans la société, du recul du patriarcat, des révolutions culturelles, sexuelles ou féministes, ou les deux à la fois. Il existe toutefois des différences de vues dans les recherches concernant l’écho à l’activisme des mouvements féministes en publicité. Il est pensé tantôt comme un refus de l’essentialisme, tantôt comme un moyen de maintenir la domination (Perret 2003). En ce sens, les représentations liées au mode de vie en rapport avec le surf, qui se démarquent des représentations érotiques, peuvent être interprétées comme des stéréotypes relatifs à la toute-puissance de la femme ou comme des expressions de la puissance d’affirmation de soi. L’aspect qui est suggéré en parlant d’empowerment est la capacité des femmes à résister à la domination masculine (Coakley 1982), à prendre le contrôle et à s’approprier ou à transformer des cultures sportives de tradition masculine (Théberge 1987).

Qu’elles soient directement ou non en rapport avec l’érotisation et quelles que soient leurs spécificités, les mises en scène sont organisées par la marque selon des anciennes et nouvelles valeurs. Les images véhiculées sur le site Web de Roxy renvoient au symbole d’un idéal : celui de l’harmonie de la femme avec la nature. Elles s’inspirent de l’esprit des Lumières (domination de la nature sur les individus) et d’une sensibilité nouvelle à l’écologie, voire à l’écoféminisme. La symbiose entre la nature et les femmes ramène à la question du mythe de la plus grande empathie de ces dernières pour la nature qui trouverait ses racines dans la biologie. Roxy participerait donc à la naturalisation des rapports ou relations avec l’environnement. Alors que la place tenue par l’eau dans le marketing de Roxy paraît évidente, « naturelle », elle ramène à des symboles mythiques ancrés dans la religion (pureté, purification) et la culture occidentale (jeunesse, jeunisme).

Érotisation et sexualité : relations entre femmes et exclusion des hommes

Dans les productions visuelles extraites de l’album @Roxy et du blogue qui donnent à voir l’univers surfique, récréatif et culturel des égéries, « l’entre soi », « l’entre-femmes » (Irigaray 1993) règne. Les ambassadrices de la marque ne sont jamais vues avec les ambassadeurs de la marque du même groupe réservée aux hommes, Quiksilver. Ainsi, les élus et les élues de l’industrie de la glisse ne partagent pas d’expériences (surf trip). Aucune liaison entre ces adeptes n’est mise en scène sur le site Web. Les photos illustrant le surf de compétition ne laissent jamais voir des surfeuses soutenir, encourager leurs homologues masculins, même pas lors des concours comme le Quiksilver/Roxy Pro, pourtant organisé dans un lieu commun.

L’absence des hommes laisse penser que Roxy fait le choix, peu importe la configuration ou le contexte, de mettre en scène des femmes respectables, des surfeuses sans sexualité, sans rapports avec les hommes ni désir pour l’autre. Ce positionnement marketing qui consiste à montrer un univers quasi exclusivement féminin, une sociabilité amicale conduit à plusieurs lectures.

Le positionnement en question peut être interprété comme un (autre) indice quant à l’hétéronormativité sur laquelle est fondé le marketing de Roxy et quant à l’appartenance de genre des producteurs ou des productrices d’images. La relation d’amitié entre les surfeuses constitue alors un élément central de la féminité traditionnelle et elle est l’expression du regard masculin, hétérosexuel. Elle s’inscrit dans une logique de disponibilité sexuelle des femmes. À cet égard, on peut se référer aux propos de Pierre Bourdieu (1998 : 94), emblématique théoricien des champs sociaux selon lesquels la femme « existe d’abord par et pour le regard des autres […], en tant qu’objet accueillant, attrayant, disponible ».

