RecensionsBook Reviews

Sociologies du travail : quarante ans après sous la direction d’Amélie Pouchet, Paris : Éditions Elsevier, 2001, 384 p., ISBN 2-84299-275-X.[Notice]

  • Philippe Bernoux

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  • Philippe Bernoux
    CNRS
    Université Lyon 2

Voilà un très bon livre : les problèmes de l’évolution de la sociologie du travail y sont répertoriés et traités par ceux qui ont vécu ces évolutions, et ils en tirent les leçons. Ce livre collectif n’est pas un assemblage de communications, mais une tentative réussie de synthèse sur les problèmes du travail dans les sociétés européennes et sur les débats auxquels ils ont donné lieu, synthèse qui s’appuie sur les publications des quarante années de la revue Sociologie du travail. La réponse se construit en huit parties où se mêlent les champs traditionnels avec des thèmes transversaux comme la montée des initiatives locales, le contrat, la violence, les villes, etc. Ce type d’articulation permet d’englober la plupart des débats qui ont nourri la sociologie du travail et vers lesquels elle s’est élargie. Historiquement, on est passé de l’idée de travail total, englobant toute la société, au questionnement sur la fin du travail, puis sur le travail éclaté, et enfin sur le travail comme expérience sociale. De catégorie totale, définissant les rapports sociaux et l’ordre social, l’image s’est décomposée sous l’effet de la restructuration concurrentielle des économies nationales et sous l’effet de la soumission des marchés à des influences extérieures. La dérégulation (notion floue, qui devrait faire l’objet d’un travail de réflexion de la part des acteurs sociaux) s’est traduite non par la suppression de règles (d’autres les ont remplacées) mais par le renforcement de certains acteurs. Enfin un dernier chapitre traite de l’évolution du contrat de travail sous l’effet du chômage de masse. Différentes solutions ont été envisagées par les pays européens dont la sortie provisoire du marché du travail salarié à travers un congé sabbatique, qui pourrait courir sur plusieurs années. Il s’agit de repenser sérieusement une société qui jusqu’ici valorisait exclusivement le travail à temps plein et la relation d’emploi normalisée. Les travaux sur les modèles productifs semblent indiquer que, loin du taylorisme et de son modèle rationalisateur, on irait vers un modèle basé sur la coopération, fondé sur une autre gestion des incertitudes. Mais beaucoup d’interrogations subsistent sur l’existence d’un modèle vraiment nouveau et, surtout, sur les conditions de l’adhésion des salariés. Pour y parvenir, il faudrait une profonde transformation du rapport salarial, de l’organisation du travail, et surtout l’intégration des institutions et de l’environnement dans une nouvelle approche de ces relations. L’évolution qui paraît se dessiner vers l’individuation, où l’individu se trouve seul face au pouvoir du management ainsi que face aux contraintes nouvelles du travail (relations, contrôle gestion, etc.), ne va guère dans le sens d’une adhésion. Pour parvenir à y voir clair, un retour aux analyses concrètes sur les lieux du travail serait bénéfique. Dans le champ de l’action publique, on passe d’un état centralisateur et tout puissant à un monde marqué par la pluralité des centres et l’hétérogénéité des fins. Il y a accord pour constater le déclin du rôle régalien de l’État, la recherche d’une conception plus partenariale où le contrat se substitue à la tutelle. Les nouveaux dispositifs donnent plus de place aux marchés, aux entreprises et aux contrats, mais supposent une légitimité politique du pilote. En Europe, les enjeux actuels sont la constitution d’acteurs collectifs ainsi que la démocratisation de l’UE. L’emploi, considéré longtemps dans son seul lien au marché, tend à être reconnu dans sa dimension d’expression des rapports sociaux, comme un fait social qui structure d’autres faits sociaux, dont le travail. Il est reconnu comme une norme sociale, qui classe et hiérarchise les individus en fonction du statut de leur emploi. Le chômage structurel met en cause la légitimité de l’ordre social tout entier. Dans le …