Comptes rendus

Laura Kipnis, Le sexe polémique : Quand la paranoïa s’empare des campus américains, Montréal, Éditions Liber 2019, 340 p. (traduction de l’anglais par Gabriel Laverdière)[Notice]

  • Anastasie Amboulé Abath

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  • Anastasie Amboulé Abath
    Université du Québec à Chicoutimi

Laura Kipnis, auteure de l’ouvrage Unwanted Advances: Sexual Paranoia Comes to Campus (version originale anglaise du titre à l’étude), est professeure de cinéma à l’Université Northwestern, à Chicago. Chroniqueuse et auteure des écrits sur la sexualité et l’amour dans les moeurs nord-américaines, celle-ci remet en question le climat de « paranoïa sexuelle » sévissant actuellement sur les campus américains. Le moins que l’on puisse en conclure à la lecture de cet essai polémique, c’est que Laura Kipnis ne craint pas la controverse : elle réussit à circonscrire dans son texte le climat qualifié de délétère qu’entraîne l’explosion des allégations d’inconduites sexuelles à l’université en insistant sur les dérives administratives inhérentes aux dysfonctionnements dans l’application du Titre IX aux États-Unis. Elle dénonce la prévalence de la présomption de culpabilité dans les affaires de violences sexuelles qui se multiplieraient dans les universités. Féministe de la nuance, Kipnis souhaiterait voir diminuer le nombre d’agressions et de relations sexuelles non désirées sur les campus et ailleurs dans la société. Selon elle, la portée du Titre IX a transformé le corps professoral dans l’imaginaire collectif « en une classe sexuellement suspecte : tous, des apprentis agresseurs, des prédateurs sexuels en puissance » (p. 57). Cette remarque est particulièrement inquiétante puisque certaines jeunes femmes n’hésiteraient plus à s’autoproclamer victimes d’abus sexuels de la part des professeurs et des étudiants. L’auteure remet en cause la crédibilité de certaines plaignantes sur les motivations sous-jacentes à ces dénonciations et estime qu’il est de plus en plus difficile de faire respecter le principe de la « présomption d’innocence ». Kipnis a elle-même fait l’objet d’une plainte d’étudiantes estimant que ses chroniques avaient un effet dissuasif sur leur capacité à dénoncer des cas de harcèlement. Selon elle, des professeurs et des étudiantes adultes capables de prendre leurs propres décisions méritent que l’on respecte leur intimité et leur vie privée. Pour Kipnis, l’interdiction des relations amoureuses sur les campus brime la liberté d’expression et encourage une forme singulière de surprotection des étudiantes qu’elle dénomme « féminisme paternaliste », laquelle prive les jeunes femmes de leur autonomie. Elle s’oppose à cette « conception victimaire des femmes et [à] la conviction de l’inébranlable pouvoir des hommes » (p. 49) qui renforce le pouvoir de l’administration. Kipnis estime par ailleurs que la protection accordée aux filles par le Titre IX n’est qu’une mesure fragmentaire des administrations universitaires dont les incohérences constituent autant d’obstacles à la mise en oeuvre d’une véritable protection contre la culture du viol sur les campus. Il est difficile, selon l’auteure, de ne pas y voir une vision infantilisante des jeunes femmes et une référence directe à la grande vulnérabilité des étudiantes, victimes innocentes qui seraient dépourvues de tout désir et qui devraient être protégées à tout prix (de professeurs prédateurs) de relations sexuelles non désirées. Kipnis s’interroge également sur les démarches juridico-administratives des enquêtes qualifiées d’expéditives autorisant les mises en accusation d’hommes qui, sans qu’on leur laisse la possibilité de répondre ou de se défendre, sont sanctionnés. Kipnis qui se décrit comme « féministe et progressiste », animée par les questions de liberté, de justice sociale, a examiné des accusations qui, selon ses dires, sont préjudiciables au corps professoral et se pose les questions suivantes : Faudrait-il interdire les relations intimes, amoureuses et sexuelles entre adultes consentants en milieu universitaire? Pourquoi les dénonciations de violences à caractère sexuel en milieu universitaire sont-elles devenues une préoccupation politico-administrative? Pourquoi et comment l’application du Titre IX nuit-elle principalement aux hommes et quelles en sont les conséquences? Quels sont les enjeux de ces fausses accusations sur les luttes féministes contre les violences à caractère sexuel? …

Parties annexes