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Les années 1990 resteront dans la mémoire des fonctionnaires canadiens et québécois comme une période marquée par l’incertitude et de profondes transformations, alors que leur environnement de travail a été bouleversé, entre autres, par l’expérimentation de nouveaux modes de gestion et de prestation de services (Lindquist 1997 ; Kernaghan, Marson et Borins 2001 ; Paquet et Pigeon 2000). Les fonctionnaires ont été touchés par des mesures gouvernementales visant à réduire et à rationaliser les activités de l’ensemble du secteur public, y compris les municipalités québécoises qui, à l’instar des autres gouvernements, se sont retrouvées devant l’obligation d’innover et de rendre des services de qualité de façon plus efficace et efficiente (Lindquist 1997). Elles ont alors réduit les salaires de leurs employés ou procédé à des mises à pied massives. Elles ont aussi fait appel à des fournisseurs et des partenaires à l’extérieur du service public (Siegel 1997).

Les forces qui ont remodelé l’environnement de travail des fonctionnaires de carrière sont diverses : restructurations, rationalisation, formation et perfectionnement, équité en matière d’emploi, vieillissement du personnel, relations syndicales-patronales, activités politiques, etc. (Lindquist 1997). Dans l’ensemble, ces événements ont amené des changements importants, et parfois dramatiques, chez les fonctionnaires. On a rompu le contrat psychologique conclu il y a plusieurs années auparavant entre les fonctionnaires et leurs gouvernements (Paquet et Pigeon 2000) : le pacte traditionnel, en vertu duquel les fonctionnaires recevaient la sécurité d’emploi et un salaire modeste en échange de leur anonymat et de leur neutralité, a été violé par les diverses forces de l’environnement, et par des mesures visant à augmenter la responsabilité d’exécution des fonctionnaires (Lindquist 1997). Plus concrètement, le maintien de l’emploi des fonctionnaires est dorénavant fonction des résultats, les descriptions d’emploi sont de moins en moins précises, les employés sont assignés tantôt à un projet, tantôt à un autre, et ils doivent maintenant gérer eux-mêmes, comme des travailleurs autonomes, le développement de leurs compétences et de leur carrière (Paquet et Pigeon 2000 ; Kernaghan, Marson et Borins 2001 ; Wolf et al. 1987 ; Siegel 1997 ; Lindquist 1997).

Il semble que ces changements s’accompagnent plus souvent qu’autrement d’effets pervers, dont celui du plafonnement de carrière de nombreux individus (Bardwick 1986), et dont les conséquences individuelles et organisationnelles seraient importantes : on noterait chez les employés des problèmes physiques et psychologiques de santé ainsi que des troubles du comportement qui réduiraient l’efficience et l’efficacité organisationnelles (Lindquist 1997 ; Appelbaum et Santiago 1997 ; Feldman et Weitz 1988 ; Near 1984 ; Scase et Goffee 1989 ; Veiga 1981).

Bien qu’il représente, selon la littérature, l’un des principaux défis managériels liés à la réduction des effectifs (Bardwick 1986), l’ampleur du sentiment de plafonnement de carrière n’est pas systématiquement la même d’un individu à un autre. De nombreux facteurs entreraient en jeu, et participeraient à l’apparition ou non du sentiment de plafonnement de carrière. Parmi ceux-ci, les écrits examinent abondamment une gestion efficace des ressources humaines qui serait devenue indispensable au succès des organismes publics qui, selon plusieurs auteurs, auraient pu tirer bénéfice d’une plus grande attention aux répercussions sur les employés des différentes réformes entreprises (Kernaghan, Marson et Borins 2001 ; Lindquist 1997).

L’objectif de notre recherche est d’examiner les relations entre diverses variables individuelles et organisationnelles et la perception de plafonnement de carrière des fonctionnaires municipaux suite à une importante restructuration organisationnelle dans une grande ville du Québec. Plus précisément, nous examinerons l’influence des pratiques de gestion des ressources humaines (variables indépendantes) sur le plafonnement de carrière subjectif (variable dépendante) lorsque des variables individuelles comme l’âge, l’ancienneté et l’ambition sont contrôlées. Notre recherche contribue à l’avancement des connaissances sur le sujet puisque, suite à une revue exhaustive de la littérature, il nous est apparu que peu de recherches sur le plafonnement de carrière subjectif ont été menées dans le secteur public. La revue des écrits nous a aussi permis de constater que les recherches empiriques sur le plafonnement de carrière ont souvent occulté des variables importantes comme les ancres de carrière et les solutions de rechange à l’évolution de carrière traditionnelle auxquelles ont fait référence des auteurs comme Garavan et Coolahan (1996a, 1996b), Feldman et Weitz (1988) et Appelbaum et Finestone (1994).

Le concept de plafonnement de carrière

Le plafonnement de carrière ne constitue pas en soi un phénomène nouveau puisque les structures pyramidales des organisations ont toujours présenté moins de possibilités de mobilité à leur sommet qu’à leur niveau intermédiaire (Wolf 1983). Ce phénomène a toutefois été exacerbé par les bouleversements survenus dans l’environnement des organisations au cours des dernières décennies.

Certains auteurs présentent le plafonnement de carrière comme le moment où la probabilité d’obtenir une affectation verticale (Evans et Gilbert 1984 ; Ference, Stoner et Warren 1977 ; Veiga 1981) ou horizontale (Hall 1985 ; Slocum et al. 1985) dans un avenir rapproché est faible, alors que d’autres réfèrent plutôt à l’absence effective et définitive de mobilité (Gerpott et Domsch 1987 ; Near 1985). Ainsi, pour de nombreux spécialistes, le plafonnement de carrière renvoie sans équivoque à une conception centrée exclusivement sur la dimension hiérarchique et, de façon plus précise, à la cessation de la mobilité verticale intra ou interorganisationnelle. Pour d’autres, le plafonnement de carrière est plutôt associé à la stabilité dans l’emploi.

