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Les théories sur la relation d’emploi et sur la carrière sont mises à mal depuis plus d’une décennie. De toute part, on s’accorde pour reconnaître de nouveaux comportements au travail, de nouvelles attitudes ; on admet aussi un changement de paradigme de la sécurité de l’emploi vers l’employabilité. L’ensemble de ces présupposés a conduit bon nombre de chercheurs à proposer un cadre d’étude plus approprié à la situation d’emploi actuelle, plus apte à la décrire et à l’analyser. Un concept semble avoir donné lieu à des avancées théoriques intéressantes à ce sujet : le contrat psychologique (CP), qui analyse la relation d’emploi à partir des perceptions individuelles concernant les obligations existant entre le salarié et son employeur (Rousseau, 1990).

Le nombre de publications sur ce thème est prolixe et ne cesse de croître depuis dix ans, ce qui confère une notoriété remarquable à ce concept. L’une des raisons principales est la capacité du contrat psychologique à offrir, via la théorie de l’échange social, un champ théorique qui apporte des réponses aux questions sur les nouvelles relations d’emploi. La deuxième raison est d’avoir validé ce champ théorique, tout au moins en relation avec les attitudes et les comportements au travail. La liste des études empiriques qui ont démontré que le contrat psychologique, tant par son contenu que par sa réalisation, joue un rôle sur la mobilisation et la fidélisation du personnel, est devenue impressionnante. Pourtant, ce champ de recherche est relativement récent et de multiples questions continuent à se poser. L’une d’entre elles porte sur la mesure du contrat psychologique. Nous nous intéressons dans cet article à un instrument qui a été régulièrement utilisé par le passé — le Psychological Contract Index de Rousseau —. Cet outil, pourtant populaire, n’a jamais fait l’objet d’une attention spécifique quant à ses qualités métriques. Nous avons construit une adaptation de cet outil en France et testé sa validité dans le cadre d’une situation professionnelle francophone.

Fondements théoriques et opérationnalisation du contrat psychologique

Contrat psychologique et théorie de l’échange social

Mutualité et réciprocité du contrat psychologique

Le contrat psychologique (CP) se comprend et se définit comme un concept qui permet d’étudier un échange social (Molm et al., 2000 ; Coyle-Shapiro et Conway, 2004). Dans ce cadre, il met en relation deux parties : le salarié et l’employeur. Il vise aussi à comprendre et à analyser la dynamique de cette relation, et la manière dont l’échange se met en place et évolue au cours du temps. Deux idées sont donc inhérentes au concept de contrat psychologique : la mutualité et la réciprocité. Cela signifie que :

  • deux parties sont impliquées dans le contrat psychologique, l’employé et l’employeur. Elles sont toutes deux partie prenante dans ce contrat, condition sine qua non pour qu’une mutualité existe. Cela signifie qu’il faudrait idéalement interroger les deux parties sur le contrat psychologique ;

  • le contrat psychologique peut être appréhendé comme un processus d’ajustements dans le temps, ajustements qui s’expliquent par la manière dont chaque partie réagit au degré de réalisation des promesses de l’autre partie. On peut alors mesurer la réciprocité dans la relation d’échange. Cela signifie qu’il faudrait interroger les deux parties sur la réalisation des promesses par l’autre partie, mais aussi par soi-même.

Mesurer la mutualité et la réciprocité de façon détaillée suppose que l’on identifie clairement qui représente l’entreprise, l’employé, et ce que chacun pense des promesses faites par les deux parties. Il est rare de trouver une approche aussi complète dans les études antérieures, notamment parce que l’on ne sait pas qui représente l’employeur exactement. Bon nombre d’auteurs interrogent le manager et les membres de la direction générale dans la mesure où ils sont le plus en contact avec les salariés et participent à l’élaboration et à la réalisation du contrat psychologique (Lester et al., 2002 ; Porter et al., 1998 ; Tsui et al., 1997). Mais le niveau de connaissances sur les informations apportées par ces acteurs est peu connu, si ce n’est que leurs perceptions diffèrent de celles de leurs employés (Coyle-Shapiro et Kessler, 2000 ; Lester et al., 2002).

Certains auteurs ont contourné cette difficulté en limitant le champ du contrat psychologique au prisme unique de l’employé. Selon Rousseau (1990), c’est « dans les yeux » de l’individu que ce contrat existe et évolue. La mutualité est alors mesurée seulement en tenant compte des perceptions de l’employé sur les promesses des deux parties. C’est sur ce principe qu’a été bâti le Psychological Contract Index. Il est sujet à critique car il ne tient pas compte de l’opinion de l’employeur, mais offre l’avantage d’étudier en détails ce que pense un employé du contrat psychologique.

Promesses et CP

Le CP n’est qu’un concept parmi d’autres de la théorie de l’échange social : le soutien organisationnel perçu d’Eisenberger, l’équité d’Adams, la justice organisationnelle de Greenberg, ont aussi leur place en tant que concepts de l’échange social, pour ne citer que quelques exemples (voir Shore et al., 2004, pour une recension détaillée). Ce qui fait la spécificité et la force du CP est d’étudier l’échange à travers le prisme de promesses et d’obligations réciproques[1]. C’est précisément parce que l’on s’intéresse à des promesses que l’on pense pouvoir analyser la relation d’emploi telle qu’elle est pensée et discutée de nos jours. Quel type de promesses peut-on trouver dans un CP ? Le CP étant individuel et donc spécifique à chaque salarié, il est difficile de lister des obligations que l’on rencontrerait universellement. Par exemple, Cavanaugh et Noe (1999) ont travaillé sur les éléments dits « relationnels » du CP, c’est-à-dire orientés vers un échange durable, affectif, centré sur la loyauté et la carrière au sein d’une même entreprise ; Turnley et Feldman (1999) se sont intéressés au CP lors de restructurations et de plans sociaux ; Bunderson (2001) s’est attaché à décrire le CP dans le milieu de la santé et Thomas et Anderson (1998) dans l’armée britannique.

