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La vérification d’un lien entre les relations industrielles (RI) et la performance organisationnelle constitue une préoccupation importante pour les chercheurs (Ichniowski et al. 1996) et pour les praticiens (Le Louarn et Gosselin 2000). Cette question est fondamentale en relations industrielles car elle touche la crédibilité même de la discipline ainsi que le pain et le beurre des uns et des autres. Alors que tous cherchent à mettre en évidence l’intérêt pour les organisations de bien gérer les processus fondamentaux des RI, soit les relations de travail (RT) et la gestion des ressources humaines (GRH)[1], la démonstration de l’impact positif des RI sur la performance constitue indéniablement un argument clé en faveur de la discipline et de l’application dans la pratique de ses principes et méthodes. Le présent article tente d’apporter certaines preuves de cet apport significatif des RI à la performance des entreprises.

Domaine d’étude encore peu exploré il y a une vingtaine d’années, plusieurs recherches traitant entre autres des effets du syndicalisme et de diverses pratiques (rémunération, participation, coopération patronale-syndicale, etc.) sur la performance organisationnelle ont été réalisées depuis. Ce courant de recherche identifie des liens entre divers éléments des RI et la performance mais des questions restent sans réponse. Comment expliquer l’impact tantôt positif et tantôt négatif du syndicalisme sur la productivité constaté dans ces études ? Existe-t-il une ou plusieurs pratiques permettant d’améliorer la performance des entreprises ? Quels sont les mécanismes par lesquels les RI participent à la détermination de la performance des organisations ?

Après avoir fait le tour de la littérature en GRH et en RT, il nous apparaissait particulièrement pertinent de considérer ici deux éléments du système de RI : les pratiques et le climat. L’objectif de la recherche est de savoir si ces éléments peuvent affecter à la hausse ou à la baisse la performance organisationnelle. Notre étude se distingue par une approche intégrant la GRH et les RT, par l’utilisation de données objectives au niveau des établissements de même que par le recours à trois dimensions de la performance pour examiner l’impact des RI. Aussi, nos estimations sont effectuées à partir de modèles reconnus et éprouvés dans la littérature économique afin de contrôler l’influence des autres variables susceptibles d’influencer la performance organisationnelle, ce que les études en RI ne font généralement pas adéquatement.

L’article débute par une courte revue des théories et des études discutant des impacts des RI sur la performance organisationnelle. La présentation du modèle d’analyse élaboré dans cette recherche vient immédiatement après. Cette section est suivie par une description de la méthodologie de l’étude. Enfin, les résultats émergeant des analyses statistiques sont présentés et discutés dans les sections suivantes.

Fondements théoriques

Dans la théorie des RI, si les règles, qui incluent notamment les pratiques en GRH ou en RT, constituent le principal extrant du système de RI (Dunlop 1993), la performance est vraisemblablement un résultat recherché dans le système. Barbash (1989) et Meltz (1989) font bien ressortir les éléments fondamentaux de la dialectique propre aux RI : le besoin d’équité des travailleurs et le besoin d’efficacité des employeurs. Les règles viseront ainsi à satisfaire ces besoins et, partant de là, on peut penser que les règles viseront, en plus de l’équité, l’efficacité ou la performance de l’organisation.

Plusieurs études ont été réalisées pour vérifier diverses théories élaborées en économique, en RI, en GRH et dans d’autres disciplines afin d’expliquer la relation entre la performance et divers aspects du système de RI comme la présence syndicale, les pratiques RI et le climat RI. Dans les pages qui suivent, nous ferons le point sur ces études ce qui nous permettra de bien montrer la réflexion sous-tendant la réalisation de la présente recherche.

Impact du syndicalisme

Selon la théorie économique, le pouvoir monopolistique du syndicat a pour effet d’influencer le prix relatif des facteurs de production en élevant les salaires au-dessus des niveaux du marché et d’imposer des règles restrictives limitant le pouvoir discrétionnaire de l’employeur (ex. : règle d’ancienneté, classification des emplois) (Hirsh 1991). Considérant l’impact présumé du syndicalisme sur les facteurs de production, il était naturel pour les économistes de recourir à la fonction de production pour le mesurer. Nombre d’études mesurant cet impact sur la productivité et d’autres dimensions de la performance économique des organisations ont été produites (Belman 1992 ; Addison et Hirsh 1989).

Par ailleurs, sans nier les effets négatifs du syndicalisme sur l’allocation des facteurs de production postulés par l’approche monopolistique, l’approche dite des effets institutionnels du syndicalisme n’en conclut pas moins que certains de ses effets sont susceptibles d’être positifs et d’améliorer la productivité de l’entreprise (Freeman et Medoff 1984). Ces effets sont de trois ordres : la modification du style de gestion (shock management), la création de réseaux d’information et le processus d’expression (exit-voice). Selon cette approche, la rationalisation des pratiques de gestion, la création de nouveaux canaux de communication entre la direction et les employés de même que la présence de pratiques comme la procédure de griefs et la règle d’ancienneté permettent d’améliorer la performance de l’organisation. On présume ainsi que ce n’est pas la présence d’un syndicat en soi qui affecte la performance mais bien son influence sur la nature des pratiques mises en place et sur leur efficacité (Bemmels 1987 ; Eaton et Voos 1992). C’est pourquoi mieux vaut ne pas s’en remettre à un indicateur général comme la simple présence syndicale pour mesurer l’impact des RI sur la performance organisationnelle (Katz, Kochan et Gobeille 1983). Il apparaît préférable, comme nous le faisons dans la présente recherche, de considérer des caractéristiques plus précises du système de RI, comme les pratiques et le climat.

