Corps de l’article

Pour les communautés rurales et autochtones du sud du Mexique, le territoire représente un espace de vie et de reproduction sociale. Dans l’imaginaire collectif, c’est le chez-soi partagé à maintenir vivant pour le bien-être de la communauté. Le territoire est ainsi au coeur des revendications de ces hommes et de ces femmes dont l’histoire et le quotidien sont marqués par le colonialisme, l’exploitation et les luttes pour la préservation de leur mode de vie. L’extraction de richesses a toujours existé. La parution en 1971 de l’ouvrage Les veines ouvertes de l’Amérique latine, d’Eduardo Galeano, a démontré la centralité de cette industrie et son lien avec la colonisation. Le présent article porte plutôt sur la réponse citoyenne à l’intensification mondiale de l’extractivisme accompagnant l’adoption de politiques néolibérales, c’est-à-dire l’extraction à grande échelle de richesses naturelles (minéraux, pétrole, forêt, pêche, monocultures), principalement consacrée à l’exportation dans leur forme brute. Ce mode d’exploitation profite surtout à l’industrie et, dans une moindre mesure, à l’État (Acosta 2013; Tetreault, McCulligh et Lucio 2018; Valladares de la Cruz 2017).

À partir des analyses et des voix des femmes et des hommes qui se sont mobilisés contre l’extractivisme, nous examinerons ici les logiques communautaires et les défis auxquels doivent faire face les acteurs et surtout les actrices du quotidien, qui résistent à la pénétration du secteur extractif. S’il est impossible de dégager des récurrences entre les communautés quant à la participation des femmes comme résultat de la mobilisation pour la défense du territoire, on constatera que les économies extractives des régions rurales à l’étude sont genrées, et que ni la mobilisation collective ni le mode de gouvernance autochtone ne suffisent à transformer les relations hommes-femmes ou à favoriser la participation de ces dernières. Ces conclusions nous amènent à repenser à la fois le cadre théorique, les stratégies de lutte et les politiques publiques qui influencent les pratiques des divers protagonistes et les conditions socioéconomiques et politiques des communautés.

Notre article repose sur une analyse qualitative à partir de séjours annuels de recherche depuis 2011, y compris l’observation engagée, une cinquantaine d’entretiens semi-directifs ou de récits de vie[1] et une mise en dialogue de ces résultats avec la littérature primaire et secondaire. Nous présenterons d’abord les débats féministes récents sur l’extractivisme afin de démontrer que l’économie extractive est genrée et que la littérature critique sur le sujet néglige encore les enjeux de genre et les approches autochtones. Au lieu d’offrir une étude de cas approfondie d’une communauté et des effets dévastateurs de l’extractivisme[2], nous mettrons plutôt en lumière les apports des analyses féministes et autochtones, ainsi que des travaux d’écologie politique, afin de mieux comprendre la diversité des expériences, des logiques communautaires et des défis auxquels font face les militantes et les militants anti-extractivisme luttant pour la défense du territoire et de la vie.

En tant que femme blanche universitaire en situation privilégiée, il est difficile d’offrir une analyse de l’expérience vécue de ces femmes et de ces hommes alors que nous ne pouvons qu’acquérir une connaissance partielle de leur lutte, à un moment et en un lieu précis lors de nos séjours sur le terrain. Considérant les répercussions du colonialisme, du capitalisme, du racisme et des relations patriarcales au sein des communautés à l’étude, nous éviterons de parler au nom de ceux et celles qui s’opposent à l’industrie extractive. C’est davantage à partir d’une posture de chercheuse engagée, partageant les préoccupations et la dénonciation des injustices avancées par les militantes et les militants, que nous proposons une exploration des expériences et des analyses que nous ont communiquées certains membres d’une dizaine de communautés rurales autochtones, principalement dans l’État d’Oaxaca[3].

Féminismes et comunalidad

D’un point de vue théorique, nous nous inspirons des travaux d’auteures et d’auteurs féministes engagés pour qui l’analyse sociopolitique et la théorisation servent à mieux comprendre la complexité des sociétés afin d’alimenter la réflexion critique et l’action. Des auteures comme Gladys Tzul Tzul, Anahi Morales-Hudon, Stéphanie Rousseau, Raquel Gutiérrez-Aguilar, Rosalva Aída Hernández-Castillo et J. K. Gibson-Graham partent de l’expérience vécue des actrices, en se basant sur des entretiens et des récits de vie, pour valoriser les savoirs et donner une voix aux collectivités qui en sont détentrices et qui se trouvent souvent marginalisées. Reposant sur une analyse rigoureuse du contexte spécifique des communautés, leurs travaux se positionnent explicitement en faveur d’une transformation sociale (Rocheleau, Slayter et Wangari 1996). Plutôt que de tenter de situer les groupes en lutte dans l’une des catégories analytiques existantes (féminismes décolonial, autochtone, etc.), nous mettrons ici en valeur les pratiques et les analyses des militantes et des militants pour mieux saisir les différentes perspectives et réalités de ces actrices et acteurs du quotidien[4]. Néanmoins, un résumé des débats et des approches féministes portant sur l’extractivisme nous permettra de faire connaître aux lecteurs et aux lectrices francophones une littérature latino-américaines encore peu connue. D’ailleurs, plusieurs militantes des mouvements féministes et de femmes au Mexique sont également des intellectuelles et vice versa.