Une première façon d’étudier le CP consiste à classer les obligations selon le type d’échange social sous-jacent. Rousseau (Dabos et Rousseau, 2004 ; Rousseau et Tijoriwala, 1998) distingue quatre grands groupes d’obligations, qu’elle nomme « relationnels » (deux facteurs du CP : la loyauté et la stabilité), « transactionnels » (deux facteurs : contrats de court terme, peu de promesses), « équilibrés » (trois facteurs : promesses centrées sur les performances, employabilité interne, employabilité externe), et « de transition » (trois facteurs : méfiance, incertitude, érosion de la relation d’emploi). Mais cette classification est discutable et les éléments du CP liés à chacun de ces quatre types varient d’une étude à l’autre. C’est pourquoi d’autres chercheurs préfèrent classer les promesses par thèmes. Les recherches incluent alors des listes de promesses très variées, allant de 12 items (McDonald et Makin, 2000) à 26 items (Turnley et Feldman, 1998, 1999) sur des thèmes liés la rémunération, la carrière, les performances, etc.

Réalisation des promesses du contrat psychologique

Étudier et mesurer le CP ne consiste pas seulement à analyser les promesses faites par l’employeur et l’individu, encore faut-il que ces promesses soient respectées. La réalisation du CP est appréhendée par trois indicateurs : la rupture (en anglais, breach ou underfulfilment), le respect (fulfilment) et le dépassement des promesses (overfulfilment). L’étude de la réalisation du CP à travers la seule rupture des promesses n’offre qu’une vision très parcellaire du phénomène, qui se focalise sur les manquements aux promesses et les insuffisances. Or, un employeur peut, à l’inverse, dépasser ses promesses et offrir à un employé plus qu’il ne lui a promis. Cette possibilité a été peu étudiée car les salariés perçoivent fréquemment des ruptures dans le contrat psychologique, beaucoup moins un dépassement (voir Taylor et Tekleab, 2004 pour une recension de la documentation). La question se pose pourtant, notamment pour les employeurs qui déploient des efforts importants afin de retenir leurs salariés (on peut penser au cas des hauts potentiels par exemple). On peut donc envisager trois indicateurs du degré de réalisation du contrat psychologique :

  • le respect stricto sensu des promesses (évaluation cognitive que l’on a offert exactement ce qui avait été convenu) ;

  • la sous-réalisation ou rupture des promesses (évaluation cognitive que l’on n’a pas respecté ce qui avait été convenu) ;

  • la sur-réalisation ou dépassement des promesses (évaluation cognitive que l’on a obtenu plus que ce qui avait été convenu).

CP, attitudes et comportements au travail

Le CP, selon sa nature et sa réalisation, colore la relation d’emploi et explique le degré de mobilisation et de fidélisation des salariés. C’est surtout en relation avec la réalisation du CP que ces résultats ont été démontrés. La perception d’un écart entre la promesse faite et sa réalisation conduit à réévaluer la relation que l’on noue avec son entreprise et ses représentants. Constater qu’une promesse n’est pas tenue (ou est dépassée) génère une réaction émotionnelle et par suite une réévaluation des fondements de la relation d’emploi. La réaction première à une rupture est de réduire le niveau de confiance que l’on a en celui qui a rompu l’engagement. Mais les conséquences vont bien plus loin que la perte de la confiance. En milieu organisationnel, le danger est de voir se manifester une baisse de l’engagement affectif (on ne s’identifie plus aux valeurs de l’entreprise), ou au contraire une tendance accrue à vouloir quitter l’entreprise (parmi les très nombreuses contributions scientifiques sur ce sujet, citons Johnson et O’Leary-Kelly, 2003 ; Kickul, 2001 ; King, 2000 ; Turnley et Feldman, 2000 ; Van Dyne et Ang, 1998).

La mesure du contrat psychologique selon le PCI

Présentation du PCI

La première version du PCI a été proposée par Rousseau en 1990, puis a fait l’objet de deux actualisations en 1998 et en 2000. L’outil créé en 1990 fait uniquement état d’une liste d’engagements de la part de l’employeur et a été utilisé jusqu’au milieu des années 1990 (Robinson et Rousseau, 1994 ; Robinson et al., 1994 ; Robinson et Morrison, 1995 ; Robinson, 1996 ; Rousseau, 1990). Le fait de se centrer uniquement sur les promesses de l’employeur ne permet pas d’appréhender la mutualité et la réciprocité qui sont propres à un échange social. Face à cette critique, Rousseau présente en 1998 et 2000 une version étendue du PCI, avec 59 items supposés représenter des éléments centraux de la relation d’emploi. Cette liste a été élaborée à la suite d’entretiens menés auprès d’étudiants de MBA qui travaillent dans 13 entreprises des secteurs de la comptabilité, de la fabrication et de l’ingénierie. Elle inclut des promesses faites à la fois par les individus et par leur entreprise.

Nous nous intéressons dans cette étude au PCI pour trois raisons :

  • il correspond à l’opérationnalisation directe de l’approche théorique du CP que nous avons présentée dans la partie précédente, à savoir un ensemble de promesses mutuelles ;

  • il permet de présenter une liste très détaillée de promesses réciproques. Son principe de construction est connu et explicité, et l’adapter au contexte français permet de s’appuyer sur un instrument robuste ;

  • il est très utilisé par les chercheurs. La plupart des chercheurs citent Rousseau pour évoquer les principes de la construction de la mesure qu’ils utilisent (Conway et Briner, 2002 ; Coyle-Shapiro, 2002 ; Coyle-Shapiro et Neuman, 2004 ; Coyle-Shapiro et Kessler, 2002 ; Kickul, 2001 ; Kickul et al., 2004 ; Kickul et Lester, 2001 ; Porter et al., 1998 ; Robinson, 1996 ; Turnley et Feldman, 1999 ; 2000 ; De Vos et al., 2003). Mais dans ces études, chacun utilise un nombre et un type de promesses très variables. En outre, on n’y regroupe pas les promesses par analyse factorielle : on se contente de faire la somme des scores de chaque promesse. L’outil de Rousseau conduit à une liste de promesses dont la fiabilité et la validité ont été testées par test « t » et analyse factorielle. Cet outil est donc plus détaillé et nous semble plus robuste que ceux qui ont été présentés dans d’autres recherches.

La mesure des promesses dans le PCI

Les promesses mentionnées dans le PCI sont suffisamment générales pour pouvoir être pertinentes dans la plupart des situations professionnelles ; en revanche, elles sont adaptées au cas de salariés diplômés qui exercent des postes à responsabilités et ne seraient être transposables à d’autres types d’employés sans modifications majeures (Rousseau, 1990, 1998). Le tableau 1 présente les thèmes identifiés par Rousseau dans le PCI : quatre thèmes pour les promesses de l’employeur mesurés avec 32 items, et trois thèmes pour celles de l’employé mesurés avec 27 items.

