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Depuis la crise économique des années 1980, la PME est devenue un objet croissant de préoccupation, déclassant la grande entreprise qui constituait la figure de proue du modèle fordiste durant les trente glorieuses. Ainsi, après avoir noté que plus de 63 % des emplois sont le fait de PME de moins de 500 employés au Québec, un rapport récent avance que les PME sont à l’origine de la performance exceptionnelle du Québec au chapitre de la création d’emplois au cours des dernières années si bien qu’elles sont maintenant perçues comme une condition sine qua non de la croissance économique (Québec, 2003).

Cette perspective est par contre ternie par les résultats de diverses études, tant au Québec qu’à l’étranger, qui constatent les déficits de la PME en termes de gestion de sa main-d’oeuvre et notamment de formation. Ainsi, les premières évaluations de la Loi sur le développement de la formation de la main-d’oeuvre au Québec (Québec, MESS, 2000 et 2002) font ressortir que les petites entreprises investissent moins que les grandes dans la formation de leur main-d’oeuvre. De telles constatations interpellent évidemment au premier plan les décideurs publics qui veulent comprendre cet écart dans l’investissement de formation entre les petites et les grandes entreprises et mettre de l’avant des politiques publiques adéquates pour y remédier[1].

Nous tentons ici de remettre en question l’explication du faible investissement en formation des PME par le seul effet de taille en le reliant à d’autres facteurs (structure, propriété, environnement, marchés, organisation du travail, etc.) qui, selon nous, déterminent ensemble le contexte dans lequel s’inscrit ce rapport des PME à la formation et lui donnent sens. Dans notre perspective, analyser les difficultés des PME à former par rapport à leur seule caractéristique de taille, revient à faire abstraction de leur environnement. Au contraire, nous partons de l’idée que l’environnement socio-économique des entreprises (leur appartenance sectorielle et territoriale) et les dispositifs institutionnels les entourant (lois, normes, etc.) sont, à côté des caractéristiques individuelles (taille, propriété, structure de l’entreprise), parmi les premiers facteurs explicatifs du rapport des entreprises à la formation.

Une revue des études concernant les différents facteurs qui peuvent expliquer le rapport des PME à la formation nous permettra de déboucher sur la mise au point de notre cadre d’analyse. Nous présenterons ensuite les résultats de notre enquête, en montrant d’abord comment les différents facteurs énumérés peuvent être regroupés pour donner lieu à de grandes configurations d’entreprise, ensuite comment les facteurs d’environnement institutionnels jouent un rôle primordial dans ces configurations.

Revue des études et problématique

Le déséquilibre dans l’investissement de formation des petites et moyennes entreprises par rapport aux grandes est une réalité qui a été documentée dans divers pays, en France notamment (Géhin, 1986 et 1989) de même qu’au Canada (de Broucker, 1997; Chaykowski et Slotsve, 2003; Statistique Canada, 2003). La majorité des études ont tenté de comprendre cet écart de formation entre les grandes entreprises et les PME par le biais de « difficultés » propres aux petites entreprises dans la formation de leur personnel. Or, se questionner sur les « difficultés » des petites entreprises à former ne part-il pas d’un préjugé à savoir que la formation « organisée » à l’image de ce qui se fait dans la grande entreprise serait l’idéal type à atteindre ? Ce questionnement ne part-il pas aussi de l’idée que toutes les petites et moyennes entreprises ont un même rapport à la formation. Ce sont de telles idées qu’ont explorées des chercheurs du Céreq en France (Bentabet, Michun et Trouvé, 1999) pour examiner d’une part les pratiques de formation spécifiques aux PME et d’autre part la diversité des facteurs qui influencent les rapports des PME à la formation.

Spécificités de la formation dans les PME

Ainsi, au-delà de la différence quant à l’investissement de formation entre petites et grandes entreprises, un autre fait bien connu continue à ressortir des enquêtes et statistiques récentes : les PME investissent moins que les grandes entreprises dans des formations structurées. Les formations à l’interne, souvent apparentées à la formation sur le tas, sont plus souvent le lot des PME que la formation structurée[2]. Julien (1997) remarquait que toutes les études tant aux États-Unis qu’au Canada montraient une nette tendance à la simple formation sur le tas dans les PME, tendance qui semble se perpétuer depuis fort longtemps puisque Baker observait déjà en 1951 une faible formalisation de la formation dans les PME.

Ce phénomène a été maintes fois souligné. Par exemple, dès 1986, Géhin soulignait que les PME en France privilégiaient le plus souvent des formations internes pour répondre à court terme à un problème précis dans l’entreprise. Toujours en France, Biret et al. (1991) avancent que pour répondre à leurs besoins en personnel formé, les PME développent non seulement un effort intense de formation sur le tas mais recrutent aussi des jeunes issus des filières scolaires qu’elles forment à travers divers dispositifs d’insertion. Plus près de nous, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) a mené différents sondages auprès de ses membres dont les résultats corroborent ces différentes études (Dulipovici, 2003; Paradis, 2003; Arnau, 2003).

Récemment, certaines études ont essayé de comprendre cette différence qui relève d’un processus de construction des compétences spécifique à la PME. Par exemple, Sarnin (1998) avance que le fait que les travailleurs des PME soient souvent plus polyvalents que ceux des grandes entreprises pousse les petites entreprises à construire les compétences de leurs salariés dans l’acte même du travail. Minguzzi et Passaro (1997) notent quant à eux que dans les PME, le processus d’apprentissage est le plus souvent ancré dans les ressources cognitives internes qui correspondent à celles de l’entrepreneur; il en découle que l’apprentissage de type adaptatif est la forme qui représente le mieux les caractéristiques d’apprentissage dans les PME.