De nombreuses femmes autochtones des Amériques refusent de s’identifier comme féministes et sont sceptiques à l’égard des initiatives ou des approches qui s’y rattachent (Espinosa-Damián, Dircio-Chautla et Sanchez-Nestor 2010; Moore-Torres 2018). Francesca Gargallo (2014) soutient que l’accent est fréquemment mis sur l’appartenance à la communauté autochtone, surtout en milieu rural, contre un État colonial et capitaliste qui bafoue leurs droits et leur autonomie. Dans de tels contextes, l’identité « femme » est souvent reléguée au second rang, derrière l’identité autochtone et les droits collectifs. Certes, les droits individuels demeurent des préoccupations centrales pour ces femmes, mais elles insistent sur la complémentarité des rôles entre les genres. Par exemple, les membres de la Coordination nationale de femmes autochtones (Coordinación Nacional de Mujeres Indígenas ou CONAMI), créée en 1997 au Mexique, affirment que leur lutte « n’est pas en dehors de la lutte des peuples et des communautés autochtones à laquelle [elles participent] ». Elle aurait en effet permis d’« avoir une plus grande incidence politique, sociale, économique et culturelle » (Morales-Hudon 2011 : 139).

Par ailleurs, un récent discours antimine des femmes met en avant le concept de « corps-territoire-terre », faisant le parallèle entre les violences du système patriarcal à l’endroit du corps des femmes et celles du capitalisme extractiviste contre le territoire et les richesses naturelles. Lorena Cabnal, féministe communautaire maya q’eqchi y xinka, explique ce qui suit à la journaliste Eugenia López (2018) :

Nos corps en tant que femmes autochtones sont sur la ligne de front des attaques quotidiennes. Ce n’est pas un hasard si, au Mexique et au Guatemala, nous occupons les premières places au monde avec le Honduras et le Salvador en matière de féminicides [...] Il y a les mémoires ancestrales de nos mères, nos grand-mères… toutes ces formes de violence, le corps les a supportées. Il y a une chaîne que je qualifie d’accumulation historique structurelle des oppressions sur les corps et la terre...

Le corps est le premier territoire qui subit les effets de l’invasion et de la domination, mais celui-ci possède également ses mémoires de guérison qui procurent l’énergie de la transgression et de la résistance (Cabnal 2010). Enfin, l’hésitation à se reconnaître comme féministe chez d’autres femmes autochtones vient également d’un rejet des approches occidentalocentrées qui représentent surtout les priorités des femmes de classe moyenne et de milieux urbains, à partir d’une vision libérale et d’une définition étroite de « la » modernité. Cette dernière ne correspond pas aux cosmovisions, ou visions du monde, valeurs et priorités, des communautés rurales à l’étude (Hernández-Castillo 2016; Worthen 2015). Ce type d’analyse et de discours militants est généralement évacué des études sur l’extractivisme, y compris chez des auteurs critiques tels que Eduardo Gudynas (2010), Alberto Acosta (2013), Víctor Toledo, David Garrido et Narciso Barrera-Bassols (2015) ainsi qu’Anthony Bebbington (2007). C’est là la richesse des approches féministes et des récits des actrices du terrain qui permettent de nuancer l’analyse et de saisir la diversité des expériences de lutte entre hommes et femmes, ainsi que le rôle central des femmes qui militent depuis des décennies pour la défense du territoire et des droits collectifs.

Plusieurs travaux féministes signalent également la spécificité des contextes de mobilisation et des formes d’oppression. Rousseau et Morales-Hudon (2017) préconisent l’intersectionnalité, soulignant l’articulation entre genre et ethnicité dans leur étude comparée des mouvements de femmes autochtones (Mexique, Pérou, Bolivie). Pour sa part, l’anthropologue métisse Rosalva Aída Hernández-Castillo (2016) inscrit ses travaux dans la lignée du féminisme décolonial surtout présent chez les universitaires (voir aussi Diana Gómez-Correal et Natalia Quiroga-Diaz (2013)). Elle insiste sur les effets persistants du colonialisme et de ses interactions avec le capitalisme et le patriarcat, ainsi que sur la diversité des expériences de violence que vivent les femmes autochtones, en particulier par rapport à l’État colonial, au droit et au pluralisme juridique. Ces deux ouvrages soulignent l’agentivité politique des femmes autochtones au sein d’organisations mixtes et non mixtes qui défient les normes et les structures de pouvoir et qui mettent en oeuvre des pratiques alternatives afin de transformer leur communauté ainsi que les mouvements féministes et autochtones.

