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Introduction

Les TIC occupent dans notre société une place prépondérante qui a été exacerbée par la crise sociosanitaire associée à la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19). Ces outils numériques ont notamment pour fonction de faciliter l’accès à l’information, soutenir la communication et les liens sociaux entre les individus (Normand et al., sous presse) et assister les utilisateurs dans la réalisation de leurs activités quotidiennes (objets connectés à la maison, outils de gestion du temps, etc.).

Pour optimiser l’utilisation de ces outils numériques en constant développement, l’utilisateur, ou le citoyen connecté, doit continuellement mettre à profit ses capacités d’adaptation technologiques, et ce, à plusieurs niveaux : apprendre le fonctionnement de nouveaux dispositifs, régler des problèmes techniques, réaliser des installations de logiciels, d’applications ou d’objets connectés ou protéger son identité des utilisateurs malveillants (HabiloMédias, n.d.). Malheureusement, plusieurs personnes sont dans l’impossibilité de maintenir le rythme qu’impose la société du numérique, et ce, pour de nombreuses raisons : ressources financières limitées, compétences technologies limitées, accès limité à des infrastructures technologiques performantes (Vodoz, 2010). C’est le cas notamment des aînés, des citoyens à faible revenu, ainsi que des personnes vivant des situations de handicap (Dagenais, Poirier et Quidot, 2012; Vodoz, 2010). Cette difficulté d’adaptation au monde du numérique crée alors un fossé ainsi que des inégalités se traduisant par une exclusion de ces personnes de la société du numérique (Dagenais, Poirier et Quidot, 2012; Helsper, 2012).

Exclusion numérique des personnes présentant une déficience intellectuelle

Certains auteurs avancent que les personnes présentant une DI constituent l’une des populations les plus affectées par le virage numérique (Lussier-Desrochers et al., 2017; Vodoz, 2010). En effet, leur acquisition des connaissances et des compétences technologiques se réalise plus lentement que le cycle de développement et de commercialisation des nouveaux produits technologiques (Dagenais et al., 2012; Seale et Chadwick, 2017). Cette situation vient exacerber leur marginalisation et miner les efforts d’inclusion sociale jusque-là réalisés par plusieurs acteurs ou organisations soutenant la défense des droits de ces personnes (#CTI, 2016; Braddock, Hoehl, Tanis, Ablowitz et Haffer, 2013; Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec [CIUSSS-MCQ], Institut universitaire en DI et en trouble du spectre de l’autisme [IU-DI-TSA] et Centre de partage d’expertise en intervention technoclinique [CPEITC], 2017). Deux modèles conceptuels issus de la littérature scientifique sont proposés afin de décrire ou d’expliquer le phénomène d’exclusion numérique vécu par les personnes présentant une DI.

Le premier modèle conceptuel est celui de Lussier-Desrochers et ses collaborateurs (2017) qui fait suite à leur modèle proposé dans une première version en 2016 (Lussier-Desrochers et al., 2016). Ce modèle se présente sous la forme d’un engrenage à cinq roues. Chaque roue représente les facteurs influençant, positivement ou négativement, le processus d’inclusion numérique des personnes présentant une DI. Tout d’abord, la première roue périphérique concerne l’accessibilité directe aux technologies qui est nécessaire afin de pouvoir les utiliser. Ensuite, il y a les exigences sensorimotrices, car l’utilisateur des technologies doit détenir un minimum de capacités sensorielles (notamment sur les plans tactile, visuel, auditif et proprioceptif) et motrices (tant au niveau de la motricité fine que globale). De plus, afin d’utiliser de façon efficiente les technologies numériques, les capacités cognitives des utilisateurs essentielles dans la société du numérique. Ainsi, diverses habiletés cognitives telles que le raisonnement inductif, les habiletés de résolutions de problèmes, la planification, la réflexion ou la déduction sont sollicitées lors de l’utilisation des technologies (Chevalier et Tricot, 2008; Tricot, 2007). L’atteinte des critères de base pour répondre à ces exigences cognitives est complexifiée par les limites intellectuelles des personnes présentant une DI. Par ailleurs, des difficultés techniques accompagnent régulièrement l’utilisation des technologies (p. ex., la fermeture inopinée d’une application ou l’installation de mises à jour; Perriault, 2006). L’utilisateur doit aussi s’assurer de protéger ses technologies numériques des attaques virtuelles.

Finalement, la compréhension de nouvelles conventions et règles d’interactions sociales est essentielle pour une participation à la société du numérique. Au centre de l’engrenage se trouve la roue centrale, qui se veut être le moyeu de l’engrenage, qui représente les ressources personnelles et environnementales de la personne. Initialement, un bon équilibre de ces ressources est nécessaire pour assurer le mouvement de cette roue et l’activation des autres roues périphériques. Le mouvement des autres roues du système nécessite également un bon équilibre au niveau de ressources personnelles et environnementales pour permettre à une personne de conjuguer avec les exigences numériques et ainsi assurer sa participation sociale numérique.

Figure 1

Modèle de l’engrenage d’accessibilité numérique des personnes présentant une DI tiré de l’article de Lussier-Desrochers et al. (2017)

Modèle de l’engrenage d’accessibilité numérique des personnes présentant une DI tiré de l’article de Lussier-Desrochers et al. (2017)

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Basé sur une revue exhaustive de la littérature (Lussier-Desrochers et al., 2017), ce modèle met en lumière les assises théoriques expliquant le phénomène de la fracture numérique vécue par les personnes présentant une DI.