Pour mesurer ces obligations, l’échelle retenue dans le PCI est une échelle de Likert en cinq points, allant de « pas du tout » à « dans une très large mesure », qui se présente ainsi : « Dans quelle mesure pensez-vous que votre entreprise est obligée de vous fournir… ». Outre Rousseau qui en est l’instigatrice, cette échelle a été reprise par Coyle-Shapiro et Neuman (2004), King (2000), McDonald et Makin (2000), ou encore De Vos et al. (2003). D’autres échelles ont pu être utilisées à partir des listes d’obligations du PCI, mais de façon beaucoup plus marginale. Par exemple, Robinson (1996) propose l’intitulé suivant : « Indiquez dans quelle mesure votre entreprise vous a fait des promesses en échange de vos contributions » (échelle à cinq points allant de « pas du tout obligée » à « tout à fait obligée »). Kickul (2001) recourt à une échelle dichotomique, les salariés devant indiquer oui/non devant chaque obligation.

Tableau 1

Les promesses mesurées dans le PCI

Les promesses mesurées dans le PCI

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Malheureusement, si l’instrument de Rousseau est cité comme base de construction de la mesure du CP, nous n’avons trouvé aucune autre recherche publiée qui reprenne entièrement cet instrument et teste sa qualité. Les chercheurs utilisent des listes d’items très variées et adaptent le PCI au contexte et au secteur d’activité qu’ils étudient. C’est pourquoi d’autres facteurs ont été trouvés, comme l’implication des salariés dans la vie et les décisions de l’entreprise (Porter et al., 1998), ou l’équilibre vie privée / vie professionnelle (De Vos et al., 2003), parce que les auteurs avaient rajouté des items qui n’étaient pas mentionnés dans l’outil de Rousseau. La structure factorielle du PCI mérite donc d’être étudiée plus en détails, notamment dans des contextes qui ne sont pas anglo-saxons. En matière de fiabilité, le PCI se présente comme un outil tout à fait acceptable. Les scores d’alpha de Cronbach portant sur l’ensemble des items, puis sur chaque facteur, varient de 0,82 à 0,93 d’après Rousseau (1998).

En recourant à un échantillon similaire à celui utilisé par Rousseau pour bâtir le PCI, nous testerons la validité et la fiabilité des échelles du PCI. Notre hypothèse est que le PCI est assez général pour être utilisable de façon universelle, et que l’on va retrouver la même structure factorielle quand il sera utilisé en France.

La mesure de la réalisation du contrat psychologique

La mesure de la réalisation du contrat psychologique consiste à comparer les réponses apportées par les répondants sur les termes du CP, avec celles données quant à leur respect. Malheureusement, le PCI s’intéresse essentiellement à la nature de l’échange social ; il ne présente pas d’échelle de mesure de la réalisation des promesses. Pour ce faire, nous nous sommes appuyée sur les échelles développées dans d’autres recherches et nous avons complété le PCI en intégrant la mesure de la réalisation des promesses qui y sont présentées.

La réalisation est calculée par un score de différence algébrique global, qui est la somme des scores de différence obtenus pour chaque élément du contrat psychologique, divisée par le nombre d’éléments. Un score faible signifie que l’on se rapproche de ce qui a été promis. Au contraire, un score élevé indique que les réalisations s’écartent des promesses. La méthode de calcul par scores de différence permet de tenir compte de l’importance de la promesse. Par exemple, si un salarié juge que des promesses importantes ont été faites en matière d’opportunités de carrière et qu’elles n’ont pas été tenues, les conséquences devraient être plus lourdes que si ce thème ne revêt pas d’enjeu majeur aux yeux de l’individu. L’échelle la plus utilisée est de type Likert à cinq points, allant de « pas du tout respecté» à « tout à fait respecté », en réponse à la question : « Dans quelle mesure, en pratique, votre entreprise a-t-elle respecté ses obligations ? » (Coyle-Shapiro et Kessler, 2000 ; Herriot et al., 1997 ; Kickul et al., 2004 ; Porter et al., 1998 ; Robinson, 1996 ; Robinson et Morrison, 1995, 2000 ; Robinson et Rousseau, 1994). Il s’agit d’une mesure non directionnelle qui ne spécifie pas si les promesses sont dépassées ou à l’opposé non atteintes.

Cette échelle n’est pas exempte de critiques ; elle présuppose que chaque promesse a fait l’objet d’une négociation ou est présente dans l’esprit de l’individu, ce qui n’est pas toujours le cas. C’est pourquoi Coyle-Shapiro et Kessler (2000) ont préféré demander dans un premier temps si chaque promesse existe, et dans un deuxième temps dans quelle mesure l’entreprise y a répondu. En outre, l’échelle précédente ne tient pas compte de la direction de l’écart (positif ou négatif). Elle ne permet pas de mesurer les trois indicateurs cognitifs de la réalisation du CP que nous avons évoqués précédemment. Pour y remédier, des mesures directes de la réalisation du CP sont de plus en plus utilisées (De Vos et al., 2003 ; Guest et Conway, 2002 ; Johnson et O’Leary, 2003 ; Lester et al., 2002 ; Turnley et Feldman, 1999 ; 2000). Il est demandé aux salariés dans quelle mesure les actes de l’employeur et du salarié excèdent ou au contraire n’atteignent pas les promesses faites, à partir d’une échelle allant de –2 (beaucoup moins que prévu) à +2 (beaucoup plus que prévu) pour chaque élément du contrat psychologique. Enfin, diverses raisons conduisent à penser que les mesures directes sont de meilleure qualité que les mesures indirectes. Turnley et Feldman ont utilisé un score multiplicatif indirect dans leur article de 1999, et un score direct dans celui de 2000. Les deux études s’appuient sur le même échantillon et les mêmes éléments du contrat psychologique ; les scores de corrélation avec une mesure globale de l’évaluation du CP sont similaires dans les deux cas (r = ,70). Coyle-Shapiro et Kessler (2000) obtiennent eux aussi des résultats similaires quand ils comparent la mesure directe de rupture pour chaque item du CP, et le score soustractif entre l’existence de la promesse et sa réalisation. Les mesures qui s’appuient sur des scores de différence sont susceptibles de problèmes méthodologiques et ont été fortement critiquées dans le passé, notamment pour leur faible fiabilité (Irving et Meyer, 1999 ; Johns, 1981). De telles recommandations psychométriques confortent l’idée de mesurer la réalisation du CP à l’aide d’une échelle de mesure directe.