Lorena Cabnal et Gladys Tzul Tzul, intellectuelles mayas originaires du Guatemala, sont des exemples probants de la nouvelle génération qui se consacre à la recherche engagée et qui inspire les communautés autochtones, tout en remettant en question la théorisation féministe dominante. Tzul (2015 : 128) précise que les hommes, les femmes et les enfants de sa communauté luttent depuis plus de 500 ans pour la défense de leur territoire : une lutte politique pour la « reproduction de la vie » et pour la préservation de leur « système de gouvernement communal ». Elle s’intéresse aux « trames communautaires » pour définir lo común, c’est-à-dire l’ensemble des relations d’entraide, tissées jour après jour, qui sont essentielles à la reproduction d’une vie digne (Tzul 2018). Tout en reconnaissant les tensions et les conflits qui émergent inévitablement, Tzul met l’accent non pas sur l’identité à protéger ou sur une tradition autochtone figée dans le passé, mais sur la capacité exceptionnelle des communautés à survivre aux politiques colonialistes et néolibérales – culturellement et économiquement – grâce aux relations qui permettent de « faire communauté » et de sauvegarder leur mode de gouvernance et de travail communautaires. De façon similaire, Arturo Escobar (2017) insiste sur la « relationnalité » des communautés autochtones et afro-descendantes, par opposition à l’individualisme et aux hiérarchies de pouvoir, comme moyen de regagner leur autonomie.

Durant les années 80, Floriberto Díaz (ayuuk/mixe) et Jaime Martínez (zapotèque) ont élaboré le concept de comunalidad (communalité) afin de rendre compte des pratiques d’entraide des communautés rurales (entretiens, Oaxaca, 2015, 2017 et 2018). Selon ces auteurs, un pilier central de la comunalidad est le travail collectif par et pour la communauté qui donne sens à la vie. On cultive ainsi une étendue plus ou moins grande de terre, selon la capacité de travail, la fertilité des sols, l’accès à l’eau et le climat (entretien, Cruz, 2017). Malgré les difficultés croissantes de plusieurs villages à maintenir ces pratiques, la réciprocité et l’interdépendance entre familles paysannes et avec le territoire persistent, souvent par obligation, car on dépend de cette entraide et des écosystèmes (Massicotte et Cruz 2017). Nous aborderons plus loin les autres piliers de la comunalidad (propriété de la terre, célébrations et décisions collectives) puisqu’ils rythment encore le quotidien de nombreuses communautés rurales autochtones du sud du pays.

Les recherches en écologie politique féministe (EPF) combinent plusieurs atouts des approches discutées plus haut. Elles partent de la micropolitique des communautés et examinent les structures genrées de connaissance, de militantisme ou de gestion des ressources (Rocheleau, Slayter et Wangari 1996). On peut analyser les effets différenciés selon le genre des projets de développement extractivistes, ainsi que les politiques qui touchent les communautés et l’environnement vivant où ces projets s’enracinent. L’EPF étudie donc les relations de pouvoir, les inégalités et les interdépendances entre individus (hommes-femmes-enfants) et autres espèces, ainsi que les transformations de ces relations de l’échelle locale à l’échelle transnationale. Tout comme les féministes dont l’engagement est probant, ces chercheuses et ces chercheurs favorisent les changements socioenvironnementaux qui améliorent la santé et les conditions de travail des populations et des écosystèmes, et ce, en répondant à leurs besoins. L’élément qui en fait une approche féministe est l’accent mis sur les possibilités d’accès aux richesses naturelles et de leur utilisation dans un « territoire socialement et historiquement construit, à travers des dynamiques de pouvoir » (Blaikie, cité dans Bebbington (2007 : 33)) et la distribution des gains et des risques environnementaux selon les genres, les classes sociales, l’ethnicité ou le milieu de vie (rural/urbain). La suite de notre article évalue les discours et les pratiques d’hommes et de femmes résistant à l’extractivisme, à partir d’une combinaison d’outils théoriques que nous avons mentionnés plus haut. Cela nous permettra d’approfondir les travaux d’écologie politique en y greffant une analyse féministe et autochtone.