Une recherche du Céreq (Bentabet, Michun et Trouvé, 1999) a analysé cette prédilection pour la formation informelle dans les très petites entreprises (TPE). La spécificité des TPE repose, selon cette étude, sur une organisation du travail basée sur la polyvalence qui est vue comme partie intégrante de la formation des salariés. Les dirigeants de TPE se méfient des formations formalisées et privilégient d’abord les formations internes sur la base de l’expérience qu’ils considèrent mieux adaptées aux formes de travail de la petite entreprise. La transmission des connaissances dans les petites et moyennes entreprises serait ainsi un processus endogène qui reposerait sur une relation formateur-formé.

Sur ce point, notre analyse (Bernier et Frappier, 2004) rejoint les résultats de l’étude du Céreq. Il ressort de nos enquêtes, auprès de TPE et PME, une prédilection pour la formation à l’interne, souvent sur le tas et dont l’intégration des nouveaux travailleurs constitue l’objectif principal. Nous avons pu interpréter ces résultats à partir des perceptions des dirigeants sur l’apprentissage. Ainsi, leur propre apprentissage leur fait préférer la formation à l’interne vue comme un mode de transmission des savoir-faire au plus près des situations de travail. Ce mode de formation leur permet par ailleurs une « intégration » des nouveaux aux objectifs de l’entreprise ainsi qu’une « évaluation » au plus près de ce nouveau personnel. Par contre, leur vision de la formation est plus souvent liée à une vision de l’organisation du travail qui simplifie les tâches et demande donc peu de compétences. Mais, bien que ces conceptions de la formation soient spécifiques aux petites et moyennes entreprises, on ne peut prétendre que toutes adoptent une telle approche.

Un rapport différencié à la formation chez les PME

En effet, parler de formations spécifiques aux PME, à partir d’une sociologie attentive aux intentions des acteurs, pourrait nous amener à décrire cette catégorie d’entreprises comme un bloc homogène alors qu’au contraire, toutes les petites et moyennes entreprises n’ont pas les mêmes caractéristiques. Il fallait donc aller au-delà d’une analyse qui se centre sur l’acteur et ses représentations, pour tenter de comprendre la diversité des rapports à la formation au sein des PME. Différentes études ont ainsi montré que d’autres facteurs structurels peuvent éclairer les effets de la taille et permettre de différencier les petites et moyennes entreprises entre elles. Le secteur d’activités, la situation des marchés, la structure de l’entreprise et son mode de gestion peuvent déterminer des différences fondamentales dans l’investissement de formation des PME. Ceci constitue le coeur de cet article où nous cherchons à démontrer la prépondérance des facteurs d’environnement (marchés, dispositifs et institutions) pour expliquer le rapport des PME à la formation.

On peut ressortir, de la panoplie d’études à ce sujet, l’importance de facteurs liés à la propriété et à la structure de l’entreprise, à son environnement (secteurs, marchés), à la gestion de la production (technologies, organisation du travail, etc.), à la gestion de sa main-d’oeuvre (formalisation de la GRH, caractéristiques et qualifications de la main-d’oeuvre, etc.). Tous ces facteurs doivent être pris en compte simultanément pour expliquer le rapport différencié des entreprises à la formation.

Ainsi, une première série d’études a montré que d’autres facteurs que la taille pouvaient jouer un rôle prépondérant dans la propension des entreprises à former. Une recherche française (Géhin, 1989) montre que l’appartenance sectorielle est déterminante non seulement quant à l’intensité de formation, mais aussi quant aux modalités des politiques de formation des entreprises. De fait, les entreprises d’un secteur tendront à aligner leurs comportements sur l’effort moyen réalisé dans le secteur. Ceci est surtout vrai pour les grandes entreprises, les petites et moyennes se situant le plus souvent au minimum légal. Diverses études ont montré (DARES, in Bentabet, Michun et Trouvé, 1999) qu’il existe une prédominance des effets du « secteur » sur la variable « taille ».

D’autres études ont démontré que les entreprises adoptant une approche d’innovation (Baldwin et Johnson, 1995) ou de gestion par la qualité plutôt que par les coûts (Bosch, 2000) ont une plus forte propension à former. Au Canada, Betcherman et ses collaborateurs (1996), dans une étude sur la formation en entreprise, remarquent que la formation faite par les entreprises a diminué dans les dernières années et que les firmes délaissant la formation sont plus petites, indépendantes, non syndiquées et ne sont pas innovantes que ce soit en matière de changements technologiques, de réorganisation du travail ou de pratiques performantes de gestion des ressources humaines. Au contraire, les firmes approfondissant leurs efforts de formation ont une meilleure performance sur un certain nombre de dimensions, entre autres leur productivité et leurs ventes. Toutes ces études tendent donc à montrer l’importance de facteurs liés à la gestion de la production pour comprendre la propension des entreprises à former.

Dans cette même veine, plusieurs études se sont questionnées sur les difficultés propres à la gestion des PME dans leur investissement en formation (d’Amboise et Garand, 1993; Benoît et Rousseau, 1993; Baldwin et Johnson, 1995; Julien, 1997). Ce faisant, ces études ont montré qu’on peut lier les difficultés des PME à former avec leur faible formalisation de la GRH (absence de responsable dans ce domaine; manque d’expertise ou de ressources pour former le personnel). Souvent, les études (Betcherman, Leckie et McCullen, 2000) avancent aussi des difficultés liées aux coûts des formations, au nombre réduit de personnels à former ou à la peur de perdre du personnel qualifié une fois celui-ci formé. D’autres études s’intéresseront aux facteurs de succès des formations (Caron, 1994; Doray, Bagaoui et Ricard, 1994) pour démontrer que celles-ci doivent être intégrées aux stratégies globales de l’entreprise (Sarnin, 1998) ou encore déboucher sur de plus grandes possibilités de mobilité pour le personnel.