Enfin, quel que soit le mode de calcul utilisé, la réalisation du CP a été mesurée à partir d’un score composite unique et n’éclaire pas le lecteur sur les différentes facettes du CP. Nous avons vu que les items du PCI ont été regroupés par Rousseau (1998) en sept facteurs. Quel est le rôle joué par chaque facteur ? Y en a-t-il un qui serait plus important aux yeux des salariés que les autres ? Recourir à une mesure globale et non à des mesures partielles, par facteur, ne permet pas d’y répondre. Robinson (1996) présente la seule étude qui examine les corrélations de chaque facteur du CP avec divers comportements (civisme, performances, taux de roulement) et attitudes au travail (intention de rester, confiance). Les scores de corrélation obtenus sont très disparates d’un facteur à l’autre. Seules les ruptures liées à la promotion et au contenu du travail sont reliées au taux de roulement. Les éléments les plus influents sont relatifs au développement des compétences, à la formation et au contenu du travail. À l’opposé, les corrélations ne sont pas significatives pour la sécurité de l’emploi, et le sont à peine pour la carrière et la rémunération (r = –,21 et –,24 entre la carrière, l’intention de rester et le roulement ; r = –,21 et –,20 entre le salaire et l’intention de rester et le civisme). Il semble que le CP se développe et s’évalue selon un processus par étapes : dans un premier temps, l’employé évalue la capacité de l’entreprise à respecter les promesses faites sur le court terme. Il se forge alors une perception sur la confiance qu’il peut avoir en son employeur et si elle est bonne, accepte plus facilement de s’engager dans une relation durable avec son employeur.

En utilisant le PCI auprès de jeunes cadres comme l’a fait Rousseau, on s’adresse à des employés en début de carrière, dont l’ancienneté et l’expérience professionnelle sont faibles. On s’attend donc à retrouver des résultats similaires à ceux de Robinson : c’est avec les éléments du CP qui se réalisent immédiatement que les attitudes des individus seront les plus reliées. Nous nous intéresserons pour cela à la confiance, à l’engagement organisationnel et à l’intention de rester.

La mesure de la mutualité et de la réciprocité à partir PCI

Mesurer la mutualité du contrat psychologique, c’est s’intéresser à la relation entre les perceptions de chaque partie sur le CP. En d’autres termes, comment les perceptions de chaque partie se combinent-elles ? On peut penser que les salariés raisonnent pour le contrat psychologique en comparant leurs contributions aux rétributions qu’ils ont reçues, comme le suggère Morrison et Robinson (1997) en adoptant une logique de pensée proche de celle d’Adams (1965) dans la théorie de l’équité :

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La mutualité définie selon ce principe a été testée par Coyle-Shapiro et Neuman (2004) ainsi que par De Vos et al. (2003). Ces deux études ont démontré que le respect des obligations par le salarié a un effet modérateur sur le lien entre la réalisation du CP par l’entreprise et les attitudes des salariés. Ces résultats confortent la théorie de l’échange social et montrent que les processus cognitifs mobilisés pour la réalisation du CP peuvent s’apparenter à ceux que l’on rencontre pour l’équité. Nous tenterons de la vérifier à nouveau dans le cadre de notre étude.

Élaboration et test de l’outil de mesure

Méthodologie

Adaptation du PCI

L’adaptation du PCI a été faite à la suite d’entretiens et de prétests réalisés auprès de salariés francophones en France. Une première étape a permis de vérifier la pertinence des items du questionnaire de Rousseau à l’aide d’entretiens. Une série de 19 entretiens a été réalisée, auprès de 11 cadres âgés de 29 à 42 ans, ainsi que de huit jeunes diplômés à la recherche de leur premier emploi. Ces personnes sont toutes diplômées en gestion. Elles ont été contactées par le biais d’annuaires des anciens diplômés, dans des établissements où la chercheuse intervenait en tant qu’enseignante. Les caractéristiques de cet échantillon exploratoire ne sont pas hasardeuses : le PCI a été bâti en s’appuyant sur des extraits verbatim d’anciens diplômés de MBA et est particulièrement adapté pour décrire le CP des executive managers Américains, qui forment une population proche de la notion française de cadres. De plus, les formations françaises à la gestion s’apparentent assez bien à celles de MBA, et on peut estimer que la formation des deux échantillons est comparable. Les entretiens ont été menés sur un principe semi-directif et visaient à laisser s’exprimer librement les participants sur leur relation d’emploi et leurs souhaits d’évolution quand ils travaillent en entreprise, sur le recrutement et les éléments qui y ont été discutés quand ils recherchent un premier emploi. Une fois le questionnaire traduit, il a été prétesté auprès de quatre chercheurs en GRH pour vérifier la validité de contenu, puis de cinq jeunes cadres en activité, toujours issus d’une formation gestionnaire et qui n’avaient pas participé aux entretiens exploratoires.

Les entretiens ont confirmé l’existence d’un CP dans l’esprit des salariés français, tout particulièrement chez les jeunes diplômés en phase de recrutement. Ils ont aussi facilité la traduction du questionnaire et ont permis de vérifier qu’aucun élément majeur du CP ne manque dans la liste proposée par Rousseau. Par rapport à la version du PCI, quelques ajustements ont été réalisés. Les termes exacts des items ont été adaptés pour « coller » au vocabulaire des personnes interrogées, sans changer leur contenu. En outre, nous avons réduit la liste des 32 et 27 items inclus dans le PCI à seulement 29 et 26. Concernant les promesses de l’employeur, nous avons retiré trois items relatifs aux conditions de sécurité et à la qualité de l’environnement. Ces points n’ont jamais été abordés lors des entretiens. Pendant les prétests, nous avons sollicité l’avis des participants sur ce sujet. Il est apparu que les « cadres » français travaillent pour la plupart dans des bureaux, des sièges sociaux et, de façon générale, dans des environnements protégés où ils sont peu exposés aux risques de maladies professionnelles. Concernant les promesses de l’employé, nous avons retiré un item sur le préavis avant départ. La notification de son départ à l’employeur est obligatoire en France et fixée à trois mois. Cet item donc n’est pas pertinent dans le contexte professionnel français. L’ensemble de ces aménagements nous a conduite à modifier de façon notable la version initiale du PCI. Habituellement, le test d’un questionnaire en langue étrangère passe par l’étape d’une double traduction. Pour être parfaitement rigoureux, il aurait fallu faire retraduire la version finale en anglais et vérifier que le contenu est identique au PCI. Cette étape n’a pas été réalisée, ce qui constitue une limite de notre travail, mais se justifie par l’existence d’adaptations qui n’auraient pas permis de retrouver parfaitement les items du PCI. Un extrait de notre questionnaire apparaît dans l’encadré 1.

