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Introduction

La DI est définie comme la « conséquence d’un ensemble d’incapacités du système nerveux central qui se traduisent par des limitations dans le fonctionnement cognitif général : perception, mémoire, raisonnement ou jugement » (Klinger-Delarge, 2015, p. 8), associées à un déficit du fonctionnement adaptatif dans les domaines conceptuels, pratiques et sociaux, débutant pendant la période développementale, avant 18 ans (American Psychiatric Association [APA], 2015). De telles limitations sont susceptibles d’avoir un impact sur l’autonomie des personnes présentant une DI et nécessitent donc un accompagnement spécifique.

Cette recherche vise d’une part à identifier la nature et la fréquence des besoins d’autonomie physique, intellectuelle et affective-relationnelle des élèves présentant une DI légère (enfants et adolescents), notamment en situation d’évaluation. Elle vise d’autre part à vérifier que l’hétérorégulation, dont ces élèves bénéficient grâce à leurs enseignants pendant les apprentissages, leur permette de couvrir tous les champs de l’autonomie dans ce contexte. Cela permettrait en retour de favoriser au mieux l’autorégulation de ces élèves notamment en situation d’examen. Nous avons en effet des raisons de penser, en particulier pour l’autonomie intellectuelle et affective, (synthétisées souvent sous le terme d’autorégulation cognitive), que les personnes présentant une DI, à âge mental égal relativement à leurs camarades non DI, manifestent un déficit spécifique dans l’identification d’objectif de la tâche, la régulation du comportement lors de la tâche (Vieillevoye et Nader-Grosbois, 2007), le maintien de la motivation, et l’évaluation de leur travail (Haelewyck et Palmadessa, 2007, 2009). Ces déficits pourraient être liés au fonctionnement mnésique particulier des participants présentant une DI, dont : des difficultés connues pour récupérer l’information en mémoire, pour mobiliser spontanément les stratégies apprises, un développement plus lent des capacités de traitement de l’information (Comblain, 2001). L’autorégulation, qui participe à l’acquisition de l’autonomie, est :

Un processus par lequel la personne, pour atteindre un objectif, planifie et anticipe son action, maintient son attention et sa motivation, évalue et ajuste ses actions, et lorsque c’est nécessaire, sollicite son environnement social en demandant de l’aide, de l’attention conjointe ou de l’approbation.

Letalle, Longobardi et Courbois, 2014, p. 38

Potentiellement, cela signifie que l’on pourrait observer des vulnérabilités lors de situation d’évaluation ou d’examen risquant ainsi de conduire les personnes présentant une DI à l’échec d’un l’examen. Quant à l’hétérorégulation, cela correspond à tout étayage, toute médiation, exercés par un partenaire social dans le but de faciliter en situation l’apprentissage ou la résolution d’un problème d’une autre personne (Nader-Grosbois, 2007). Ainsi, l’hétérorégulation apportée par les enseignants tout au long des apprentissages pourra-t-elle suffire à développer chez les élèves une autorégulation dans l’identification d’objectifs, le maintien de la motivation et l’évaluation du travail réalisé en examen au point d’éviter l’échec à ces examens pour lesquels ils ont été préparés par les enseignants en classe ? Précisons d’abord les liens qu’entretiennent l’auto/hétéro-régulation avec l’autonomie des élèves.

L’autonomie

En milieu scolaire et institutionnel, l’autonomie désigne trois champs : 1) l’autonomie physique, 2) l’autonomie intellectuelle et 3) l’autonomie affective/ relationnelle (Blache, 2010).

L’autonomie physique correspond à la « prise de conscience de ses possibilités physiques et l’apprentissage de l’autonomie [de déplacement] dans les gestes quotidiens » (Blache, 2010, p. 222). Elle permet de se « projeter dans l’action », et s’appuie sur les compétences d’orientation pour se déplacer de la façon la plus indépendante possible, mais aussi la motricité (fine, globale) nécessaire pour réaliser les gestes quotidiens.

L’autonomie intellectuelle consiste à « penser par soi-même, c’est-à-dire acquérir la capacité à organiser, planifier, conduire, contrôler son travail au sens d’une capacité d’initiative toujours plus grande dans la construction de ses savoirs » (Blache, 2010, p. 224). Pour cela, l’élève a besoin de « donner du sens à la tâche scolaire » (c’est-à-dire s’approprier ses apprentissages scolaires), se construire une représentation claire de la tâche, connaître le but à poursuivre, le sens et l’intérêt des tâches.

L’autonomie affective et relationnelle consiste à pouvoir se détacher progressivement de l’aide d’autrui, de l’adulte notamment. Elle s’exerce dans le rapport aux autres (relations enseignant/élève et entre élèves) et suppose que : a) l’enseignant ait la « volonté de se passer de l’élève »; b) l’élève ait la « volonté de se passer du maître »; c) l’élève souhaite s’inscrire dans la vie collective en respectant les règles du groupe; et d) que l’élève ait confiance en lui et en ses capacités à terminer une tâche (constituant un motif pour persévérer; Blache, 2010).

Ces trois champs de l’autonomie ont donc plus de communauté avec l’autorégulation de Wehmeyer, Lachapelle, Boisvert, Leclerc et Morrissette (2001). L’autorégulation désignant les « processus grâce auxquels les élèves activent et maintiennent des cognitions, comportements et affects systématiquement orientés vers l’atteinte de leurs buts d’apprentissage » (Schunk et Zimmerman, 1994, p. 309). Nous utiliserons donc ici le terme d’autonomie pour rester en phase avec les travaux apparentés à la construction d’échelles de soutien aux personnes en situation de handicap, mais en lui conférant un sens proche de l’autorégulation, appliquée aux déplacements, aux apprentissages « intellectuels » et à la mobilisation de l’affectivité et nous nous appuyons sur le modèle de l’auto/hétérorégulation de Nader-Grosbois (2007) pour l’interprétation.