La première évaluation de la loi du 1 % au Québec (Québec, MESS, 2000) a été réalisée en tenant compte de cet ensemble de facteurs liés à la gestion de l’entreprise, tant au niveau de la production que de la main-d’oeuvre. L’évaluation fait ainsi état d’un certain nombre de facteurs qui peuvent freiner les PME québécoises dans leur investissement de formation : travail peu qualifié et ne demandant pas de formation spécifique (secteurs de l’habillement, des divertissements et loisirs); instabilité de la production (travail par quarts, travail saisonnier) ou étendue du territoire rendant difficile l’organisation de formations (secteurs de l’hôtellerie, de la restauration, divertissement et loisirs et foresterie); caractéristiques de la main-d’oeuvre (ex. mobilité des pigistes — secteur culturel et des communications).

Au-delà des facteurs liés à la gestion de la production et de la main-d’oeuvre, d’autres études se sont plutôt intéressées aux influences provenant de la structure interne des entreprises, c’est-à-dire de son mode d’organisation. Ainsi, des enquêtes effectuées aux États-Unis (Knobe et Kalleberg, 1994; Jacobs, Lukens et Useem, 1996), ont montré que les principales influences proviendraient de la structure interne des organisations, par exemple de la formalisation de l’organisation. La taille des entreprises devrait aussi être jouxtée à la propriété de l’établissement si on veut pouvoir s’en servir pour prédire le niveau de formation ; par exemple, un petit établissement d’une grande entreprise offre un accès plus grand à la formation qu’une petite entreprise indépendante.

Au total, quel que soit l’angle d’approche, ces études ont permis de dépasser l’idée que la propension des entreprises à former est d’abord « déterminée » par la taille de l’entreprise. D’autres facteurs liés soit à l’environnement de l’entreprise (son territoire et son secteur d’appartenance), soit à la propriété et à la structure de l’entreprise ou encore à la gestion de sa production ou de sa main-d’oeuvre peuvent agir sur le rapport de l’entreprise à la formation.

Cadre d’analyse et méthodes d’enquête

Comment tenir compte de tous ces facteurs dans notre analyse ? Pour ce faire, nous avons pris pour exemple une étude menée en France par le Céreq qui a tenté d’établir des configurations d’entreprises liant un ensemble de critères pour expliquer les rapports des petites entreprises à la formation; l’étude constate une opposition très forte entre les petites entreprises familiales et les unités franchisées intégrées dans des grands groupes et gérées selon des principes plus modernes de gestion. De plus, selon la configuration, la représentation que les acteurs sociaux se font de la formation change et les comportements envers la formation se modifient (Bentabet, Michun et Trouvé, 1999). Partant de ce modèle, nous avons ainsi pu construire une typologie des configurations de PME en tenant compte de l’ensemble des facteurs déterminant le rapport des PME à la formation.

Notre méthodologie repose donc sur une analyse qui prend pour point de départ l’entreprise individuelle, mais l’entreprise insérée dans son environnement. Notre analyse tient compte de l’insertion des entreprises tant au plan du secteur (six secteurs d’emploi analysés) que de la région (comparaisons interrégionales à l’intérieur de ces six grands secteurs) que finalement de leur insertion dans des réseaux d’entreprises (bannières/franchises). Elle tient compte aussi, de façon systémique, des différents dispositifs institutionnels (lois, normes, réseautage géographique ou autre) pouvant expliquer le rapport des PME à la formation au-delà du seul effet de taille.

Pour ce faire, nous nous basons sur la méthode wébérienne des idéaux types obtenus par l’accentuation des principaux traits observés dans la réalité; nous tentons ainsi de faire ressortir quelques figures types de petites et moyennes entreprises tenant compte tant de leur environnement (secteur, territoire, lois et normes), de leur taille, de leur propriété et de leur structure (entreprises indépendantes, concession, bannière, franchise, etc.), que de leur gestion de la production et de la main-d’oeuvre pour finalement mettre ces éléments en lien avec leur rapport à la formation. Dans ce cadre, le rapport à la formation des PME (ce que d’autres appelleront les besoins, les pratiques ou encore la demande de formation) est analysé ici comme une « construction sociale », c’est-à-dire comme le résultat du jeu de différents acteurs institutionnels (organismes gouvernementaux, comités sectoriels de main-d’oeuvre, regroupements locaux ou régionaux) qui ensemble définissent les incitations et les contraintes pour les petites entreprises à investir dans la formation de leur main-d’oeuvre.

Notre étude repose essentiellement sur des données qualitatives, obtenues par entrevues auprès de dirigeants de petites et moyennes entreprises. Le choix des entreprises, largement tributaire de la volonté et de la disponibilité des dirigeants à nous rencontrer, a été fait pour toucher la diversité des pratiques et des représentations de la formation. Parmi les 44 entreprises étudiées, 20 d’entre elles sont de très petites entreprises (TPE entre 9 et 19 employés), 18 sont des petites entreprises (PE entre 20 et 99 employés), 6 sont des moyennes entreprises (ME entre 100 et 249 employés). De ces 44 entreprises, 27 (soit 60 %) étaient soumises, lors de l’étude, à la Loi sur le développement de la formation de la main-d’oeuvre obligeant les entreprises à investir 1 % de leur masse salariale en formation. Les entreprises ont été choisies dans six grands secteurs d’activités avec l’aide des comités sectoriels de main-d’oeuvre (CSMO) : commerce de détail, tourisme (hôtels et restaurants), services automobiles, transport routier, plastique et caoutchouc ainsi que dans le secteur des industries des portes et fenêtres, du meuble et des armoires de cuisine; ces entreprises se retrouvent dans plusieurs régions du Québec, autant dans de grands centres urbains que dans des régions rurales et ont toutes moins de 200 employés, hommes et femmes.

Comme le montre le tableau 1, notre cadre d’analyse a été établi sur la base d’un regroupement des critères relevés dans notre revue des études pour analyser le rapport à la formation des petites entreprises.

