Comptes rendus

Julie Ravary-Pilon, Femmes, nation et nature dans le cinéma québécois, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2018, 139 p.[Notice]

  • Marie-Josée Saint-Pierre

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  • Marie-Josée Saint-Pierre
    Université Laval

Les études cinématographiques féministes ont largement contesté l’iconographie traditionnellement associée à la représentation du féminin en raison, entre autres, de la manière dont la sexualité, la vertu et la vie quotidienne des femmes sont mises en image. Spécialisée en histoire féministe des études cinématographiques québécoises, Julie Ravary-Pilon s’intéresse à l’évolution des représentations de personnages féminins dans certains longs-métrages de fiction québécois. La représentation des corps des femmes à travers l’art propose souvent un discours genré analogue à celui de l’époque où il a été créé, et Ravary-Pilon avance ceci : « Le cinéma québécois est sans aucun doute l’un de ceux qui ont connu des liens les plus étroits avec le nationalisme » (p. 23). En cristallisant son étude sur la représentation des personnages féminins sous trois archétypes (la Femme-terroir, la Femme-nation et la Femme-nature), l’autrice ambitionne « [d’]offrir un carnet de voyage à cette figure du cinéma québécois des années 1940 à aujourd’hui, [en] cherchant à comprendre les mutations et les enjeux au gré des fictions nationales qui ont raconté les liens imaginés unissant les corps féminins et la terre » (p. 2). Divisé en trois chapitres, l’ouvrage de Ravary-Pilon illustre la prégnance des représentations sociohistoriques et des rapports sociaux de genre dans le cinéma de fiction du Québec. Dans les pages qui suivent, je traiterai succinctement des éléments centraux de sa recherche, en abordant les constructions visuelles au cinéma comme des photographies des rapports sociaux de genre sur une large période historique. Dans ces oeuvres que l’autrice a soigneusement sélectionnées, les protagonistes féminines évoluent au sein d’évènements imaginaires, toutefois teintés par la réalité. Terre-mère nourricière source de vie ou territoire à conquérir : l’imagerie associant le corps de la femme à la terre est une symbolique utilisée depuis fort longtemps. Pour expliciter ce phénomène, l’autrice aborde l’occidentalisation de la représentation des femmes qui fait le lien entre la destinée biologique (l’enfantement) et celle de la terre (fertile et nourricière). En entrecroisant la représentation des figures féminines et la notion de territoire, des artistes symbolisent la quintessence de la féminité féconde. Ravary-Pilon évoque également le concept de la nation québécoise, notion qui est au coeur de son ouvrage. L’influence des représentations médiatiques sur la conception de la nationalité et du sentiment nationaliste québécois s’avère incontestable, et Ravary-Pilon propose d’ajouter une dimension genrée à l’analyse de Benedict Anderson (1983). Le premier chapitre, « La Femme-terroir », compare deux oeuvres portant le même nom : Maria Chapdelaine. Il y a le roman de Louis Hémon (1913) et le film de Gilles Carle (1983). Ravary-Pilon observe le déplacement des valeurs nationalistes du roman prescrites par l’Église catholique (l’affectation des femmes aux travaux de la sphère privée, la glorification de la vie rurale et la sexualité passive acceptée uniquement pour la procréation) vers une réelle agentivité de la protagoniste. Dans l’adaptation filmique, 70 ans plus tard, Carle redéfinit la représentation ethnographique des Canadiennes françaises de l’auteur du roman : la protagoniste travaille dorénavant aux travaux extérieurs de la ferme, voyage chez son oncle et est présentée comme une colonisatrice (plutôt qu’une colonisée des Britanniques dans l’oeuvre de départ). Le constat de Ravary-Pilon est que la cinématographie de Carle contribue à déplacer la représentation unilatérale des valeurs patriarcales de la vie des colons français. Ravary-Pilon poursuit sa recherche de la Femme-terroir avec le roman Un homme et son péché écrit par Claude-Henri Grignon (1933) ainsi que les adaptations cinématographiques de Paul Gury (1949-1950) et de Charles Binamé (2002). Ravary-Pilon relève que ces adaptations contribuent à redéfinir la fonction de la protagoniste Donalda qui passe d’un rôle passif, se sacrifiant pour les autres (Grignon), …

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