L’autodétermination

L’autonomie, dans d’autres modèles comme celui de Wehmeyer et al. (2001), est une des composantes de l’autodétermination. L’autodétermination correspondrait alors aux « habiletés nécessaires pour assurer un contrôle direct sur sa vie et faire librement des choix sans être influencé de manière importante par une tierce personne » [traduction libre] (Wehmeyer, Kelchner et Richards, 1996, p. 632). L’autodétermination serait elle-même un facteur de développement de la qualité de vie ou de la réussite scolaire (Ballé, 2016). Plus les personnes présentant une DI ont un degré d’autodétermination élevé (dans toutes ses composantes), meilleures seraient : a) leur qualité de vie (Lachapelle et al., 2005; Nota, Ferrari, Soresi et Wehmeyer, 2007; Wehmeyer et Schwartz, 1998); b) leur réussite académique (p. ex., en mathématiques et lecture; Gaumer-Erickson, Noonan, Zheng et Brussow, 2015); c) et leur réussite après leurs études (Schogren, Kennedy, Dowsett et Little, 2014). Un comportement autodéterminé aurait donc quatre caractéristiques : 1) l’autonomie comportementale (c’est-à-dire parvenir à réguler son comportement selon les caractéristiques du milieu et de son répertoire comportemental pour réaliser une tâche); 2) l’autorégulation (c’est-à-dire être capable de donner ses préférences, de faire des choix et d’initier une action sans se laisser influencer par autrui); 3) l’empowerment psychologique (c’est- à-dire avec un sentiment de contrôle sur ses actions et sur les conséquences de ses actions dans l’environnement). Cette notion a un rapport avec le « lieu de contrôle » (interne si la personne attribue ses performances à ses propres actions); et 4) l’autoréalisation (c’est-à-dire connaître ses forces, faiblesses, traits, pour ajuster ses choix et décisions selon ses caractéristiques; Wehmeyer et al., 1996). Ce modèle a donné lieu à la construction un auto-questionnaire traduit et validé par le Laboratoire de recherche interdépartementale en déficience intellectuelle (LARIDI; Wehmeyer et al., 2001).

Néanmoins, cet outil n’a pas été utilisé dans cette étude puisqu’il n’existe pas de version pour enfants et que celle pour adolescents n’examine pas, de manière spécifique, les besoins en matière d’autonomie dans les dimensions cognitives, physiques ou affectives chez des élèves scolarisés en milieu ordinaire. Nous avons donc construit notre propre questionnaire, plus centré sur l’autorégulation et l’hétérorégulation, dans les trois domaines de l’autonomie de Blache (2010). De plus, et même si cela peut sembler paradoxal du point de vue de l’autonomie, nous avons choisi un hétéro-questionnaire (rempli par des enseignants en situation d’observation préalable de leurs élèves) car, en France, ce sont les enseignants qui ont à définir les besoins éducatifs particuliers de leurs élèves dans un document officiel, après observation et évaluation, et à faire reconnaître par les institutions d’appartenance des jeunes ces besoins en termes d’autonomie et d’adaptation dans les évaluations scolaires et professionnelles. De même, et bien que nous nous appuyions sur le modèle de Nader-Grosbois (2007), nous n’avons pas utilisé sa grille d’observation de l’auto/hétérorégulation car nous n’étions pas en mesure d’observer directement comment les enseignants hétérorégulent leurs actions auprès des élèves en situation d’évaluation en classe. En revanche, il s’agit ici de mesures indirectes, auto-rapportées par les enseignants.

Besoins d’autonomie des personnes présentant une DI

Le faible niveau d’autonomie des personnes présentant une DI est régulièrement mis en évidence à travers de nombreux travaux en psychologie du développement et dans le domaine de l’éducation cognitive. Les compétences des élèves présentant des handicaps mentaux (dont la DI) ne seraient pas reconnues à leur juste valeur, en raison d’une part des biais relatifs à la situation d’évaluation statique (participant seul face à une tâche, sans soutien au fonctionnement cognitif) lors des examens et d’autre part, les difficultés des personnes présentant une DI à ne pas mobiliser pleinement leurs compétences cognitives (Büchel, Paour, Courbois et Scharnhorst, 1998; Magnin de Cagny, 2010) limitant ainsi les possibilités d’accès à un travail (après scolarisation) correspondant à leurs compétences réelles. En effet, pour Nader-Grosbois (2007), les personnes présentant une DI présentent un déficit généralisé de l’autorégulation qui rend compte de leurs difficultés à transférer leurs apprentissages dans des situations inconnues. Du fait de leurs difficultés d’autorégulation, et en anticipant l’échec, ces personnes chercheraient d’abord à recourir à l’aide humaine locale avant de chercher à réaliser la tâche par soi-même (Nader-Grosbois, 2007; Zigler et Balla 1982).

À cet effet, l’autorégulation se découpe en cinq étapes/stratégies pouvant s’enchaîner dans le traitement d’une tâche donnée par une personne et pouvant également être observées à l’aide d’une grille. Plus précisément, ces étapes sont : 1) identifier l’objectif de la tâche; 2) planifier/identifier les moyens mis en oeuvre (coordination moyens/buts); 3) utiliser si besoin des stratégies socio-communicatives (d’attention conjointe ou de requête); 4) gérer son attention sans décrochage, maintenir sa motivation à la tâche; et 5) mettre en oeuvre ses stratégies d’évaluation (identifier ses erreurs et ajuster en conséquence ses réponses). Ces stratégies gagneraient à être soutenues et entraînées au fur et à mesure de la scolarité. Selon Haelewyck et Palmadessa (2007) les personnes présentant une DI auraient du mal à « mettre en oeuvre plusieurs stratégies autorégulatrices dans leurs apprentissages au quotidien ou lors d’apprentissages spécifiques » (p. 189). Si on ne prend pas en compte cette vulnérabilité, il serait impossible pour les élèves présentant une DI de réussir. Les auteures recommandent donc, après avoir mis en place des aides utiles au soutien de : 1) l’objectif de la tâche; 2) l’exploration et la régulation du comportement; 3) l’attention de la motivation; et 4) de l’évaluation/autoévaluation, de réduire les régulations externes (ou hétérorégulations). Dans leur étude, 26 élèves présentant une DI et âgés entre 8 à 11 ans ont été placés dans différentes situations de résolution de tâches adaptées à leurs capacités. Les participants devaient, pour la première tâche, réaliser individuellement un assemblage de triangle. Pour la seconde, ils devaient décorer un gâteau et monter un bouquet de fleurs en suivant un modèle en présence de leur enseignant. Les auteures remarquent que pour la première tâche 46,2 % des élèves n’identifient pas correctement son objectif ou l’oublient en cours d’activité. De plus, 66 % ne parviennent pas ou partiellement à maintenir leur motivation au cours de celle-ci, 25 % ne mobilisent pas efficacement leur attention et 60 % ne savent pas évaluer leur performance. En ce qui a trait à la deuxième tâche, 2/3 des personnes identifient l’objectif lorsqu’ils sont placés en situation d’interaction avec l’enseignant. D’ailleurs, 80 % mobilisent leur attention conjointe et arrivent à maintenir leur motivation. Au niveau de leur évaluation, 19,2 % ont vu leur enseignant corriger à leur place, alors que pour 80 %, des suggestions ont été émises par ces derniers afin qu’ils se corrigent eux-mêmes. Il appert donc que sur l’ensemble des stratégies de régulation l’hétérorégulation améliore la performance des participants notamment pour l’objectif, la motivation/ persévérance et l’évaluation. Les auteures montrent que les professeurs apportent une aide suffisante en situation d’apprentissage au niveau de l’objectif, l’attention et la motivation. Néanmoins, 27 % n’apporteraient pas une aide suffisante en réponse aux besoins d’exploration et d’évaluation. La compensation des besoins en situation d’apprentissage avec l’enseignant, même si elle apporte déjà un soutien significatif à l’élève, ne semble donc pas totale pendant l’apprentissage. Alors qu’en sera-t-il lorsque l’élève ne pourra plus bénéficier de l’hétérorégulation de l’enseignant en évaluation diplômante?