Encadré 1

Extrait du questionnaire adapté de Rousseau (1998)*

Extrait du questionnaire adapté de Rousseau (1998)*

* Le lecteur qui souhaite obtenir la version intégrale du questionnaire peut contacter directement l’auteure, qui lui fournira le document au complet.

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Mesure de la réalisation des promesses

Notre échelle de mesure sur la réalisation des promesses tient compte de la rupture et du dépassement des promesses. Ce choix permet de mesurer la réalisation de manière directe, en plus du mode de calcul indirect. La réalisation du CP a donc été mesurée de deux façons : via le score direct donné par les salariés dans la partie droite du questionnaire, et via un score soustractif entre l’importance de chaque promesse indiquée à gauche et le respect de cette promesse indiqué à droite (voir l’encadré 1). Dans les deux cas, des scores de réalisation ont été calculés par thèmes : pour chaque facteur, un score moyen de réalisation a été calculé. Enfin, un item a été rajouté pour tester la validité convergente des mesures : « De façon générale, comment votre entreprise a-t-elle respecté ses promesses ? ». Les réponses s’échelonnent sur une échelle en cinq points allant de « très mal » à « très bien ». Cet item a été repris à partir des études antérieures, qui l’avaient utilisé pour étudier les scores de corrélation et la validité convergente des mesures du CP et de sa réalisation ; il est également présent dans le PCI de Rousseau (1998).

Autres variables mesurées

D’après la théorie de l’échange social, la confiance est affectée en premier lieu lorsque le CP n’est pas respecté. D’autres attitudes au travail sont aussi influencées ; elles visent à revoir les engagements de l’individu à la hausse lorsque les promesses sont dépassées, à la baisse sinon. Nous en avons retenu deux : l’engagement affectif et l’intention de rester. La confiance en son employeur a été mesurée à l’aide des six items développés par Robinson (1996 ; alpha = ,87). Les libellés sont du type « je peux compter sur mon employeur pour qu’il me traite toujours de la même façon » et l’échelle de mesure est de type Likert à cinq points. Nous avons eu recours à l’échelle d’Allen et Meyer pour mesurer l’engagement affectif. Cette échelle a été traduite en France par Neveu (1993) et sa traduction a conduit à l’obtention d’un seul facteur avec un score d’alpha de Cronbach satisfaisant (alpha = ,71). Neveu a également proposé une traduction de l’intention de rester à partir de quatre items que nous avons reprise (1 seul facteur et alpha = 81) : « J’ai l’intention de quitter mon entreprise au cours des 12 prochains mois » ; « Si l’on m’offrait mieux ailleurs financièrement, je changerais d’entreprise immédiatement » ; « Je pense souvent à démissionner » et « Je vais me mettre activement à la recherche d’un nouveau travail dans l’année qui vient ». Enfin, diverses variables de contrôle ont été mesurées : l’âge, l’ancienneté dans le poste, l’expérience professionnelle (nombre d’années travaillées, quelle que soit l’entreprise), le nombre de postes occupés, le nombre d’employeurs, la taille de son entreprise et le salaire.

Échantillon

L’adaptation du PCI a été envoyée par courrier postal à 1000 diplômés de gestion issus des promotions 1980 à 1997, suivi d’une relance par courrier électronique[2]. Cette procédure a permis d’identifier un public identique à celui sur lequel nous nous sommes appuyée pour adapter le PCI. En outre, la sélection selon les années d’obtention du diplôme permet de repérer des cadres qui sont dans une phase ascendante de leur carrière et sont la cible des programmes de fidélisation des entreprises. Nous nous sommes centrée sur des salariés ayant entre 25 et 45 ans, et nous avons exclu de l’étude les agents de la fonction publique, les entrepreneurs et chefs d’entreprise, ainsi que les salariés n’étant plus dans une étape de carrière ascendante. Au total, 217 questionnaires ont été retournés, 11 d’entre eux étant inexploitables, soit un taux de retour de 21,7 %. L’échantillon final inclut 59,5 % d’hommes. En moyenne, les répondants ont 33,1 ans, occupent leur quatrième poste et travaillent chez leur troisième employeur.

Analyses

Le test de la mesure adaptée du PCI a été effectué à l’aide de trois séries d’analyses.

  • La validité et la fiabilité de la mesure des promesses. Nous avons procédé dans un premier temps à une analyse factorielle exploratoire en composantes principales (rotation varimax) afin de voir si les facteurs obtenus sont similaires à ceux de Rousseau. Les résultats n’ont pas confirmé les facteurs mis en avant par Rousseau. Nous reprendrons ici seulement les principaux résultats et nous renvoyons le lecteur à l’article publié en 2004 pour plus de détails sur l’analyse factorielle exploratoire (Guerrero, 2004). Nous avons poursuivi par une analyse factorielle confirmatoire (AFC) sous LISREL afin de tester trois structures factorielles alternatives : la première est celle obtenue par Rousseau, la deuxième est celle suggérée par l’analyse exploratoire, la troisième est une AFC de second ordre, qui regroupe les facteurs dans une variable latente. Cette approche permet de voir, des modèles de Rousseau et du nôtre, celui qui est le plus apte à décrire les observations recueillies. Le troisième modèle permet de savoir si les facteurs reflètent un seul construit dans l’esprit des salariés, ou s’ils sont plutôt indépendants.

  • Le choix d’une mesure directe ou indirecte de la réalisation du CP. Nous avons étudié les scores de corrélation entre les deux types de mesure de la réalisation du CP, l’item unique, et les variables expliquées (confiance, engagement affectif, intention de départ). Les corrélations avec l’item de contrôle donnent une indication sur la validité convergente des deux mesures et celles avec les variables finales sur la validité concurrente. Nous avons procédé ainsi pour savoir si la mesure directe de la rupture conduit à des niveaux de validité plus élevés que la meilleure indirecte.