Le territoire, la résistance et la répression

La vie des communautés rurales autochtones, comme l’expliquait Floriberto Díaz, « acquiert son sens par le travail qui transforme le milieu de vie en une relation respectueuse des enfants de la Terre avec notre Mère » (Díaz, citée dans Robles et Cardoso-Jiménez 2007). C’est au sein du territoire communal que « se crée et s’organise le village » et que les actrices et les acteurs du quotidien acceptent les responsabilités qui leur incombent afin d’assurer le bien-être et la préservation de la communauté. La cosmovision autochtone est liée au concept de comunalidad, alors que la terre est considérée comme un bien commun, de propriété collective, au coeur des relations sociales. À l’instar des spécialistes de la recherche en EPF, la communauté intellectuelle ainsi que les militantes et les militants autochtones estiment que la terre permet la reproduction du vivant. L’aspect sacré associé aux cours d’eau, aux montagnes et aux récoltes représente l’interdépendance entre nature et société que l’écologie politique étudie en vue de promouvoir des « économies alternatives » plus respectueuses de l’environnement (Escobar 2017; Gibson-Graham 2006).

Cette lecture du territoire comme espace où la communauté se (re)crée est largement partagée par les femmes mais aussi les hommes des villages à l’étude (entretiens, Aquino, Cruz, Tatiana, Ana, 2018; Alberta, José, Luis, 2015). Pour Ana par exemple, militante de l’État d’Oaxaca, la défense du territoire est nécessaire pour :

[C]onserver ce qu’on a pour nos enfants, l’air pur, les coutumes… les valeurs. [Il faut] enseigner aux enfants qu’à travers la défense du territoire, ils vont toujours s’en sortir. S’il n’y a pas d’argent pour le travail journalier et qu’ils ne savent plus cultiver la terre… [ils seront bien mal en point].

Comme plusieurs autres personnes que nous avons rencontrées sur le terrain, Ana possède de petits animaux et cultive sans produit chimique tout espace utilisable : maïs, haricot, nopal, manguier... Un participant, quant à lui, note que ce qui est nécessaire pour maintenir une communauté en résistance, c’est la nourriture qui vient du territoire et du travail collectif (entretien, Cruz, 2016).

Ce discours résonne également au village nahual de Zacualpán (Colima) qui s’oppose au changement de régime de propriété de la terre et à une minière qui menace l’eau de source, la faune et la flore de la région. Epifania Zamora-Teodoro soutient que la population s’oppose à la mine, « préférant la nature aux choses matérielles ». Malgré les tentatives de cooptation de l’industrie minière ayant offert environ 1 000 dollars canadiens (15 000 pesos) à chacun des 305 comuneros en 2013, ceux-ci ont refusé l’accès de leur territoire à l’entreprise. Les comuneros sont traditionnellement les pères de famille qui détiennent un droit d’utilisation d’une parcelle en territoire communal autochtone, sans droit de vente[5]. En 2014, l’assemblée agraire – autre pilier de la comunalidad selon lequel les décisions touchant l’utilisation du territoire doivent être prises collectivement, par les comuneros – a déclaré son territoire « libre de toute exploitation minière ». Par contre, comme le signalait Esperanza Salazar (entretien, 2015), militante pour la justice environnementale, on assiste à une hausse de la violence envers les militantes et les militants anti-extractivisme. On nous déconseillait d’ailleurs de visiter Zacualpán et le Guerrero en raison de la militarisation des zones de conflits autour de projets d’extraction[6].

À San José del Progreso (Oaxaca), une situation similaire règne depuis l’arrivée de la minière Cuzcatlán, filiale de la compagnie canadienne Fortuna SilverMines, basée à Vancouver. Une jeune dirigeante de l’opposition, Rosalinda Dionisio-Sánchez, explique qu’elle envisageait devenir enseignante, mais que son parcours a basculé lors d’une embuscade en 2012. Elle a alors été atteinte de deux balles, tandis que Bernardo Vásquez-Sánchez, compagnon de lutte, a été assassiné. Après une longue hospitalisation, Rosalinda a choisi d’étudier le droit pour maîtriser les processus juridiques et lutter contre la criminalisation de ceux et celles qui défendent les droits de la personne et le territoire[7], en particulier chez les autochtones qui contestent le modèle d’exploitation capitaliste entraînant le pillage des richesses naturelles. Comme plusieurs citoyennes et citoyens l’ont noté, San José est un village divisé depuis l’arrivée de la mine entre les personnes qui s’opposent à l’industrie et celles qui y voient une opportunité économique. En raison du manque d’emplois, d’anciens militants et militantes anti-extractivisme tentent de travailler pour la minière ou d’en retirer certains bénéfices. L’expérience de San José sert toutefois d’exemple et a convaincu de plus en plus de communautés de déclarer, en assemblée communale, leur territoire « libre d’exploitation minière » comme le soulignent régulièrement les bulletins hebdomadaires des organisations REMA et EDUCA.