Ce sera donc sur ces critères, faciles à appréhender chez l’adolescent, mais aussi chez l’enfant, que nous envisagerons plus loin l’évaluation des habiletés d’autorégulation en situation scolaire, combinée aux trois champs de l’autonomie, dans notre questionnaire.

Les conséquences d’une non-prise en compte de l’autorégulation/autonomie

En conséquence à l’absence de protocole adapté, les personnes présentant une DI encourraient le risque d’être pénalisées (sous-évaluées) en situation d’évaluation statique et de ne pas se voir reconnaître les compétences pourtant manifestées en évaluation dynamique (Ionescu, 1995; Paour, 1991; Villetorte, 2007). Philip (2010) considère que chez les personnes avec un handicap cognitif « la véritable et seule difficulté pour un jeune travailleur handicapé n’est pas le handicap, [c’est que] le potentiel d’apprentissage est sous-estimé » (p. 317). En effet, moins de 3 % des personnes présentant une DI en France ont un travail et parmi elles, 83 % auraient un niveau inférieur ou égal au niveau V[1]  (Philip, 2010). Ces constats signalent à la fois que les personnes présentant une DI n’obtiennent pas facilement une reconnaissance de leurs compétences au niveau V et que l’évaluation de leur potentiel d’apprentissage peut être questionnée. Bien que les études soient rares sur le sujet, Agran, Blanchard et Wehmeyer (2000) signalent une relation entre un haut degré d’autodétermination (dans toutes ses composantes) et la réussite académique même après la scolarité obligatoire chez les élèves présentant une DI. Une relation directe existerait entre chaque composante de l’autodétermination et la réussite scolaire. Chez des adolescents présentant une DI, Gaumer-Erickson et al. (2015) rapportent une corrélation positive entre la réussite scolaire à des évaluations nationales en français et mathématiques et l’autonomie, la réussite scolaire et l’autoréalisation, la réussite scolaire et l’empowerment. Toutefois, dans ces derniers travaux, la dimension d’autorégulation a été supprimée des échelles évaluées auprès d’adolescents présentant une DI légère. Néanmoins, les auteurs concluent que les milieux scolaires devraient renforcer les apprentissages soutenant les différentes facettes de l’autodétermination tout au long du cursus scolaire et fournir aux élèves des opportunités de les exercer (Wehmeyer et al., 2011). C’est dans ce sens qu’ont été élaborés des programmes de soutien visant à aider ces personnes à devenir davantage autodéterminées, augmenter leur degré de participation lors de la planification de leur transition scolaire et améliorer leurs résultats académiques (p.ex., C’est l’avenir de qui après tout, pour les adolescents présentant une DI âgés entre 14 à 21 ans; Lachapelle, Boisvert, Boutet et Rocque, 1998a, 1998b, 1999a, 1999b).

Méthode

L’objectif de cette étude, descriptive, est donc d’identifier la nature et la fréquence des besoins d’autonomie physique, intellectuelle et affective-relationnelle des élèves enfants et adolescents présentant une DI légère exprimés en situation d’examen. Ces aspects sont en effet souvent pointés comme déficitaires chez les personnes présentant une DI, mais encore peu appréhendés à notre connaissance dans la recherche en relation avec les situations d’évaluation ou d’examen. Ne pas répondre précisément à ces besoins risque d’impacter l’adaptation réelle, notamment en situation d’examen des participants présentant une DI. Il s’agit aussi de mesurer l’effet de la prise en compte plus ou moins complète des besoins d’autonomie sur les situations d’évaluation.

Participants

Dans le cadre de cette étude, 43 enseignants spécialisés[2] (de 2 à 3 ans d’ancienneté sur leur poste, 32 femmes, 11 hommes), qui travaillent avec 636 jeunes présentant une DI (scolarisés dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, dans la région des Hauts de France, en France) depuis au moins 1 an, ont été retenus pour cette étude. Le Tableau 1 présente la répartition (en effectif réel et en pourcentage) des jeunes concernés en fonction des dispositifs ou structures sondés.