Et inversement, la non-visibilité des hommes, la présentation du surf comme un espace « non mixte », pourrait traduire la volonté de la marque Roxy de revendiquer une identité surf propre aux femmes, un affranchissement, une autonomie par rapport aux hommes. Le rôle de l’amitié dans la constitution de soi des femmes et son intérêt dans les luttes contre la domination masculine (Rich 1981) peut laisser penser que la marque cherche à la fois à montrer la solidarité des surfeuses et à prendre de la distance par rapport au rôle (tenace) associé aux femmes dans le monde du surf : groupie, admiratrice, spectatrice, maîtresse. Il peut également s’agir d’une volonté de la marque de préserver la réputation de ses égéries ou d’éviter les critiques (atteinte à la dignité des femmes). Cependant, Rosalind Gill (2007) parle à ce sujet du midriff, c’est-à-dire de la perpétuelle utilisation du corps des femmes comme objet sexuel par les médias, en même temps qu’ils échappent aux critiques qui sont habitués à recevoir (sexisme, misogynie). Quoi qu’il en soit, il faut reconnaître l’ambiguïté des messages envoyés par les industries culturelles contemporaines (Malbois et autres 2009), industrie relative au surf comprise. Avec les productions visuelles sur le mode de vie lié au surf et par l’invisibilité des hommes, Roxy brouille l’analyse concernant la mise en scène du capital érotique qui, jusque-là, trouvait sa traduction dans l’érotisation.

Influence de la marque et effets de l’attractivité physique des surfeuses sur le public

Principales caractéristiques des personnes interrogées

L’analyse du capital érotique est appréhendée à partir de la distinction entre les représentations iconographiques et leur réception par le public. L’approche prend en considération les principales caractéristiques de la population à l’étude car, selon Jennifer Aaker (2000), la valeur attribuée aux aspects associés à la marque est liée aux modes de vie des consommateurs et des consommatrices ainsi qu’à leurs cultures et à leurs groupes d’appartenance ou de référence. Parmi les 121 personnes interrogées, il y a 76 femmes et 41 hommes. Selon la nomenclature 2013 de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la plupart de ceux et celles qui ont participé à notre enquête sont des employés ou employées (23 femmes, 7 hommes) ou appartiennent à la classe « Cadres et professions supérieures » (21 femmes, 9 hommes). Les 20-30 ans sont surreprésentés (39 femmes, 24 hommes), suivis par les 31-50 ans (25 femmes, 11 hommes). Au total, 47 femmes et 28 hommes ont déclaré pratiquer un sport de glisse : dans ce groupe, 46 sont âgés de 20 à 30 ans et 22, de 31 à 50 ans. Enfin, 20 personnes exercent une profession intermédiaire (CSP[9] 4 Insee) et 17 sont artisans ou artisanes ou encore à la tête d’un commerce ou d’une d’entreprise (CSP 2).

Rapports des enquêtées à la marque Roxy et engagement dans la pratique du surf

Les questions sur la connaissance de la marque Roxy et sur son influence dans la participation à des pratiques de glisse ont été adressées aux femmes, clientèle ciblée par Roxy. Ainsi, 74 enquêtées disent connaître Roxy; 66 % consomment ses produits; et 38 % naviguent sur son site Web. Parmi 47 pratiquantes, amatrices de sports de glisse, 11 précisent que les marques de surf (y compris Roxy) ont eu une influence sur leur choix de pratique. Rien ne peut être dit sur la nature ou le type d’images véhiculées par l’industrie du surf (érotiques?) ayant conduit ces femmes à s’investir dans cette activité ou sur les représentations diffusées par la marque favorisant l’identification des pratiquantes.

Au regard de ces statistiques, il est difficile de considérer que les marques de surf jouent un rôle clé concernant l’engagement des femmes dans les pratiques de glisse. À l’appui du travail de Jennifer Maguire Smith (2008), il est possible de considérer les pratiquantes à la fois comme les productrices de leur propre culture et à titre de consommatrices de leur propre style de vie. D’autant plus que la particularité des activités de plein air comme le surf est que celles-ci sont investies par des pratiquantes et des pratiquants « autonomes », c’est-à-dire qui se passent d’un encadrement institutionnel proposé (en général) par les fédérations. De ce point de vue, l’impact des organisations sportives comme celui du marketing du surf à propos de l’entrée des femmes dans un sport de glisse est à minimiser. D’autres facteurs d’engagement dans une pratique sportive peuvent être mentionnés : socialisation, dispositions, caractéristiques intrinsèques et catégorisation sociale en féminin ou masculin de la discipline sportive.