Impact des pratiques RI

Du côté de la littérature en GRH, il existe des cadres conceptuels variés expliquant les liens entre les pratiques et la performance organisationnelle. Delery et Doty (1996) en ont dégagé trois grandes approches : l’approche universaliste, l’approche de la contingence et l’approche configurationnelle.

La perspective universaliste est basée sur le postulat qu’il existe des pratiques RI meilleures que d’autres et que toutes les organisations amélioreraient leur performance en les adoptant. On parle ainsi des pratiques « innovatrices », des « meilleures » pratiques ou des pratiques de travail « à haut rendement » (high performance work practices). Ichniowski et al. (1996) classent les théories relatives à ces pratiques en deux grandes catégories : les théories qui mettent l’accent sur l’effort et la motivation des travailleurs et celles qui mettent l’accent sur les changements dans la structure des organisations. En s’inspirant de la littérature en gestion stratégique, les chercheurs en GRH ont cependant dépassé le stade de s’en remettre seulement aux théories de la motivation pour expliquer la relation entre les pratiques et la performance.

La deuxième approche de la classification de Delery et Doty (1996), soit l’approche de la contingence, avance plutôt que, pour améliorer la performance, les pratiques doivent être consistantes avec les autres aspects de l’organisation notamment avec la stratégie d’affaires de la firme. Chacune des stratégies implique un rôle différent pour les RH dans l’amélioration de la performance (Becker et Huselid 1998 ; Arthur 1994). Selon cette approche, une entreprise sera plus efficace si elle adopte les pratiques appropriées pour sa stratégie de développement.

La troisième et dernière approche relevée par Delery et Doty (1996) est celle de la configuration. L’approche de la configuration s’intéresse au lien entre un ensemble de variables indépendantes et une variable dépendante plutôt qu’au lien individuel qu’entretiennent diverses variables indépendantes avec une variable dépendante. En vertu de cette approche, non seulement les pratiques doivent être cohérentes verticalement avec les autres caractéristiques de l’organisation (cohérence externe) mais une cohérence horizontale (ou interne) qui réfère à la cohérence entre les pratiques doit aussi être assurée.

Plusieurs travaux en GRH postulent que le système de pratiques peut être une source importante d’avantage compétitif soutenu lorsque ses composantes font preuve d’une certaine cohérence (Becker et Gerhart 1996). Selon la théorie des ressources, une entreprise peut développer un avantage compétitif durable seulement en créant de la valeur à partir d’une ressource rare, difficile à imiter par les concurrents (Becker et Huselid 1998), en l’occurrence par le développement optimal des ressources humaines de l’entreprise. L’argument principal en faveur des RH est que les autres ressources sont plus faciles à imiter comparativement à une structure sociale complexe comme un système de RI. En se basant sur ce principe, on prend pour acquis que les RH constituent un facteur important pour développer un avantage compétitif.

L’idée selon laquelle on doit étudier le système de pratiques plutôt que les pratiques sur une base individuelle repose sur la théorie de la configuration. Comme le soulignent Dyer et Reeves (1995), la logique sous-tendant l’implantation des pratiques en un système cohérent de pratiques est simple. Par exemple, si on considère que la performance des employés est fonction de leurs aptitudes et de leur motivation (MacDuffie 1995), il est logique d’implanter plusieurs pratiques susceptibles d’agir sur ces deux facteurs. De plus, cet ensemble de pratiques se renforçant et se complétant mutuellement est susceptible de maximiser la performance davantage qu’en s’en remettant à une seule pratique. Un système cohérent de pratiques RI est davantage susceptible de créer un avantage compétitif et d’avoir un impact substantiel sur la performance organisationnelle que les pratiques individuelles (Becker et Huselid 1998 ; Ichniowski et al. 1996) car les pratiques implantées en système se complètent et se renforcent mutuellement (Ichniowski, Shaw et Prennushi 1997 ; Becker et Gerhart 1996 ; Dyer et Reeves 1995). C’est sur cette base que nous avons décidé d’utiliser dans notre recherche le système de pratiques comme unité d’analyse des pratiques RI.

Environ une douzaine d’études utilisant le système de pratiques RI comme indicateur ont été recensées[2]. Ces études portent en majorité sur des industries particulières : automobile (MacDuffie 1995 ; Katz, Kochan et Keefe 1987), acier (Ichniowski, Shaw et Prennushi 1997 ; Arthur 1994), vêtement (Dunlop et Weil 1996 ; Berg et al. 1996), usinage (Kelley 1996), banques (Delery et Doty 1996). Les autres portent sur plusieurs secteurs d’activité (Cappelli et Neumark 2001 ; Huselid et Becker 1996 ; Huselid 1995 ; Stephen 1993 ; Ichniowski 1990). Ces études, réalisées avec des méthodologies diverses, corroborent à divers degrés la thèse voulant que le système de pratiques ait un impact positif sur diverses dimensions de la performance organisationnelle. Il reste encore plusieurs problèmes méthodologiques à résoudre dans ce type d’études (Gerhart 1999 ; Becker et Huselid 1998), dont celui résolu dans cette étude-ci des variables contrôles, mais devant cette accumulation de preuves, il est raisonnable de conclure à l’existence d’un lien entre les pratiques élaborées en RI et la performance des organisations.