Tableau 1

Composition de l’échantillon des élèves concernés par l’enquête (en nombre et pourcentage d’élèves)

Composition de l’échantillon des élèves concernés par l’enquête (en nombre et pourcentage d’élèves)

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De manière générale, plus de personnes âgées entre 6-12 ans (n = 461; 72,5 %) ont participé à l’étude que le second groupe d’âge (n = 175; 27,5 %). Les groupes sont équilibrés en ce qui concerne l’appartenance au milieu ordinaire ou spécialisé, mais il y a plus de participants âgés de 6 à 12 ans que de 12 à 18 ans en milieu ordinaire. Bien qu’il s’agisse d’une limite de cette étude, cet échantillon correspond à la réalité de la fréquentation scolaire des élèves présentant une DI légère dans notre région et au niveau national où la majorité des adolescents présentant une DI sont scolarisés en établissements spécialisés. Les dispositifs du milieu ordinaire[3] sondés sont des unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) en école (6 à 12 ans) ou en collège (12 à 18 ans maximum). Les structures/ institutions spécialisées sondées et accueillant des jeunes présentant une DI légère sont ici des instituts médico-éducatifs (IME), c’est -à-dire des établissements spécialisés accueillant des jeunes présentant une DI de 6 à 20 ans maximum et comprenant un plateau technique (enseignants, éducateurs et thérapeutes).

Recrutement des participants

Une formation continue regroupant les enseignants spécialisés a permis de leur proposer de participer à une recherche-action. Après explication des objectifs de la recherche et obtention du consentement des participants, les volontaires ont reçu une grille d’observation préalable au remplissage d’un questionnaire relatif aux capacités de leurs élèves dans le champ de l’autonomie (physique, intellectuelle et affective) et aux conséquences des besoins non compensés en situation d’examen scolaire diplômant (non administré par les enseignants des jeunes présentant une DI) et non diplômant (administré par les enseignants des jeunes présentant une DI). Un temps a été consacré aux modalités de remplissage de la grille et du questionnaire ainsi qu’à la signification des rubriques à renseigner, et aux questions éventuelles des participants.

Construction des outils de recueil des données

La plupart des critères d’autonomie de Blache (2010) ont été retenus pour la construction de la grille d’observation et du questionnaire qui ont ensuite été fusionnés avec ceux de l’autorégulation de Nader-Grosbois (2007). Ce questionnaire anonymisé a été récupéré et analysé. Il n’est que le report des éléments de la grille.

Hypothèses

En première partie d’article, il est stipulé qu’il existe une relation entre le degré d’hétérorégulation (des enseignants relativement aux besoins d’autonomie des jeunes présentant une DI) et le degré de réussite aux évaluations. D’autre part, il est anticipé qu’il existe une hétérorégulation non équivalente des besoins dans les différents champs de l’autonomie en situation d’évaluation chez les enseignants. Rappelons que cette étude s’intéresse à différentes formes d’évaluations en situation d’examen en classe (évaluations relatives à la maîtrise des contenus enseignés et créées par les enseignants), évaluations nationales (imposées, passées aussi en classe, créées par les instances gouvernementales de l’éducation nationale et relatives à la maîtrise du socle commun de connaissances), et les évaluations diplômantes, créées aussi par des instances ministérielles de l’éducation nationale, souvent passées dans des centres extérieurs d’examen. La réussite de ces dernières permet l’obtention d’un diplôme sanctionnant la maîtrise de compétences et connaissances permettant l’accès à un métier ou à un autre niveau de formation. Ici, il s’agira d’examens proposés à certains adolescents d’au moins 15 ans présentant une DI : le CAP et le DNB sanctionnant, à la fin des études du collège, la maîtrise de connaissances générales permettant l’accès au lycée. Trois hypothèses sont ainsi formulées.

Hypothèse 1. Les enseignants ont une pratique hétérorégulée (s’adapteraient bien ou compenseraient bien les besoins des élèves) pour les évaluations internes à la classe, non diplômantes (tant que l’hétérorégulation par l’enseignant est possible), hormis l’identification de l’objectif et l’autoévaluation. Cette compensation ne pourrait être réalisée pour les évaluations diplômantes et nationales non diplômantes (non menées par les enseignants des jeunes présentant une DI) car l’hétérorégulation n’est plus autorisée (les adaptations spécifiques liées aux difficultés d’autorégulation des élèves ne sont pas complètement consignées dans les documents officiels relatifs aux conditions de cette évaluation ni travaillées en autonomie mais seulement compensées). Nous comparerons ainsi la proportion d’élèves pénalisée lors des évaluations en classe par rapport à ceux qui sont pénalisés lors des évaluations nationales et diplômantes.

Hypothèse 2. Les besoins en autonomie physique sont totalement compensés pendant la période de scolarisation (traduisant un impact moindre au niveau des évaluations en classe, diplômantes et non diplômantes).

Hypothèse 3. Les besoins en autonomie intellectuelle et affective sont insuffisamment compensés en évaluations, d’où l’observation de différences entre les évaluations menées en classe et les autres évaluations. Nous pensons aussi que les besoins les plus marquants (dans l’expression des besoins d’autonomie intellectuelle) apparaîtront sur les aspects d’auto-évaluation et de vérification (Haelewyck et Palmadessa, 2007; Nader-Grosbois, 2007). Les besoins en autonomie affective (d’engagement et de persévérance notamment) devraient toujours être relativement importants (Büchel et Paour, 2005; Paour, 1991) et non totalement compensés pour l’ensemble des publics.

Résultats

D’après l’évaluation de l’ensemble des besoins des élèves dans les trois dimensions de l’autonomie (physique, intellectuelle, affective et relationnelle), un effectif de 6718 besoins identifiés par les enseignants a été recensé. Pour l’ensemble des élèves, la proportion des besoins identifiés (avant toute adaptation ou compensation) en autonomie physique est de 27,5 %, les besoins en autonomie intellectuelle sont de 51,13 % et ceux relevant de l’autonomie affective et relationnelle s’élèvent à 21,34 %. Rapportée au nombre de sujets, l’analyse montre que les 6-12 ans ont en moyenne 11,09 besoins identifiés alors que leurs homologues de 12-18 ans en ont deux de moins, répartis entre certains items relevant de l’autonomie physique et relationnelle (9,17 besoins identifiés par jeune).