Cependant, Chao (1990), dans son étude portant sur le plafonnement de carrière de 1 700 gestionnaires, a proposé que la distinction entre le plafonnement de carrière objectif et le plafonnement de carrière subjectif soit clarifiée. Alors que le plafonnement objectif a été traditionnellement mesuré en utilisant l’ancienneté dans le poste, le plafonnement subjectif devrait être mesuré par la perception qu’ont les individus de la situation de plafonnement. Autrement dit, le plafonnement devrait être mesuré non pas par le nombre d’années passées au même poste, mais plutôt par la perception individuelle de l’évolution de sa propre carrière. Donc, du point de vue conceptuel, l’évaluation subjective du développement futur de la carrière devrait constituer l’élément clé du plafonnement parce qu’elle nous renseigne sur la façon dont l’individu perçoit, évalue et réagit à sa situation. Ainsi, si un individu croit fermement que ses chances de promotion pour l’avenir sont très faibles, c’est cette perception, et non celle des autres, qui affectera ses attitudes, ses comportements et son bien-être physique et psychologique et, par conséquent, l’efficience et l’efficacité organisationnelles.

Deux courants majeurs ont donc marqué la recherche consacrée au phénomène du plafonnement de carrière (Beauchamp et Fabi 1993). Le premier est caractérisé par une définition objective du concept de plafonnement de carrière habituellement mesuré par le nombre d’années passées au même poste, alors que le second adopte une définition subjective du concept, faisant ainsi appel à la perception ou au sentiment des individus à l’égard du plafonnement de carrière. La présente étude s’inscrit dans le second courant de recherche.

L’influence des pratiques de gestion des ressources humaines

Les premières recherches sur le phénomène du plafonnement de carrière remontent à la fin des années 1970, mais c’est surtout Bardwick qui, en 1986, a attiré l’attention des chercheurs sur la croissance de ce phénomène chez les gestionnaires (Ornstein et Isabella 1993). De nombreuses études sur le sujet ont donc été menées depuis, et les chercheurs ont proposé des pratiques de gestion des ressources humaines qui devraient permettre de satisfaire les attentes individuelles et organisationnelles en matière de carrière dans un contexte où la taille des organisations est réduite, les employés concentrés principalement au milieu de la pyramide des âges des organisations, et les possibilités de faire carrière verticalement de plus en plus limitées (Ould Daddah 1997 ; Appelbaum et Finestone 1994 ; Appelbaum et Santiago 1997 ; Bolton et Gold 1994 ; Ettington 1997 ; Gaertner 1988 ; Granrose et Portwood 1987 ; Guérin et Wils 1993 ; Slocum et al. 1985 ; Williams et Fox 1995 ; Zaremba 1994).

Pour sa part, Russel (1991) a procédé à une révision des pratiques de gestion des carrières qui ont été utilisées dans les organisations de 1970 à 1990. L’auteur présente sept groupes de stratégies comme des moyens formels et informels mis de l’avant dans les organisations pour aider les individus à gérer leur carrière, et les organisations à atteindre leurs objectifs d’efficience et d’efficacité.

Premièrement, pour permettre aux individus de réfléchir à leurs intérêts, leurs attitudes vis-à-vis du travail, leurs aspirations, leurs objectifs de carrière et les possibilités qui s’offrent à eux, Russell propose les stratégies d’autoévaluation qui incluent principalement les ateliers de carrière qui permettent aux individus d’identifier leurs forces et faiblesses, les possibilités de carrière dans l’organisation, leurs objectifs de carrière et les étapes et moyens nécessaires pour les atteindre. Deuxièmement, pour aider chaque individu à examiner ses intérêts, ses activités de travail et sa performance, l’auteur propose le counseling individuel. Troisièmement, pour informer les individus sur les possibilités de carrière dans l’organisation et pour s’assurer que l’organisation possède les informations pertinentes et à jour sur ses employés, Russell suggère la mise en place de systèmes d’information qui comprennent, par exemple, l’affichage de postes vacants, le journal interne de l’organisation ainsi que le développement et la mise à jour de banques de données sur les caractéristiques des employés. Aussi, les individus devraient pouvoir trouver dans des centres de carrière du matériel ou des informations sur la formation et la recherche d’emploi, des livres sur la carrière, des guides d’apprentissage, des vidéo, des logiciels, etc. Quatrièmement, Russell propose la création de centres d’évaluation pour mesurer la capacité des individus à assumer des responsabilités de gestion à l’aide d’une variété d’exercices tels que des tests, des entrevues, des discussions de groupes, des jeux d’entreprise et des tests psychologiques. Il suggère aussi que des plans de succession soient développés dans le cadre d’une planification à long terme des besoins en ressources humaines pour les postes de cadres supérieurs. Cinquièmement, Russell propose de développer la polyvalence des employés à l’aide de trois stratégies : la rotation des postes, le remboursement des frais de formation et le mentorat. Sixièmement, Russell propose des stratégies spécifiques pour répondre aux besoins des individus selon le stade de carrière. Pour ceux qui sont en début de carrière, des programmes de socialisation pour leur permettre, par exemple, de bien comprendre leurs responsabilités et de développer des attentes réalistes au sujet de leurs possibilités de carrière dans l’organisation ; des programmes d’orientation professionnelle pour les aider à s’adapter à l’organisation et à leur emploi, à clarifier les attentes de performance, à comprendre la culture organisationnelle et à adopter rapidement les comportements souhaités. Pour les individus qui se trouvent au stade de mi-carrière, soit ceux qui sont les plus susceptibles de se retrouver en situation de plafonnement, l’auteur propose que l’évaluation des compétences et la rétroaction sur la performance soient plus fréquentes. Il suggère également la mise en place de systèmes de reconnaissance, de filières de progression de carrière parallèles à la filière managérielle, de mutations, d’assignations à des projets spéciaux et de rotation de postes. Des activités de formation et des congés sabbatiques pour permettre aux employés de mettre leurs compétences à niveau devraient également être offerts. Pour les individus en fin de carrière, des plans de succession pour ceux qui désirent continuer à croître dans l’organisation ; pour ceux qui souhaitent se désengager progressivement, des horaires de travail flexibles, des emplois qui comportent des défis renouvelés et de la formation continue. Septièmement, Russell propose des stratégies visant le développement de la carrière de groupes cibles, tels que les individus à haut potentiel et les femmes. Pour les individus à haut potentiel, l’auteur suggère un suivi plus étroit de la progression de la carrière par une rétroaction plus fréquente, une formation personnalisée et intensive, un counseling plus fréquent et des changements de postes plus rapides. Pour les femmes, les stratégies suggérées comprennent, entre autres, la mise en place de programmes d’action positive, de plans de succession et de mentorat, de programmes de formation spécifiques et de séminaires en gestion des carrières.

