Ce livre est le produit d’un groupe de travail qui, à l’origine, faisait de la recherche sur les outils et les dispositifs de gestion. Leurs travaux, qui se sont échelonnés sur une décennie, comptent une quinzaine de recherches sur le terrain dont quatre en particulier qui servent de référence et d’objet à l’analyse présentée. Ces travaux de recherche ont été marqués par trois moments cruciaux. Au départ, il s’est agi d’une recherche sur les dérapages déontologiques au service des postes (département des colis postaux) qui fait principalement l’objet de la première partie de l’ouvrage. Cette étape fut suivie du développement et de la mise en oeuvre d’un outil de diagnostic organisationnel. Enfin, les auteurs ont ressenti le besoin d’approfondir les fondements théoriques de leur position scientifique. C’est ce qu’ils exposent dans le livre en relation avec leurs études empiriques. Dès les débuts, les auteurs insistent sur le fait qu’il s’agit de travaux de recherche appliquée (recherche intervention), donc de la production et de la diffusion d’un savoir voué à la production de résultats, savoir qui correspond à celui auquel se réfèrent les responsables dans les entreprises. Ce savoir empirique se situe en opposition à celui qui est produit sous la contrainte de la diffusion scientifique (la connaissance savante), savoir qui a dominé traditionnellement les milieux académiques en France. Leurs travaux font partie d’un courant qui veut faire entrer dans la discipline « une conception selon laquelle participer à un changement et l’accompagner permet de mieux approfondir la connaissance académique » et qui croit que « comprendre les responsables en action éclaire grandement la sociologie ». L’exposé central du livre est divisé en trois parties. Dans la première partie, l’analyse débute par la référence à une étude sur la dégradation progressive du système de cueillette sélective des déchets dans plusieurs communes. Cette étude a révélé qu’il y avait une superposition de définitions et d’interprétations différentes de la même situation selon qu’il s’agissait des autorités publiques, du personnel du service de cueillette des rejets, des concierges des complexes résidentiels et des habitants. Les auteurs introduisent à cette étape le concept de feuilletage pour identifier cette superposition de définitions et d’interprétations de la situation au sein d’une même organisation. Dans la seconde partie, les auteurs examinent la mise en évidence de ces définitions. Ils abordent successivement trois éléments de ce processus : « la constitution de frontières symboliques entre les individus [des divers groupes ou couches], le partage de principes de justice différents, et [leur] classement sur des positions diverses ». L’analyse montre comment des frontières invisibles et symboliques vont être tracées, frontières qui établissent des zones (« cercles ») d’inclusion pour certains membres et d’exclusion pour les autres (ch. IV). Les individus se perçoivent alors comme membres d’un cercle partagé avec certains mais dont l’accès est refusé à d’autres classés dans des catégories différentes. Des principes et des valeurs partagés par les membres d’un cercle forment la base d’une communauté de justice dans laquelle les sujets sont catégorisés et leurs opinions et leurs actes sont prononcés « justes ou injustes, correctes ou incorrectes, honnêtes ou malhonnêtes » (ch. V). Le même processus s’applique à ceux qui sont membres des autres cercles. Dans le chapitre VI, les auteurs décrivent comment des jugements portés sur les individus dans chaque cercle on passe à l’établissement de classements des membres entre eux ou des cercles entre eux et d’une échelle de positions « tangibles ou symboliques : domination, subordination, centralité, marginalité », etc. Les enseignements qui se dégagent des deux premières parties sont synthétisés dans la troisième partie du livre. Le modèle d’analyse des organisations utilisé …
L’aveuglement organisationnel ou comment lutter contre les malentendus, par Valérie Boussard, Delphine Mercier et Pierre Tripier, Paris : CNRS Éditions, 2004, 183 p., ISBN 2-271-06279-9.[Notice]
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Camille Legendre
Université de Montréal