Comptes rendus

Djaïli Amadou Amal, Les impatientes, Paris, Éditions Emmanuelle Collas, 2020, 243 p.[Notice]

  • Anastasie Amboulé Abath

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  • Anastasie Amboulé Abath
    Université du Québec à Chicoutimi

Lorsque j’ai reçu l’invitation à rédiger le compte rendu du roman Les impatientes de l’écrivaine camerounaise Djaïli Amadou Amal, lauréate 2020 du 33e prix Goncourt des lycéens, dénonçant les pesanteurs socioculturelles qui empoisonnent la condition féminine au Sahel, plusieurs sentiments m’ont habitée. D’une part, j’avais le bonheur de commenter le livre d’une compatriote que j’admire, dont l’audace et la sensibilité portent surtout sur la condition féminine, qui fait la fierté d’un pays, et d’une romancière africaine vivant sur le continent qui a obtenu le prix rêvé de tous les grands écrivains et écrivaines francophones. D’autre part, j’avais peur de ne pouvoir rendre fidèlement compte des idées développées avec finesse et délicatesse dans cet ouvrage dont l’écriture témoigne de l’engagement et des convictions intellectuelles de la romancière qui place les violences faites aux femmes au centre de ses préoccupations. Amadou Amal, écrivaine féministe très engagée, propose dans cet ouvrage des récits troublants de violences envers trois femmes, Ramla, Hindou et Safira, mariées sans leur consentement. Le propos d’Amadou Amal est, de prime abord, audacieux, courageux puisqu’elle réalise son propre récit des fléaux sociaux (mariage forcé ou précoce, ou les deux à la fois, polygamie, viol conjugal, maltraitance, etc.) qui font énormément souffrir les femmes dans le Grand Nord du Cameroun. En effet, les violences faites aux femmes sont généralisées au Cameroun et plus particulièrement parmi la population peule comme dans d’autres pays d’Afrique et même au-delà. Au coeur des préoccupations soulignées dans cet ouvrage se trouvent les louanges de la « patience » pour des femmes engluées dans les pesanteurs sociologiques ancestrales de leur environnement régi par la domination des hommes et la soumission des femmes. S’inscrivant dans une critique fine des arrangements de genre patriarcaux traditionnels, ce roman constitue un vibrant plaidoyer pour lutter contre la persistance des violences envers les femmes exaspérées par certaines contraintes coutumières et communautaires rétrogrades. Le roman féministe Les impatientes dénonce les croyances, les normes et les valeurs les plus abusives qui bafouent les libertés les plus élémentaires de la gent féminine. L’écrivaine a donc choisi de révéler cette conspiration de genre dans l’optique de faire rebondir à la surface les pratiques contemporaines d’asservissement, d’assujettissement et d’aliénation des filles et des femmes dans les sociétés africaines. S’appuyant sur les cas de mariages forcés ou précoces, de viol conjugal et de polygamie qui matérialisent la situation commune d’oppression féminine ou de domination masculine, le roman retrace le destin de nombreuses femmes mariées victimes de pratiques malveillantes antiques aux répercussions préjudiciables qui se trouvent profondément incrustées dans certaines communautés africaines. Amadou Amal relate intelligemment les facteurs sociaux, culturels et religieux, qui semblent être les tares pour les droits de la personne, fondamentaux pour ce qui est des femmes dans le Sahel au xxie siècle. Par l’entremise de l’histoire touchante de trois femmes mariées, désabusées des pesanteurs sociologiques persistantes qui inhibent, étouffent, limitent et briment leurs libertés, Amadou Amal présente Ramla, Hindou et Safira qui constituent les personnages clés de cette fiction inspirée de faits réels. La romancière met en lumière le précieux conseil que les femmes mariées peules sont tenues de mettre en pratique pour s’en sortir, soit la « patience » qui se traduit par le terme consacré en patois : munyal. En effet, selon ce maître mot et la mentalité qu’il traduit, les femmes déçues par autant d’abus doivent accepter volontiers toutes les violences et autres maltraitances subies, se conformer aux ambiguïtés culturelles oppressives, aux injustices et aux inégalités sociales qui les entourent, prendre leur mal en patience, faire preuve de résilience pour exister, ne jamais se plaindre, même sans aucune lueur …