Impact du climat RI

Un autre élément important pour comprendre l’impact du système de RI sur la performance est le climat prévalant dans le milieu de travail. Devant les résultats divergents des travaux empiriques quant à l’impact du syndicalisme sur la productivité, les chercheurs ont eu recours à de nouveaux indicateurs liés au climat pour étudier l’impact des RI en contexte syndiqué : « although the findings are tentative, the labor relations climate appears to determine the effect of unions on firm performance. Unions can improve or degrade firm performance, depending on the relationship between workers and managers » (Belman 1992 : 70). Si ces relations sont mauvaises, la direction éprouvera sans doute des difficultés à atteindre un niveau élevé de performance. Si elles sont bonnes, travailleurs et patrons auront tendance à collaborer dans l’intérêt de l’entreprise (Freeman et Medoff 1984). Un certain nombre d’études ont été réalisées en se basant sur divers indicateurs reliés au climat pour évaluer l’impact des RI sur la performance. Les griefs, les mesures disciplinaires, le roulement du personnel, l’absentéisme et les grèves sont quelques-uns des indicateurs employés (Katz, Kochan et Gobeille 1983 ; Katz, Kochan et Weber 1985 ; Norsworthy et Zabala 1985 ; Mefford 1986 ; Ichniowski 1986 ; Cutcher-Gershenfeld 1991 ; Kleiner, Nickelsburg et Pilarski 1995). De façon générale, ces études concluent qu’un bon climat favorise la performance et, qu’à l’inverse, un mauvais climat la détériore peu importe la dimension étudiée. Par ailleurs, le climat a principalement été employé dans les études portant sur les milieux syndiqués. Nous croyons qu’il peut servir également à l’étude des milieux non syndiqués. À l’instar de Cutcher-Gershenfeld (1991), nous sommes d’avis que les interactions sur les lieux de travail rendent compte d’une réalité distincte des règles : c’est ainsi que l’on peut avoir de bonnes règles ou pratiques (ex. : participation) mais pas les bonnes attitudes (ex. : absentéisme, roulement, conflit) et inversement. C’est pourquoi le climat constitue un aspect du système de RI que nous avons considéré dans notre recherche.

Ce bref aperçu de la littérature a constitué l’occasion de bien camper les aspects des RI que nous allons considérer pour en mesurer adéquatement les impacts sur la performance organisationnelle. Dans l’analyse qui suit, nous aurons ainsi recours au système de pratiques et au climat comme indicateurs des RI. Notre cadre d’analyse intégrant ces variables constitue un apport appréciable dans le domaine non seulement parce qu’il propose une sophistication de la mesure des RI, allant plus loin que la présence syndicale et que les pratiques individuelles, mais aussi parce qu’il intègre les RT et la GRH. Ce décloisonnement entre la GRH et les RT produit un cadre d’analyse élargi plus à même de dépeindre avec justesse la complexité de l’effet des RI sur la performance.

Modèle d’analyse et hypothèses

Modèle d’analyse

La figure 1 présente le modèle d’analyse articulant les divers concepts pertinents à l’étude de la problématique et permettant de déduire les hypothèses de recherche. Le modèle comporte quatre composantes : la performance organisationnelle (variable dépendante), les autres déterminants de la performance organisationnelle (variables contrôles), les pratiques RI et le climat RI (variables indépendantes).

Figure 1

Modèle d’analyse de l’impact du système de RI sur la performance organisationnelle

Modèle d’analyse de l’impact du système de RI sur la performance organisationnelle

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En ce qui concerne la performance organisationnelle, la multiplicité et le caractère souvent opposé des critères de performance en font un concept difficile à cerner (Steers 1977 ; Rogers et Wright 1998). D’après Morin, Savoie et Beaudin (1994 : 5), mesurer l’efficacité organisationnelle « c’est prononcer un jugement sur une organisation, fondé sur un certain nombre de critères, qui sont des résultats souhaités, désirables, recherchés ». Ces auteurs dégagent quatre écoles de pensée quant à la représentation de l’efficacité de l’organisation : la conception économique, la conception sociale, la conception systémique et la conception politique. Nous nous en tiendrons ici à la conception économique de la performance qui met en évidence un aspect fondamental pour toute organisation, c’est-à-dire la création d’une valeur ajoutée. Ce choix s’appuie aussi sur les études où cette dimension est la principale variable dépendante étudiée de même que sur l’existence de modèles éprouvés pouvant servir à estimer de manière précise l’effet des RI sur l’efficacité organisationnelle en tenant constants les autres déterminants. Trois dimensions de la performance sont examinées ici : la productivité, l’efficience et la rentabilité.

Il ne semble pas exister de modèle explicatif de la performance englobant la complexité et la diversité des facteurs impliqués. Steers (1977) cerne cependant quatre catégories de déterminants de l’efficacité organisationnelle : les caractéristiques de l’entreprise, celles de l’environnement, les caractéristiques des employés ainsi que les politiques et pratiques de gestion. Ces déterminants doivent être considérés comme variables contrôles pour évaluer l’effet propre des RI sur la performance de l’organisation (voir figure 1).

Tel qu’exprimé plus haut, nous avons choisi d’examiner deux aspects du système de RI comme le montre la figure 1. Tout d’abord, les pratiques RI réfèrent aux programmes, politiques et activités instaurées indistinctement en GRH ou en RT (évaluation du rendement, formation, comités, coopération patronale-syndicale, etc.) et renvoient directement au concept de règles édicté par Dunlop (1993). Les pratiques implantées et gérées par l’employeur et les dispositions négociées entre un syndicat et un employeur correspondent à notre définition. On remarque que les pratiques RI sont incluses dans l’une des quatre grandes catégories de déterminants de la performance identifiées par Steers (1977), soit les politiques et pratiques de gestion.