Le deuxième modèle est celui de Chadwick, Chapman et Caton (2019). Il décrit les barrières à l’inclusion numérique à partir des dimensions du modèle écologique de Bronfenbrenner : les aspects individuels de la personne, le micro-système, méso-système, exo-système, macro-système et chronosystème (Bronfenbrenner, 1979). De façon générale, on y trouve les différentes dimensions nommées dans le modèle de Lussier-Desrochers et al. (2017), mais organisées différemment. Par sa présentation des systèmes gravitant autour de la personne, on y voit clairement l’interaction entre les ressources environnementales et personnelles. Un avantage de ce modèle est qu’il inclut le chronosystème dans l’analyse ce qui implique d’inclure la notion du temps dans les environnements individuels. Selon l’auteur, les constantes mises à jour des TIC rendent leur utilisation plus difficile chez les personnes présentant une DI et demandent ainsi un soutien de la part de l'entourage.

Ces modèles théoriques permettent de constater que la mise en place de certaines conditions peut soutenir une utilisation judicieuse et adaptée de ces outils numériques. Cette utilisation peut alors apporter certains bénéfices pour les personnes présentant une DI.

Bénéfices associés à l’utilisation des technologies par les personnes présentant une DI

Des études récentes montrent que les personnes présentant une DI utilisent les TIC à des fins de divertissement, d’interactions sociales ou encore pour organiser leur vie quotidienne (Alfredsson Ågren, Kjellberg et Hemmingsson, 2019; Barlott et al., 2019; Jenaro et al., 2018; Ramsten, Martin, Dag et Hammar, 2018; Sallafranque St-Louis et Normand, 2017). D’ailleurs, l’utilisation de TIC mobiles, comme les tablettes ou les téléphones intelligents, offrent un soutien aux personnes présentant une DI dans leurs activités quotidiennes ainsi que dans leurs communications avec les autres (Alfredsson Ågren et al., 2019; Barlott et al., 2019; Chiner, Gómez-Puerta et Cardona-Moltó, 2017; Cumming et Draper Rodríguez, 2017; Jenaro et al., 2018; Ramsten et al., 2018).

De façon générale, la littérature scientifique présente un portrait ponctuel de l’utilisation des TIC, sans considérer l’évolution de la trajectoire de la personne dans son processus d’inclusion numérique. De plus, elle semble indiquer que l’utilisation des TIC dans un contexte de recherche n’est pas nécessairement semblable au contexte d’utilisation dans la vie de tous les jours. En effet, les modèles conceptuels montrent que leur usage est complexe et qu’une série de conditions doivent être considérées simultanément. De plus, les études réalisées n’incluent généralement qu’un seul temps de mesure et ne documentent pas l’évolution temporelle des différentes dimensions de la trajectoire d’usage : développement de nouvelles connaissances et compétences, processus de résolution de problèmes, évolution des objectifs poursuivis lors de l’utilisation, etc. (Alfredsson Ågren et al., 2018, 2019; Barlott et al., 2019; Jenaro et al., 2018). Or, l’évolution rapide des TIC implique que le processus d’inclusion numérique en découlant est un phénomène en constante mouvance et que cette dimension temporelle est indissociable de l’analyse du processus.

Programme d’initiation au numérique

La littérature soulève également la difficulté des personnes présentant une DI à apprendre le numérique par elles-mêmes, notamment en mentionnant leur dépendance aux autres pour résoudre des problèmes rencontrés (Barlott et al., 2019; Chiner et al., 2017; Löfgren-Mårtenson, Molin et Sorbring, 2018). Il appert donc que des programmes de formation doivent être créés afin de soutenir ces personnes selon leurs besoins.

C’est dans cette perspective que le Regroupement pour la Trisomie 21 (RT21) de Montréal a décidé d’offrir un programme à ses membres adultes afin de les aider à développer leurs aptitudes à l’utilisation de TIC. Le programme TASA (Technologie au service de l’autonomie) est offert depuis septembre 2016. La première année (2016-2017) fut une année pilote pour évaluer la faisabilité du programme, puis l’année suivante (2017-2018) fut la première année d’implantation officielle. Il s’agit d’un programme de formation dont le but est de favoriser l’autonomie et les apprentissages numériques d’adultes présentant une trisomie 21, géré par deux intervenantes (Simonato, Duchesneau, Lussier-Desrochers et Normand, 2019). Son objectif général est de développer les connaissances et aptitudes des participants par rapport à leur utilisation de l’iPad. Le programme est offert du lundi au jeudi de septembre à juin et les participants peuvent s’inscrire à une ou plusieurs journées par semaine selon leurs intérêts. Chaque journée est liée à une thématique, soit le multimédia, la cuisine et les activités sportives où les participants font différentes activités qui favorisent leur autonomie dans l’ère du numérique. Par exemple, on y enseigne l’utilisation du courriel, la recherche sur le Web, la découverte d’applications éducatives ou sportives ou la consultation de circulaires et recettes en ligne.

Objectif

Considérant qu’à notre connaissance, aucune étude n'a détaillé l’évolution d’adultes présentant une DI dans leur utilisation générale des TIC, et ce, dans un contexte d’apprentissage, la présente étude a pour objectif de tracer l’évolution des apprentissages réalisés par les participants dans le cadre du programme TASA du RT21 sur une période de 12 mois.

Méthode

La présente étude s’inscrit dans un cadre de recherche collaborative longitudinale qualitative de 12 mois (septembre 2017 à septembre 2018) utilisant un devis d’étude de cas multiples. Ce devis est approprié au contexte puisque par la triangulation des données et par l’analyse en profondeur des histoires individuelles des participants, il permet de décrire de façon holistique un phénomène ainsi que son contexte (Benbasat, Goldstein et Mead, 1987, cité dans Dahl, Larivière et Corbière, 2014). Dans le cas présent, il s’agit de décrire la trajectoire d’utilisation des TIC par les adultes présentant une DI.