Compte tenu d’une différence quantitative des besoins recensés, chacune des dimensions de l’autonomie a été examinée pour l’ensemble de l’échantillon en fonction du milieu éducatif (ordinaire ou spécialisé) et en fonction des tranches d’âge considérées (6/12 ans versus 12/18 ans). Aucune différence statistiquement significative n’a été relevée entre les milieux éducatifs spécialisés et ordinaires, ni entre les filles et les garçons, ni dans l’expression des besoins, ni dans la façon dont le manque de prise en compte de certains besoins affecterait les résultats des évaluations. Deux points font toutefois exceptions : 1) l’autonomie de déplacement selon les milieux éducatifs (pour les déplacements externes domicile/établissement et d’une ville à l’autre) et 2) l’autonomie affective dans les besoins non compensés lors des évaluations entre les deux groupes d’âge. L’autonomie de déplacement est plus développée quand les élèves sont scolarisés en milieu ordinaire plutôt qu’en milieu institutionnel (χ2 [3, N = 1765] = 11,22; p = 0,05). De plus, le nombre d’élèves pour lesquels la non-compensation des besoins affectifs et relationnels affecte les évaluations en classe (χ2 [1, N = 636] = 4,122; p = 0,04) et nationale (χ2 [1, N = 636] = 3,885; p = 0,05) est plus élevée chez les 6-12 ans. Pour les autres dimensions, on peut affirmer que les élèves se comportent de la même façon dans les deux milieux. Il s’agit aussi d’un même public de jeunes présentant une DI légère sans trouble associé, chaque jeune ayant été préalablement évalué intellectuellement par des psychologues habilités de l’éducation nationale pour prétendre à l’accès aux dispositifs ULIS ou à l’IME. L’âge considéré et le sexe des sujets ne semblant pas influencer nos données, nous avons choisi, pour éviter une présentation peu lisible des tableaux et figures, de fusionner nos deux groupes d’âge et de sexe pour nous centrer sur la nature des besoins d’autonomie.

Analyse de l’impact de la non-compensation des besoins sur les évaluations scolaires

Parmi les besoins exprimés, ceux qui ne font pas l’objet d’adaptation ou de compensation (décrits comme non hétérorégulés par les enseignants) et qui pourraient avoir un impact sur les évaluations sont ceux ayant été pris en considération. La Figure 1 montre que la dimension intellectuelle de l’autonomie est celle qui pénalise davantage les élèves, suivie de celle affective et relationnelle.

Figure 1

Répartition des élèves affectés (en pourcentages) par la non-compensation des besoins aux évaluations scolaires en fonction de la dimension de l’autonomie

Répartition des élèves affectés (en pourcentages) par la non-compensation des besoins aux évaluations scolaires en fonction de la dimension de l’autonomie

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En effet, l’absence de compensation ou d’adaptation des besoins en autonomie intellectuelle pénalise un élève sur deux de notre échantillon. La non-compensation des besoins en autonomie affective et relationnelle pénalise aussi une proportion non négligeable d’élèves (autour de 30 %). Moins de 5 % des élèves sont pénalisés par une non-compensation de leurs besoins en autonomie physique (limitée ici aux déplacements vers et dans les lieux classe et établissement), excepté pour les évaluations diplômantes.

Le Tableau 2 met en évidence un impact conséquent de l’absence de compensation de certains besoins d’autonomie sur les évaluations scolaires. En effet, près de 82 % des élèves de notre échantillon sont pénalisés dans leurs évaluations nationales non diplômantes lorsque leurs besoins cumulés (autonomie physique, intellectuelle et affective) ne font pas l’objet d’une compensation ou d’une adaptation. L’absence de compensation ou d’adaptation des besoins pénalise 71,69 % des élèves de notre échantillon lors des évaluations en classe (sur au moins un critère de chaque type d’autonomie). Le type d’évaluation scolaire le moins impacté semblerait a priori essentiellement les évaluations diplômantes : 26,1 % des élèves de l‘échantillon sont pénalisés par l’absence de compensation des besoins en autonomie lors de ce type d’évaluation. Toutefois, puisque ces proportions sont en fait à rapporter à 16,20 % de l’échantillon (les plus de 15 ans seuls concernés par ces évaluations), cela représente en fait réellement 26,21 % d’impact pour l’autonomie physique, 86,40 % pour l’autonomie intellectuelle et 46,61 % pour l’autonomie affective.

Parmi les trois dimensions, l’impact le plus élevé concerne l’autonomie intellectuelle. De plus, si on fait référence aux élèves dont les besoins ne sont pas compensés, l’impact serait plus élevé pour ceux en évaluations diplômantes (c’est-à-dire les 15 ans et plus), que pour ceux en évaluations nationales (χ2 [1, N = 278] = 18,667, p < 0,0001) ou en classe (χ2 [1, N = 278] = 13,487, < 0,0002). Un total de 89 élèves sur 103 sont pénalisés par une absence de compensation de certains de leurs besoins d’autonomie intellectuelle (86,4 % de besoins non compensés) pour les évaluations diplômantes, contre 61/175 pour les évaluations nationales non diplômantes (34,86 %), et 71/175 (40,57 %) pour les évaluations en classe. Cela montre finalement que l’hétérorégulation n’a pas joué efficacement certes en situation d’examen diplômant et non diplômant (ce qui est attendu puisque les enseignants ne peuvent intervenir), mais aussi en classe, ce qui nous surprend davantage. Cela signifie que les élèves ne savent pas encore s’autoréguler sur ces points. Mais, peut-être qu’en détaillant l’ensemble des besoins en autonomie intellectuelle, nous pourrons identifier des différences dans la maîtrise de certaines composantes seulement de cette forme d’autonomie. Un autre résultat tout aussi important concerne l’impact de la non-compensation des besoins affectifs. En moyenne, 34 % des élèves sont pénalisés dans les trois modes d’évaluations scolaires (classe, nationales diplômantes ou non).

Analyse intra-catégorie des besoins non compensés

Les besoins non compensés ont été analysés en fonction des critères qui composent les catégories d’autonomie et de l’âge des participants. L’examen des données montre qu’il n’y a pas de différence significative entre les besoins non compensés d’autonomie (cumulés) chez les 6-12 ans (32,74 %) et les 12-18 ans (36,63 %). Par ailleurs, la Figure 2 montre que dans les deux groupes d’âge, les besoins non compensés les plus récurrents relèvent de la dimension autonomie intellectuelle (67,44 % chez les 6-12 ans et 67,51 % chez 12-18 ans). Les besoins en autonomie physique non compensés sont très faibles au regard des deux autres dimensions et ce, quel que soit le groupe d’âge considéré (4 % chez les 6-12 ans vs 7,48 % chez les 12-18 ans). Rapportés au nombre de sujets, quelle que soit la tranche d’âge considérée, on pourrait dire que chaque jeune a environ 3,5 besoins non compensés.