Par ailleurs, selon Tremblay et Wils (1995), toute stratégie managérielle visant à répondre au problème du plafonnement de carrière doit inclure une remise en question des politiques de rémunération. Ils suggèrent que les récompenses soient rattachées davantage à la performance individuelle ou à la performance d’équipe qu’au statut du poste par des modes de rémunération variable tels que le partage des bénéfices, le partage des gains de productivité et les bonis d’équipe. Les systèmes de rémunération doivent aussi tendre vers une plus grande reconnaissance financière des compétences.

Mais l’éventail des actions managérielles visant à réduire la perception de plafonnement de carrière ne saurait être complet sans aborder l’idée des solutions de rechange à l’évolution de carrière traditionnelle qui permettent aux individus de développer un portefeuille de compétences, de renforcer leur employabilité, de varier leurs apprentissages et de croître de façon continue dans l’organisation (Appelbaum et Santiago 1997 ; Guérin et Wils 1993 ; Goddard 1990 ; Hall 1985 ; Hall et Associates 1996 ; Hall et Isabella 1985 ; Kaye et Farren 1996 ; Little 1989 ; Garavan et Coolahan 1996a, 1996b). Ainsi, la notion de mouvement qui est implicite à celle de carrière ne se limite plus aux mouvements verticaux, mais comprend aussi les mouvements horizontaux pour faire échec à l’ennui et à l’aliénation, et pour procurer de nouveaux défis aux individus en situation de plafonnement ; elle englobe aussi des mouvements vers le bas pour aider les individus à retrouver l’estime d’eux-mêmes dans des emplois où ils avaient antérieurement réussi ; elle inclut également des mouvements de croissance dans l’emploi, à savoir l’élargissement et l’enrichissement de l’emploi, qui permettront aux individus d’exécuter des tâches plus variées et d’assumer de plus grandes responsabilités. Enfin, des solutions de rechange à l’évolution de carrière traditionnelle telles que la participation à des groupes d’étude ou de projets spéciaux, la rotation de postes, les échanges de responsabilités entre collègues et les détachements d’un département à un autre, ou encore dans d’autres organisations dans le cadre de partenariats, permettraient de satisfaire à la fois les besoins organisationnels de flexibilité et les besoins individuels de variété, de défi et de développement de compétences nouvelles.

L’influence des caractéristiques individuelles

Plusieurs recherches ont traité de l’influence de certaines variables individuelles sur l’intensité du sentiment de plafonnement de carrière. Parmi les facteurs sociodémographiques, l’âge serait relié positivement au plafonnement de carrière (Gould et Penley 1984 ; Hall 1985 ; Near 1985 ; Veiga 1981). Les individus plafonnés seraient généralement âgés de 45 ans en moyenne, et les individus non plafonnés de 36 à 39 ans. Le sexe constituerait aussi un déterminant du plafonnement (Beehr et Juntunen 1990) et, dans le secteur public, les femmes auraient plus de chances d’être plafonnées que leurs collègues masculins (Rinfret et Lortie-Lussier 1993). Par ailleurs, le niveau de scolarité des individus plafonnés serait inférieur à celui des individus non plafonnés (Gerpott et Domsch 1987 ; Near 1983 ; Garavan et Coolahan 1996a, 1996b). L’environnement familial pourrait aussi agir sur les décisions de carrière et, par voie de conséquence, sur la mobilité (Garavan et Coolahan 1996a, 1996b). Ainsi, l’individu dont le (la) conjoint(e) exerce un emploi à l’extérieur du domicile serait désavantagé par rapport aux autres sur le plan de la progression de carrière, a fortiori lorsque ce travail est exercé à plein temps et fait en sorte que le couple bénéficie d’un double revenu. La taille de la cellule familiale poserait aussi des contraintes à la mobilité puisque les gestionnaires qui ont exprimé le sentiment d’être plafonnés dans le cadre de différentes recherches vivaient à l’intérieur d’une plus grande cellule familiale.