Participants

L’échantillon à l’étude provient des participants inscrits au programme TASA du RT21 pendant l’année 2017-2018. Les conditions d’admission au programme étaient que le participant présente une trisomie 21, qu’il ait plus de 16 ans et qu’il soit capable de fonctionner dans un ratio de 1 intervenant pour 5 participants. Aucun critère n’était fixé quant au niveau d’aisance avec les TIC, ni quant au degré de DI. Au final, les participants de TASA avaient tous une trisomie 21 associée à une DI légère ou moyenne. Leur niveau de familiarisation avec les TIC était varié.

Un échantillonnage non probabiliste par choix raisonné (Fortin et Gagnon, 2016) a été utilisé pour sélectionner des participants qui correspondaient à chacune des trois catégories d’utilisateurs établies pendant l’année pilote 2016-2017 du projet (débutant, intermédiaire et avancé). Ce type d’échantillonnage laisse au chercheur la liberté d’exercer son jugement quant au choix des personnes aptes à fournir des informations significatives quant aux objectifs de l’étude (Fortin et Gagnon, 2016). La classification des participants dans les trois catégories d’utilisateurs a été faite au début de l’année d’expérimentation par l’intervenante principale. Elle a classé les participants en fonction de deux critères : 1) leur niveau d’aisance à utiliser un iPad ainsi que 2) leur niveau de connaissances et de compétences numériques en comparaison avec les autres participants. Puisque le programme de formation couvrait trois sphères d’activités avec l’iPad (multimédia, cuisine et les activités sportives) un participant correspondant à chacun des types d’utilisateurs identifiés au début de l’année d’expérimentation par l’intervenante principale a été sélectionné pour chacune des thématiques. Ainsi, un échantillon de neuf participants était souhaité. L’attrition de 2 participants fait en sorte que le présent article analyse les trajectoires de 7 participants issus de cet échantillonnage.

Outils de collecte de données

Les données présentées proviennent d’entrevues semi-dirigées réalisées en quatre temps de mesure (début, milieu, fin du programme et 3 mois post-intervention) avec chacun des participants et un de leurs parents, à l’exception d’un participant qui a refusé de faire les entrevues. Afin de noter l’évolution des participants, le canevas des entrevues était divisé en fonction des différentes dimensions du modèle de l’engrenage d’accessibilité de Lussier-Desrochers et al. (2017) explicité plus haut. Ce modèle était le seul existant au moment où la collecte de données s’est réalisée.

De plus, pour ajouter aux données recueillies en entrevues, les intervenantes du programme ont complété des grilles d’observation quotidiennes pour ces sept participants concernant la réalisation des activités. Elles y consignaient l’objectif de l’activité, le niveau d’atteinte, le niveau et le type de soutien nécessaire ainsi que des commentaires. Ces grilles permettent d’évaluer s’il y a une évolution dans la réalisation des activités pour chacun des participants. La grille était conçue pour être remplie en moins de 5 minutes par sujet.

Analyses

Dans une étude de cas multiples, l’analyse se réalise en deux temps : une analyse intra-cas et une analyse inter-cas (Gagnon, 2012; Yin, 2017). Premièrement, une analyse intra-cas est réalisée. Pour ce faire, on consulte l’ensemble des données recueillies sur un même cas et on analyse le contenu. Deux stratégies d’analyse ont été retenues pour ce premier temps d’analyse : l’une suit une approche déductive et l’autre suit une approche inductive (Yin, 2017). Tout d’abord, l’analyse de chaque cas (participant) a été faite en fonction des composantes du modèle de l’engrenage d’accessibilité de Lussier-Desrochers et ses collaborateurs (2017). Par la suite, des analyses thématiques sous une approche inductive ont été réalisées sur le matériel résiduel non classifié. Après ces deux analyses, la rédaction d’une vignette pour chacun des cas a été réalisée décrivant les thématiques ressorties tout en décrivant de l’évolution du participant dans le temps. Le but de la vignette était de témoigner de l’évolution du participant et de documenter sa trajectoire d’apprentissages en lien avec l’utilisation des outils numériques dans le cadre du programme TASA, et ce, sur une période de 1 an. Le développement des vignettes s’appuie sur la triangulation des informations en provenance des trois sources mentionnées précédemment. Un processus de validation de ces analyses et des vignettes (dont les extraits sont en italiques dans le texte ci-après) et a été réalisé par deux chercheurs ayant participé au développement initial du modèle d’engrenage afin d’avoir une validation s’appuyant sur une perspective plus théorique. Il est à noter que pour préserver la confidentialité des participants, des noms fictifs ont été attribués.

Le deuxième temps de l’analyse d’étude de cas multiples est l’analyse transversale ou « inter-cas » (Gagnon, 2012; Yin, 2017). Cette analyse permet de situer les similitudes et différences entre les cas. Ainsi, toutes les vignettes ont été examinées conjointement en prenant pour unités d’analyse chacune des dimensions du modèle d’engrenage. Finalement, une analyse thématique inductive transversale a également été réalisée afin d’évaluer si d’autres thématiques, en dehors des dimensions du modèle de l’engrenage, émergeaient des vignettes (Paillé et Muchielli, 2016). Cette analyse supplémentaire permet de préciser la trajectoire de l’évolution des apprentissages des participants.

Résultats

Tout d’abord, le Tableau 1 présente les caractéristiques de base des participants. Les participants sont tous de jeunes adultes entre 22 et 30 ans. Quatre des participants en étaient à leur première année de fréquentation du programme TASA : les 2 participants débutants, 1 intermédiaire et 1 avancé. Quatre participants venaient seulement une fois par semaine. Pour deux de ces participants, l’utilisation de l’iPad à TASA était plus limitée lors de leurs journées de présence, car la thématique était liée à la cuisine ou aux activités sportives. Un seul participant habitait seul en appartement; les autres habitaient avec leurs parents.