Tableau 1

Les facteurs déterminant le rapport des PME à la formation

Les facteurs déterminant le rapport des PME à la formation

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Les deux premiers facteurs se rapportent à l’entreprise comme telle, à sa taille et à sa propriété; les deux suivants se rapportent à sa structure et à son environnement; les deux autres, à ses modes de gestion et à l’organisation du travail. Ensemble, ils permettent, selon nous, d’expliquer les rapports de l’entreprise à la formation. Voyons comment chacun de ces facteurs est décomposé.

D’abord, sur le plan de la taille de l’entreprise, on ne peut traiter comme un tout les entreprises de très petite taille où se retrouvent des membres d’une même famille et les moyennes entreprises de 100 ou même de 200 employés, dont le mode de gestion se rapproche souvent de celui de la grande entreprise. La typologie d’Amboise et Garand (in Henripin, 1998) a l’avantage par rapport à d’autres typologies de ventiler la classification en cinq groupes de taille[3]. Surtout, cette typologie précise le mode de gestion des ressources humaines pour chacune des catégories de taille et donc son impact possible sur la formation.

Par ailleurs, la propriété et la structure de l’entreprise sont des variables essentielles pour expliquer la propension des PME à former. À côté de la petite entreprise indépendante, propriété d’une famille qui en constitue souvent l’unique main-d’oeuvre, se dessine une tendance de plus en plus forte pour les petites entreprises à se regrouper en réseaux d’approvisionnement, à se joindre à des bannières, à se subordonner à des concessions, chaînes et franchises de toutes sortes, souvent avec l’idée qu’il s’agit de la voie de l’avenir, de la seule possibilité pour les petits de s’en sortir (Bentabet, Michun et Trouvé, 1999). Dans certaines de ces entreprises, on ne parle plus de propriétaires indépendants mais de gérants, engagés souvent sur la base de leurs compétences techniques et qui empruntent des modes de gestion « managériale » généralement associés à la grande entreprise.

Concernant ensuite l’environnement de l’entreprise, on sait qu’il existe une prédominance des effets du « secteur » sur la variable « taille » (Géhin, 1989; DARES in Bentabet, Michun et Trouvé, 1999). L’étendue du marché (des clients comme des fournisseurs) peut aussi jouer : le fait que le marché de la PME soit le plus souvent local ou régional amène les entrepreneurs à passer par le « relationnel ». Les lois et les normes (ex. qualité ISO) qui régissent l’entreprise, de même que le réseau régional d’aide à l’entreprise peuvent encore faire toute la différence pour inciter les entreprises à former (Biret et al., 1991).

Les modes de gestion de la production ont aussi une incidence sur le rapport des petites entreprises à la formation. Comme nous l’avons dit plus tôt, les entreprises adoptant une approche d’innovation ou de gestion par la qualité ont une plus forte propension à former. Enfin, l’organisation du travail, les technologies utilisées et en conséquence les qualifications attendues du personnel joueront sur les rapports de l’entreprise à la formation.

Après avoir classé au point suivant les entreprises de notre enquête selon ces critères, nous essaierons, à la fin de cet article, de reprendre chacun de ces facteurs pour en ressortir l’importance. Notre hypothèse est que les facteurs d’environnement (appartenance sectorielle, territoriale ou à des réseaux, lois et normes) offrent un cadre d’explication global du rapport des PME à la formation qui relègue au second plan le facteur « taille ». Un tel exercice tend à mettre au jour l’importance des dispositifs et institutions encadrant l’entreprise dans ses choix.

Les résultats de l’étude

Au total, notre analyse nous amène à distinguer, parmi la quarantaine de cas étudiés, trois grandes configurations de PME par rapport à la formation : 1) les entreprises plus traditionnelles qui fonctionnent selon le modèle « familial » et font peu de formation ou des formations surtout informelles à l’interne; 2) à l’opposé, les entreprises plus structurées (filiales de grands groupes ou entreprises franchisées) qui offrent des formations plus formelles à l’exemple de ce qui se fait dans les grandes entreprises et, 3) entre ces deux configurations, des PME en voie de structuration qui tentent de revoir leur organisation et commencent à donner plus de place à la formation de leur personnel. Nous démontrons ainsi qu’on ne peut appréhender les TPE et les PME comme une catégorie homogène d’entreprises ayant un rapport uniforme à la formation mais qu’il est possible, sur la base d’un certain nombre de critères objectifs, de les regrouper en quelques types principaux ayant des rapports différenciés à la formation. Surtout, nous démontrons que le rapport des PME à la formation n’est pas relié qu’à leur taille mais s’explique bien davantage par des facteurs liés à leur environnement, ce qui laisse place à des possibilités d’action pour améliorer la gestion de la formation dans ces entreprises. Le tableau 2 résume notre analyse sur les grandes configurations de TPE et de PME de notre étude.

L’entreprise familiale

Le premier cas de figure que nous retrouvons dans les PME de notre enquête est celui de l’entreprise familiale qui concerne le tiers des entreprises étudiées. C’est l’archétype que tout le monde a en tête en pensant à la « petite entreprise ». Il s’agit ici, de manière générale, de TPE de moins de 19 employés, ce qui en fait un cas de figure bien identifié quant à la taille des entreprises qui le composent. Mais ce qui caractérise surtout ce cas de figure, c’est la propriété de l’entreprise. Sans s’en tenir à une définition trop rigoureuse, nous pouvons dire que « l’entreprise familiale » est caractérisée par le fait qu’elle a été transmise par des parents ou encore que des membres de la famille du dirigeant y ont des intérêts financiers ou y travaillent. Dans tous les cas de notre enquête, la transmission de l’entreprise à l’un des enfants afin d’en assurer la continuité est un objectif important des dirigeants.