  • L’étude détaillée de la réalisation du CP. Les dernières analyses ont été réalisées à l’aide de la régression multiple hiérarchique. Ces analyses nous ont permis de savoir si certains facteurs ont un rôle plus important que d’autres sur les attitudes, et si ce rôle est plus fort que celui du score global de réalisation. La deuxième régression hiérarchique a conduit à tester la mutualité du CP. Nous avons pour cela testé l’effet modérateur de la réalisation du CP par l’employé.

Étude de la validité du PCI

Analyse factorielle en composantes principales et alphas de Cronbach

L’analyse factorielle exploratoire conduit à identifier sept facteurs après « épuration », présentés succinctement dans le tableau 2. Sur les 29 items de départ, 23 seulement ont été conservés selon les critères d’épuration suggérés par Scarpello et al. (1988) : contribution factorielle supérieure à ,50 avec un écart d’au moins ,20 entre la contribution factorielle la plus élevée et les autres contributions. On retrouve dans ces sept facteurs les quatre de Rousseau : le climat de confiance (F1), la rétribution (divisée en trois facteurs : les possibilités d’évolution (F2), la rétribution des performances (F3) et la sécurité de l’emploi (F5)), le contenu du travail (divisé en deux facteurs : son intérêt (F6) et les responsabilités (F7)), et les conditions matérielles (F4). Ces sept facteurs expliquent 66,04 % de la variance (test KMO de sphéricité = ,788) et présentent un niveau de cohérence interne satisfaisant, selon le critère de ,70 retenu par Nunnally (1978 : 245).

Les obligations des salariés conservées après l’épuration de l’outil de mesure sont au nombre de 24, organisées elles aussi autour de sept facteurs et non de trois comme le suggère Rousseau : on retrouve les mêmes facteurs, mais à nouveau avec des sous-dimensions. L’esprit d’équipe est divisé en trois facteurs : l’altruisme (F2), la citoyenneté (F3) et les comportements hors rôle (F4) ; les performances minimales apparaissent dans le facteur F1 et la loyauté dans les facteurs F5 (loyauté), F6 (changement de poste) et F7 (mobilité géographique). Le pourcentage de variance expliquée est de 66,68 ; le test KMO est égal à ,839 et les scores d’alpha de Cronbach sont tous supérieurs à ,70. La structure factorielle obtenue peut donc être considérée satisfaisante à la vue des critères que nous avons fixés (voir le tableau 3).

Tableau 2

Analyse factorielle des obligations de l’employeur

Analyse factorielle des obligations de l’employeur

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Tableau 3

Analyse factorielle des obligations des salariés

Analyse factorielle des obligations des salariés

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Analyse confirmatoire sous LISREL 8.5

Les structures factorielles obtenues par Rousseau et par l’analyse exploratoire ont été comparées en utilisant les matrices de covariance sous LISREL, selon le principe de l’analyse factorielle confirmatoire de premier ordre. Un troisième modèle a été comparé aux deux premiers ; il vise à ajouter une variable latente de second niveau qui regroupe l’ensemble des facteurs identifiés. Les paramètres de chaque modèle ont été estimés avec le principe de la vraisemblance maximale. Les résultats présentés dans le tableau 4 montrent que c’est la structure multidimensionnelle de premier ordre identifiée lors de l’analyse exploratoire qui obtient les meilleurs indices de bon ajustement. Nous obtenons donc sept facteurs pour les promesses de l’entreprise et sept facteurs pour celles des salariés. Nous retrouvons les mêmes facteurs que ceux identifiés par Rousseau mais ils sont pour la plupart structurés en sous-dimensions, ce qui explique un nombre plus grand de facteurs.

Tableau 4

Analyse factorielle confirmatoire sous LISREL 8.5

Analyse factorielle confirmatoire sous LISREL 8.5

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Étude de la mesure de la réalisation du contrat psychologique

Corrélations

Nous avons calculé les scores de réalisation du CP en faisant la moyenne des scores de réalisation pour les 14 facteurs identifiés précédemment. Un score global fut aussi calculé, tout facteur confondu. Le premier score de réalisation a été obtenu par soustraction des réponses apportées sur l’importance de chaque promesse et sa réalisation. Le deuxième score correspond à la mesure directe de la réalisation du CP. Les résultats des matrices de corrélation n’ont pas permis d’identifier des différences significatives entre les deux méthodes de calcul (voir l’extrait de ces matrices dans le tableau 5). Que l’on utilise un calcul direct ou indirect, les résultats sont similaires, avec des corrélations légèrement plus élevées pour la mesure directe. Chaque thème du CP conduit également à de fortes corrélations avec l’item unique, que ce soit pour les obligations de l’employeur ou des salariés. Enfin, les scores de corrélation entre les variables calculées de façon directe et indirecte sont tous supérieurs à ,90. Nous avons donc deux mesures quasi-identiques, la mesure directe obtenant des scores de corrélation plus élevés et posant moins de problèmes de fiabilité. Nous confirmons donc l’idée qu’il est préférable de recourir à cette dernière mesure pour étudier la réalisation du CP. C’est ce que nous avons fait pour la suite des analyses.

Les corrélations avec les variables expliquées (tableau 6) montrent que la réalisation du CP par l’employeur est significativement reliée à la confiance, à l’engagement affectif et à l’intention de départ ; à l’opposé, les scores de corrélation pour la réalisation du CP par le salarié ne sont pas significatifs. Il existe une corrélation forte entre les deux scores de réalisation (r = ,401), ce qui laisse penser qu’il existe une mutualité et qu’un lien modérateur peut exister entre les deux variables. Les variables de contrôle sont interreliées mais avec des scores inférieurs à r = ,526 ; les risques de multicolinéarité ne sont donc pas trop élevés.

Régressions hiérarchiques

Le tableau 7 met en avant le rôle joué par chaque type de réalisation du CP sur les variables explicatives. On constate que le climat de travail et la sécurité de l’emploi sont reliés à la confiance ; la sécurité de l’emploi est également reliée à l’engagement affectif. Ces résultats conduisent à penser que la fidélisation des employés sur le long terme passe par la prise en compte des promesses relationnelles du CP. Pour la confiance, c’est d’autant plus le cas qu’aucune variable de contrôle n’est significative une fois que l’on introduit les variables sur le CP. Pour l’engagement affectif, la taille de l’entreprise semble aussi jouer un rôle, sans doute parce que les grandes structures bénéficient d’une notoriété et de pratiques d’identification qui encouragent le sentiment d’appartenance.

