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L’objectif de cet ouvrage est d’explorer les causes et conséquences de l’émergence des préoccupations relatives à la responsabilité sociale d’entreprise (RSE). Il réunit 13 contributions écrites ou coécrites par 18 auteurs. Les meilleurs spécialistes québécois de la RSE (Beaulieu, Gendron, M’Zali, Pasquero, Turcotte, et al.) ainsi qu’une auteure de référence aux États-Unis (Wood) ont uni leurs plumes pour contribuer à la réalisation de cet ouvrage collectif dirigé par Diane-Gabrielle Tremblay et David Rolland. Ce recueil formalise les discussions présentées en 2003 lors du colloque annuel de l’Association d’économie politique et permet de présenter un état des lieux récent de la RSE dans le contexte nord-américain.

L’ouvrage se compose de trois grandes parties. La première, la plus théorique, se centre sur le sens des concepts de responsabilité sociale, de performance sociale et d’éthique.

Dans un premier temps, la contribution d’Audebrand, Rolland et Tremblay fait le point utilement sur la notion de performance sociale et met en avant l’aspect multidimensionnel de ce construit. C’est justement cela qui pose un problème (non encore résolu) d’opérationnalisation. La conclusion permet de déplorer l’absence, à l’heure actuelle, d’une théorie (consensuelle) de la RSE.

Puis, Machildon pointe une des questions centrales qui se pose pour la RSE : faut-il encadrer plus strictement les activités des entreprises en matière sociale ou laisser libre court à une autorégulation afin qu’elles intègrent d’elles-mêmes les externalités qu’elles engendrent ? Elle plaide pour la recherche, grâce à l’implication de toutes les parties prenantes, d’un délicat équilibre entre réglementation et laisser-faire.

Enfin, Pasquero s’intéresse de façon ambitieuse à l’évolution de la RSE dans l’histoire du capitalisme. Il montre que ce concept évolutif s’est constitué par sédimentation. Chaque période ayant secrété ses propres exigences et s’appuyant sur les acquis des développements précédents. La RSE est alors appréhendée dans le cadre d’une conception institutionnaliste du rôle de l’entreprise. Le texte se termine par la formalisation d’une éthique de la responsabilité pour le gestionnaire.

La deuxième partie traite plus précisément de l’émergence de la finance responsable. Elle débute curieusement (car ce chapitre aurait pu être inséré dans la première partie) par une contribution théorique de Wood portant sur la performance sociale des entreprises. Wood plaide pour le développement d’une théorie des parties prenantes permettant de fonder la performance sociale. Cette « grande idée » est fort bien étayée, en conclusion, par une citation puisée dans la Théorie des sentiments moraux d’Adam Smith. Médiatisation récente mais préoccupations anciennes…

Gendron présente ensuite une typologie de la finance responsable et plaide pour une réaffirmation du rôle de l’État dans la régulation du secteur financier. Elle distingue, dans sa contribution, deux concepts trop souvent confondus (p. 80) : « le développement durable n’est pas un concept managérial et n’a jamais eu la prétention de l’être […] La question de la responsabilité sociale […] est issue du monde des affaires ». Le développement durable est vu, à juste titre, nous semble-t-il, comme un projet de société et non comme une stratégie managériale.

Puis, Turcotte et M’Zali se référent à Habermas pour mettre en évidence l’émergence d’un espace de discussion autour de l’investissement responsable. Elles précisent toutefois que l’État garde tout son rôle dans la nouvelle régulation qui semble se mettre en place.

De Serres montre les bienfaits du mouvement de la finance responsable « venant au secours » de la finance traditionnelle en l’obligeant à se réconcilier avec les principes fondamentaux de la création de valeur à long terme pour l’ensemble des parties prenantes. Il souligne toutefois la nécessité de se doter d’outils et de méthodes pertinents pour mesurer la performance globale des entreprises.

Beaulieu et Pasquero s’intéressent de façon très originale à l’effondrement d’Arthur Andersen et décortiquent (voire déconstruisent à la manière de Derrida) le processus de délégitimation qui a mis fin à son existence.

Enfin, Plant dresse un panorama comparatif de l’investissement responsable aux États-Unis et au Canada. Il considère que l’écart entre les deux pays a toutes les chances de se réduire, prédisant l’accélération du phénomène au Canada au cours des prochaines années.

La troisième partie de l’ouvrage met l’accent sur le rôle que peuvent jouer les différents acteurs tels que les acteurs syndicaux ou la société civile en regard de la RSE. Ainsi, la contribution de Bourque analyse les pratiques financières innovantes de la Confédération des syndicats nationaux (CSN). Lizée relate également une démarche de formation en cours dans le milieu syndical visant à la prise en charge des régimes de retraite négociés au niveau de l’entreprise. Il montre qu’il est possible de concilier fructification des épargnes pour la retraite et approche de placement socialement responsable.

Le texte de Parent met en exergue le rôle fondamental que peut jouer la société civile pour définir l’équilibre nécessaire entre autorégulation et réglementation. Elle renvoie ainsi l’investisseur et le consommateur à leurs propres responsabilités.

Enfin, l’ouvrage se conclut par une contribution intéressante portant sur le secteur de l’économie sociale, considérant que la RSE n’est pas seulement l’affaire des entreprises privées. Fontan, Klein et Crevier-Lajeunesse montrent la généralisation de l’idée d’entreprendre. Dans la lignée (implicite) de Parsons, ils indiquent que cette idée doit intégrer de façon équilibrée les dimensions économique, sociale, culturelle et politique.

Pour conclure, cet ouvrage collectif apporte une réelle valeur ajoutée à la littérature en langue française sur la RSE. Même si la juxtaposition des différents textes nuit parfois à son homogénéité (c’était difficilement évitable), il convient de souligner la grande qualité de l’ensemble des contributions. Le grand mérite de cet ouvrage est précisément d’aborder la question de la RSE de façon documentée (la dimension historique n’est jamais oubliée, les illustrations sont pertinentes), distanciée et objective (ce qui fait parfois défaut sur ces questions). Les débats fondamentaux animant le développement de la RSE sont très bien identifiés et les auteurs s’efforcent en permanence d’y apporter des éléments de réponse constructifs.

Au fil des contributions, le lecteur ne peut qu’être convaincu de la richesse de la RSE comme champ de recherche : l’émergence de nouvelles pratiques de gestion (comme l’investissement socialement responsable) comme de nouveaux cadres théoriques (théorie des parties prenantes, par exemple) constituent de stimulants appuis pour de futures recherches.