RecensionsBook Reviews

Les cadres : grandeur et incertitudes par Olivier Cousin, Paris : l’Harmattan, Coll. Logiques sociales, 2004, 281 p., ISBN 2-7475-7287-0[Notice]

  • Paul Bouffartigue

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  • Paul Bouffartigue
    Laboratoire d’économie et de sociologie du travail

Ce livre, fruit d’une recherche soutenue par l’APEC (Association pour l’emploi des cadres), est le premier travail sur les cadres reposant sur une « intervention sociologique ». Cette méthode, développée dans le sillage d’A. Touraine et de F. Dubet, repose sur un processus de co-analyse acteurs/chercheurs, dans lequel le groupe est confronté à des interlocuteurs représentant ses principaux partenaires dans l’exercice de son activité : ici DRH, syndicalistes, consultants, conseillers des Prud’hommes, etc. Les hypothèses sont élaborées progressivement par les chercheurs qui les soumettent au groupe. Deux groupes de cadres – les uns plus âgés, les autres plus jeunes – ont été mis en place. L’ouvrage s’appuie principalement sur leurs travaux, secondairement sur des entretiens individuels auprès de leurs membres. Huit cas viennent d’ailleurs illustrer de manière régulière et vivante les grands thèmes du livre. D’emblée, l’auteur situe avec une certaine modestie l’objet central : non pas définir avec précision la catégorie des cadres, mais approcher leur « expérience du travail » et « cerner ses spécificités ». Les deux lectures dominantes des transformations qui affectent le monde des cadres sont à écarter. La première les présente comme les grands gagnants de la métamorphose de l’entreprise, avec la fin du modèle bureaucratique et fordien dans lequel ils n’étaient que des rouages de l’organisation hiérarchique : ils deviennent des « animateurs », « acteurs et sujets de leur propre destin ». La seconde est celle de leur « banalisation » : ce sont à l’inverse les grands perdants d’une mutation qui les voit perdre la sécurité d’emploi et de carrière qui les distinguait des autres salariés. Ces deux lectures supposent en effet un lien trop mécanique entre « les transformations propres au système et les acteurs qui n’en sont que le réceptacle ». Or toutes les mutations n’allant pas dans le même sens, il importe d’étudier le travail des acteurs qui leur donne sens. À cette fin, trois dimensions du travail sont distinguées : le rapport à l’organisation – associé à un mode d’intégration à l’entreprise – le rapport à l’activité de travail, et le rapport à la carrière. L’hypothèse centrale est celle d’une déconnexion de ces trois dimensions. Elles sont étroitement imbriquées dans le « modèle intégré », reposant sur « la loyauté réciproque ». Ce modèle continue certes de faire référence dans l’imaginaire collectif que l’on se fait du cadre, mais il rend de moins en moins compte de la réalité : ces trois dimensions s’autonomisent, l’employabilité et l’insertion dans des réseaux se substituant à l’intégration à l’entreprise comme vecteurs de réussite sociale dans un monde du travail plus incertain. Dans « les mutations d’un modèle », l’auteur précise le cadre interprétatif général : les traits idéaux-typiques du « modèle intégré » sont précisés. Prenant appui sur les travaux des années 1970 – L. Boltanski, G. Benguigui et D. Montjardet, et de G. Groux – il retient qu’être cadre c’est être « dans une perspective ascensionnelle permanente », « être intégré à un appareil », et être « loyal » envers la politique de la direction. La rupture du contrat de confiance entre l’employé et l’employeur est au principe des mutations de ce modèle. Mais plus qu’une « banalisation », c’est d’une « démocratisation » du modèle de cadre qu’il s’agit, puisque les nouvelles normes comportementales – autonomie, initiative, responsabilité, mobilité, engagement de soi, gestion de sa carrière – s’adressent peu ou prou à tous. Mais la loyauté n’offrant plus de garantie, les cadres sont contraints de choisir la « défection » (Hirshman) comme ligne de conduite. Le « modèle intégré » se décompose donc et donne naissance à …