Le second aspect des RI retenu à la figure 1 est le climat qui réfère généralement à l’ambiance ou à l’atmosphère qui prévaut dans une organisation. Pour nos fins, le climat RI se rapporte à l’atmosphère des relations entre les employés et la direction, mesurée par des indicateurs quantitatifs d’attitudes et de comportements de niveau organisationnel. Quant à sa place dans le modèle, il a fallu trancher entre deux façons de la conceptualiser. D’un côté, pour certains, le climat RI doit être considéré comme une variable modératrice qui interagit avec certaines autres variables pour influencer la performance (voir Steers 1977 ; Dastmalchian, Blyton et Adamson 1991). D’un autre côté, d’autres considèrent plutôt le climat comme un déterminant à part entière de la performance, au même titre que les variables contrôles de notre modèle ou les pratiques RI (voir les études sur le climat citées dans la section précédemment). Nous avons opté pour la seconde option, soit de considérer le climat RI comme une variable indépendante et de s’en tenir à son influence directe sur la performance organisationnelle. Ce choix apparaît raisonnable, compte tenu de la littérature et de notre volonté de simplifier la démonstration comme cette recherche se propose de faire.

Pour opérationnaliser le modèle d’analyse et comparer la performance des établissements, trois modèles d’estimation de la performance économique sont utilisés : une fonction de production, une fonction de coût et un modèle de détermination de la rentabilité. Les modèles opérationnels de détermination et les indicateurs de la performance économique présentés au tableau 1 sont adaptés au secteur bancaire, le secteur étudié ici, à l’instar des recherches sectorielles dont les résultats sont généralement les plus probants quant à l’impact des pratiques sur la performance (Hunter et Pil 1995). C’est ainsi que la fonction de production que nous utilisons a été appliquée dans une recherche traitant de l’impact du syndicalisme sur la productivité d’établissements bancaires américains (Graddy et Hall 1985). Nous avons aussi eu recours à une fonction de coût mise à contribution dans une étude portant sur la même population que celle de la présente recherche (Boisclair 1994). Pour sa part, le modèle de détermination de la rentabilité a déjà été utilisé pour étudier les institutions bancaires canadiennes (Théoret 1991 ; Laflamme 1993). Le tableau 1 indique que les variables contrôles retenues sont propres à chacune des dimensions de la performance organisationnelle étudiée.

Le principal intérêt de recourir à trois modèles différents pour opérationnaliser le modèle conceptuel est que chaque modèle emploie des indicateurs de la performance économique liés conceptuellement aux autres modèles. C’est ainsi que la rentabilité peut être considérée comme la différence entre les revenus tirés de la production et les frais engagés pour produire ces revenus[3]. Les résultats des estimations pour chaque modèle peuvent être interprétés les uns par rapport aux autres en raison de la complémentarité existant entre les indicateurs de performance. À titre d’exemple, une variable faisant augmenter les coûts doit avoir un impact négatif sur la rentabilité, à moins que cet impact à la hausse sur les coûts ne soit compensé par une productivité plus importante engendrée par cette même variable. Autrement dit, le modèle d’estimation de la rentabilité cerne l’effet net des variables RI, considérant leurs effets sur les deux dimensions de la performance économique (productivité et coûts). Cette façon de faire n’a pas été employée dans les études empiriques où l’on s’en remet généralement à une paire d’indicateurs de la performance organisationnelle sans qu’aucun lien ne puisse être fait entre eux pour corroborer les résultats obtenus. De plus, l’impact des pratiques sur les coûts de main-d’oeuvre ou de production est peu analysé et cela constitue un autre apport de notre recherche sans compter, enfin, que nos modèles d’estimation contrôlent rigoureusement les déterminants de la performance autres que les RI.

Ces modèles ne prétendent pas être des descriptions complètes des déterminants de la performance économique et le but de la présente recherche n’est certes pas de développer de tels modèles. Notre objectif est d’utiliser des modèles suffisamment bien spécifiés pour que les effets estimés des variables RI sur la performance ne soient pas biaisés. Contrairement à bien des modèles utilisés dans la littérature sur les pratiques (Rogers et Wright 1998), ceux employés ici ont le mérite d’avoir une base théorique solide, d’avoir été testés et d’être très bien adaptés au secteur d’activité à l’étude.

Tableau 1

Modèles d’estimation, variables et indicateurs

Modèles d’estimation, variables et indicateurs

Tableau 1 (suite)

Modèles d’estimation, variables et indicateurs

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Hypothèses

La variable « pratiques RI » fait l’objet de trois hypothèses dans la présente recherche. C’est ainsi que, toute chose étant égale par ailleurs :

Hypothèse 1 : Les pratiques RI augmentent la productivité.

Hypothèse 2 : Les pratiques RI augmentent les coûts de production mais cet effet diminue avec le temps.

Hypothèse 3 : Les pratiques RI augmentent la rentabilité.

En premier lieu, on s’attend à ce que la présence des pratiques RI soit associée à une plus grande productivité. Plusieurs des études déjà citées ont utilisé la productivité comme variable dépendante et ont relevé l’existence d’un effet positif des pratiques sur cette dimension (Ichniowski, Shaw et Prennushi 1997 ; Dunlop et Weil 1996 ; Kelley 1996 ; Huselid 1995 ; MacDuffie 1995 ; Arthur 1994 ; Ichniowski 1990). En second lieu, d’autres études concluent à l’existence d’un impact positif des pratiques sur la rentabilité (Dunlop et Weil 1996 ; Delery et Doty 1996 ; Huselid 1995 ; Stephen 1993 ; Ichniowski 1990). Toutes ces études montrent, à divers degrés, que le système de pratiques RI influence positivement la productivité et la rentabilité.