Tableau 2

Pourcentage d’élèves dont les besoins ne sont pas compensés en situation d’évaluations en classe, nationales non diplômantes et diplômantes référées aux besoins identifiés

Pourcentage d’élèves dont les besoins ne sont pas compensés en situation d’évaluations en classe, nationales non diplômantes et diplômantes référées aux besoins identifiés

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Figure 2

Répartition des besoins non compensés cumulés en fonction de l'âge et de la dimension de l'autonomie

Répartition des besoins non compensés cumulés en fonction de l'âge et de la dimension de l'autonomie

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Par ailleurs, de façon générale, 50 % des besoins en autonomie intellectuelle ne sont pas compensés (non hétérorégulés). Le Tableau 3 montre que pour les besoins identifiés, comme nous l’attendions, ceux non compensés sont surtout les capacités à : s’auto-évaluer (73,21 % des 6-12 ans et 62,41 % des 12-18 ans), identifier un but à long terme (56,76 % des 6-12 ans et 52,89 % des 12-18 ans), se représenter une tâche (56,42 % des 6-12 ans et 50,51 % des 12-18 ans) et vérifier son travail en regard des buts initiaux (44,05 % des 6-12 ans et 41,96 % des 12-18 ans). Il semble donc plus difficile pour les enseignants d’aider les jeunes à s’auto-évaluer, identifier le but à long terme d’une tâche et se représenter la tâche. Notons qu’aucun des types de besoins identifiés n’est totalement compensé par l’hétérorégulation de l’enseignant. De plus, la proportion de besoins non compensés est similaire entre les deux groupes bien qu’aucune différence statistiquement significative ne soit présente (ni dans les besoins identifiés ni dans ceux non compensés à l’ensemble des items de l’autonomie intellectuelle).

Enfin, pour ce qui est des besoins d’autonomie affective et relationnelle identifiés et non compensés rappelons que ceux identifiés représentent 21,35 % des besoins totaux identifiés de notre échantillon (voir Tableau 4). Les analyses statistiques permettant cette fois de conclure que la proportion de besoins identifiés en autonomie affective et relationnelle relativement à l’ensemble des besoins identifiés n’est pas équivalente dans les deux groupes d’âge (test de χ² [1, N = 6718] = 4,148; p = 0,04). Dans le tableau, les groupes d’âge également pour la présentation des besoins identifiés sont dissociés. Celui-ci représente le pourcentage des besoins identifiés et non compensés en autonomie affective-relationnelle en fonction de l'âge. Les différences entre les deux groupes d’âge portent en fait sur les trois derniers items. Les 6-12 ans seraient plus nombreux à avoir besoin d’accepter de montrer toutes leurs capacités en situation d’inclusion (χ2 [1, N = 636] =4,096; p = 0,04), à ne pas savoir travailler avec des adultes inconnus (χ2 [1, N = 636] =7,149; p = 0,008), à ne pas savoir interagir efficacement avec des pairs (χ2 [1, N = 636] =9,981; p = 0,002). Ce sont aussi sur ces trois items que les enseignants compensent le moins les besoins apparus tout de même chez les 12-18 ans. Peut-être estiment-ils que les adolescents doivent maintenant gérer cela seuls ? Pour l’ensemble des jeunes présentant une DI, les résultats indiquent qu’ils éprouvent de la difficulté à identifier efficacement les réussites et les difficultés (62,26 %), qu’ils ne persévèrent pas régulièrement sur les tâches qui leur sont proposées (44,81 %) et qu’ils ne s’engagent pas systématiquement sur la tâche (37,42 %). De plus, 34,27 % d’entre eux n’interagissent pas efficacement avec leurs camarades et ne savent pas travailler en groupe. Bien que les besoins liés à ces difficultés soient identifiés, ils ne sont pas totalement compensés par l’hétérorégulation des enseignants. En effet, même si cela ne concerne que 1 élève sur 5 (20,75 % acceptant difficilement de travailler avec un adulte inconnu) ou 1 élève sur 3 (34,27 % n’interagissant pas efficacement avec des camarades), l’enseignant, par son hétérorégulation, juge ne pas compenser efficacement ces situations dans la moitié des cas pour les 6-12 ans et dans 3 cas sur 4 pour les 12-18 ans.

Tableau 3

Répartition des besoins identifiés et non compensés en autonomie intellectuelle en fonction de l'âge

Répartition des besoins identifiés et non compensés en autonomie intellectuelle en fonction de l'âge

Note. Le pourcentage de besoins identifiés est obtenu par le calcul du nombre de besoins dans l’item évalué divisé par le nombre de sujets et multiplié par 100. Le pourcentage de besoins non compensés est obtenu par le calcul du nombre de besoins non compensés pour l’item évalué divisé par le nombre de besoins identifiés dans le même item et multiplié par 100.

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Tableau 4

Pourcentage des besoins identifiés et non compensés en autonomie affective-relationnelle en fonction de l'âge

Pourcentage des besoins identifiés et non compensés en autonomie affective-relationnelle en fonction de l'âge

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Nous ne relevons pas de différence entre les deux groupes d’âges dans l’hétérorégulation des enseignants concernant les besoins non compensés à ce niveau (excepté la différence déjà rapportée plus haut concernant le plus grand nombre de besoins non compensés dans le domaine de l’autonomie relationnelle et affective ayant un effet sur les évaluations en classe et nationales chez les 6-12 ans). Cela est sans doute lié au fait que les 6-12 ans avaient déjà plus de besoins affectifs et relationnels identifiés.