C’est le cas d’un village voisin, San Martín de los Cansecos, depuis que les citoyennes et les citoyens ont découvert que le gouvernement mexicain a octroyé des concessions minières sur leur territoire à leur insu. Les autorités agraires exigent « le retrait de la minière » qui nuit à la santé et à l’avenir de cette population paysanne et expliquent qu’avant certains « chassaient le lièvre mais maintenant qu’ils s’abreuvent à la rivière contaminée, ils meurent ». On interdit à la population de creuser un puit de plus de 10 mètres, alors que la minière peut forer jusqu’à 600 ou 700 mètres[8]. Ces familles paysannes ont vite compris que les promesses d’emplois et les cadeaux offerts par l’industrie viennent avec des inconvénients majeurs pour l’environnement dont dépendent les générations futures.

Le genre, le travail et la participation

Les femmes ont souvent agi comme lanceuses d’alerte en ce qui concerne les conséquences environnementales de l’extractivisme en raison de leur rôle crucial dans la reproduction de la vie. Dans les régions rurales du sud du Mexique, elles sont généralement les premières à être touchées par la surexploitation des sols et des eaux, comme le soulignent les spécialistes de l’EPF. Elles demeurent généralement responsables de la santé et du bien-être de leurs proches, tout en continuant à faire face à des contraintes importantes en ce qui a trait à l’accès à la propriété, au crédit et au travail salarié. Préoccupées par les coupes forestières abusives et par la contamination des eaux ou des sols, elles se mobilisent et dénoncent les pratiques des entreprises et des gouvernements qui menacent leur mode de subsistance.

Au village Magdalena Teitipac (Oaxaca), par exemple, on a expulsé la compagnie Plata Real, filière de l’entreprise canadienne Linear Gold. Hommes et femmes reconnaissent ici l’importance de la participation de ces dernières à cette lutte collective. Une des militantes du village, Yolanda Garcia-Hernández, a insisté sur le rôle clé des femmes :

Les hommes [...] n’arrivaient à aucune solution. Nous, les femmes, avons pris la décision de lutter contre la minière, de convoquer les enfants et les femmes âgées pour qu’elles viennent nous aider... grâce aux femmes, un peu grâce aux hommes, on a réussi à mettre la minière à la porte.

Ici, tout comme à San José del Progreso, plusieurs femmes autochtones, jeunes et aînées, affirment que c’est grâce à la résistance aux mines que les femmes ont commencé à participer à la vie politique et aux assemblées communales. Dans des contextes ruraux où le patriarcat demeure bien ancré, elles soulignent leur inconfort des débuts et leur « manque de connaissances », mais notent dans la foulée combien cette lutte leur a permis de se faire entendre, car « ce sont [leurs] familles et [leurs] enfants qui dépendent de la terre. [Leur] gagne-pain, c’est la production de tlayudas [galette de maïs] » (entretien, 2019) qui exige la préservation des terres. Laura, jeune femme d’une famille paysanne nombreuse, soutient que la lutte contre la mine « a permis aux femmes d’être davantage respectées ». Tout comme deux leaders masculins antimine de Magdalena Teitipac, Laura affirme que le machisme et la violence envers les femmes sont encore présents. Depuis qu’ils ont pacifiquement exigé le retrait de la machinerie de la mine et que les assemblées sont moins fréquentes, « il faut continuer à négocier pour pouvoir sortir » et participer mais, selon Laura, il y a eu des changements importants grâce à leur mobilisation.

À Capulálpam de Méndez, communauté zapotèque qui compte quelque 1 300 personnes vivant dans la région de la Sierra Norte d’Oaxaca, les femmes ont aussi été les premières à dénoncer les coupes forestières abusives, et ce, dès les années 60 et 70. En 1983, elles ont convaincu les hommes et les autorités locales de s’organiser et de récupérer la gestion de cette ressource pour le bien-être de la communauté et des générations futures (entretiens, Doña Alicia et Teresa, 2018; Doña Tatiana, 2017 et 2019). La Sierra Norte est aujourd’hui reconnue pour sa gestion communautaire exemplaire des forêts et la protection de la biodiversité, offrant des emplois bien rémunérés et réinvestissant les surplus dans des projets bénéficiant à l’ensemble de la communauté. Ce mode de gestion a d’ailleurs permis à des communautés de la région de participer au controversé programme onusien de paiements pour services environnementaux (PSE), comme reconnaissance des efforts de « gestion durable des ressources » (Bray, Merino-Pérez et Barry 2005). La création d’entreprises communautaires a également freiné la migration des jeunes de Capulálpam vers les villes. En 2002, la compagnie canadienne Continuum Resources a pourtant obtenu une concession de 54 653 hectares sur ce territoire ancestral[9]. Toutefois, la mobilisation de la vaste majorité de la population a permis de stopper l’activité minière depuis 2007 (entretiens, Cosmes, 2015; Arreurtua, 2018).