Par ailleurs, Huselid et Becker (1996) obtiennent des résultats donnant à penser qu’il existe un délai dans le temps entre l’implantation des pratiques et leurs effets sur la performance, particulièrement en ce qui concerne les coûts de production. Les effets des pratiques peuvent prendre du temps avant de se faire sentir, notamment à cause des coûts encourus lors de leur implantation : formation des employés et des superviseurs, réorganisation du milieu de travail et utilisation d’une nouvelle technologie, apprentissage des nouvelles façons de faire, honoraires des consultants, réunions additionnelles, etc. Ces coûts d’implantation peuvent constituer un frein à la diffusion des pratiques dites « innovatrices » (Pil et MacDuffie 1996) qui, selon d’autres (Cappelli et Neumark 2001), sont susceptibles d’accroître les coûts de main-d’oeuvre, en raison des qualifications plus élevées de la main-d’oeuvre (Bailey, Berg et Sandy 2001). D’un autre côté, d’autres études (Kleiner, Nickelsburg et Pilarski 1995 ; Cutcher-Gershenfeld 1991) montrent que certaines pratiques RI diminuent les coûts, notamment en permettant une réallocation des ressources. Pour réconcilier ces tendances apparemment contradictoires, il faut poser que les pratiques sont susceptibles d’augmenter les coûts de production à court terme mais que cet effet diminue avec le temps. Il est donc plausible de penser qu’à terme, les pratiques puissent faire diminuer les coûts.

Concernant le climat RI, trois hypothèses sont formulées. C’est ainsi que, toute chose étant égale par ailleurs :

Hypothèse 4 : Un mauvais climat RI diminue la productivité.

Hypothèse 5 : Un mauvais climat RI diminue les coûts de production.

Hypothèse 6 : Un mauvais climat RI diminue la rentabilité.

Dans les études ayant employé différents indicateurs liés au climat de travail (absentéisme, griefs, grèves, roulement, etc.), on constate généralement qu’ils ont un effet préjudiciable sur diverses dimensions de la performance des organisations (Huselid 1995 ; Cutcher-Gershenfeld 1991 ; Mefford 1986 ; Katz, Kochan et Weber 1985 ; Norsworthy et Zabala 1985 ; Katz, Kochan et Gobeille 1983). Un mauvais climat RI est habituellement considéré comme le signe d’un environnement de travail relativement conflictuel, où beaucoup d’énergies et de ressources peuvent être consacrées aux conflits et où la main-d’oeuvre est susceptible d’adopter des attitudes et des comportements contre-productifs (Kochan, Katz et McKersie 1994). On peut en déduire qu’un mauvais climat RI diminue la productivité, contribue à augmenter les coûts de production, et l’effet net résultant sur la rentabilité est négatif. À l’inverse, un bon climat RI devrait améliorer la productivité puisqu’il peut être le signe d’une bonne coopération, de comportements et d’attitudes positifs de la part des travailleurs, ce qui peut minimiser le temps non productif. Par ailleurs, en supposant qu’il y a moins d’énergies et de ressources consacrées aux conflits, on peut penser qu’un bon climat RI contribuera à diminuer les coûts de production. De l’effet combiné d’un bon climat sur ces deux dimensions, on peut inférer qu’une rentabilité plus grande est possible grâce à un bon climat RI.

Méthodologie

Données colligées

Les données recueillies portent sur 241 établissements affiliés à la Fédération des caisses populaires Desjardins de Montréal et de l’Ouest-du-Québec oeuvrant dans le secteur bancaire au Québec. Ce cadre est idéal à bien des égards pour ce type de recherche : activités et technologies très similaires, présence d’établissements syndiqués et non syndiqués, disponibilité des données sur la performance économique par établissement, diversité des pratiques et autonomie des caisses. En nous limitant à un seul secteur d’activité et à une même catégorie d’établissements, nous éliminons diverses influences susceptibles de biaiser nos estimations ce qui accroît la validité de notre recherche.

La première source des données est la Fédération elle-même qui collige plusieurs informations sur la performance financière des caisses et sur la main-d’oeuvre. La seconde source est une enquête par questionnaire que nous avons menée auprès des caisses affiliées et qui porte particulièrement sur les pratiques en vigueur et le climat. Plus d’une quarantaine d’intervenants en RT et en GRH de tous les niveaux de l’organisation (siège social, régions, établissements) ont eu à commenter et à valider les différentes versions du questionnaire en ce qui concerne surtout son contenu. Les pratiques sondées (voir tableau 2) devaient répondre à deux critères : correspondre à la réalité des caisses (validité) et être implantées de façon assez courante sans que cela suppose que toutes les caisses ne les aient adoptées (variance). Le répondant, c’est-à-dire le directeur de l’établissement, avait à relever la présence (oui) ou l’absence (non) des pratiques en 1994 et à indiquer l’année où elles furent implantées si tel était le cas. L’enquête visait aussi à recueillir certains indicateurs du climat non disponibles à la Fédération (le nombre de jours perdus pour cause d’accident de travail et pour cause de maladie de même que le nombre de mesures disciplinaires). Il est à noter que toutes les variables employées ici sont mesurées au niveau de l’établissement et portent sur l’année 1994. L’enquête fut menée à l’automne 1995 auprès des 324 caisses populaires affiliées. Des 324 questionnaires postés, 241 furent retournés. Le taux de retour se situe donc à 74,4 %, soit au-delà de ce qui est observé généralement dans les études de ce genre (Becker et Huselid 1998).