Nous ne retrouvons pas du tout les résultats de Robinson, qui n’établissent aucun lien entre la sécurité de l’emploi et les attitudes et les comportements au travail des cadres Américains. En France, la dimension relationnelle de l’échange social semble dominer bien plus qu’en Amérique du Nord. Les échanges durables ont un effet sur les attitudes au travail, et non les réalisations obtenues immédiatement. À l’opposé, l’intention de départ est rattachée à la rétribution et au contenu du travail, qui sont des promesses que l’on évalue plus rapidement. À la non-réalisation de ces promesses, l’individu réagit en songeant à quitter son entreprise. L’intention de départ est également reliée à bon nombre de variables de contrôle : les personnes qui ont de l’expérience professionnelle, des salaires élevés et changé d’entreprises fréquemment manifestent le moins l’intention de partir.

Tableau 5

Corrélations des mesures directes et indirectes de la réalisation du CPa

Corrélations des mesures directes et indirectes de la réalisation du CPa

a L’auteure tient à la disposition du lecteur les matrices de corrélation pour les obligations des salariés.

b Les variables qui commencent par « im » ont été obtenues par mesure indirecte.

*** p < 0,01 ** p < 0,05 * p < 0,1

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Tableau 6

Corrélations entre les variables de contrôle, les variables expliquées et la réalisation du CP

Corrélations entre les variables de contrôle, les variables expliquées et la réalisation du CP

*** p < 0,01 ** p < 0,05 * p < 0,1

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La dernière série d’analyses que nous avons effectuée nous conduit à valider partiellement l’existence d’un lien modérateur entre la réalisation du CP par l’employeur et les variables expliquées. Lorsque la variable modératrice est incluse dans l’équation de régression, la variance expliquée du modèle augmente significativement pour l’intention de départ et la confiance (respectivement, delta R² = 4,9, p < ,01 et 4,7, p < ,05). La variable modératrice joue un rôle significatif qui vient s’ajouter à l’effet de la réalisation du CP. L’individu semble raisonner comme le modèle de Morrison et Robinson (1997) le stipule : dans un premier temps, il compare les rétributions de son employeur à ses promesses. Cette comparaison lui permet d’évaluer le niveau de réalisation du CP de la part de son employeur et il réagit en conséquence. Dans un second temps, le salarié va comparer ce ratio au ratio qu’il perçoit pour ses propres contributions. Si ce ratio lui est défavorable, sa réaction sera renforcée. Il y a donc un double processus de comparaison qui se met en place chez l’individu et dont les effets s’additionnent. Toutefois, nous ne retrouvons pas ce résultat pour l’engagement affectif. Pour cette variable, seule la non-réalisation des promesses compte, indépendamment des contributions de l’individu.

Discussion

Cet article avait pour objectif de tester une mesure du CP et de sa réalisation auprès de cadres français. Nous avons pour ce faire adapté l’outil développé par Rousseau, le Psychological Contract Index. Le test des qualités métriques de l’instrument de mesure que nous avons utilisé conduit à des résultats parfois contre-intuitifs, qui invitent à réfléchir tant sur la mesure que sur l’approche théorique du CP.

Validité de la mesure du contrat psychologique

L’échelle des promesses de l’employeur que nous avons adaptée conduit à sept facteurs en France, contre seulement quatre aux États-Unis pour Rousseau, alors que nous avons eu recours à un échantillon similaire. Comment expliquer de telles différences ? Les sept facteurs obtenus sont proches de ceux de Rousseau et portent sur la carrière, les conditions de travail (la formation essentiellement), le contenu du travail, le salaire lié aux performances, les responsabilités, le climat de travail et la sécurité de l’emploi. L’analyse factorielle confirmatoire montre que ces facteurs sont distincts dans l’esprit des répondants français. Les promesses faites par les salariés présentent elles aussi une structure factorielle différente de celle de Rousseau. À nouveau, nous obtenons sept facteurs, trois d’entre deux étant proches de ceux qui ont été identifiés dans le PCI.

Tableau 7

Validité concurrente de chaque type de rupture (coefficients standardisés)

Validité concurrente de chaque type de rupture (coefficients standardisés)

* p < 0,10 ; ** p < 0,05 ; *** p < 0,01

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Tableau 8

La mutualité du contrat psychologique

La mutualité du contrat psychologique

* p < 0,10 ; ** p < 0,05 ; *** p < 0,01

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Nous pensions retrouver la même structure factorielle que Rousseau, partant de l’idée que la liste de promesses dressée dans le PCI est universelle. Nos résultats conduisent à privilégier une approche contingente du CP et justifient le besoin de créer des échelles et des listes de promesses qui soient adaptées à chaque situation professionnelle et culturelle. Concernant les promesses de l’employeur, la question qui se posera à l’avenir est de savoir si l’on peut considérer l’instrument que nous avons adapté comme valide. Pour pouvoir l’affirmer, il faudra tester à nouveau l’échelle que nous avons développée auprès d’un échantillon identique en France, et idéalement comparer les résultats à ceux d’un échantillon similaire américain. Si l’on retrouve les deux structures factorielles que nous avons testées dans cet article, nous pourrons considérer qu’il existe des différences culturelles qui justifient une adaptation du PCI, et que les deux instruments sont valides. Dans le cas inverse, la validité de notre instrument sera très discutable. Concernant les promesses des salariés, nos conclusions sont les mêmes. Toutefois, les sept facteurs obtenus rappellent ceux des comportements discrétionnaires développés par Van Dyne et al. (1994). Ces comportements conduisent l’individu à aller au-delà des exigences fixées par sa fiche de poste. Ils se manifestent par de l’altruisme, des comportements hors rôle — heures supplémentaires, travail à la maison, responsabilités accrues, etc. — ou par une forte citoyenneté d’entreprise. Or, ces thèmes apparaissent aussi dans les facteurs du CP que nous avons identifiés. Bien évidemment, les deux concepts sont différents : les échelles de comportements discrétionnaires visent à mesurer l’existence de ces comportements, indépendamment des promesses qui ont pu être formulées à leur égard. Au contraire, notre échelle du contrat psychologique se focalise sur l’existence de promesses et leur réalisation. Mais le contenu sur lequel porte la mesure étant très proche, il serait important de vérifier que les répondants distinguent bien les deux concepts et ne les confondent pas. En présence de problèmes de multicolinéarité entre les deux mesures, la validité de l’échelle des promesses pour les salariés sera discutable.