Malgré l’objectif d’analyser nos données en fonction du modèle de l’engrenage d’accessibilité (Lussier-Desrochers et al., 2017), les résultats qui en émergent suggèrent qu’un remaniement de certaines dimensions est nécessaire. En effet, il semble que la dimension des exigences techniques est directement reliée à celle des exigences cognitives. C’est pourquoi elle y a été intégrée. Les prochaines sections présentent les résultats obtenus en fonction des dimensions suivantes : accessibilité aux outils numériques, exigences sensorimotrices, exigences cognitives et les codes et conventions. Les résultats se terminent par la présentation de thématiques émergentes ressorties de l’analyse mais qui ne figurent pas explicitement dans les modèles actuels.

Accessibilité aux outils numériques

En lien avec la dimension de l’accessibilité, dès le début du programme, tous les participants avaient accès à la maison à différentes TIC (voir Tableau 1) ainsi qu’au Wi-Fi. On note que ce sont seulement des participants intermédiaires et avancés qui possédaient un téléphone intelligent personnel. Quatre participants se sont vu offrir une nouvelle TIC au courant de l’année. À la fin de l’année, tous les participants avaient au moins un appareil à eux (ordinateur et/ou tablette), mise à part pour Roxane qui avait accès à une tablette destinée à l’usage familial. Finalement, il est à noter qu’Arnaud est le seul participant vivant en appartement qui doit gérer l’accessibilité à ses TIC par lui-même.

Exigences sensorimotrices

On remarque une différence dans l’acquisition d’habiletés sensorimotrices chez les différentes catégories d’utilisateurs. En effet, une amélioration des habiletés sensorimotrices a été observée dans la trajectoire des deux participants débutants. Pour Roxanne, elle a appris à « prendre des photos », « grossir les images avec les doigts » et « glisser à gauche [l’écran d’accueil] ». Pour Thomas, une amélioration quant à son utilisation du clavier tactile a été démontrée :

« Au milieu de l’année, la mère notait une amélioration au niveau de sa dextérité, mais il était important qu’il prenne son temps. L’intervenante de TASA observait également cette difficulté au niveau du clavier chez Thomas. Au printemps, Thomas a reçu un mini-ordinateur portable. Il n’avait plus aucune difficulté à utiliser le clavier de son ordinateur comparativement à celui de sa tablette. ».

Chez les utilisateurs intermédiaires et avancés, une seule mention de difficulté au niveau sensorimoteur est nommée, due à une limitation sensorielle (une incapacité visuelle) plutôt qu’une difficulté motrice. Le problème a d’ailleurs été réglé lorsque la participante s’est mise à porter des lunettes. Elle n’avait plus autant besoin d’agrandir les caractères à l’écran, avait moins de difficulté à appuyer au bon endroit et dépassait moins sa cible lorsqu’elle coloriait des mandalas.

Exigences cognitives

Dans la sphère cognitive, on remarque que le processus cognitif de résolution de problèmes est régulièrement sollicité comme en témoignent chacune des vignettes. Ce processus implique que la personne se trouve devant un but à atteindre, que ce soit à la suite d’un problème rencontré ou d’un désir de faire quelque chose, et qu’elle doit décider de quelle façon elle va agir afin d’atteindre ce but (Chi et Glaser, 1985; Lemaire et Didierjean, 2018). Dans les vignettes, on observe que le processus de résolution de problèmes touche trois domaines : 1) le divertissement; 2) l’utilitaire; et 3) le technique.

Divertissement. Dans le domaine du divertissement, le téléchargement d’une application de jeu sur un appareil personnel est un bon exemple d’exigence cognitive à surmonter : « En cours d’année, Billy a également pris l’initiative de télécharger les applications vues à TASA sur ses appareils personnels. Il a également commencé à télécharger de nouvelles applications et jeux ». Le défi de lecture/écriture pour trouver la musique qu’il désirait sur Internet est observé chez Thomas qui a su résoudre ce problème de manière de plus en plus autonome :

« Au milieu de l’année, son parent nommait que pour l’aider au niveau de sa difficulté en lecture/écriture, Thomas avait un tableau avec les mots qu’il cherchait régulièrement sur Internet. De plus, Thomas utilisait des moyens autonomes pour trouver les mots qu’il désire. Par exemple, il pouvait prendre un CD et recopier les lettres inscrites sur le CD pour faire sa recherche. Il lui arrivait également de demander à son parent d’écrire le mot sur une feuille pour qu’il puisse le retranscrire ensuite sur sa tablette ».

Tableau 1

Caractéristiques des participants

Caractéristiques des participants

a Technologie reçue au courant de l’année. b Le participant était présent lors des deux journées de multimédia.

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Utilitaire. Les participants de tous les niveaux d’habiletés avec les TIC se butent aux exigences cognitives dans le domaine utilitaire, c’est-à-dire lorsqu’ils veulent obtenir une information précise ou utilisent l’iPad pour atteindre un but. De façon plus précise, on remarque que 6 des 7 vignettes mentionnent la recherche sur le Web, qui a d’ailleurs été mise de l’avant de façon régulière durant le programme.

Trois participants ne faisaient aucune recherche sur le Web avant leur arrivée à TASA. Pour Judith et Thomas, leurs trajectoires démontrent une grande évolution à ce niveau :

« À la fin de l’année, elle utilisait toujours ses technologies pour se divertir, mais faisait également de l’écriture de textes […], effectuait des recherches sur le Web […] On constate d’ailleurs une certaine amélioration du niveau d’autonomie de Judith quant à son utilisation des technologies. En entrevue, son parent rapportait en effet qu’elle était plus capable de travailler avec sa tablette et d’aller chercher l’information dont elle besoin avec sa tablette ».

