Comptes rendus

Florence Rochefort, Histoire mondiale des féminismes, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je? », 2018, 127 p.[Notice]

  • Manon Tremblay

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  • Manon Tremblay
    Université d’Ottawa

À n’en point douter, Florence Rochefort se donne ici un défi pour le moins ambitieux, soit de brosser une histoire, non pas « du » mais des féminismes, et ce, à l’échelle du monde, le tout en 127 pages – diktats éditoriaux de la collection « Que sais-je? » obligent. Je dois reconnaître que l’auteure, historienne affiliée au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) fort respectée au sein du très concurrentiel marché intellectuel français, réussit son pari – du moins, ses références à une cinquantaine de pays plaident en ce sens. Rochefort définit les féminismes « comme des combats en faveur des droits des femmes et de leurs libertés de penser et d’agir » (p. 4) Cette définition, pour le moins consensuelle en raison de son minimalisme, a le mérite de positionner le féminisme dans ses rapports avec l’État (comme l’obtention des droits à l’égalité) et avec la société civile (par exemple, la liberté de s’affranchir de la tutelle mâle et de choisir son devenir). En d’autres mots, une telle compréhension permet de saisir les féminismes tels qu’ils se manifestent dans divers contextes analytiques, historiques, culturels et politiques. Par contre, et cela est malheureux, l’argumentaire reste prisonnier d’une polarisation entre réformisme et radicalisme, alors même que ces approches me semblent insuffisantes à décrypter certaines mobilisations féministes contemporaines (comme le mouvement « #MoiAussi »). Le regard de Rochefort est chronologique plutôt que géographique. En effet, l’ouvrage repose sur trois périodes historiques (et autant de chapitres) plutôt qu’il n’explore des aires géographiques (telles que l’Afrique ou l’Asie). Le premier chapitre, « Revendiquer l’égalité des sexes, affranchir les femmes », englobe les années 1789 à 1860. Cette période est celle des revendications de l’égalité civile (par exemple, les droits des femmes dans le mariage ou leur droit à l’éducation) et politique (notamment le droit au suffrage censitaire – dont ont d’ailleurs bénéficié certaines femmes au Bas-Canada) des femmes sur fond de constitution des États libéraux en Occident, mais aussi des luttes contre l’esclavage et des promesses des socialismes utopiques. Le premier chapitre, « Revendiquer l’égalité des sexes, affranchir les femmes » est l’occasion de croiser des figures emblématiques du féminisme (comme Olympe de Gouges, Sojourner Truth ou Mary Wollstonecraft, certes, mais aussi des personnages plus discrets tel Querrat al-Ayn, poétesse et théologienne perse de la première moitié du xixe siècle), de mettre en évidence quelques-uns des textes qui ont véhiculé les appels à l’égalité et à la liberté des femmes (pensons à l’Appel à la moitié du genre humain, les femmes, contre les prétentions de l’autre moitié, les hommes, signé par l’Irlandais William Thompson en 1825), de signaler quelques événements marquants (en particulier, la formation de clubs de citoyennes, la sans-culotterie féminine ou encore des protestations de femmes contre leur exclusion d’une citoyenneté politique en définition). Le deuxième chapitre, « Le temps de l’internationalisation », examine les années 1860 à 1945. Pour l’essentiel, cette période est en continuité avec la précédente, tout en innovant avec des problématiques de son temps. Sa toile de fond est celle des États-nations en formation, d’un colonialisme débridé mais périclitant (sans disparaître pour autant, ainsi que l’Histoire l’enseigne bien) et de l’internationalisme (par exemple, de nombreuses organisations internationales à saveur féministe sont mises sur pied). Continuité, en cela que cette période est marquée par des luttes pour l’acquisition de droits civils, socioéconomiques et politiques. Si les luttes suffragistes marquent profondément cette période, c’est au prix de jeter une ombre sur d’autres luttes tout aussi importantes, spécialement celles pour le contrôle par les femmes de leur fécondité. Période innovante, en cela qu’elle se révèle le …