Tableau 2

Trois configurations de TPE et de PME selon sept ensembles de facteurs

Trois configurations de TPE et de PME selon sept ensembles de facteurs

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Que l’entreprise soit l’affaire de quelques membres d’une même famille ou d’une ou d’un propriétaire unique qui s’est adjoint un « bras droit », une trame de fond se dessine dans le mode de gestion de l’entreprise. Dans tous les cas, les propriétaires jouent le rôle « d’homme-orchestre » ou de « femme-orchestre » qui gèrent l’ensemble du processus de production ou de service ainsi que le personnel. Par exemple, il n’est pas rare de voir le propriétaire d’un restaurant à la fois à la cuisine et à la caisse et faisant le service aux tables, ou de voir le chef d’une entreprise de transport faire à la fois la répartition du travail et répondre à ses chauffeurs et clients. Avec peu d’employés, la division du travail de gestion est aussi généralement simple et se fait entre les membres de la famille ou entre le propriétaire et son « bras droit » qui, dans tous les cas, doivent être très polyvalents.

Les entreprises de type « familial » se retrouvent encore dans un environnement dont le marché est limité, soit à la localité ou à la région. La clientèle de ces entreprises est souvent composée de « réseaux familiers », ce qui accentue encore le type « familial » de l’entreprise. C’est ainsi que le « bouche-à-oreille » ou le « contact personnalisé » reviennent souvent dans les stratégies tant avec la clientèle qu’avec le personnel. Surtout présentes dans le secteur des commerces et services, les entreprises familiales de notre enquête n’étaient pas soumises à la loi du 1 %.

Dans ce type d’entreprises, les compétences sont d’ailleurs l’apanage du dirigeant d’entreprise ou des personnes-clé de l’organisation à qui on destine les formations. Le plus souvent, les besoins de formations identifiés sont très pointus et visent des compétences de gestion à l’intention des dirigeants de l’entreprise : un cours sur le « prix de revient » des coupes de viande dans une boucherie, des cours de marchandisage ou d’étalagisme dans les commerces en sont quelques exemples.

Les personnes employées, pour leur part, sont plus souvent considérées par les dirigeants comme peu qualifiées, peu intéressées à se former, et leur taux de roulement, surtout dans l’hôtellerie et la restauration, justifie souvent l’entreprise de ne pas les former; en général, la formation qui leur est destinée est faible, hormis la formation sur le tas; elle est le plus souvent donnée par le propriétaire-gérant dans le cadre de l’intégration des nouveaux employés. Les principales difficultés constatées par ces entreprises concernent les coûts de la formation et la difficulté de trouver des remplaçants, ce qui revient aussi dans les autres cas de figure. Plus spécifiquement, une des difficultés tient au fait que la gestion de l’entreprise repose sur les épaules d’une ou de quelques personnes (le syndrome de l’homme ou de la femme-orchestre) qui se chargent elles-mêmes de la formation des employés mais qui disent avoir peu de temps pour former.

La PME indépendante structurée

À l’autre extrémité, la figure de « l’entreprise indépendante structurée » offre des contrastes intéressants pour comprendre l’hétérogénéité du rapport des PME à la formation. Si l’on retrouve des entreprises de plus grande taille dans cette dernière configuration avec un peu plus de la moitié composée de moyennes entreprises entre 150 et 200 employés, l’autre moitié est tout de même constituée de petites entreprises de moins de 100 employés.

Ce qui différencie ces entreprises des autres configurations, c’est d’abord leur environnement; il s’agit presque entièrement d’entreprises manufacturières, une seule étant dans l’hôtellerie. Par ailleurs, plusieurs font de l’exportation ou de l’importation, d’autres sont filiales d’entreprises européennes. On ne parle donc plus de marchés locaux, régionaux ou même nationaux mais de marchés internationaux. De plus, la presque totalité des entreprises de cette configuration a adopté des normes de qualité avec ce que cela comporte sur le plan de la structuration de la formation. En outre, deux des entreprises utilisent de nouvelles formes d’organisation du travail, le juste-à-temps (JAT) et le Kaizen. Enfin, toutes les entreprises de cette configuration sont soumises à la loi du 1 % et la plupart en font plus, allant dans certains cas jusqu’à 3,5 %.

D’autres différences notables tiennent à la propriété de l’entreprise et à leurs modes de gestion, y compris la gestion des ressources humaines. La presque totalité appartiennent soit à des propriétaires indépendants ou associés, ou bien sont des filiales d’entreprises étrangères[4]. Ainsi retrouve-t-on dans toutes les entreprises un mode de gestion « managérial » où quelques cadres se divisent le travail de gestion et où l’un deux s’occupe spécifiquement de la gestion des ressources humaines quand il n’y a pas, à proprement parler, une direction RH. De plus, le personnel dirigeant est composé de personnes ayant un niveau de scolarité supérieur à ce qu’on retrouve habituellement dans les autres configurations : ingénieurs, chimistes, avocats et comptables forment le lot des dirigeants de ces PME. Ajoutons encore que cinq des sept entreprises de cette configuration sont syndiquées.

Quel est le rapport de ces entreprises à la formation ? Certaines, aux prises avec des problèmes de pénurie ou de rétention de main-d’oeuvre, utiliseront la formation comme outil de gestion visant à recruter, évaluer et intégrer les nouveaux employés. D’autres, comme c’est le cas dans le secteur du plastique et caoutchouc, ont une main-d’oeuvre plus qualifiée et utilisent la formation de façon stratégique comme outil de « promotion » de la main-d’oeuvre.

L’entreprise franchisée structurée

À côté de cette figure de proue qu’est « l’entreprise indépendante structurée », se trouve une autre sous-catégorie tout aussi importante, celle des « entreprises franchisées » qui ont réussi à structurer leur formation. Les sept franchises de cette configuration comptent moins de quarante employés et appartiennent à différents secteurs du domaine des services. La majorité de ces franchises sont situées dans de petites villes en région et ont donc un marché local. Mis à part quelques métiers qualifiés en réparation d’automobiles et dans les commerces de l’alimentation, la majorité des emplois sont peu qualifiés mais ces PME ont réussi, en partie du fait de leur lien avec un franchiseur, à structurer leur formation.