Conclusion/Discussion

Les résultats à cette étude soutiennent les hypothèses présentées formulées. En effet, les besoins des élèves en matière d’autonomie sont relativement bien identifiés et assez bien pris en compte si on rapporte le nombre de besoins non compensés sur les besoins effectivement bien exprimés (H1). Cela dit, en termes d’impact en situation d’évaluation, l’hétérorégulation de l’enseignant n’a pas permis de soutenir tous les aspects de l’autonomie. Les besoins de compensation en autonomie physique (déplacements et utilisation de matériel) sont comblés à presque 95 % (par l’aide humaine) comme nous nous y attendions et les situations d’examen ne sont pas pénalisées dans ce champ jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire (H2). On peut cependant s’interroger sur la permanence de cet effet au-delà de 18/20 ans quand les dispositifs de soutien (dont taxis, navettes d’établissement et accompagnants scolaires) sont moins nombreux et moins durables, et que les établissements de travail ou du supérieur sont encore plus éloignés du domicile.

Les besoins non compensés (non hétérorégulés) en autonomie affective impactant les évaluations touchent encore 35 % des élèves, indépendamment de l’âge des élèves, comme nous nous y attendions (H3). Les besoins en autonomie intellectuelle sont les plus nombreux, ils ne sont pas plus compensés en situation d’évaluation en classe qu’en situation d’évaluations nationales non diplômantes et diplômantes. La non-compensation/adaptation dans ce champ pénalise pratiquement un élève sur deux dans l’ensemble des situations d’évaluation. Là où nous nous attendions à ce que l’enseignant soutienne davantage l’autonomie, lors des évaluations en classe, par sa présence et son hétérorégulation, nous trouvons un impact relativement élevé de la non-compensation des besoins d’autonomie intellectuelle, quelles que soient les conditions et les enjeux de l’évaluation. Tous les besoins liés à l’autonomie intellectuelle sont encore présents (identifier le but de la tâche à court terme et à long terme, retenir la consigne, se représenter la tâche, convoquer en mémoire les connaissances utiles, vérifier le travail en rapport avec le but initial, s’auto-évaluer, savoir identifier et utiliser des référents pertinents) que ce soit en ULIS ou en IME. Toutefois, ces besoins non compensés concernent surtout : l’affectation d’un but à long terme, la représentation du travail et les aspects d’auto-évaluation. Ces aspects semblent donc pris en charge habituellement par les enseignants quand ils placent leurs élèves présentant une DI en situation d’apprentissage, mais semblent insuffisamment entraînés pour les situations d’évaluation. Cela nous incite à penser que la formation pourrait insister sur ces besoins et que les commissions d’examen qui envisagent des adaptations pédagogiques notamment pourraient être particulièrement attentives à ces points. Le fait qu’un élève sur deux puisse subir les conséquences d’un défaut de prise en compte de ses besoins en autonomie intellectuelle aboutit à ce qu’un sur deux ne soit toujours pas en mesure de montrer toutes ses capacités en situation d’examen et risque d’être privé de la reconnaissance des compétences afférentes, limitant ainsi les possibilités d’accès à un travail correspondant à ses compétences réelles. Sur notre petit échantillon de plus de 15 ans, les besoins en autonomie intellectuelle non compensés affectent jusque 86,4 % des élèves en situation d’évaluation diplômante ! Il semble que l’hétérorégulation d’autrui (enseignant ou éducateur technique ou professionnel employeur ayant mission d’enseignement) continue de constituer un facteur environnemental facilitant, y compris à l’âge adulte, dans la poursuite des apprentissages puisque les aides environnementales de cette nature représentent plus des trois quarts des variables d’influences favorables rapportées par les répondants adultes présentant une DI dans l’enquête de Petitpierre, Gremaud, Veyre et Bruni (2014). L’autonomie intellectuelle et affective mériterait de continuer à être soutenue au-delà de 18/20 ans.

Nous remarquons aussi que notre grille d’autonomie a été bien utilisée par les enseignants. Les explications reçues pour son mode d’utilisation ont été utiles pour leur appropriation de la grille. Ceux-ci ont été satisfaits de pouvoir s’en servir pour identifier des besoins de leurs élèves évalués auparavant plus globalement, faute d’outil spécifique. Toutefois, ces enseignants, revus ensuite dans le cadre d’une formation continue et auxquels les résultats ont été présentés, ont souhaité échanger sur ce qui pouvait être fait suite à ce constat. Ils évoquaient avoir pris conscience de l’importance de soutenir plus nettement les besoins de leurs élèves en matière d’autonomie et reconnaissaient volontiers avoir tendance à ne pas partager facilement leurs objectifs de travail avec leurs élèves et à valider eux-mêmes les tâches. Ils auraient pris conscience que cette tendance ne favorise pas l’autonomie/ l’autorégulation des élèves. Il serait intéressant de revenir dans les établissements sondés pour appréhender ce qui a été fait des outils proposés et des résultats exposés du point de vue de leur traduction en termes de reconnaissance des besoins auprès des instances qui valident les adaptations ou compensations à appliquer en examen (les Maisons départementales des personnes handicapées [MDPH] en France). On pourrait y observer des changements éventuels dans les pratiques enseignantes sur les points de l’identification des buts à court et long terme, comme sur les aspects d’auto-évaluation.

Parmi les premières recommandations concrètes à préconiser en classe avec ce public, Duquette (2014) par exemple suggère :

  • de fournir un environnement de classe structuré et prévisible, annoncer un déroulement des tâches et identifier les objectifs, la finalité des tâches avant de se lancer dans les activités, pour que l’élève sache à quoi s’attendre, les rapporter aux éléments passés déjà maitrisés ou abordés;

  • de réaliser systématiquement un bilan de ce qui a été réalisé et appris en fin d’activité;

  • de prendre un temps spécifique de révision des habiletés travaillées avec notamment plusieurs supports de transfert (jeux, logiciels pertinents, supports initiaux d’apprentissage).

Ces recommandations sont aussi partagées par de nombreux auteurs davantage sous l’expression du développement de la clarté cognitive ou de principes de médiation ou encore d’apprentissage médiatisé (Cèbe et Pelgrims, 2007; Klinger-Delarge, 2015; Klinger-Vetter, 2010; Perraudeau, 2001). La plupart des pistes avancées (dont celles suggérées plus haut) pour soutenir l’autonomie intellectuelle et affective s’appuient sur une longue liste de travaux issus de l’éducabilité cognitive et ayant abouti, entre autres, à la mise en place d’entrainements cognitifs spécifiques pour les jeunes avec DI (Büchel et Paour, 2005; Chatelanat et Haywood, 1995), mais dont les applications seraient maintenant recommandées aussi en contexte pour favoriser le transfert des compétences visées. Cela revient à entraîner explicitement les fonctions exécutives, entraînement connu en effet pour faciliter le transfert de stratégies apprises chez les sujets avec DI légère (Borkowski et Kendall-Varnhagen, 1984; Büchel et Paour, 2005; Strasser et Büchel, 1998). Nos recommandations seraient cependant moins pertinentes auprès de sujets présentant une DI modérée à sévère connus pour être moins stratégiques (Büchel et Paour, 2005).