Par ailleurs, en ce qui a trait aux facteurs individuels d’emploi, les résultats des recherches de Gould et Penley (1984) et de Mills (1985) ont révélé que les individus en situation de plafonnement sont plus anciens dans l’organisation que les individus mobiles. En outre, plusieurs chercheurs ont utilisé l’ancienneté dans le poste pour distinguer les personnes plafonnées des personnes non plafonnées. Autrement dit, il est plausible que le fait de travailler pour la même organisation ou d’exercer les mêmes fonctions pendant une période de temps prolongée amène l’individu à se percevoir en situation de plafonnement (Cardinal et Lamoureux 1994). Mais c’est l’obsolescence des compétences qui, parmi ce groupe de facteurs, serait la variable la plus significative du plafonnement de carrière (Cardinal et Lamoureux 1992). Quant au rythme de progression individuelle, il serait soumis à l’influence conjointe et réciproque de la mobilité antérieure (historique de carrière) et des possibilités structurelles de progresser dans l’entreprise, et constituerait une sorte d’indicateur du potentiel des individus à occuper éventuellement des postes de niveau plus élevé (Cardinal et Lamoureux 1992 ; Rosenbaum 1984), à un point tel que les individus plafonnés cesseraient de s’identifier au groupe de l’élite et en viendraient à adopter des comportements défaitistes qui perpétueraient leur situation (Lawrence 1990 ; Cardinal et Lamoureux 1992). Toutefois, les résultats relatifs à l’impact de la nature du poste occupé sur la mobilité sont mitigés (Beauchamp et Fabi 1993). De plus, de nombreuses études ont porté sur le stade de carrière comme déterminant du plafonnement de carrière (Alder et Aranya 1984 ; Feldman 1988 ; Greenhaus 1987 ; Hunt et Collins 1983 ; Scase et Goffee 1989 ; Veiga 1983 ; Williams et Fox 1995 ; Russell 1991). En début de carrière, les jeunes adultes cherchent à s’établir sur le plan professionnel et ils n’hésiteront pas à quitter une organisation qui ne parvient pas à satisfaire leurs aspirations. Le stade de mi-carrière est celui de la période de réévaluation des réalisations des ambitions du premier stade, et de l’importance que prend le travail dans la vie. C’est aussi à cette étape que les individus sont les plus susceptibles de se retrouver en situation de plafonnement de carrière. Au stade de fin de carrière, certains individus en arrivent à occuper des postes de direction supérieure dans les organisations, mais pour la majorité d’entre eux, il s’agira plutôt de continuer à offrir une contribution significative à l’organisation et de planifier la retraite. Le salaire constitue aussi un déterminant du plafonnement de carrière dans la mesure où l’individu est tôt ou tard susceptible d’atteindre le maximum de son échelle de salaire et ce, quel que soit le système de rémunération en vigueur (Tremblay et Wils 1995).

Les écrits contiennent aussi plusieurs hypothèses sur les relations entre des variables individuelles de personnalité et le plafonnement de carrière. Ainsi, l’absence d’ambition est présentée comme le refus volontaire d’un individu d’assumer de plus grandes responsabilités (Tremblay 1991). Par ailleurs, le concept des ancres de carrière développé par Schein (1978) synthétise un ensemble de perceptions que tout individu entretient par rapport à ses aptitudes, ses besoins et ses valeurs, et permet de comprendre pourquoi la carrière de certaines personnes plafonne plus rapidement que d’autres (Garavan et Coolahan 1996a, 1996b ; Feldman et Weitz 1988). Par exemple, les cadres mobiles sont rattachés à l’ancre managérielle qui est reliée positivement à la promotion, alors que les individus qui sont rattachés à une ancre technique/fonctionnelle sont ceux qui préfèrent un cheminement professionnel dans une filière parallèle au cheminement hiérarchique traditionnel. Ceux qui se rattachent à l’ancre sécurité/stabilité ont besoin d’organiser leur vie professionnelle sous le signe de la sécurité et de la stabilité, et sont prêts à refuser une promotion qui ne leur offre pas la permanence et des avantages sociaux intéressants. Finalement, la perception du degré de contrôle sur les événements qui entourent le travail (locus de contrôle) est une variable de plus en plus utilisée par les chercheurs (Guérin, Wils et Lemire 1997) pour distinguer les individus qui ont le sentiment de maîtriser leur sort de ceux qui estiment être soumis aux forces externes (Phares 1976). Les premiers, les volontaristes, pensent qu’ils peuvent faire évoluer les choses dans le sens de leurs aspirations. Les seconds, plus déterministes, pensent que tout est joué à l’avance ou question de hasard. Ils ont tendance à faire moins d’efforts pour réaliser leurs aspirations puisqu’ils croient que ce qui surviendra est indépendant de leur volonté.

Échantillon et création des données

La perception de plafonnement des individus qui bénéficient de chaque pratique de gestion des ressources humaines est comparée à celle de ceux qui ne bénéficient pas des mêmes pratiques. La variable dépendante est le plafonnement de carrière subjectif, et les variables indépendantes sont les pratiques de gestion des ressources humaines. Les autres variables sont considérées comme des variables qui doivent être contrôlées statistiquement.

Construites au printemps 1997 avec un questionnaire structuré et prétesté de 240 questions, les données illustrent la perception du plafonnement de carrière de fonctionnaires municipaux, environ un an après un important exercice de réduction des effectifs. La participation de tous les cadres et professionnels de la ville, soit 1 278 individus, a été sollicitée. Le service des ressources humaines de la ville s’est lui-même chargé de la distribution interne du questionnaire qui était accompagné d’une lettre expliquant les objectifs de la recherche et garantissant la confidentialité des données, de même que d’une enveloppe-réponse affranchie et adressée à l’intention des chercheurs. Cinq cent quinze (515) questionnaires ont été retournés et jugés utilisables, soit un taux de réponse de 40,3 %.

Profil des répondants

L’âge moyen des répondants est de 43,2 ans. L’échantillon regroupe un plus grand nombre d’hommes (72,9 %) que de femmes (27,1 %). La majorité des répondants (59,7 %) sont titulaires d’un baccalauréat, 31,8 % d’une maîtrise ou d’un doctorat, et 8,5 % d’un diplôme de niveau secondaire, collégial ou classique. Ils vivent pour la plupart avec un(e) conjoint(e) (80,4 %). Dans 78 % de ces cas, le (la) conjoint(e) travaille à l’extérieur de la maison. En moyenne, les répondants ont 1,5 personne à charge. Parmi les répondants, 230 (45 %) sont des cadres, et 278 (55 %) des professionnels. Leur ancienneté moyenne est de 13,9 ans dans leur organisation, et de 5,8 ans dans le même poste. Leur niveau de salaire se situe en moyenne entre 60 000 $ et 69 999 $. Les répondants ont obtenu en moyenne 2,2 promotions au cours des quinze années qui ont précédé l’enquête.