Validité des scores de réalisation du contrat psychologique

Nous avons confirmé dans cette étude que la validité des mesures di-rectes de la réalisation du CP est meilleure que celle des mesures indirectes. Une des limites de notre étude est de l’avoir fait en s’appuyant sur un seul item, et non sur une échelle plus complexe de réalisation du CP. Toutefois, nos résultats confortent ceux qui ont été obtenus dans les recherches antérieures. De plus, les mesures indirectes s’appuient sur un principe de calcul soustractif dont la fiabilité est contestée en psychométrie. Nous pouvons donc conclure que les mesures directes sont à privilégier dans l’avenir. Nous avons aussi montré qu’il est important d’identifier trois types de réalisation, à savoir le respect stricto sensu des promesses, leur rupture et leur dépassement. Cela suppose de recourir à une échelle de mesure qui permette d’évaluer de façon positive et négative le respect des promesses, de –2 (beaucoup moins que prévu) à +2 (beaucoup plus que prévu).

La distinction entre ces trois types de réalisation devrait conduire à de plus amples développements. Conway et Briner (2002) ont étudié les incidences des promesses non réalisées ou au contraire dépassées, sur les émotions. Ils arrivent à la conclusion que les émotions négatives générées par la rupture sont plus intenses que le sentiment de surprise et de valorisation personnelle créé par le dépassement des promesses. Schurer Lambert et al. (2003) ont approfondi cette idée et démontré que donner plus que promis peut créer des conséquences positives tout autant que négatives sur la satisfaction au travail. Si la relation entre la rupture du contrat et les conséquences individuelles est linéaire, ce n’est pas le cas pour son dépassement. La relation est linéaire concernant les éléments liés à la rémunération, à la reconnaissance et aux relations de travail. Elle est curvilinéaire pour les éléments du contrat psychologique qui sont source de stress et ne permettent pas à l’individu de s’épanouir au travail : la formation diplômante, le développement des compétences par l’augmentation des responsabilités et de la charge de travail. Dans ce cas, c’est lorsque l’employeur respecte stricto sensu ses promesses que les scores de satisfaction sont les plus élevés. Il semble donc que le dépassement des promesses n’ait pas le même effet sur les attitudes et les comportements que la rupture. Ces résultats suggèrent que pour mesurer la réalisation du contrat psychologique, il faudra aller plus loin dans les recherches futures et calculer trois indicateurs séparés : la rupture, le respect stricto sensu et le dépassement des promesses.

Réalisation du contrat psychologique et conception de l’échange social

L’étude de la réalisation du CP devra aussi tenir compte du type de promesses faites. Nous obtenons une meilleure validité concurrente pour la réalisation des promesses sur la sécurité du travail, la rétribution et l’intérêt du travail, que pour le score global de réalisation. Ce point a déjà été souligné dans les travaux de Robinson (1996) et de Schurer Lambert et al. (2003), mais les études qui se penchent sur le CP en font peu cas et tendent à analyser leurs résultats à partir d’un seul score global. Nos résultats indiquent que les éléments du CP conduisent à renforcer la relation d’emploi et l’échange social avec son employeur de deux façons.

  • L’échange social transactionnel : les éléments du CP qui se focalisent sur la rétribution ou le contenu du travail assoient les fondements d’une relation transactionnelle. Ils font de la vie professionnelle un lieu d’échange économique, qui suppose un emploi contre rémunération. Lorsque les promesses faites à ce sujet ne sont pas respectées, on constate que le salarié manifeste une intention forte de quitter l’entreprise. Il semble donc que les promesses de nature transactionnelle aient un impact immédiat sur la capacité à retenir les individus.

  • L’échange social relationnel : d’autres éléments du CP permettent d’appréhender la relation d’emploi comme un échange social et humain, à l’exemple de la sécurité de l’emploi et du climat de travail. Dans cette logique, le salarié peut développer un sentiment d’appartenance et se sentir en sécurité dans son environnement professionnel. Les bases pour la fidélisation du personnel sont alors présentes, puisque nous avons trouvé un lien significatif avec la confiance en son employeur et l’engagement affectif.

Les deux types de promesses sont nécessaires pour garantir un échange social pérenne. Le respect des promesses transactionnelles incite le salarié à rester dans l’entreprise, sans pour autant qu’il se sente engagé. L’engagement naît de la capacité de l’employeur à respecter des promesses relationnelles et à offrir des garanties sur l’existence d’un échange durable. On constate alors des attitudes engagées et confiantes chez les individus.

Comment expliquer que Robinson n’obtienne pas des résultats similaires aux nôtres ? Une hypothèse qu’il faudra vérifier dans les recherches futures est la conception de l’échange social en France et aux États-Unis. Qu’est ce qu’un « bon » échange social pour un cadre français ? Notre étude indique qu’il s’agit d’un échange qui satisfait des besoins économiques immédiats et permet d’offrir une stabilité d’emploi. Aux États-Unis, les besoins économiques sont clairement mis en avant dans l’étude de Robinson ; ils se couplent aux besoins de développement personnel puisque les éléments du CP liés à la formation et aux compétences sont reliés aux attitudes et aux comportements au travail. Le marché du travail américain est plus flexible que le marché français ; les individus y ont l’habitude de changer d’entreprise et adoptent plus facilement des parcours de carrière variés, ce que font moins les cadres français. Il semble logique que l’employabilité soit davantage recherchée chez les Américains, alors que les Français seront plus sensibles à la sécurité de l’emploi.

Pour finir, nous arrivons aussi à la conclusion que la réalisation du CP par l’employé modère la relation entre la réalisation par l’entreprise et les attitudes au travail. Sur ce point, nous retrouvons les résultats de Coyle-Shapiro et Neuman (2004) et de De Vos et al. (2003). Nos résultats soulignent le besoin d’appréhender la mutualité du CP avec une assise théorique solide. Le modèle proposé par Morrison et Robinson (1997) et qui s’inspire de la théorie de l’échange social constitue une base de travail intéressante à ce sujet. Il s’agit d’un dernier résultat qui devrait lui aussi faire l’objet de nouvelles recherches dans l’avenir.