Tableau 2

Structure factorielle des pratiques RI

Structure factorielle des pratiques RI

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Mesure des variables

Performance organisationnelle et variables contrôles. Les modèles d’estimation mis à contribution de même que l’ensemble des indicateurs utilisés sont présentés au tableau 1. Deux indicateurs distincts de productivité, d’efficience et de rentabilité ont été utilisés dans les estimations. Chaque modèle d’estimation comporte ses propres variables contrôles.

Pratiques RI. À l’instar de ce qui est fait dans la littérature, nous avons mesuré le système de pratiques RI plutôt que les pratiques individuelles, ce qui a nécessité le regroupement des indicateurs des pratiques. À l’instar d’autres chercheurs (Huselid 1995 ; Kelley 1996), l’analyse factorielle nous a permis de regrouper ces indicateurs sur la base des dimensions latentes du système de pratiques RI. Le tableau 2 présente les résultats de l’analyse factorielle avec rotation orthogonale (varimax) qui a permis d’identifier trois facteurs expliquant près de 46 % de la variance. Dans les estimations réalisées, trois indicateurs mesurent, pour chaque établissement, le degré jusqu’auquel le système de pratiques en place met l’accent sur chacune des trois dimensions suivantes : la mobilisation (développement, information et participation des RH), l’expression (consultation et droits des employés) et l’implication (contribution à l’atteinte des objectifs organisationnels).

Étant donné l’effet du temps qui semble jouer un rôle dans la relation entre les pratiques et les coûts postulée à l’hypothèse 2, nous avons choisi comme indicateur de chaque pratique RI le nombre d’années depuis qu’elle a été implantée dans l’établissement. Cette mesure permet non seulement de prendre en compte la présence des pratiques mais aussi la « maturité » de la pratique qui est susceptible de faire varier son effet sur la variable dépendante à l’étude. Cette façon de faire constitue un moyen intéressant d’explorer le rôle du temps dans l’effet des pratiques RI sur la performance tout en permettant la vérification de l’hypothèse 2. Aucune autre étude à notre connaissance ne tente d’évaluer l’impact du nombre d’années depuis l’implantation des pratiques RI sur la performance organisationnelle[4].

Climat RI. Enfin, la variable climat RI est mesurée par un indice composé de quatre indicateurs : le taux de roulement, le nombre de mesures disciplinaires par salarié, le nombre de jours d’absence par salarié et le nombre de jours perdus pour cause d’accidents de travail par salarié. Ces indicateurs ont été employés à maintes reprises dans les études citées précédemment. Ces mesures correspondent à ce que certains appellent hard behavioral data (Norsworthy et Zabala 1985) et qu’ils opposent aux mesures perceptuelles. Ces indicateurs constituent des caractéristiques concrètes facilement observables du climat RI pour lesquelles les établissements étudiés, syndiqués ou non, compilent des données. Le regroupement de ces indicateurs vise principalement à accroître la validité de contenu de la mesure qui couvre ainsi diverses facettes du concept de climat RI.

L’indice du climat RI créé additionne les valeurs des quatre indicateurs préalablement transformés sous une forme centrée et réduite (Z scores). Par la suite, cette somme a été divisée par le nombre de valeurs valides pour chacun des cas ; cette façon de traiter les données permet de considérer chaque indicateur comme ayant un poids égal dans l’indice et de régler du même coup la question des valeurs manquantes. Enfin, la composition de cet indice est intéressante car les mesures retenues vont toutes dans le même sens : plus la valeur de cet indice sera élevée (plus de mesures disciplinaires, plus d’accidents, plus d’absentéisme, plus de roulement), plus le climat sera considéré comme mauvais ce qui devrait avoir un effet négatif sur la productivité, accentuer les coûts de production et diminuer la rentabilité d’un établissement.

Stratégie générale d’analyse

L’analyse de régression multivariée est l’outil statistique utilisé pour vérifier nos hypothèses. En dépit de ses limites (Becker et Gerhart 1996), cet outil nous est apparu le plus convenable comme pour la plupart des chercheurs dans ce domaine car il nous permet de contrôler les effets de divers autres déterminants de la performance. Les variables pratiques RI et climat RI furent introduites dans chacun des six modèles d’estimation de base des trois dimensions de la performance économique afin de tester nos hypothèses.

Résultats

Les estimations sur la productivité (tableau 3) montrent que toutes les dimensions du système de pratiques RI entretiennent une relation positive et statistiquement significative (ou près de l’être dans le cas d’une des six estimations) avec les indicateurs de productivité. Nous constatons aussi que les résultats sont plus mitigés concernant les coûts de production alors qu’aucun de ces liens estimés n’est statistiquement significatif ; les coefficients de deux dimensions (« mobilisation » et « implication ») sont négatifs alors que celui de la dimension « expression » est positif. Enfin, les estimations portant sur la rentabilité indiquent que chacune des dimensions du système de pratiques RI a un effet positif sur la rentabilité mais non significatif. En vertu de la logique unissant ces critères de performance les uns aux autres, on s’attendait à un effet net positif des dimensions du système de pratiques sur la rentabilité compte tenu de leur impact positif et significatif sur la productivité et de leur impact mitigé sur les coûts.