Mesure des variables

Le plafonnement de carrière

La perception d’être en situation de plafonnement de carrière a été obtenue par la compilation de six indicateurs empruntés à Veiga (1981). Ces indicateurs incluaient, entre autres, les deux suivants : Ma carrière avait toujours progressé, mais aujourd’hui j’ai atteint un plateau ; Il est peu probable que, d’ici la fin de ma carrière, j’accède à un niveau ou statut plus élevé. Les individus devaient indiquer dans quelle mesure ils étaient en désaccord ou en accord avec chacun des énoncés (1 = totalement en désaccord ; 7 = totalement en accord). L’utilisation de cette mesure continue du plafonnement de carrière tient compte de certaines critiques adressées aux recherches traditionnelles qui traitent le plafonnement comme une réalité dichotomique, c’est-à-dire « être ou ne pas être en situation de plafonnement » (Chao 1990). La vision statique du plafonnement fait donc place à une conception dynamique et évolutive dans le temps (Bardwick 1986 ; Chao 1990 ; Gerpott et Domsch 1987) qui permet de mesurer le degré de plafonnement perçu par les cadres et professionnels de la ville. Le coefficient alpha de Cronbach relatif à cette mesure est de 0,77.

Les facteurs individuels

Les facteurs sociodémographiques incluent l’âge, le sexe, le niveau de scolarité, le fait de vivre ou non avec un(e) conjoint(e) qui travaille ou non à l’extérieur de la maison et le nombre de personnes à charge. L’âge et le nombre de personnes à charge ont été mesurés par des questions ouvertes, tandis que les autres variables sociodémographiques ont été mesurées par des questions directes et fermées. Les facteurs d’emploi incluent sept variables : l’ancienneté dans l’organisation, l’ancienneté dans le même poste, la catégorie d’emploi, le nombre de promotions obtenues au cours des quinze années qui ont précédé l’enquête, le niveau de salaire, le stade de carrière et l’état de la qualification professionnelle. Les deux types d’ancienneté et le nombre de promotions ont été mesurés par des questions ouvertes, tandis que la catégorie d’emploi et le niveau de salaire ont été mesurés par des questions directes et fermées. L’échelle mesurant le stade de carrière était composée de trois indicateurs et a été construite à partir de la littérature (Schein 1978). Elle visait à identifier si les individus se percevaient au stade du début, du milieu ou de fin de carrière. L’échelle mesurant l’état de la qualification professionnelle (alpha de Cronbach de 0,66) était composée de six indicateurs empruntés à Shearer et Steger (1975). Les facteurs de personnalité incluent l’ambition, le locus de contrôle et les ancres de carrière. L’ambition a été mesurée par une question fermée visant à savoir si les répondants aimeraient éventuellement se retrouver à un poste de niveau plus élevé (non = 1 ; oui = 2). L’échelle de Spector (1988) mesurant le locus de contrôle présente un alpha de 0,74. Huit échelles comportant chacune deux indicateurs tirées de Schein (1978) et de DeLong (1982) ont permis de mesurer huit ancres de carrière (service/dévouement, variété, créativité, autonomie/indépendance, sécurité/stabilité, technique/fonctionnelle, managérielle et identité), lesquelles ont été introduites dans les analyses.

Les facteurs organisationnels

Trente-quatre pratiques de gestion des carrières et quatorze solutions de rechange à l’évolution de carrière traditionnelle ont été analysées dans le cadre de cette recherche (Russell 1991 ; Guérin et Wils 1993 ; Tremblay et Wils 1995 ; Hall et Associates 1996 ; Hall et Isabella 1985 ; Kaye et Farren 1996 ; Little 1989). Les répondants devaient se prononcer sur l’existence de ces pratiques et solutions de rechange dans leur organisation. Tel que présenté dans le tableau 1, les analyses factorielles avec rotation varimax ont permis de construire onze dimensions : (1) planification de la relève, (2) soutien à la carrière, (3) évaluation des aptitudes, (4) planification de la carrière, (5) rémunération, (6) mobilité interne, (7) formation, (8) rétrogradations, (9) affectations, (10) projets spéciaux et (11) mouvements de croissance dans l’emploi. Notons la cohérence réduite des dimensions de la mobilité interne (alpha de Cronbach de 0,50) et de la formation (alpha de Cronbach de 0,53) que nous avons tout de même choisi d’intégrer dans nos analyses, d’une part parce que ces dimensions sont composées, selon la littérature spécialisée, d’indicateurs importants de la gestion des carrières et, d’autre part, parce que comme nous le verrons plus loin, ces dimensions des pratiques de gestion des carrières sont corrélées au plafonnement de carrière. Toutefois, la faible cohérence interne de la dimension de la rémunération (alpha de Cronbach de 0,44) a conduit à son rejet. Finalement, l’indicateur portant sur la sécurité d’emploi a refusé de s’intégrer aux facteurs. De surcroît, cet indicateur n’était pas corrélé significativement au plafonnement de carrière subjectif. Il a donc été retiré des analyses. Par conséquent, le construit final repose sur dix échelles et 44 indicateurs dont la cohérence est bonne puisque les coefficients alpha se situent entre 0,50 et 0,90, et que leurs corrélations internes sont suffisamment fortes (0,92 ≤ R ≤ 0,34) (Hair et al. 1998). Finalement, notons, d’une part, que la proportion de la variance totale de ces ensembles de stratégies de gestion des carrières se trouve certes amenuisée par le retrait de quatre indicateurs et, d’autre part, que l’analyse factorielle pourrait faire émerger des facteurs apparemment hétérogènes et cacher l’influence masquée de certaines pratiques lors des analyses. Néanmoins, à cause du grand nombre d’indicateurs (44), les regroupements effectués simplifient la description des pratiques de gestion des ressources humaines de l’organisation.