Sa participation au programme lui a alors permis de découvrir ce qu’est Internet et les possibilités qui s’y trouvent, bien que sa compréhension soit encore à travailler. Pour Thomas, on observe une évolution de l’utilisation de la recherche sur le Web tout au long de l’année :

« Il s’agit de l’apprentissage que son parent attribue directement à sa participation à TASA, nommant qu’il faisait à la fin de l’année plus de choses comme des recherches, ce qu’il ne voulait pas faire avant ».

D’ailleurs, à la fin de l’année, on note que Thomas fait des recherches sur le Web sur plusieurs thèmes :

« Tout en continuant de regarder ses vidéos sur YouTube, il faisait maintenant des recherches sur Google sur ses super-héros préférés, la police, les nouvelles comme dans le Journal de Montréal, des personnages de BD, des thématiques (par exemple l’Halloween, le défi sportif), des endroits qu’il fréquentait (par exemple son ancienne école) et des sortes de chiens ».

Quant à Roxanne, sa trajectoire ne semble pas avoir évolué vers des recherches sur le Web à la maison. Notons que Roxanne a une utilisation restreinte de sa tablette à la maison et qu’elle présente peu d’initiatives face à la tablette selon son parent. Il est toutefois à noter que Roxanne semble avoir appris que l’iPad pouvait être un outil pour faire des recherches :

« Lors d'une conversation avec Roxanne, elle-même a proposé à son parent d’aller voir sur l’iPad pour se souvenir des équipes qui allaient en finale d’un championnat sportif ».

Quatre des participants (Amélie, Arnaud, Louis et Billy) faisaient déjà des recherches sur le Web avant leur entrée à TASA. On remarque tout de même une évolution de leur trajectoire quant aux recherches : une augmentation du nombre de recherche sur le Web pour Amélie, une amélioration du choix des mots-clés utilisés pour Arnaud et une diversification des thèmes de recherches pour Billy. En effet, il semble qu’Amélie utilise Google pour faire des recherches sur des lieux où elle a une activité prévue ou concernant les acteurs de séries télévisées. Pour Arnaud, que ce soit pour le choix des bons termes pour effectuer une recherche sur le Web ou encore d’écrire sur les réseaux sociaux (public ou privé), on notait des acquis. Ayant participé à des Rallye-Web à TASA où les participants devaient répondre à des questions en effectuant des recherches sur le Web, on suppose que Billy a développé un intérêt à s’instruire à partir d’Internet et la capacité de faire des recherches :

« Le parent mentionne lors de l’entrevue de suivi que Billy effectuait désormais des recherches variées et non seulement à des fins de divertissement personnel. En effet, il semble que Billy faisait des recherches en ligne sur l’évolution de l’être humain ou sur la trisomie 21 ».

De plus, chez des participants plus avancés, le domaine utilitaire a été observé dans des activités en lien avec leur réseau personnel de soutien. Par exemple, Louis a utilisé l’appareil photo comme outil pour transmettre des informations à ses proches : « Il a commencé à prendre en photo les feuilles qu’il devait transmettre à ses parents et leur envoyait par texto ». Ou encore pour Judith :

« Lors d’une activité papier-crayon où les participants devaient rédiger leur carte de réseau social, Judith a pris l’initiative d’aller chercher son iPad personnel et son téléphone intelligent afin de consulter sa liste de contacts pour compléter la carte ».

Technique. Dans le modèle conceptuel de l’engrenage, les exigences techniques constituaient une dimension à part entière. Or, il émerge de notre étude que ces exigences ne peuvent être séparées des exigences cognitives liées à l’utilisation des TIC, mais plutôt qu’elles en sont un exemple d’application. Elles sont donc intégrées aux exigences cognitives, car il semble que le développement de la trajectoire des participants à ce niveau est en lien avec le développement de processus cognitifs. En effet, les analyses mettent en lumière deux types d’évolution dans la trajectoire des participants : les connaissances associées aux problèmes techniques rencontrés et les compétences pour résoudre le problème technique. Le processus de résolution de problèmes requis pour pallier les exigences techniques passe inévitablement par une réflexion cognitive et ce ne sont pas tous les participants qui ont été en mesure de développer la compétence liée à la résolution de problèmes. Par exemple pour Roxanne :

« Dans le cadre du programme, Roxanne a appris à interpréter le niveau de charge de la batterie en utilisant l’application Batterie HD+. Toutefois, elle n’est pas encore en mesure de réaliser l’action adéquate pour résoudre le problème lorsque la pile est faible (brancher l’appareil) ».

Quant à lui, Thomas avait sa propre routine pour brancher ses appareils afin de ne pas manquer de pile. Ce comportement peut suggérer une compétence quant au branchement des appareils, mais ne peut pas assurer la compréhension du pourcentage de batterie. En effet, en branchant ses appareils de façon routinière, Thomas a développé une méthode afin de ne pas manquer de batterie, mais cela ne veut pas dire qu’il est en mesure de comprendre à quel moment il doit brancher son appareil. Cette connaissance requiert une réflexion cognitive peut-être plus exigeante pour lui, tout comme pour Roxanne.

Les participants intermédiaires ou avancés ont, quant à eux, acquis des connaissances plus abstraites sur certains problèmes techniques. Par exemple, Judith et Amélie ont appris à reconnaître les problèmes de Wi-Fi, mais ne savaient pas comment résoudre la situation. Amélie a néanmoins appris à faire elle-même les mises à jour sur son appareil. Deux participants, Billy et Louis, ont acquis des connaissances et des compétences techniques au courant de l’année en lien avec la connexion Wi-Fi. Ces apprentissages ont été réalisés lors de l’activité qui avait pour but d’enseigner aux participants comment se connecter au Wi-Fi. Quant à Arnaud, il possédait déjà plusieurs connaissances et compétences techniques avant même sa participation au programme.