Effets du capital érotique sur les jugements des Françaises et des Français

Pour évaluer l’attractivité des personnages féminins de Roxy, les personnes participant à l’enquête étaient invitées à donner cinq mots en relation avec une image extraite du site Web sur laquelle le postérieur d’une des ambassadrices de la marque (vêtue d’un maillot de bain une pièce) apparaît au premier plan. Les résultats de l’analyse obtenus à partir des réponses formulées par les 121 personnes interrogées montrent qu’avec ce genre d’image la marque suscite une dénégation du sujet. Le capital érotique n’est pas vu ici comme un avantage dans la mesure où l’égérie de la marque représentée sur la photo n’est pas reconnue en tant que telle ni considérée comme une « vraie surfeuse ». Certaines personnes ne voient qu’un modèle, une « mannequin » (mots retrouvés 18 fois) retouchée avec le logiciel PhotoShop comme le suggère l’emploi des verbes « truquer », « trafiquer », « mensonger ». Les retouches apportées à l’image présentée aux enquêtés et aux enquêtées est un autre débat, mais l’impact du numérique et des nouvelles technologies sur le corps et ses représentations semble affecter ces personnes dans leur manière de percevoir les représentations corporelles publiquement accessibles (Malbois 2018).

Le scepticisme des participantes et des participants à l’égard de la réalité du corps affiché ne s’accompagne pas pour autant d’expressions laissant penser à une remise en cause de l’image de la femme véhiculée. Parmi les 206 formes, dont 141 hapax (mot dont la fréquence est 1), seulement 16 renvoient à une forme de contestation, de désapprobation ou de dénonciation par rapport au corps représenté (voir le tableau 1).

Tableau 1

Mots donnant lieu à une interprétation de rejet du corps exposé

Mots donnant lieu à une interprétation de rejet du corps exposé

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L’érotisation des corps n’est pas vraiment critiquée, même pas par ceux et celles qui ont une expérience sportive/qui pratiquent le surf. Il n’y a pas de différences significatives entre les mots employés par les 75 personnes qui pratiquent un sport de glisse et les 28 qui n’en font aucun. Le décalage entre ce résultat et la conclusion d’Al Azzawi (2013) sur la remise en cause des représentations médiatiques des surfeuses par les pratiquantes s’explique peut-être par le fait que les personnes interrogées sont des amatrices et que le surf est une activité occasionnelle.

La valeur de la variabilité de l’admiration, de l’envie, de la fascination (masculine) versus l’identification, la répulsion, la remise en cause (féminine) n’a pas été vérifiée. Cependant, les résultats confirment que les femmes et les hommes ne réagissent pas de la même façon devant la publicité et qu’il existe des effets de genre. Les 76 enquêtées ne sont pas plus enclines que les 41 répondants à juger cette image de la surfeuse comme dévalorisante ou dégradante, mais les termes qu’elles associent à l’image sont différents de ceux des hommes. Elles ont plus souvent cité « mer » (9 % des femmes, aucun homme), « baignade » (14 % des femmes, aucun homme). Les hommes interrogés, plus que les femmes, ont recours aux mots « plaisir » (7 % des hommes, aucune femme), « élégance » (4 % contre 1 %), « sexy » (17 % contre 14 %), « joli » (17 % contre 8 %). L’analyse tend donc à montrer que Roxy participe, sinon à l’incorporation (Duncan 1994), du moins à l’intégration d’une vision différenciée et hiérarchique du genre. Le répertoire de mots dégagé témoigne du pouvoir érotique efficient pour les hommes : la femme s’avère séduisante et sexuellement attractive.

Analyse par les classes lexicales

Les classes lexicales rendent compte des thématiques générales du corpus de mots employés par les 121 personnes interrogées pour décrire l’image. Au total, 98 mots sur 119 ont été traités et ont conduit à la création des six classes lexicales présentées au tableau 2.