Tableau 1

Les dimensions des pratiques de gestion des carrières et des solutions de rechange à l’évolution de carrière traditionnelle

Les dimensions des pratiques de gestion des carrières et des solutions de rechange à l’évolution de carrière traditionnelle

Tableau 1 (suite)

Les dimensions des pratiques de gestion des carrières et des solutions de rechange à l’évolution de carrière traditionnelle

Tableau 1 (suite)

Les dimensions des pratiques de gestion des carrières et des solutions de rechange à l’évolution de carrière traditionnelle

Pratiques de gestion de carrière : Eigenvalue : 1,19 ; Proportion de la variance expliquée : 43,9 %

Solutions de rechange à l’évolution de carrière traditionnelle : Eigenvalue : 1,16 ; Proportion de la variance expliquée : 65,6 %

Note : La pratique Les individus sont assurés d’une certaine sécurité d’emploi ne s’est pas intégrée aux facteurs et n’apparaît pas dans ce tableau.

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Analyse des données

Les analyses ont été effectuées entre les différents déterminants (analyses bivariées) ou groupes de variables (analyses multivariées) et le plafonnement de carrière subjectif. De plus, l’effet de chaque bloc de variables (régressions hiérarchiques) a été analysé pour mettre en évidence l’effet des pratiques de gestion des carrières et des solutions de rechange à l’évolution de carrière traditionnelle sur la perception de plafonnement de carrière.

La perception de plafonnement de carrière

Avec une moyenne générale de 4,5/7, les fonctionnaires de l’administration publique municipale se disent assez en accord avec les énoncés mesurant le plafonnement de carrière subjectif. Plus spécifiquement, 42 % des répondants sont assez en accord à totalement en accord, 29,2 % sont ni en accord, ni en désaccord, et 18,8 % sont un peu à totalement en désaccord avec ces énoncés. Ce sentiment de plafonnement de carrière des fonctionnaires municipaux est relié significativement à leur intention de quitter leur organisation (R = 0,15, p ≤ 0,01), à leur engagement organisationnel (R = –0,16, p ≤ 0,01) et à la perception de leur performance au travail (R = –0,23, p ≤ 0,01). Autrement dit, plus les fonctionnaires municipaux ont le sentiment que leur carrière est bloquée, plus ils pensent quitter l’organisation, plus leur engagement organisationnel s’affaiblit, et plus ils ont l’impression d’offrir une mauvaise performance au travail.

Les résultats relatifs aux différentes analyses statistiques

Tel que le révèlent les données qui apparaissent dans le tableau 2, la corrélation de type Pearson a d’abord été utilisée pour vérifier l’existence de relations linéaires entre les différentes variables. Parmi les variables individuelles sociodémographiques, seul l’âge est relié significativement au plafonnement de carrière subjectif (R = 0,19, p ≤ 0,01) : plus on est âgé, plus on a l’impression de se retrouver en situation de plafonnement, ce qui corrobore les hypothèses de Gould et Penley (1984), Hall (1985), Near (1985) et Veiga (1981) à l’effet que les individus en situation de plafonnement seraient généralement plus âgés que les individus non plafonnés.

À l’exception du niveau de salaire et du stade de milieu de carrière, les variables d’emploi sont reliées significativement à la perception de plafonnement : plus on a de l’ancienneté dans le poste occupé (R = 0,30, p ≤ 0,01), moins on a obtenu de promotions au cours des dernières années (R = –0,23, p ≤ 0,01) et moins on croit posséder les qualifications requises pour accomplir les tâches demandées (R = –0,13, p ≤ 0,01), plus on a l’impression de se retrouver en situation de plafonnement. Ces résultats sont conformes aux hypothèses de Cardinal et Lamoureux (1994) à l’effet que les individus les plus anciens sont moins mobiles, et que l’état des qualifications professionnelles constitue un déterminant important du plafonnement. Ils correspondent aussi à ceux de plusieurs auteurs comme Lawrence (1990) à l’effet que l’historique de carrière constitue un déterminant du plafonnement. Par ailleurs, les stades de début et de fin de carrière sont reliés respectivement négativement (R = –0,25, p ≤ 0,01) et positivement (R = 0,21, p ≤ 0,01) au plafonnement de carrière subjectif. Le fait que le stade de milieu de carrière ne soit pas significatif surprend à prime abord puisque, tels que l’indiquent plusieurs auteurs comme Feldman (1995) et Russell (1991), c’est à ce stade que les individus sont les plus susceptibles de se retrouver en situation de plafonnement, principalement à cause des possibilités de promotions plus restreintes dans les organisations et de l’obsolescence des compétences. Néanmoins, nos résultats sont conformes aux hypothèses de Feldman (1988), de Greenhaus (1987) et de Williams et Fox (1995) à l’effet que les individus en fin de carrière pourraient trouver leur situation plus difficile à cause d’un plafonnement atteint au stade de carrière précédent qui perdure au stade de fin de carrière. Enfin, bien que les relations soient moins significatives (p ≤ 0,05), l’ancienneté dans l’organisation (R = 0,11) et le fait d’occuper un poste professionnel plutôt qu’un poste cadre (R = 0,09) augmentent la perception de plafonnement. Ces résultats sont conformes à ceux de Gould et Penley (1984) et de Mills (1985) à l’effet que les individus plus anciens sont moins mobiles. En outre, comme les moyennes d’âge des cadres (44,5 ans) et des professionnels (42 ans) sont rapprochées, il peut se produire un phénomène d’embouteillage qui a pour effet de réduire les perspectives d’avenir (Batal 1998) de nombreux professionnels désireux d’accéder à un poste en gestion (au fait, 43 % des professionnels interrogés sont rattachés à l’ancre managérielle) ou à un poste technique plus élevé.