Finalement, il semble que la compréhension de certains concepts soit difficile pour les participants. Par exemple, les données cellulaires sont quelque chose d’abstrait pour certains d’entre eux. En effet, les vignettes rapportent que les participants ont dépassé leur forfait sans s’en rendre compte ce qui a mené à une facture plus élevée que prévue. Malgré la situation, il semble que même à la fin de l’année cette notion est encore difficile pour l’un d’eux :

« De ce fait, on constate que Judith avait conscience que certaines applications sont payantes et d’autres gratuites, mais n’était pas en mesure de discriminer lorsque l’Internet est requis ou non. Ainsi, elle mentionnait ne pas avoir de jeux sur son cellulaire considérant que c’est cher (utilisation de données mobiles), mais qu’elle en avait sur sa tablette (utilisation du réseau Wi-Fi) ».

Pour un autre participant, c’est la compréhension des applications payantes et gratuites dans l’App Store qui est plus difficile. Des confirmations d’achat pour certaines téléchargées ont été reçues par l’un de ses parents.

Codes et conventions sociales

Pour ce qui est de la partie de l’engrenage liée aux codes et conventions sociales, nos résultats relèvent l’importance de la distinction public/privé et d’une utilisation sécuritaire d’Internet. Seulement trois trajectoires en font mention, soit celles de Judith, Arnaud et Louis. Il s’agit des vignettes des deux participants avancés ainsi qu’un intermédiaire. Concernant Judith, ses comportements étaient d’ordre du respect de la vie privée de ses proches : « Judith respectait la vie privée des membres de sa famille et nommait qu’elle ne pouvait pas lire le courriel de sa mère ».

Les deux participants avancés ont quant à eux réalisé des apprentissages liés à la sécurité en ligne et à l’utilisation des réseaux sociaux. Il est à noter qu’il s’agit des deux seuls participants qui utilisent les réseaux sociaux de façon active parmi tous les participants. Louis a compris l’importance de l’aspect confidentiel de certaines données personnelles : « L’entrevue avec son parent révèle qu’il a appris à ne pas donner son mot de passe, comprenant maintenant l’importance de garder cette information pour soi. ». Il semble toutefois avoir encore des apprentissages à réaliser en lien avec l’utilisation des réseaux sociaux pour les comptes publics ou privés. Il éprouve également de la difficulté à se souvenir de son mot de passe de Facebook et la résolution de problèmes qui en résulte n’est pas optimale puisqu’il se crée un nouveau compte à chaque fois. Ceci illustre comment les codes et conventions liées à la fréquentation des médias sociaux font aussi appel aux exigences cognitives et techniques de leurs utilisateurs.

Arnaud, pour sa part, a développé des compétences en lien avec l’utilisation des réseaux sociaux. Il a compris la différence entre les comptes publics et privés et a appris également à moduler les publications qu’il fait sur Facebook. Il a choisi des comportements plus sécuritaires au fil de l’année, tel que publier des photos de lui uniquement par message privé avec ses proches. Arnaud a appris à respecter certaines règles de sécurité et de respect quant aux demandes d’amitié sur Facebook. D’autres apprentissages sont néanmoins encore nécessaires : « Lors de l’entrevue de suivi, Arnaud a mentionné avoir ajouté "Iron Man" dans ses amis Facebook, car il le connaît ». En somme, Arnaud présente un comportement sécuritaire de façon générale, mais pourrait devenir vulnérable si quelqu’un de malveillant le contacte en se faisant passer pour quelqu’un qu’il connaît ou une célébrité.

Thématiques émergentes

À la suite des analyses en lien avec l’engrenage d’accessibilité, trois autres thématiques ressortent des analyses : l’augmentation de l’autonomie, le transfert des apprentissages et la diversification de l’utilisation des TIC. Premièrement, on observe une augmentation de l’autonomie des participants du programme. En effet, une diminution du niveau de prise en charge par l’intervenante a été observée chez toutes les catégories d’utilisateurs, et ce, même chez les participants débutants :

« Plus l’année avance et plus on peut noter que Thomas nécessite de moins en moins de soutien pour réaliser les activités et qu’il est en mesure de faire les activités à l’aide d’indications visuelles ou indications verbales ».

Pour les participants avancés, dès un mois après le début du programme, ils étaient en mesure de faire les activités sans soutien spécifique. Si l’activité était nouvelle pour eux, une seule explication suffisait pour qu’ils puissent la réaliser par eux-mêmes :

« Notons que Louis a appris rapidement à utiliser l’iPad : il était en mesure de télécharger sans soutien des applications de l’App Store dès le début du mois d’octobre (avant d’avoir reçu son iPad à la maison) et était capable de réaliser seul une capture d’écran après une seule démonstration de l’intervenante ».

Deuxièmement, on remarque un transfert des apprentissages chez une majorité des participants. En effet, cinq participants présentent un transfert à la maison des apprentissages réalisés à TASA. Pour certains, le transfert est plus d’ordre comportemental. Par exemple, Amélie est plus portée à aller aider à faire de la cuisine à la maison. Également, on observe que certaines activités technologiques réalisées à TASA ont été reproduites à la maison, notamment au niveau de l’utilisation du courriel (Billy et Judith), l’utilisation des fonctions de dictée et d’énoncer la sélection (Judith), la recherche sur le Web (Judith et Thomas) ainsi que le téléchargement d’applications vues à TASA sur leur appareil personnel (Billy et Louis). Pour d’autres, le transfert des apprentissages se situe au niveau des nouvelles connaissances apprises à TASA :

« On observe à la fin du programme que Louis faisait la même utilisation de ses technologies qu’en début d’année, mais qu’il avait intégré certains apprentissages en ajoutant des applications vues à TASA (MétéoMédia, 8fit, Sleepcycle et option sommeil dans l’application Horloge) ».