Ces résultats corroborent donc l’hypothèse 1 à l’effet d’un impact positif des pratiques RI sur la productivité. Ces résultats sur la productivité supportent ainsi ceux des études consultées dans l’élaboration de notre recherche. L’hypothèse 3 n’est cependant pas vérifiée en vertu des résultats obtenus avec la rentabilité. Il n’est pas si étonnant que l’effet des pratiques demeure marginal puisque cette mesure de performance financière est influencée par une myriade de facteurs autres et aussi parce que les pratiques sont susceptibles d’avoir une influence plus directe sur des résultats intermédiaires, comme par exemple la productivité et la qualité des produits (Dyer et Reeves 1995 ; Rogers et Wright 1998 ; Le Louarn et Gosselin 2000). Quant à l’impact mitigé des pratiques RI sur les coûts tel que posé à l’hypothèse 2, il est corroboré surtout en mettant en parallèle ces résultats avec ceux obtenus antérieurement sur la même base de données (Jalette 1997). Ces premiers résultats montraient que, lorsque la seule présence des pratiques est prise en compte, l’effet estimé est positif pour toutes les dimensions du système de pratiques et de façon significative pour la dimension « expression ». La prise en compte du nombre d’années depuis l’implantation a donc passablement mitigé l’effet des pratiques sur les coûts.

En ce qui concerne le climat RI, les estimations au tableau 3 révèlent qu’un mauvais climat RI est associé à une productivité moindre. Quant aux estimations des coûts, la variable climat RI est liée positivement aux coûts : un mauvais climat RI est associé significativement à des coûts plus élevés. Les hypothèses 4 et 5 sont donc corroborées. Pour ce qui est de l’hypothèse 6, vu l’impact négatif du climat RI sur la productivité et son impact positif sur les coûts, on s’attendait à ce que son impact net sur la rentabilité soit négatif. Les coefficients estimés arborent le signe attendu mais le lien n’est pas significatif aux seuils conventionnels. L’hypothèse 6 n’est donc pas corroborée. En résumé, les résultats montrent qu’un mauvais climat RI comporte un impact généralement néfaste sur la performance à l’instar de ce qui est observé dans la littérature sur le sujet citée précédemment.

Tableau 3

Estimations de l’effet des RI sur la performance économique des établissements (n = 241)

Estimations de l’effet des RI sur la performance économique des établissements (n = 241)

* = p < 0,1; ** = p < 0,05; *** = p < 0,001

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Discussion

La présente recherche identifie deux conditions de l’influence des pratiques RI sur la performance économique : leur constitution en système et leur « âge ». Tout d’abord, on y constate qu’il est tout à fait approprié d’étudier les pratiques RI sous l’angle d’un système de pratiques afin d’en mesurer pleinement les effets. De fait, l’évaluation de l’effet des RI réalisée ici en utilisant le système de pratiques est supérieure à celle faite précédemment en recourant aux pratiques sur une base individuelle (Jalette 1997). Supportant en cela les travaux récents, ce constat montre que l’approche de la configuration utilisée ici permet de mieux expliquer les effets des pratiques RI sur la performance que l’approche universaliste (Delery et Doty 1996). Une implication pratique de ce constat est qu’il ne faut pas penser qu’on influencera substantiellement la performance de l’organisation en changeant ou en implantant une pratique : « In short, HR managers should not be misled into thinking that adding (or subtracting) points on the rating scales in their performance appraisal systems will have a strategic impact on organizational performance » (Becker et Gerhart 1996 : 787). Pour obtenir un impact substantiel sur la performance, il faut jouer sur plusieurs dimensions et implanter des pratiques se renforçant et se complétant mutuellement.

Les dimensions du système des pratiques en place dans les établissements apparaissent par ailleurs avoir été bien cernées par l’analyse factorielle qui permet une analyse fine des effets spécifiques de chacune de ces dimensions du système. La première dimension, la « mobilisation », était probablement la plus susceptible d’avoir un impact positif sur la performance, entre autres sur la productivité si l’on se fie au grand nombre de recherches ayant scruté les effets des pratiques qui la composent : participation, formation et intéressement des salariés. La deuxième dimension, la dimension « expression », se compose pour sa part de pratiques typiques de l’action syndicale (comités, procédure de griefs/plaintes) que l’on retrouve même dans plusieurs établissements non syndiqués. Cela pourrait expliquer l’impact positif significatif constaté sur la productivité et l’impact positif sur les coûts. Aussi, cela montre que l’analyse de l’impact du syndicalisme sur la performance passe davantage par les pratiques qu’il négocie que par sa seule présence. Quant à la dernière dimension, la dimension « implication », les résultats sont un peu plus ambigus et sont moins facilement interprétables. S’il n’existe pas de pratique « miracle », existe-t-il des dimensions susceptibles plus que d’autres d’améliorer la performance ? Force est d’admettre que la présente recherche ne permet pas de conclure définitivement là-dessus. Il faut voir qu’il existe dans la pratique divers liens entre ces dimensions que les outils statistiques ne permettent pas nécessairement de bien différencier. Par exemple, la mobilisation ou l’implication seraient-elles aussi efficaces sans pratiques liées à l’expression des salariés ? Nous en doutons compte tenu de ce que cette recherche et la littérature nous indiquent quant à la nécessité d’envisager les pratiques de façon systémique plutôt qu’individuelle.

La seconde condition relative à l’influence des pratiques concerne leur « âge ». Les résultats obtenus ici avec les coûts sont particulièrement intéressants à ce sujet. Ainsi, en considérant le nombre d’années depuis leur implantation, les pratiques RI apparaissent avoir un impact mitigé sur les coûts de production et de main-d’oeuvre. En mettant en parallèle ces résultats avec ceux obtenus antérieurement en utilisant les indicateurs de présence (Jalette 1997), il semble que, plus les pratiques sont implantées depuis longtemps, moins elles contribuent à l’augmentation des coûts. Considérant que les pratiques comportent divers coûts (implantation, rodage, etc.), cette recherche montre cependant que ceux-ci semblent être amortis à terme. Peut-être que les pratiques peuvent prendre un certain temps avant de produire les résultats escomptés et qu’on se doit dans ces conditions d’être patient avant de poser un jugement sur la valeur d’une ou de plusieurs pratiques.