Les formes possibles d’insertion en réseau de la PME sont nombreuses. C’est, par exemple, le réseau d’approvisionnement, où les entreprises se donnent de meilleurs prix pour l’achat des produits. C’est encore l’entreprise sous bannière qui doit acheter un certain nombre de produits au fournisseur et suivre certaines règles en échange de quoi le franchiseur transmet un certain nombre de « savoir-faire ». C’est finalement l’entreprise carrément « franchisée » qui a un contrat d’approvisionnement exclusif et dont une grande partie de la gestion de l’entreprise, y compris la formation du personnel, est laissée au franchiseur. Ce sont ces derniers cas d’entreprises franchisées qu’on retrouve dans notre configuration d’entreprises structurées. Aussi peut-on dire que l’effet structurant est beaucoup plus fort pour la franchise que pour la bannière : l’entreprise devient relativement dépendante du franchiseur et de sa gestion, incluant la formation de son personnel qui est en général structurée par le franchiseur, à l’image des grandes entreprises.

En plus de recevoir une aide substantielle dans la gestion de l’entreprise, les franchisés bénéficient le plus souvent d’un cadre très structuré pour la formation de leur personnel quand ce n’est pas le franchiseur lui-même qui s’occupe de la formation des personnes à son emploi. Dans cinq cas sur sept de cette configuration d’entreprises, les franchisés reçoivent pour eux-mêmes et leurs employés une formation structurée.

Les franchiseurs s’occupent en général de la formation en gestion de leurs franchisés. Pour la formation des employés, le franchiseur a souvent incité le franchisé à former une équipe de formateurs dans l’entreprise. Les formations donnent lieu à des suivis et à l’évaluation des employés et peuvent parfois servir aux promotions. De manière générale, on se retrouve donc avec une formation structurée, des plans et des outils de formation à l’image de ce qui se passe dans la grande entreprise. Au total, les PME franchisées sont structurées parce qu’elles sont très supportées au niveau de leurs activités, entre autres de gestion et de formation de leur main-d’oeuvre.

Des PME en voie de structuration

Entre la figure archétypique de l’entreprise familiale et la figure de proue que constitue la PME structurée se trouve une configuration intermédiaire composée d’entreprises en voie de structuration. L’intérêt de cette configuration est qu’elle permet de questionner les mécanismes qui amènent les petites entreprises à structurer leurs modes de gestion incluant la gestion des ressources humaines et la formation. Il s’agit en effet d’une configuration intermédiaire, de passage, pour des PME qui, à terme, pourraient se retrouver dans la configuration des « PME structurées ». Cette configuration couvre un autre tiers des entreprises enquêtées qui sont dispersées à travers tous les secteurs d’activités étudiés et qui comptent en général entre 20 et 40 employés.

Ce qui caractérise surtout la PME en restructuration par rapport à l’entreprise familiale, c’est un début de division du travail de gestion, soit qu’elle se fasse entre les propriétaires, ou encore par l’embauche de personnes compétentes pouvant prendre en charge les responsabilités de gestion autrefois dévolues à une seule personne. Par ailleurs, les entreprises de cette configuration ont souvent revu l’organisation du travail par des analyses du travail et des descriptions de tâches précises, comparativement à l’entreprise familiale où l’organisation du travail reposait sur une polyvalence des emplois. Dans la configuration de la PME en restructuration, les entreprises reconnaissent de plus en plus l’importance de la qualification de leur personnel.

L’intérêt de cette configuration est de voir les facteurs qui amènent la PME à restructurer sa gestion. Ce sera tantôt l’utilisation de nouvelles technologies, tantôt l’arrivée de lois et normes, tantôt le fait de se franchiser qui poussera les PME à restructurer la gestion de l’entreprise. Par exemple, pour certaines entreprises, le fait de se placer sous une bannière est carrément une stratégie de développement qui leur permettra de développer leur formation grâce aux services fournis par la bannière. Ailleurs, ce sont les normes et les lois propres au secteur qui amèneront une certaine structuration de la formation. Ainsi, plus des deux tiers des entreprises de cette configuration sont soumises à la loi du 1 %[5].

Pour ces entreprises en voie de structuration, la loi du 1 % les encourage à gérer autrement leur personnel et, en général, elles sont ouvertes à une telle loi même si cela exige de la « paperasserie » et que certaines d’entre elles trouvent parfois difficile d’atteindre le 1 %. Par ailleurs, la formation est encore beaucoup associée, comme dans le cas de figure de « l’entreprise familiale », à la formation sur le tas. Également, dans cette configuration, nos répondants ont une connaissance limitée de l’offre de formation publique et ont peu développé de relations avec les différents intervenants en formation de leur région, contrairement à la configuration des entreprises structurées.

Au total, ce qui distingue surtout les entreprises de cette configuration, c’est qu’elles commencent à adopter un mode de gestion plus proche du mode « managérial » où s’établit une division du travail entre différents cadres de l’entreprise ce qui tranche donc avec le modèle familial (« homme-orchestre ») de la configuration de l’entreprise familiale.

Discussion

Bien qu’une analyse qualitative reposant sur une quarantaine d’entreprises ne nous permette pas de mesurer l’influence de chacun des facteurs pris en considération, notre analyse nous permet du moins de rejeter l’idée que les PME constituent un bloc homogène d’entreprises ayant une faible propension à former et qui se cantonneraient à des formations peu structurées au poste de travail. Surtout, le type de méthodologie déployée dans cette étude, par une analyse systémique des différents facteurs pouvant influencer le rapport des PME à la formation, nous permet de mettre en évidence la force des dispositifs institutionnels entourant la dynamique de formation des PME.

Par notre approche, nous avons pu montrer que la taille était liée à d’autres facteurs mieux à même d’expliquer la dynamique de formation des PME. Qu’il s’agisse du type de propriété, des marchés de l’entreprise, de son insertion dans un réseau (bannière et franchise), de ses modes de gestion ou encore, de l’existence de dispositifs et de lois qui encadrent la formation en entreprise, tous ces facteurs participent à la propension des PME à former et à structurer cette fonction.