Les outils et les apports de l’EPF ainsi que des intellectuels et des intellectuelles autochtones et féministes sont fort utiles pour analyser cette expérience de lutte. Dès l’arrivée de la mine, la population a mis sur pied le Comité pour la défense des ressources naturelles, s’inscrivant dans une lutte pour la défense du territoire et du « patrimoine » naturel et culturel (Fuente et Barkin 2013). Lors d’une assemblée communale, les comuneros – principalement des hommes pères de famille, détenant un droit d’utilisation d’une parcelle au sein du village – ont refusé l’accès à leur territoire. Plusieurs adultes soulignaient avoir perdu un père, un mari, un grand-père à la suite de maladies liées au travail minier (entretiens, Doña Tatiana, 2015; Aquino, 2017). La contamination des rivières et la disparition de 13 sources d’eau alimentant les villages avoisinants a amplifié la grogne et a amené le village à se solidariser contre la mine (entretiens, 2015). Malgré un contexte socioéconomique favorable, en comparaison des autres villages visités, et une présence active des femmes lors du conflit avec la mine, leur participation à la vie politique reste limitée, comme dans bien d’autres villages du Mexique. Les assemblées communales, où l’on décide de l’utilisation du territoire et des richesses naturelles, demeurent sous l’emprise des hommes du village dont plusieurs s’opposent à la participation des femmes. Lorsqu’un petit groupe d’entre elles a osé s’y présenter, on les a rudement expulsées de la réunion, craignant entre autres qu’elles n’« exigent une reddition de comptes » (entretiens, 2017 et 2019). Cette expérience permet d’illustrer comment, en pratique, les normes et les principes de la comunalidad ainsi que des us et coutumes autochtones ne sont pas exempts de tensions, de contradictions et des legs du patriarcat.

Chaque expérience de lutte pour la défense du territoire se révèle pourtant unique. Dans certains villages, les femmes occupent depuis longtemps des postes (cargos[10]) au sein du système de gouvernance communautaire, tandis que d’autres n’en ont pas (entretiens, Robles, Dionisio, Martínez Luna, Cruz, 2017; Carlos, 2017; Mika, 2018). Par contre, d’autres villages tendent à retourner les femmes au foyer après avoir reconnu leur contribution essentielle lors des mobilisations contre l’industrie extractive. On insiste alors sur la complémentarité des rôles hommes-femmes, au détriment de l’autonomie et de la participation de ces dernières. Un ex-commissaire des biens communaux soulignait que les femmes sont invitées à occuper un poste comme autorité locale, mais qu’elles « doivent gravir les échelons » : elles doivent débuter comme gardienne de l’ordre (topil) ou aide à l’Église, si elles veulent devenir présidente municipale. En effet, le statut et le prestige doivent être gagnés à force de travail pour le bien-être de la communauté (Worthen 2015). Et « si le mari a déjà un cargo, il faut que l’autre s’occupe des enfants » et des tâches domestiques également essentielles au bon fonctionnement de la vie collective (entretien, ex-comisariado, 2018). Questionné à savoir si la valorisation du travail non rémunéré des femmes ne devrait pas également leur permettre d’accéder à ces postes de prestige, puisqu’elles assurent le bon fonctionnement et le bien-être de la famille et de la communauté et permettent au mari d’occuper ces divers cargos, cette personne a esquivé la question.

Dans ce contexte, le gouvernement mexicain exige désormais un minimum de participation des femmes au sein des autorités locales, y compris les communautés autochtones dont le droit à l’autogouvernance a été constitutionnellement reconnu. Cette réforme a certes permis une meilleure reconnaissance et participation des femmes, mais plusieurs membres des communautés autochtones y voient une nouvelle forme de colonialisme imposant les normes de la « démocratie » occidentale à une logique communautaire non libérale (Worthen 2015). Ayant accompagné un autre village autochtone de la Sierra Norte d’Oaxaca, Worthen explique le peu d’enthousiasme des femmes à servir au sein du gouvernement communal considérant la division du travail selon les genres. Historiquement, ce sont les hommes qui occupent les postes de pouvoir et qui participent aux corvées collectives (tequio), selon les principes de réciprocité de la communalité, en aménageant un terrain de basketball ou s’occupant de la réfection d’une route qui bénéficiera à toute la communauté. De leur côté, les femmes veillent au quotidien au bien-être de la famille, en prenant soin des personnes aînées, de l’éducation des enfants, du potager et des animaux. La logique communautaire permet de mieux saisir pourquoi certaines d’entre elles refusent les nouvelles politiques de participation de l’État (Worthen 2015).

La communalité et l’autonomie collective

En mai 2019, quelques centaines de personnes représentant des communautés se sont réunies à Santa Catarina Lachatao et à Capulálpam pour la Troisième Rencontre des peuples, communautés et organisations de l’État d’Oaxaca sur le thème « Ici nous disons oui à la vie, non à l’industrie minière ». La déclaration finale de ce rassemblement du Congreso nacional indígena (CNI 2019) illustre bien les principes qui orientent les militantes et les militants pour la défense du territoire et de la vie dans les États du sud du Mexique :

Nous continuons à pratiquer notre communalité comme fondement de notre vie à travers la fête, le tequio, la langue, les assemblées communautaires, le territoire collectif, l’administration de la justice. Ces institutions sont notre force pour éviter la dépossession à laquelle les gouvernements précédents ont tenté de nous condamner [...] Nous réaffirmons notre engagement à poursuivre la lutte […] en travaillant pour le bien commun et en renforçant notre spiritualité en tant qu’élément fondamental de la défense de nos territoires.