Par ailleurs, les résultats démontrent tout l’intérêt de considérer le climat RI dans un modèle explicatif de l’effet des RI sur la performance. Tout d’abord, le climat apparaît être une variable explicative importante dans la détermination de la performance économique tout comme le rapporte la littérature. Nos résultats indiquent que le climat joue un rôle non négligeable en RI, à l’instar de ce que soulignent Dastmalchian, Blyton et Adamson (1991). Donc, pour mesurer l’impact du système de RI sur la performance organisationnelle, il ne faut pas s’en remettre à une seule caractéristique comme les pratiques ou la présence syndicale : le climat doit être pris en compte.

De plus, au plan conceptuel, la présente recherche montre que le climat et les pratiques RI constituent des caractéristiques bien distinctes du système de RI. On pourrait ainsi avoir de bonnes pratiques mais un mauvais climat et inversement. Une chose est certaine : on aura beau implanter des pratiques dites « performantes », il reste que le climat constitue un facteur susceptible de nuire à la performance. Il faut donc en pratique agir aussi sur le climat si l’on veut retirer tous les bénéfices possibles du système RI dans une organisation.

Par-dessus tout, la variable climat RI rend compte du fait bien établi en RT que les intérêts des employeurs et des employés sont mixtes : à la fois communs et divergents (Walton et McKersie 1993). On peut présumer qu’un bon climat RI indique que la coopération pour la poursuite des intérêts communs prédomine, alors qu’un mauvais climat RI indique que le conflit où s’affrontent des intérêts opposés est prépondérant dans l’entreprise (Cutcher-Gershenfeld 1991). Le climat n’ira donc pas sans influencer la performance. Implicitement, en oubliant cet aspect important, les études réalisées en GRH expliquant les variations de la performance à l’aide des pratiques seulement postulent que les parties partagent uniquement des intérêts communs. Pourtant, il y a fort à parier que l’implantation et l’efficacité subséquente de certaines pratiques diffèreront selon que le climat dans l’établissement est bon ou mauvais.

Conclusion

Notre recherche montre que les RI ont un impact sur la performance économique des organisations. Cette étude apporte une contribution à la littérature actuelle en innovant à divers points de vue. Tout d’abord, son cadre d’analyse intégrant les RH et les RT permet une analyse des milieux syndiqués et non syndiqués se basant sur des caractéristiques du système de RI rarement considérées ensemble : les pratiques et le climat. L’influence de plusieurs des nombreux déterminants de la performance est susceptible de biaiser la mesure de l’effet précis des RI dans ce genre d’étude. Ici, cette influence a été réduite par divers moyens, notamment en recourant à des modèles éprouvés de détermination de la performance économique et en se limitant à une seule catégorie d’établissements. Une autre contribution de notre recherche est l’utilisation de trois dimensions interreliées de la performance économique qui permet de corroborer davantage nos résultats.

Comme toute recherche, celle-ci comporte certaines limites et les recherches futures devraient permettre de les dépasser. La première limite se situe au niveau de la population étudiée qui est composée d’établissements du secteur bancaire mais se limite à une seule catégorie d’établissement, les caisses d’épargne et de crédit. Il serait intéressant de reprendre le modèle conceptuel et de l’appliquer à d’autres établissements du secteur bancaire et éventuellement à d’autres secteurs, syndiqués ou non.

Une seconde limite a trait au problème de la simultanéité, c’est-à-dire la situation ou une variable peut être à la fois une cause et un effet. Même si nous avons pris pour acquis que les RI affectent la performance, nos estimations transversales ne nous permettent pas d’exclure la possibilité que la relation entre ces variables aille dans le sens opposé ou qu’elle soit même circulaire. Ce problème est relativement fréquent dans les études et il est abondamment discuté dans la littérature (Le Louarn et Gosselin 2000 ; Becker et Gerhart 1996 ; Huselid et Becker 1996). La stratégie adoptée ici demeure fort convenable car elle s’appuie sur la cohérence du modèle d’analyse que nous avons développé. L’enjeu de la causalité entre les RI et la performance pourrait être examiné en utilisant un système d’équations simultanées ou des banques de données portant sur plusieurs années. Même si les études longitudinales ne permettent pas de régler tous les problèmes méthodologiques (Huselid et Becker 1996), ce genre d’études pourrait être privilégié à l’avenir.

Pour ce qui est des modèles opérationnels de détermination de la performance économique, il est possible qu’il subsiste des variables susceptibles de l’influencer et qui n’ont pas été prises en compte. Il aurait été intéressant par exemple d’examiner l’effet sur la performance organisationnelle de la stratégie de gestion au niveau de l’établissement, vu l’importance accordée à ce concept en GRH. Des études qualitatives réalisées auprès des acteurs sur le terrain seraient aussi nécessaires pour examiner plus à fond les mécanismes existant entre les RI et la performance de l’entreprise de même que les facteurs impliqués de façon à corroborer les résultats obtenus ici.

À l’instar d’Ichniowski et de ses collègues (1996), nous estimons qu’aucune recherche seule ne sera entièrement convaincante dans ce domaine et la clé pour obtenir des résultats crédibles sera l’accumulation et le recoupement d’études utilisant divers devis comportant chacun leurs forces et leurs faiblesses. La présente recherche ne met évidemment pas un point final à la question de l’impact des RI sur la performance de l’entreprise. Cependant, les éléments de preuve apportés ici contribuent de façon originale à l’avancement de la connaissance sur cette problématique complexe mais importante.