Tableau 2

Mots composant chaque classe lexicale

Mots composant chaque classe lexicale

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Des correspondances entre les classes lexicales et les univers créés par la marque Roxy s’établissent. L’univers « hédoniste » (classes 1 et 2) conduit au tourisme et à la culture récréative. Les éléments naturels (mer, soleil, plage) apparaissent comme des ressources et des supports à différentes activités, mais pas à la pratique du surf (bronzage, baignade). L’association « fille-eau », présente dans la classe 4, semble faire écho aux symboliques de l’élément (pureté, propreté, jeunisme) constitutives du marketing en ligne de Roxy. Les classes 5 et 6 s’inscrivent dans le « rapport érotique » institué par la marque.

La classification hiérarchique descendante qui découle de l’analyse factorielle des correspondances se présente sous la forme d’un dendogramme qui illustre la proximité des classes lexicales dégagées (voir la figure ci-dessous). Les classes 1 et 2, reliées par un pont, sont les plus proches. La proximité avec la classe 3 est plus réduite, et ainsi de suite.

Dendogramme des classes lexicales dégagées

Dendogramme des classes lexicales dégagées

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Au regard des caractéristiques sociodémographiques des enquêtées, il ressort que les femmes sont particulièrement représentées dans la classe lexicale 2 (23/64, soit 36 %), alors que les hommes s’inscrivent dans les classes lexicales 5 (8/33, soit 24 %) et 6 (9/33, soit 29 %). L’analyse précise que seuls les 31-50 ans (9 des 30 personnes dans cette tranche d’âge, soit 30 %) sont significativement présents dans la classe lexicale 4. Si l’analyse par classes lexicales confirme l’asymétrie de perception entre les femmes et les hommes, elle ne permet pas de dégager des éléments significatifs sur le plan de la classe sociale. La taille de l’échantillon, l’homogénéité du public et le fait que les enquêtés et les enquêtées n’avaient pas l’obligation de répondre à toutes les questions ou de respecter scrupuleusement les consignes ont des incidences sur les résultats de l’analyse.

Le profil sociodémographique des personnes interrogées est utile mais insuffisant pour créer des liens solides entre les classes lexicales et les identités (professionnelle, conjugale, familiale, de genre) ou les capitaux (économique, social, culturel, symbolique). Par ailleurs, il manque des données sur les usages du Web et la présence des femmes et des hommes dans le commerce en ligne pour mieux expliquer les réactions devant les images.

Conclusion

Traiter la question des représentations du capital érotique et de leur réception conduit à parler d’ambivalence, car le marketing socioculturel de la marque Roxy est fondé sur deux composantes de sens contraire. L’érotisation, qui est la clef de voûte de la communication commerciale de la marque, doit être mise en contraste avec le style de vie quasi exclusivement féminin autour du surf qui laisse penser à une mise à distance du sexisme ou, en tout cas, à des valeurs de liberté, d’indépendance et d’autonomie.

La portée de l’attractivité des personnages mis en scène à partir d’une des facettes de l’érotisation des corps véhiculée par la marque Roxy ne permet pas de dire précisément si c’est ce genre d’image qui provoque l’engagement des femmes dans les sports de glisse. L’analyse lexicale montre cependant le caractère banalisé de l’érotisation qui peut s’expliquer par les conditions environnementales, culturelles et individuelles de la population française. Par ailleurs, les perceptions différenciées entre les femmes et les hommes donnent une idée du capital érotique comme source autonome. Le regard que les hommes portent sur l’image à laquelle ils ont été exposés met en avant l’idée d’un capital assis sur la seule matérialité des corps.

Cette étude exploratoire menée en France appelle à de nombreux prolongements, qu’il s’agisse des conditions de production des images, de l’influence (positive) des représentations érotiques quant à l’investissement des femmes dans le surf, des raisons pour lesquelles les ambassadrices jouent le jeu de la marque, de leurs points de vue quant à leur propre mise en scène ou autoreprésentation, des conséquences de leur représentation érotisée sur leur trajectoire et position dans l’espace du surf, des effets positifs (reconnaissance) ou négatifs (problème de légitimité en tant que pratiquante). La manière dont chaque égérie vit ce « corps public » qui la représente pour autrui et le « corps pour soi », pour reprendre quelques éléments d’analyse de Fabienne Malbois (2018), mène aussi à la question du changement d’identité de genre des ambassadrices de la marque Roxy.