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L’ouvrage s’inscrit dans le courant qui place le capital humain au coeur de la croissance économique d’où l’importance de bien en saisir les tendances et en comprendre l’accumulation au sein des différents groupes socio-économiques d’une nation. C’est dans ce contexte que les auteurs proposent des indicateurs qui permettront éventuellement de mieux cerner les problèmes affectant la contribution du capital humain à la croissance économique. Voilà, en quelques mots, le propos de la monographie.

En réaction aux indicateurs standards qui ne prennent en compte que la quantité du capital humain, c’est-à-dire le nombre de travailleurs ou le nombre de diplômes, les auteurs proposent plutôt des indicateurs basés sur la valeur de la contribution des individus à la production nationale. L’ouvrage porte essentiellement sur les États-Unis, couvre une période de 25 ans et vise quatre objectifs. L’objectif premier est de contribuer à l’amélioration des mesures de capital humain existantes. En développant l’indicateur de capacité salariale, les auteurs entendent qualifier la quantité de travail. Le deuxième objectif vise à déterminer le potentiel de la capacité de production d’une nation. Pour y arriver, ils proposent un indice du tauxd’utilisation du capital humain défini comme le ratio des salaires réels sur la capacité salariale potentielle si le capital humain était utilisé à sa pleine capacité. Cet indice devrait permettre de comparer les profils d’utilisation du capital humain de différents groupes démographiques dans le temps. Comme seule une partie de la capacité de production est utilisée, les auteurs cherchent à en comprendre les raisons et proposent d’analyser le rôle de divers facteurs tels la performance macroéconomique, l’état de santé de la population, et les alternatives aux activités de travail qui s’offrent à ces groupes. Ceci constitue le troisième objectif de l’ouvrage. Finalement, sur la base de ces indicateurs, les auteurs entendent explorer les tendances et les raisons de la non-utilisation du capital humain (soustrayant ainsi la portion utilisée de capital humain du total de capital humain potentiel) de certaines catégories de population les plus vulnérables aux États-Unis.

L’avantage de la capacité salariale comme indicateur de la valeur du stock de capital humain dans une économie par rapport aux indicateurs standard tiendrait au fait qu’il permet de saisir à la fois le niveau d’offre potentielle de travail ainsi que la valeur estimée de ces services. Ultimement, la capacité salariale reflèterait plus fidèlement la performance réelle et potentielle du marché du travail puisque cet indicateur ne prend pas seulement en compte les activités sur le marché du travail mais attribue une valeur commerciale à certaines activités hors marché. Cependant, la valeur de ces activités ne va pas au-delà de la norme d’utilisation potentielle du capital humain. En d’autres mots, le nombre d’heures consacrées aux activités de loisir, au bénévolat, au travail à domicile qui excède cette norme est exclu. Cela a donc pour effet de limiter la capacité de cet indicateur à estimer correctement la valeur du produit annuel brut.

Malgré cela, les indicateurs présentés dans cet ouvrage ont plusieurs applications. Entre autres, ils permettent de comparer la tendance de la croissance du capital humain avec celle du PIB nous procurant ainsi une mesure de la productivité et de son évolution au cours des trois dernières décennies aux États-Unis. De plus, ces indicateurs permettent de décrire une variété de tendances sociales et économiques et orientent par le fait même les avenues de recherche sur des questions concernant le développement économique à long terme. Ils jettent ainsi un éclairage beaucoup plus précis sur la réalité socio-économique du travail. Par exemple, les auteurs vont au-delà de la mesure agrégée du capital humain de la population et mesurent le capital humain des différents groupes démographiques en les départageant sur la base de variables telles le niveau d’éducation, l’âge, le statut familial, la race et le sexe.

Les auteurs reconnaissent certaines limites de la capacité salariale et du taux d’utilisation du capital humain comme indicateurs. Ils mentionnent, entre autres, l’absence de prise en compte de l’effet de débordement associé à l’activité humaine dans des secteurs autres que le secteur dans lequel elle évolue. Un des problèmes avec ces indicateurs est que les hypothèses sur lesquelles ils sont basés sont controversées. Par exemple, les auteurs assument que la productivité mesurée sur la base des salaires possède une certaine légitimité puisqu’elle est fondée sur la théorie économique. Ainsi, selon les auteurs, les différences salariales de certaines minorités sociales pourraient tout simplement être le reflet des profils de discrimination raciale ou sexuelle présents sur le marché. Par ailleurs, les auteurs font l’hypothèse que les marchés du travail sont compétitifs et ne présentent aucune distorsion. De plus, bien qu’ils réfèrent plusieurs fois dans le texte aux compétences intrinsèquement associées au capital humain, ils ne pourront sans doute pas convaincre le lecteur que ces dernières sont bien capturées par l’indicateur de capacité salariale.

Traditionnellement, les économistes ont mesuré le capital humain sur la base du niveau de scolarité, du diplôme ou encore du salaire. Si le capital humain a fait l’objet de nombreuses recherches et publications, saisir la complexité de ce capital n’est pas simple. Si ces indicateurs comportent d’importantes limites, ils permettent toutefois de raffiner notre compréhension de l’évolution du capital humain, de sa productivité et de mieux comprendre les raisons de son utilisation partielle chez certains groupes de la population. Avec un éclairage amélioré de la contribution du capital humain à la croissance économique, il sera possible aux analystes qui s’intéressent au marché du travail et à la croissance économique de proposer des pistes de recherche permettant d’enrichir le débat et la prise de décision politique. Dans le présent contexte où l’on s’interroge sur le développement et la contribution du capital humain des différents groupes socio-économiques à la croissance économique (par exemple, la population vieillissante, les immigrants, etc.), de tels indicateurs bien que limités ne manquent pas d’intérêt. Si l’ouvrage de Haveman, Bershadker et Schwabish fait un pas dans cette direction, il serait important de noter que le capital humain ne peut pas être entièrement dévoilé sur la base des salaires surtout si l’on fait abstraction de l’influence des arrangements institutionnels sur le marché du travail. De plus, il faudrait que ces indicateurs reflètent plus adéquatement les compétences menant à la croissance économique. Dans ce sens, les récentes initiatives de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et autres organisations telle Statistique Canada ayant pour but de mesurer directement les compétences des individus devraient être prises en compte dans le développement d’indicateurs visant à mesurer la qualité du capital humain et sa contribution à la croissance économique.