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Ce rapport de recherche comporte trois éléments : une revue de la littérature et des législations qui touchent le travail atypique en Ontario ; une analyse qualitative d’entrevues avec des travailleuses et travailleurs du commerce de détail en Ontario ; des recommandations. Son objectif est de regarder le lien entre ce type de travail et le stress professionnel des travailleuses. Il fait partie d’une série de rapports subventionnés par Condition féminine Canada, qui cherche à se faire conseiller en matière de politiques publiques.

Dans son intention et son style, il s’agit moins d’un rapport scientifique qu’un soutien aux recommandations. La revue de la littérature est assez sommaire et ne prétend pas couvrir le domaine du travail atypique. D’ailleurs, la définition du travail atypique qui est donné (« travail à temps partiel et travail occasionnel ou temporaire », p. v) et la discussion qui s’ensuit fusionnent et entremêlent plusieurs éléments qui mériteraient d’être bien séparés. La notion du travail atypique tel qu’utilisée inclut des questions de temps travaillé (temps partiel/plein), d’horaire (variabilité, quarts de soir et de nuit), de durée et de sécurité de lien d’emploi (temporaire, de durée limitée), et de prévisibilité du travail (occasionnel, sur appel). Par contre, pour un travailleur ou une travailleuse, un emploi régulier du lundi au vendredi de 9h à 13h ne représente pas la même réalité économique, familiale, psychologique et physique qu’un emploi à plein temps à horaire variable et imprévisible dans le cadre d’un contrat à durée délimitée. Cette différence est reconnue par les auteures mais n’est pas rendue visible dans la plupart de la discussion. Par contre les études scientifiques sur la question insistent sur la nécessité de considérer séparément les différentes formes de précarité (voir K. Lippel, « Face aux conséquences de la flexibilisation de l’emploi : les solutions juridiques et leurs limites », dans J. Bernier et al., L’incessante évolution des formes d’emploi et la redoutable stagnation des lois du travail, Québec : PUL, 2001, 45-53 et M. Quinlan, C. Mayhew et P. Bohle, « The global expansion of precarious employment, work disorganisation and occupational health : a review of recent research », International Journal of Health Services, 31 (2), 2001, 335-414) ; ceci est particulièrement nécessaire si on veut voir leurs impacts spécifiques selon le sexe. Enfin, les statistiques présentées sur la prévalence des types d’emploi sont bien moins intéressantes et utiles que celles présentées pour le Québec (Conseil du statut de la femme du Québec, Emploi atypique cherche normes équitables, Québec : CSF, 2000 et D. Matte, D. Baldino et R. Courchesne, « L’évolution de l’emploi atypique au Québec », Le Marché du travail, 19 (5), 1998, 5-72).

Je n’ai pas la compétence pour évaluer la présentation du contexte juridique. Elle couvre surtout la loi ontarienne sur les normes d’emploi, avec des références à la loi ontarienne sur la santé et la sécurité et la loi fédérale touchant l’assurance-emploi. Plusieurs éléments de cette discussion sont difficiles à suivre pour une personne non experte.

On fournit également une définition (p. v) et un modèle (p. 5) de stress professionnel. Le « stress » est défini par une liste de symptômes qui semble venir d’un questionnaire élaboré par les auteures. Or, il existe (comme le soulignent les auteures) une très grande littérature sur le stress professionnel qui n’est ni résumée ni prise en compte. Le modèle présenté sert surtout à situer les recommandations mais ne reflète pas l’état actuel de la recherche dans le domaine (études de Karasek, Theorell, Dejours, Siegkrist, Marmor, etc.).

La recherche comme telle comprend des discussions avec huit responsables de la santé et de la sécurité du travail appartenant au syndicat des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC), ainsi que 29 entrevues collectives et individuelles (ventilation non fournie) avec 57 travailleuses et deux travailleurs du commerce au détail. La provenance exacte et les caractéristiques démographiques de ces personnes ne sont pas précisées et nous ne savons pas dans quelle proportion elles sont syndiquées ni combien proviennent des sous-secteurs du commerce (vente au détail, supermarché, serres, etc.)

Plusieurs citations sont rapportées concernant les effets de l’insécurité d’emploi et des horaires variables sur la vie hors-travail, les symptômes de stress, et les rapports entre collègues. Ce qui ressort est un portrait assez désolant de l’anarchie sauvage qui prévaut dans certaines entreprises, où le nombre d’heures travaillées, et donc le revenu, dépend entièrement du gré du patron, créant ainsi un rapport de dépendance marquée, même en présence d’un syndicat. Ce rapport empêche les employés de revendiquer et faire respecter leurs droits en matière d’accès au travail, de conditions de travail, et de salaire. Les auteures nous affirment que cette situation est typique de celle qui prévaut quand le rapport avec l’employeur est « atypique ».

Les recommandations sont assez générales et touchent surtout les conditions minimales du travail : garantir l’admissibilité aux congés, inclure toutes catégories de travailleurs et travailleuses dans la couverture des conditions minimales et dans les congés parentaux. De plus, on demande l’égalité de traitement pour un même travail, peu importe le type de contrat. Puisque les conditions de travail minimales déjà légiférées ne semble que peu respectées, on recommande aussi la formation des travailleuses et travailleurs pour qu’ils connaissent leurs droits. Enfin, on recommande aux gestionnaires d’accroître le travail régulier et permanent et d’adopter des mesures de soutien du personnel « atypique ». On recommande aux syndicats de négocier de meilleurs conditions pour ce personnel et de les former pour défendre leurs droits.

Les recommandations ne débordent donc pas du contexte immédiat des entreprises pour s’attaquer aux causes plus profondes de la situation dans la compétition féroce qui sévit actuellement dans presque tous les secteurs de l’économie. Elles n’offrent pas de solution convaincante au principal problème identifié, soit que les législations en place ne sont pas respectées. Elles ressemblent dans leur esprit à plusieurs qui avaient été mieux détaillées dans les discussions entourant les nouvelles dispositions de la Loi sur les normes du travail au Québec (e.g., Conseil du statut de la femme du Québec, Emploi atypique cherche normes équitables, Québec : CSF, 2000 ; J. Bernier, G. Vallée et C. Jobin, Les besoins de protection des personnes en situation de travail non traditionnelle [rapport Bernier], Québec : Ministère du travail, 2003). Les recommandations ne touchent pas le fait que la loi ontarienne de santé au travail, contrairement à la loi québécoise, exclut explicitement la compensation pour les effets du stress.

Plusieurs projets de recherche actuellement en cours au Québec et au Canada concernent le travail atypique, et leurs résultats ont commencé à sortir (p. ex., L. F. Vosko, « Decent work in the informal economy : A Discussion Paper on Item VI of the 90th Session of the International Labour Conference, 2002 », report prepared for the Community University Research Alliance on Contingent Work, the Global Labour Institute and Women in the Informal Economy Globalizing and Organizing, 2002). Nous aurons bientôt une meilleure idée des configurations multiples que prend le travail actuellement. Les études ajouteront précisions et détails à notre compréhension des besoins de ces travailleurs et travailleuses. Les recommandations qui en découleront seront sûrement plus extensives. Mais le besoin d’agir est déjà amplement démontré par les études existantes et les aménagements suggérés par les présentes auteures paraissent comme un minimum.