Tableau 2

Les liens entre la perception de plateau de carrière, les variables individuelles, les pratiques de gestion des carrières et les solutions de rechange à l’évolution de carrière traditionnelle

Les liens entre la perception de plateau de carrière, les variables individuelles, les pratiques de gestion des carrières et les solutions de rechange à l’évolution de carrière traditionnelle

a Codification : 1 = femme ; 2 = homme

b Codification : 1 = non ; 2 = oui

c Codification : 1 = professionnel ; 2 = cadre

d Codification : 1 = non ; 2 = oui.

e Codification : 0 = la pratique n’existe pas dans l’organisation ; 1 = la pratique existe dans l’organisation

f Codification : 0 = la solution de rechange n’existe pas dans l’organisation ; 1 = la solution de rechange existe dans l’organisation

(1) ** p ≤0,01 * p ≤0,05    (2) *** p ≤0,001 ** p ≤0,01 * p ≤0,05

-> Voir la liste des tableaux

Deux variables de personnalité sont reliées significativement au plafonnement (p ≤ 0,01) : le locus de contrôle, lequel présente la relation bivariée la plus forte (R = –0,39), et l’ancre autonomie/indépendance (R = 0,16). Moins en situation de contrôle, les déterministes ont davantage l’impression d’être plafonnés dans leur carrière que les volontaristes. Nos résultats vont donc dans le même sens que ceux de nombreuses autres recherches qui ont utilisé cette variable comme celles de Guérin, Wils et Lemire (1997) et de Mitchell, Smyser et Weed (1975). Quant aux individus qui sont rattachés à l’ancre autonomie/indépendance, il est possible qu’il soit difficile pour eux de se soustraire aux contraintes et de faire reconnaître leurs réalisations dans un environnement bureaucratique.

Les analyses démontrent également que les six dimensions des pratiques de gestion des carrières sont reliées significativement à la perception de plafonnement (–0,12 ≤ R ≤∈–0,23, p ≤ 0,01). Tel que suggéré par plusieurs auteurs comme Feldman et Weitz (1988), c’est lorsque les individus ne bénéficient pas de pratiques de gestion des carrières adéquates que s’accentue leur perception de plafonnement. Toutefois, contrairement à nos attentes, aucune solution de rechange à l’évolution de carrière traditionnelle n’est reliée significativement au plafonnement de carrière subjectif. Ces solutions ne semblent donc pas aussi appropriées et efficaces que des auteurs comme Appelbaum et Santiago (1997), Goddard (1990), Hall et Isabella (1985) et Little (1989) l’ont suggéré.

Le tableau 2 fait également état des résultats des analyses de régressions. Toutes les variables ont été entrées simultanément dans les analyses multivariées, mais elles ont été entrées par bloc dans les analyses hiérarchiques. Ensemble, les facteurs individuels et organisationnels expliquent 40,1 % ou 36,1 % de la variation de la perception de plafonnement de carrière, selon que l’on mesure leur effet à partir de régressions multivariées ou des régressions hiérarchiques. Néanmoins, l’influence des différents groupes de facteurs est très variable.

Les résultats des analyses multivariées révèlent que les variables sociodémographiques et les pratiques de gestion des carrières expliquent respectivement 2,6 % et 6,5 % de la variation du plafonnement de carrière subjectif. Le pouvoir explicatif des variables de personnalité est de 14,7 %. Ce sont les variables d’emploi qui ont le plus grand pouvoir explicatif, soit 16,3 %. L’importance de la contribution des caractéristiques d’emploi à l’explication de la variation du plafonnement de carrière subjectif est confirmée par les régressions hiérarchiques par bloc de variables puisque ces caractéristiques expliquent la plus grande proportion de la variance additionnelle, soit 18 %. Avec une explication additionnelle de la variance de 11 %, la contribution des variables de personnalité est plus modeste. Les caractéristiques sociodémographiques expliquent, pour leur part, 4,5 % de la variation du plafonnement de carrière subjectif. Le pouvoir explicatif additionnel des pratiques de gestion des carrières est toutefois moindre puisqu’il se situe à 2,4 %. La contribution des solutions de rechange à l’évolution de carrière traditionnelle à l’explication de la variation de la perception de plafonnement est nulle dans les deux types de régressions.

L’analyse de l’influence plus spécifique de chaque bloc de variables des analyses hiérarchiques révèle que le bloc des caractéristiques individuelles est représenté uniquement par l’âge. Plus les individus sont âgés, plus ils ont le sentiment d’avoir atteint un plafonnement. Trois variables individuelles d’emploi sont à la fois très discriminantes (0,150 ≤ βêta ≤ 0,247) et très significatives (p ≤ 0,001) : l’ancienneté dans le poste et le fait de se retrouver plutôt au stade de fin de carrière accentuent la perception de plafonnement, tandis que le fait de se retrouver plutôt au stade de début de carrière l’atténue. Dans une moindre mesure (p ≤ 0,01), le fait d’avoir obtenu moins de promotions que la moyenne des répondants augmente aussi la perception de plafonnement de carrière subjectif. Le bloc des variables de personnalité est représenté par le locus de contrôle, la variable non seulement la plus discriminante (R = –0,318) mais aussi très significative (p ≤ 0,001) du plafonnement de carrière subjectif : l’externalité du locus de contrôle (c’est-à-dire le déterminisme ou le fatalisme) conduit à un renforcement de la perception de plafonnement. Enfin, le bloc des pratiques de gestion des carrières n’est représenté que par l’absence de développement professionnel dont le degré de signification n’est que de 1 %. Des analyses plus détaillées ont permis de déceler que les pratiques dominantes de cette dimension du développement professionnel sont l’absence d’encouragement à l’autoformation (βêta = –0,161)***, l’impossibilité pour certains cadres et professionnels d’assumer de nouveaux rôles (βêta = –0,122)** et la difficulté d’accéder à des activités de formation continue dans l’organisation (βêta = –0,098)*.