Nous avons souligné la centralité de la prise de décision en assemblée, du territoire et du travail collectifs comme piliers de la comunalidad en régions rurales et autochtones. Les fêtes et les célébrations sont également au coeur de la vie des communautés et nous permettent de saisir une des spécificités de ce mode d’organisation sociale. En effet, la division du temps et de l’espace entre travail, loisirs, spiritualité et éducation que l’on connaît en Amérique du Nord, par exemple, est beaucoup moins claire dans les contextes de lutte examinés ici. Les différentes générations se côtoient aussi davantage, particulièrement en milieu rural. Ainsi, lorsqu’une personne est nommée pour servir sa communauté, sans rémunération, les autres membres de la famille doivent subvenir à ses besoins : cultiver son champ, prendre soin des personnes à charge, etc. Ces responsabilités partagées peuvent sembler très contraignantes, mais elles permettent par exemple aux jeunes de poursuivre des études à l’extérieur ou de participer activement à une mobilisation sociale, pour ensuite assumer à leur tour une responsabilité qui contribuera au renouvellement et au dynamisme de la communauté.

Par ailleurs, les temps travail-loisirs-services-fêtes-militantisme s’entremêlent également. Les célébrations multiples rythment la vie des communautés, et non le travail : fête du saint patron du village, solstice, décès, récolte, naissance, célébration annuelle de la décision de la communauté d’interdire toute activité minière sur son territoire, etc. Par exemple, diverses militantes et la porte-parole du COPUVO, membre de REMA, soutient que la lutte contre l’extractivisme a contribué à la participation des femmes de San José et des municipalités environnantes :

Nous avons réussi à participer à divers espaces communautaires et à créer une municipalité autonome. Nos célébrations traditionnelles sont devenues des lieux de rencontre [pour les opposants à l’extractivisme].

Témoignages, 2019; entretiens, Dionisio, 2012, 2015 et 2017

Cette porte-parole ajoute par contre que la discrimination, les rumeurs de « libertinage » et les critiques à l’endroit des femmes qui s’engagent dans la lutte sont courantes. Pour sa part, Ana, autre militante de San José, affirme ceci :

Pour défendre le territoire, ça nous prend le pouvoir politique. Plus que tout, il faut récupérer la valeur de la femme! […] Avant on demandait un service, on avait un comité de femmes. Mais depuis qu’on a participé à la lutte contre la mine, les femmes… refusent de se taire! Si mon mari ne peut pas, j’y vais! [Dans un autre village], ce ne sont que les hommes qui participent. Ici non! Les femmes, les hommes et les jeunes, tous sont informés, participent et donnent leur opinion [...] en raison de la résistance… [l]es mentalités ont beaucoup changé. Mais il reste ces divisions parce que les gens de la mine offrent de l’argent, des bourses d’études, du matériel de construction […] Mon frère… travaille à la mine et a construit sa maison. Mais il y a beaucoup de conditions : la minière donne 1 000 [...] 2 000 pesos, et tu dois fournir 1 000 pesos! C’est facile d’acheter les gens, et plusieurs personnes qui s’opposaient au projet minier sont maintenant de leur côté, pour avoir du travail ou bénéficier des projets… Mais qu’est-ce qu’ils feront quand la mine fermera? […] Moi, j’ai appris à me défendre, à ne pas dépendre des autres. J’ai appris à rester la tête haute.

Entretien, 2019

La mère d’Ana lui a aussi enseigné que l’entraide peut venir de n’importe qui, leçon qui a fait la différence dans un contexte de lutte souvent très difficile : « Ce sont les compagnons de lutte qui sont ma famille et qui nous aident. Quand il y a une fête, ils m’invitent. On a créé des liens d’amitié. »

Maria de los Angeles, militante anti-extractivisme et membre du Comité des peuples unis pour la défense de l’eau (Coordinadora de Pueblos Unidos por la Defensa Del Agua ou COPUDA), souligne la perte de confiance à l’égard de l’État mexicain et la nécessité d’unir les forces pour se réapproprier l’autonomie au sein des collectivités :

Ils nous ont pris la terre pour la privatiser. Ils ont pris l’eau pour nous la vendre. Ils nous enlèvent la terre et ses richesses. Faire confiance au gouvernement, eh bien, ça ne nous a rien apporté de bon. Il faut mettre sur pied de nouvelles formes de gouvernement… le gouvernement, c’est nous […] C’est ça le plus important, que les peuples s’unissent. Et je crois qu’ils peuvent eux-mêmes s’autogouverner[11].