Si, en s’apercevant que les PME de plus grande taille sont plus structurées par rapport à la formation, on pensait pouvoir conclure à un pur effet de taille, ce serait oublier l’effet « réseau ». En effet, l’examen de nos données démontre, à la suite de l’étude du Céreq (Bentabet, Michun et Trouvé, 1999), l’importance primordiale de l’insertion des petites entreprises dans des réseaux, bannières ou franchises, pour expliquer la structuration de leur formation. Pour certaines entreprises, l’appartenance à un réseau est d’ailleurs carrément utilisée comme une stratégie de développement du fait qu’elle facilite plusieurs des fonctions de l’entreprise, sans oublier que la formation est parfois imposée sous un mode plus ou moins structuré par le franchiseur. Mais, plus que tout, le fait de s’insérer dans un réseau se traduit pour les petites entreprises par des changements dans les modes de gestion de l’entreprise et en conséquence dans la gestion des ressources humaines et la formation. Ainsi, le fait de se franchiser amène un mode de gestion de type « managérial » où différentes fonctions de gestion incluant la formation sont déléguées au franchiseur. S’ouvrent ainsi des possibilités de revoir l’organisation du travail et la division des tâches, ce qui amène à leur tour l’émergence de nouveaux besoins de formation.

On ne peut négliger non plus l’existence de normes et de lois. C’est le cas du secteur du transport où la Loi concernant les propriétaires et exploitants de véhicules lourds (« loi 430 ») a amené un certain nombre de normes et règlements en ce qui concerne la formation des employés. On a aussi vu l’importance de la loi du 1 % pour aider les entreprises à structurer leur formation. En effet, la loi a suscité une certaine formalisation de la formation dans plusieurs des PME de notre enquête[6], ne serait-ce que dans le cas de petites entreprises qui, sans être réfractaires à la formation, n’avaient jamais été poussées à structurer leurs activités auparavant. En obligeant les entreprises à comptabiliser la formation donnée, la loi les a poussées à structurer cette fonction en identifiant leurs activités de formation. Dans certaines autres entreprises, ce sera encore l’existence de normes telles les normes qualité qui les poussera à structurer leur formation.

Par ailleurs, si les marchés locaux et régionaux sont le plus souvent associés à des entreprises familiales, ces dernières se verront contraintes de revoir leurs modes de gestion lorsque leur marché s’élargit. En cela, la pro-activité de certains comités sectoriels de main-d’oeuvre (CSMO) tel le Comité sectoriel des portes et fenêtres, du meuble et des armoires de cuisine est exemplaire. Alors que la récession du début des années 90 avait fortement touché ce secteur, entraînant la fermeture du tiers des entreprises et des pertes d’emplois, le comité sectoriel s’est attardé à développer les compétences à l’exportation dans les entreprises du secteur, ce qui a fait passer de 5 % à 66 % l’exportation des produits durant cette décennie. Le comité sectoriel a ensuite pu s’attaquer à structurer la fonction des ressources humaines et la formation dans les PME du secteur.

Aussi, le rôle des organismes intermédiaires tels les comités sectoriels de main-d’oeuvre (CSMO) et les regroupements locaux et régionaux est primordial puisqu’ils incitent des PME à former leur personnel. Les comités sectoriels de main-d’oeuvre ne se sont pas donnés en général de mission par rapport à la formation dans les PME; ils comptent sur l’effet d’entraînement qu’aura l’ensemble de leur action pour inciter les petites entreprises à former. Ils tentent ni plus ni moins de créer l’environnement propice à la formation. Une des premières stratégies des comités sectoriels à cet effet consiste en la diffusion d’informations (salons sur la formation et l’emploi, etc.) et d’outils de formation (répertoires de l’offre de formation, guides d’analyse des besoins, etc.). Mais leur rôle principal consiste, selon nous, en la production de normes de qualification et de formation. Ainsi, à travers la mise en place de programmes d’apprentissage en milieu de travail (PAMT) ou encore par leur collaboration à la révision et au développement de programmes scolaires, les comités sectoriels fixent des normes concernant l’organisation du travail, les qualifications et la formation que tendront à suivre les entreprises du secteur. Par ce type d’actions, les comités sectoriels mettent en place l’environnement nécessaire pour susciter une structuration de la formation dans les entreprises du secteur; ils fournissent de plus les instruments facilitant la prise en mains de leur formation par les PME.

Notre analyse nous a aussi révélé le rôle primordial joué par différents regroupements locaux et régionaux auprès des petites entreprises. L’action des acteurs locaux et régionaux en faveur de la formation sur les territoires prend racine dans un mouvement de décentralisation de l’action gouvernementale en même temps que dans les revendications des acteurs territoriaux pour la prise en mains de leur développement. S’il peut parfois s’agir de regroupements informels, comme celui de petits hôteliers gaspésiens qui tentent de mettre leur expertise en commun, il s’agit plus souvent de regroupements formels sur la base d’organismes d’affaires (chambres de commerce, Rues principales), d’organisations gouvernementales (bureaux régionaux d’Emploi-Québec, CLD et CLE) ou encore d’organismes scolaires (écoles et cégeps).

Sans entrer dans le détail des nombreuses expérimentations rencontrées sur le terrain[7], disons que le plus souvent, l’action conjuguée de ces organismes part des problèmes concrets vécus par les petites entreprises en région (problèmes de pénurie de main-d’oeuvre, de relève, de stabilisation de l’emploi, de structuration de la gestion de l’entreprise, etc.) pour les regrouper, souvent par des actions de formation larges dirigées vers le bassin des entreprises de la localité ou de la région, et ainsi contrer ces problèmes. Cette action de proximité permet une meilleure prise en compte des problèmes spécifiques aux petites entreprises sur le territoire.