Finalement, pour deux participants, on remarque une grande diversification dans leur utilisation des TIC à la fin du programme :

« À la fin de l’année, elle [Judith] utilisait toujours ses technologies pour se divertir, mais faisait également 1) de l’écriture de textes (retranscrit des livres, fait des listes), 2) prenait des photos, 3) utilisait le réveille-matin, 4) effectuait des recherches sur le Web, 5) consultait ses courriels, 6) faisait des appels vidéo et 7) communiquait par messages textes ».

« À la fin du programme, il [Billy] avait une utilisation plus variée de ses technologies à la maison : 1) ses appareils contenaient des applications éducatives (ex. bonhomme pendu) et des jeux, 2) il utilisait désormais le calendrier et était en mesure d’accepter ou de refuser des rendez-vous envoyés par sa mère, 3) écrivait des textes dans l’application "Notes", 4) consultait la météo quotidiennement, 5) faisait des recherches sur le Web, 6) prenait des photos ou vidéos, 7) envoyait des messages textes, 8) faisait des appels via Facetime, 9) regardait des films ou vidéos sur des sites de "streaming" ou sur YouTube et 10) utilisait l’alarme pour se réveiller le matin ».

Ces deux participants, qui au départ utilisaient leurs TIC presque uniquement à des fins de divertissement, ont donc élargi leur utilisation à des fins utilitaires et de communication.

Discussion

L’objectif de cette étude était de tracer l’évolution des apprentissages des participants qui ont participé au programme TASA offert au RT21 durant l’année 2017-2018. Bien qu’un autre modèle conceptuel (Chadwick et al., 2019) ait été publié depuis 2017, le modèle de Lussier-Desrochers et ses collaborateurs (2017) se veut approprié comme cadre d’analyse, car il inclut toutes les dimensions de ce nouveau modèle à l’exception du chronosystème. Cette dimension temporelle a tout de même été évaluée dans le présent article par l’utilisation d’un devis de recherche longitudinal.

En ce qui a trait aux résultats, nous observons de façon générale une évolution pour chacun des participants sur les différentes dimensions de l’engrenage d’inclusion numérique (accessibilité, cognitif, sensorimoteur, codes et conventions). Certains participants ont une évolution à plus petite échelle, mais tous les participants ont développé une autonomie comportementale dans leur utilisation de l’iPad. De plus, plusieurs participants ont vu leurs apprentissages se transférer à la maison.

Au niveau de la dimension accessibilité, tous les participants avaient accès à au moins une TIC à la maison et avaient accès à Internet au début de l’étude. Dans la présente étude, l’achat des TIC et l’accès au Wi-Fi étaient couverts par les parents plutôt que par le participant. La TIC était souvent un cadeau offert au participant pour son anniversaire ou pour Noël. Précisons également que six des participants vivaient chez leurs parents et pouvaient alors bénéficier d'un partage de connexion du réseau Internet familial. Cette accessibilité (matériel et connexion) par le biais d’un proche est un exemple indéniable du rôle central que jouent les ressources environnementales dans le modèle d’engrenage. Ceci a aussi été relevé ailleurs (Chiner et al., 2017; Löfgren-Mårtenson et al., 2018). Pour le participant vivant seul, la situation était légèrement différente. Ainsi, bien qu’il ait obtenu sa technologie en cadeau, il devait néanmoins gérer lui-même son budget pour les coûts du réseau cellulaire et Internet.

Pour ce qui est du type de technologies utilisées, les analyses révèlent que ce sont uniquement les participants intermédiaires et avancés qui possédaient un téléphone intelligent personnel. Leur utilisation des TIC était d’ailleurs plus variée que celle des participants débutants. Le faible usage des téléphones intelligents par les participants débutants pourrait notamment s’expliquer par le fait que les parents ne voient pas l’intérêt de payer pour un téléphone intelligent si leur enfant a une utilisation des TIC à des fins de divertissement seulement. Ainsi, dans cette situation précise, le téléphone ne constitue pas une plus-value pour l’utilisateur présentant ce profil.

Au niveau des exigences sensorimotrices, les résultats montrent que ces exigences sont plus évidentes chez les personnes débutantes avec la technologie. Lorsqu’ils sont plus avancés, les participants semblent éprouver moins de difficultés sensorimotrices. Il est à noter que les participants de ce programme ne présentaient pas de déficience motrice ou physique marquée. De plus, afin de pouvoir utiliser les TIC de façon optimale, il est essentiel pour les personnes de s’assurer que les déficits de vision et d’audition sont bien identifiés et compensés si tel est le cas.

Pour ce qui est des exigences cognitives, nos résultats indiquent que les participants utilisent principalement un processus de résolution de problèmes (Chi et Glaser, 1985; Lemaire et Didierjean, 2018) dans trois sphères d’utilisation des outils numériques soit le divertissement, le domaine utilitaire (p. ex., chercher de l’information) et le volet technique. Par ailleurs, les exigences demandées par les TIC en lien avec l’écriture et la lecture manifestées chez quelques-uns des participants de la présente étude sont en concordance avec les difficultés relevées dans la littérature scientifique (Alfredsson Ågren et al., 2018; Lussier-Desrochers et al., 2017). Notons aussi que certaines stratégies utilisées par les participants de notre étude semblent être généralisées à la population présentant une DI et ayant des difficultés en lecture et écriture. Par exemple, la stratégie utilisée par Thomas pour l’aider dans ses recherches sur le Web (p. ex., utiliser un répertoire de mots clés prédéterminés) est documentée dans l’étude de Alfredsson Ågren et al. (2018) comme moyen pour pallier cette exigence cognitive.