Une jeune femme de Capulálpam ayant grandi en ville a choisi de s’installer au village après ses études universitaires. Elle explique :

Le Forum [pour la défense du territoire en 2014] a été un moment fort. Pour la première fois, j’ai saisi que la lutte est constante; elle est politique et légale […] Ma contribution a été davantage technique avec [l’organisation] d’ateliers sur l’environnement [La gouvernance selon] les us et coutumes a été essentielle pour arrêter [les opérations de] la mine. Le jour où se termine l’Assemblée communale, la lutte prendra fin! [...] Il y a beaucoup de problèmes internes […] On avance malgré les reculs.

Entretien, Lorena, 2018

Les gens sont conscients des difficultés et défis qu’il leur faut relever devant les pouvoirs économiques des gouvernements et du secteur extractif. L’importance de l’autonomie collective locale, de l’entraide et de la mobilisation de l’ensemble de la communauté semble largement reconnue comme mécanisme essentiel pour faire respecter les droits des communautés autochtones, tout comme la protection des écosystèmes dont elles dépendent. Pourtant, malgré les succès et l’engagement actif de la population de Capulálpam, la participation des femmes reste difficile, et plusieurs membres de la communauté ont affirmé voir sortir clandestinement un camion de la mine tous les jours depuis 2018, à l’encontre de la décision des tribunaux.

Conclusion

L’examen des récits et des discours de la résistance autochtone devant l’extractivisme invite à repenser les cadres d’analyse en vue de mieux saisir la spécificité des expériences au sein des communautés rurales. Nous avons pu constater qu’en général les femmes se sont mobilisées aux côtés de leurs compagnons et ont été parmi les premières à dénoncer la présence des entreprises sur le territoire communal. Les effets socioenvironnementaux de l’extractivisme, appuyé par les réformes et les politiques du gouvernement mexicain, les touchent directement dans leur rôle de soin auprès des enfants et des personnes aînées. Bien que peu d’entre elles se disent féministes, elles sont très conscientes des inégalités et des jeux de pouvoir qui persistent. Plusieurs participantes ont souligné l’importance de préserver leurs propres espaces d’entraide et de formation pour faire respecter leurs droits et améliorer leurs conditions de vie. Elles insistent sur la nécessité d’unir les forces de toute la communauté, hommes et femmes, et de préserver les us et coutumes pour défendre leur droit au territoire et leur mode de gouvernance communautaire. De là l’importance des outils qu’offrent les auteurs et les auteures autochtones et le concept de comunalidad. Il faut cependant reconnaître que les us et coutumes de même que la comunalidad sont imprégnés du patriarcat, et qu’ils ne garantissent pas la participation des femmes et l’équité entre les genres.

La perspective d’écologie politique féministe et la recherche sur le terrain nous ont permis de mieux saisir les logiques qui expliquent la raison pour laquelle les militantes et les militants anti-extractivisme dépeignent l’État colonial et les entreprises extractives nationales et étrangères comme les grands responsables des violences multiples et de la dépossession de leurs communautés. Partout, les personnes qui ont participé à notre étude ont désigné l’arrivée de l’industrie, et même la possibilité d’exploitation future des richesses du territoire, comme la cause de l’effritement du tissu social et d’effets dévastateurs sur les écosystèmes, leur culture et leur mode de vie. Par contre, nous avons également constaté que, aux moments les plus intenses de la résistance, certaines communautés ont réussi à s’unir, à revaloriser leurs us et coutumes ainsi que leurs savoirs afin de défendre leur territoire et leur autonomie collective. Les communautés qui ont le mieux tiré leur épingle du jeu sont celles où les us et coutumes étaient solidement implantés et où l’assemblée communale s’est rapidement positionnée contre l’extractivisme (entretiens, REMA, 2016 et 2018).

Comme l’expliquait Díaz, il est impossible de séparer l’atmosphère du sol ou le sol du sous-sol (Díaz, citée dans Robles et Cardoso-Jiménez 2007). Alors que le gouvernement fédéral poursuit la distribution de concessions pour l’extraction de richesses naturelles, tout en prétendant promouvoir le droit à l’autonomie des peuples autochtones, un nombre croissant de membres des communautés rurales autochtones choisissent d’organiser des forums et des ateliers sur les stratégies de mobilisation et tentent d’unir leurs forces contre ce néocolonialisme prédateur qui a peu de vision pour l’avenir du territoire et de ses populations. Les tensions et les inégalités de pouvoir entre les différents acteurs et actrices que touche l’extractivisme restent toutefois immenses et le parcours semble bien long vers le respect réel de l’autonomie des communautés autochtones sur leur territoire et une transformation significative et durable des relations hommes-femmes.