Conclusion

L’objectif de notre recherche était d’examiner les relations entre diverses variables individuelles et organisationnelles et la perception de plafonnement de carrière des fonctionnaires municipaux suite à une importante restructuration organisationnelle dans une grande ville du Québec. À l’exception des solutions de rechange à l’évolution de carrière traditionnelle, les autres blocs des variables retenues expliquent, dans des proportions variables, le plafonnement de carrière subjectif. En simplifiant les résultats présentés dans les pages précédentes, retenons que plusieurs variables individuelles sont ressorties des analyses de régression comme déterminantes du plafonnement de carrière subjectif.

Par ailleurs, notre recherche a identifié plus de 40 stratégies de gestion des ressources humaines reliées à la carrière qui, selon les écrits, devraient contribuer à la réduction du sentiment de plafonnement de carrière. Nos résultats révèlent que les pratiques de gestion des carrières expliquent une proportion plutôt modeste de la variation du plafonnement de carrière subjectif. Retenons aussi que les solutions de rechange à l’évolution de carrière traditionnelle n’ont aucune influence sur la perception de plafonnement de carrière des fonctionnaires qui ont participé à notre enquête.

Les analystes prévoient que les individus se retrouveront de plus en plus fréquemment en situation de plafonnement de carrière, et que des effets négatifs, comme l’augmentation du taux de roulement et la réduction de l’engagement organisationnel et de la performance au travail, seront de plus en plus perceptibles (Appelbaum et Finestone 1994). Dans la mesure où on accepte qu’un phénomène organisationnel proprement distinctif requiert des stratégies de gestion des ressources humaines qui le sont aussi, il y a nécessité de repenser ces dernières sur une base autre que la base actuelle. De fait, l’analyse des données et la discussion qui s’y conjugue dans les pages précédentes suggèrent que la mise en oeuvre des pratiques de gestion des ressources humaines, dont l’efficience est pour le moins hésitante eu égard à la perception de plafonnement de carrière, devrait entraîner une remise en question et une réflexion critique sur la valeur intrinsèque de ces mêmes pratiques.

Notons que la façon dont les carrières seront planifiées et gérées aura un impact sur l’atteinte des objectifs organisationnels et des aspirations individuelles de carrière (Feldman 1988 ; Atkinson 2002). D’aucuns affirment même que les organisations publiques et privées progressistes du 21e siècle seront celles qui mettront l’accent sur la carrière de leurs employés (Lindquist 1997 ; Herriot 1992), notamment en mettant tout en oeuvre pour attirer, développer et retenir les meilleurs individus (Walters 1992).

Par ailleurs, comme toute recherche empirique, celle-ci n’est pas sans souffrir de certaines limites, parmi lesquelles celle de la validité externe. L’échantillonnage a été réalisé dans une grande ville du Québec. Les résultats présentés dans les sections précédentes et leur interprétation ne peuvent donc d’aucune façon être extrapolés ni à des organisations du secteur privé, ni à d’autres organisations du secteur public, même celles évoluant dans le secteur municipal, qu’avec la plus grande prudence, dû à l’environnement et à la culture propres à chacune d’elles. Il serait donc pertinent et utile de poursuivre notre recherche dans les organisations publiques et privées, et d’en comparer les résultats. Il semble aussi que les écrits prescriptifs en matière de plafonnement de carrière subjectif pourraient offrir des recommandations plus spécifiques aux gestionnaires en examinant plus étroitement quelles actions managérielles seraient plus efficaces en fonction des caractéristiques des individus plafonnés dans diverses organisations (Feldman 1995).

Par ailleurs, comme les résultats de notre recherche sont basés sur des données synchroniques qui ont été construites en 1997, soit un an après une importante restructuration organisationnelle, des données créées à d’autres périodes pourraient fournir des indications supplémentaires. Pour en arriver à dégager des tendances en matière de gestion des carrières et à établir clairement l’efficacité de ces pratiques pour estomper la perception de plafonnement, des études longitudinales seraient également souhaitables. Toujours dans un souci de prolongement de cette recherche d’enrichissement de la littérature spécialisée sur le plafonnement de carrière subjectif, il serait aussi intéressant d’en accroître sa sophistication par l’examen de la pertinence d’inclure des variables additionnelles dans notre modèle, telles que la diversité de la main-d’oeuvre, puisque, par exemple, les femmes monoparentales pourraient avoir des besoins différents de celles qui font partie des couples à double carrière (Russel 1991).

Finalement, nous croyons qu’il faudrait poursuivre la recherche sur cette thématique en conjuguant une démarche qualitative à l’analyse quantitative des données empiriques, notamment par l’analyse des stratégies de gestion des carrières privilégiées dans diverses organisations et, ainsi, d’insister sur la primauté du contexte organisationnel pour approfondir les connaissances sur la dynamique qui lie des facteurs individuels et organisationnels au plafonnement de carrière subjectif. Il semble préférable de reconnaître la complexité et l’hétérogénéité intrinsèques des organisations et, ainsi, d’éviter de les réduire à des construits globaux et uniformes. Autrement dit, il ne suffit pas de distinguer les organisations, encore faut-il subséquemment prendre en considération la nature et la complexité des activités stratégiques et opérationnelles de chacune d’elles, ainsi que la nature, le nombre et l’ampleur des contraintes et des ressources avec lesquelles doivent composer les gestionnaires publics.