Pour conclure sur notre sujet plus restreint de la relation entre hétérorégulation des enseignants et autonomie des élèves présentant une DI lors des apprentissages et des examens, et sous réserve de retrouver des résultats semblables avec un échantillon plus conséquent pour la tranche 12-18 ans scolarisée en milieu ordinaire, nous pourrions considérer que les aménagements en situation d’examen devraient comporter des incitations à mieux se représenter la tâche et sa finalité, rechercher en mémoire des situations proches, planifier et vérifier les procédures, rechercher des référents utiles. Ces aménagements pourraient être du ressort d’une aide humaine suivant un protocole d’accompagnement soutenant l’autorégulation et validé par la MDPH (en France) ou de toute instance qui recense les besoins et les aides des personnes en situation de handicap. Ainsi, les élèves présentant une DI seraient plus efficaces pour démontrer leurs compétences réelles. « La maîtrise de cette autonomie est une des clés de l’insertion professionnelle ou sociale future de nos élèves » (Blache, 2010, p. 221).

Voyazopoulos (2016) considère que, 10 ans après la promulgation de la loi française du 11 février 2005 et son application, à propos de « l’éducation inclusive », et dans le souci d’améliorer l’identification et l’évaluation des besoins de compensation des personnes en situation de handicap, il y aurait nécessité de renforcer la coopération des acteurs, la coordination des services, ainsi que de mieux former les professionnels aux situations de handicap. Faut-il aider les enseignants à prendre en compte les besoins d’autonomie des élèves présentant une DI légère en situation d’apprentissage et d’examen ?

A cela nous pouvons répondre par l’affirmative en soutenant notamment leur hétérorégulation auprès des élèves présentant une DI et en les dotant d’outils d’observation et d’évaluation. Ceux-ci leur permettraient de mieux identifier les besoins des élèves; mais aussi, on doit chercher à renforcer la coopération des partenaires autour des jeunes présentant une DI, avec les jeunes eux-mêmes. Cette démarche d’identification des besoins d’autonomie des personnes DI auprès de leurs enseignants doit parallèlement être complétée par l’expression de ces besoins par les jeunes eux-mêmes, à la fois dans l’élaboration de leur projet, dans l’exploration de métiers et gestes professionnels et dans l’atteinte de la certification ou de diplômes reconnaissant les compétences (Picard, 2017). Différents outils d’auto-évaluation ou programmes d’entrainement spécifiques de l’autonomie pourraient nous y aider (Gremaud, Petitpierre, Veyre et Bruni, 2014; Haelewyck et Palmadessa, 2009; Lachapelle et al., 1999; Wehmeyer et al., 2004). En effet, si, sans accompagnement, il n’y a pas d’autonomie possible pour les personnes en situation de handicap (Stiker, Puig et Huet, 2014), nous n’oublions pas qu’il faut tendre à ce que la personne en situation. de handicap s’empare des outils construits pour elle et soit idéalement en mesure de solliciter elle-même les accompagnements dont elle a besoin. Cela dit, pour être en mesure de remplir soi-même un outil d’auto-évaluation, il faudrait que les sujets aient un mode de réponse stable, soient en mesure de travailler avec une personne inconnue (qui lira les questions si les sujets sont non-lecteurs), soient en mesure de comprendre et de compléter seuls les items de l’outil (Schogren et al., 2014; Wagner, Newman, Cameto et Levine, 2006), voire aient un âge de développement minimal de 5 ans et demi (Petitpierre et al., 2014). Si ce n’est pas le cas, les mesures hétéro-rapportées par des professionnels qui connaissent bien les jeunes présentant une DI seront plus fidèles. Nous n’oublions pas non plus que le soutien à l’autonomie des enseignants est une perspective au long cours qui les amène également à co-construire, avec les jeunes et les familles, les équipes éducatives au sens large, leur parcours scolaire et professionnel. Celui-ci nécessite un travail spécifique de projection dans l’avenir avec les jeunes dès 11 ans et un découpage cognitivement clair pour eux, suffisamment fin, y compris auto-évaluatif, des compétences scolaires visées par le référentiel d’une formation donnée. Cela permettrait, suivant les sous-compétences et compétences finalement atteintes, qu’on puisse mieux valoriser en termes diplômants et professionnels tout ce qui a été maîtrisé chez les personnes présentant une DI (Picard, 2017). Toutefois, cette projection et ces constructions pré-professionnelles avec et pour les personnes présentant une DI restent influencées -notamment- par les représentations du handicap de leurs enseignants, négativement chez les enseignants du milieu ordinaire lorsque leurs représentations ne renvoient qu’aux limitations perçues associées au handicap ou lorsque leurs attentes sont faibles envers les jeunes avec DI (Ferri, Hendrick Keefe et Greg, 2001), Cette influence des perceptions des limitations sur les projections dans l’avenir est moindre chez les enseignants spécialisés, mais ne semble pas encore inclure toutes les dimensions à prendre en compte, notamment liées à l’autodétermination (Nota et Soresi, 2009). Pourtant, Prücher et Langfeldt (2002) ont montré que les représentations et actions des enseignants spécialisés jouent un rôle important dans le transfert des compétences en classes régulières. C’est pourquoi nous pensons que poursuivre le travail sur les leviers de l’autorégulation en classe et dans les situations d’examen auprès des enseignants (spécialisés d’abord) ne pourrait qu’améliorer ces projections dans l’avenir et leur réalisation effective pour faciliter la collaboration avec les équipes régulières, et finalement la recherche, puis l’atteinte des diplômes permettant l’exercice professionnel voulu par la personne présentant une DI.