Également, lorsqu’ils font face à un problème, les personnes présentant une DI vont souvent demander de l’aide à leur entourage. Ce besoin de soutien peut notamment s’expliquer par un manque de connaissances ou de compétences face au problème. Ainsi, la résolution de problèmes qui en résulte nécessite une demande initiale d’aide extérieure, qui peut être apprise puis appliquée de façon autonome par la suite. Ainsi, en offrant le soutien adéquat, la personne peut acquérir un plus haut niveau d’autodétermination dans son processus de résolution de problèmes. La plupart des études révèlent d’ailleurs le besoin de soutien de la part de proches ou d’intervenants lorsqu’une personne présentant une DI désire utiliser les TIC (Barlott et al., 2019; Chiner et al., 2017; Löfgren-Mårtenson et al., 2018). Toutefois, la présente étude a aussi démontré que ce niveau de soutien a diminué au courant de l’année. Cela suggère qu’un apprentissage adéquat de l’utilisation des TIC permet aux personnes d’être plus autonomes dans leur utilisation, ce qui est d’ailleurs avancé par d’autres études (Nälsund et Gardelli, 2013; Ramsten et al., 2018).

En ce qui a trait à la dimension relevant des codes et conventions, il est intéressant de constater qu’elle ne s’est révélée que chez les participants ayant un niveau plus avancé des TIC. En effet, nos deux participants avancés étaient les seuls qui utilisaient les réseaux sociaux. Il appert alors qu’une utilisation variée des TIC est nécessaire si l’on veut explorer cette dimension. Aussi, les apprentissages relatifs aux codes et conventions sont plutôt abstraits et requièrent des raisonnements cognitifs plus complexes. Elles exigent de comprendre qui a accès à l’information qu’on entre sur un clavier d’ordinateur, ou transmet par les fonctions audio ou vidéo des TIC, et à quoi celle-ci peut servir (Chalghoumi et al., 2019). Bien que l’utilisation des réseaux sociaux soit une source d’inclusion, d’autodétermination et de soutien social (Darcy, Maxwell et Green, 2016; Holmes et O’Loughlin, 2014), elle comporte aussi des risques qui ont été relevés dans plusieurs études auprès des personnes qui présentent une DI (Buijs, Boot, Shugar, Fung et Bassett, 2016; Caton et Chapman, 2016).

En somme, les résultats obtenus rappellent l’importance de considérer le facteur du temps dans l’apprentissage des TIC. Pour les personnes présentant une DI, le processus d’apprentissages peut être plus long que pour la population générale et une compréhension juste de la situation ne peut se réaliser sans la prise en compte du chronosystème et des éléments temporels (Chadwick et al., 2019). À ce titre l’analyse sous une forme de trajectoire permet de témoigner de l’évolution du processus d’adaptation de la personne dans la société du numérique, et ce, sur plusieurs dimensions. À notre connaissance il s’agit ici de la première et seule étude décrivant de façon globale et prospective l’évolution de la trajectoire d’usage et d’apprentissages d’adultes présentant une DI dans leur utilisation des TIC. Les études actuelles rapportent seulement l’utilisation faite à un moment fixe. Malgré le faible échantillon de la présente étude (n = 7), la triangulation des données a permis de s’assurer de décrire de façon juste la trajectoire de chacun des participants. Le devis longitudinal s’est aussi avéré être un avantage, car cela a permis aux participants de parler de leur utilisation actuelle des TIC lors de quatre temps de mesure.

Enfin, les résultats issus de nos analyses suggèrent de procéder à un remaniement du modèle conceptuel de Lussier-Desrochers et ses collaborateurs (2017). Il semble en effet que la dimension des exigences techniques devrait plutôt constituer une sous-dimension de la catégorie générale des exigences cognitives. Les études subséquentes devront aussi se pencher sur la trajectoire d’inclusion numérique d’un plus grand nombre de participants ayant des profils cognitifs plus variés (c’est-à-dire des niveaux de ressources personnelles différents) afin de voir si le modèle de l’engrenage s’actualise de façon similaire lorsque les ressources de leur environnement sont mises en place pour pallier les défis et exigences liés aux utilisations diversifiées des TIC selon leurs besoins et intérêts. Aussi, rappelons l’importance de considérer les catégories d’utilisateurs (débutant, intermédiaire et avancé) qui illustrent bien l’interaction des ressources personnelles et environnementales des expériences des utilisateurs avec le numérique, autant dans la mise en place des interventions, que dans le processus d’analyse des données (qualitatives ou quantitatives) car leur trajectoire ne semble pas s’actualiser de la même façon quant aux dimensions de l’engrenage.

Conclusion

Notre étude avait pour objectif de tracer l’évolution des apprentissages d’adultes présentant une DI dans leur utilisation des TIC pendant 1 an. On remarque que chacun des participants a eu une évolution dans son utilisation des TIC au niveau des différentes composantes de l’engrenage comme une plus grande accessibilité aux TIC, une meilleure maîtrise de la motricité fine, la résolution de problèmes, l’apprentissage des codes et conventions sociales, etc. Nos résultats montrent que lorsqu’elles sont soutenues adéquatement, les personnes présentant une DI peuvent apprendre à utiliser les TIC de façon plus diversifiée et plus autonome. La mobilisation et la multiplication de ressources dans l’environnement de la personne sont nécessaires et possibles. Elles peuvent pallier des limitations en ressources personnelles (p. ex., sensorimotrices, cognitives, mais aussi financières pour l’accès aux TIC et à Internet). Un soutien adéquat et soutenu permettrait donc de promouvoir l’inclusion numérique des personnes qui présentent une DI et d’y développer leur autodétermination.