Au total, ce qui dans la propension des PME à former peut au premier abord sembler relever de la taille de l’entreprise est bien plus souvent lié à d’autres facteurs. En tenant compte de ces autres facteurs concernant l’environnement institutionnel, nous avons une image plus fidèle des raisons qui expliquent la propension des PME à former. Surtout, notre analyse met de l’avant l’idée qu’un renforcement de certains dispositifs institutionnels de formation serait susceptible d’accroître la propension des petites entreprises à former ou encore de les aider à structurer leur formation.

Conclusion

Au total, les résultats de notre enquête amènent à minimiser l’importance de « l’effet de taille » pour mettre en évidence l’enjeu que représentent les dispositifs institutionnels dans le rapport des PME à la formation. Ces résultats nous permettent ainsi de déboucher sur un questionnement plus global concernant les pratiques des PME en matière de formation de leur main-d’oeuvre. En cette matière, sommes-nous en face, comme le voudrait l’économie néoclassique, de choix individuels pris par les dirigeants par rapport à une rationalité purement économique visant la minimisation des coûts et la maximisation du profit ? Ou bien, comme le veut l’approche institutionnaliste, reprise entre autres par les théoriciens de la régulation (Boyer, 2004; Amable, 2005), est-ce que l’architecture institutionnelle d’ensemble d’une société donnée ne contraindrait pas les choix organisationnels des firmes ? Est-ce que les firmes ne seraient pas « influencées » par les caractéristiques de leur environnement et ne prendraient-elles pas leurs décisions à l’intérieur de cet environnement institutionnel ? C’est en fonction de cette dernière approche que nous avons choisi d’analyser la formation dans les PME au Québec.

Sur la base d’une revue des études, nous avons ainsi ressorti un certain nombre de critères pouvant expliquer la propension des petites entreprises à former. Au total, à côté des facteurs concernant la taille, la propriété, la structure de l’entreprise et son mode de gestion, les variables d’environnement institutionnel se sont avérées primordiales pour expliquer le rapport des PME à la formation. Sur le plan de l’environnement institutionnel, nous avons ainsi pu montrer comment l’insertion des PME dans des réseaux (bannières, franchises), l’étendue de leur marché, les secteurs et les territoires d’appartenance et enfin les lois et normes concernant la formation jouent un rôle primordial. Au plan théorique, l’intérêt d’une telle démarche est de mettre en évidence l’articulation entre les choix stratégiques des firmes et les possibilités et contraintes offertes par les facteurs d’environnement institutionnels encadrant ces choix; autrement dit, une telle démarche permet de faire le lien entre les variables micro et macro dans l’analyse.

Au plan pratique, la typologie que nous avons dégagée, concernant trois configurations de PME, permet de comprendre comment une PME est amenée à se structurer et à modifier son rapport à la formation. Si la structuration des PME semble parfois relever d’une décision individuelle des dirigeants (par exemple, se placer sous bannière dans une optique de croissance de l’entreprise), il reste que les acteurs individuels sont empêchés ou encouragés à agir par des facteurs d’environnement (voir, par exemple, l’action du comité sectoriel pour l’exportation dans le secteur du meuble). En ce sens, le changement en matière de formation dans les PME ne saurait résulter, selon nous, de la seule action des entreprises individuelles pas plus que des seules règles imposées au niveau institutionnel. Le changement dans le rapport des PME à la formation résulterait plutôt d’une interaction entre les choix individuels des entreprises et le contexte institutionnel. Il serait plus précisément le résultat d’une transaction entre la demande en formation des firmes et le cadre institutionnel d’offre de formation.

Aussi, dans notre analyse, les pratiques de formation des entreprises sont-elles vues comme une « construction sociale », c’est dire que les besoins des entreprises, leur demande de formation, n’existent pas en soi; ils sont le résultat du jeu des différents acteurs institutionnels tels les organismes gouvernementaux, les comités sectoriels de main-d’oeuvre, les organismes locaux et régionaux y compris les établissements scolaires qui, par leurs diagnostics d’emploi, leurs analyses de situation de travail ou encore la définition des contenus de formation et leur offre de services interagissent sur les relations formation-emploi. Parmi l’ensemble des institutions, les organismes intermédiaires (niveau méso d’analyse) nous ont de plus semblé jouer un rôle primordial pour susciter la structuration de la formation dans les entreprises. Ces organismes intermédiaires pourraient ainsi être vus comme le niveau de mise en relation des acteurs individuels avec les institutions dans la négociation de compromis institutionnels et de nouvelles règles du jeu.

Au total, notre analyse a permis de montrer l’importance que prennent, à tous les niveaux, les dispositifs institutionnels pour stimuler la formation dans les PME. Ceci nous amène à conclure à la nécessité d’une prise en compte « systémique » des différents dispositifs institutionnels non seulement pour de futures analyses mais aussi bien dans la mise de l’avant de politiques gouvernementales (Gautié, 1998). Ainsi, s’il ressort de notre analyse que le contexte institutionnel peut accroître la propension des entreprises à former ou à améliorer la gestion de leur formation, ceci ne saurait être atteint, à notre avis, par le renforcement d’un seul dispositif institutionnel. Il y a, au contraire, ce que certains, avec Amable (2005), ont appelé une « complémentarité institutionnelle ». Cette notion permet de comprendre comment, suite au rehaussement du seuil d’assujettissement des entreprises à la loi du 1 % qui enlevait aux plus petites d’entre elles l’obligation de former leur main-d’oeuvre, un nouveau dispositif, celui de la mutualisation des entreprises, visant à les regrouper pour la formation, et qui avait été financé à titre expérimental par le Fonds national, n’a plus reçu d’écho favorable de la part des entreprises. Ce qui nous amène à conclure que lois, normes, organismes intermédiaires et dispositifs de formation de différents niveaux font partie du système global de formation de la main-d’oeuvre au Québec et concourent tous, ensemble, à encadrer les actions des entreprises en matière de formation de leur main-d’oeuvre.