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Les professions face aux enjeux de la féminisation, par Nathalie Lapeyre, Toulouse : Octares Éditions, 2006, 218 p., ISBN-10 : 2-9153-4630-5.[Notice]

  • Marie-Pierre Beaumont

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  • Marie-Pierre Beaumont
    Université Laval

L’entrée massive des femmes sur le marché du travail, la mutation des formes d’emplois et la multiplication des configurations familiales sont des facteurs parmi d’autres qui complexifient les relations entre le travail, la famille, les hommes et les femmes. Dans plusieurs recherches empiriques nord-américaines, ces relations souvent conflictuelles sont généralement abordées sous l’angle d’une bonne ou d’une mauvaise articulation de l’emploi et de la famille. Nathalie Lapeyre propose quant à elle d’apprécier les relations entre la sphère productive et reproductive par l’étude de la féminisation des professions libérales. Ce livre offre donc au lecteur averti, initié au concept de rapports sociaux de genre ainsi qu’à la dynamique qui anime ces rapports, l’occasion d’amorcer une réflexion sur les processus de féminisation de trois professions libérales (médecin, avocat, architecte) en France et d’en analyser les enjeux. Pour Nathalie Lapeyre, « la levée des barrières institutionnelles (éducation, représentation des femmes dans la société, changements structurels dans les professions, etc.) a permis aux femmes d’accéder aux professions supérieures » (p. 1). C’est ce constat qui a donné l’élan de départ aux efforts théoriques et empiriques de l’auteure. Ces efforts se sont soldés par la réalisation d’une thèse de doctorat de sociologie dont ce livre rassemble les principaux résultats et conclusions. Il s’agit en fait d’une étude approfondie de récits de vie racontés par des femmes et des hommes exerçant une profession libérale quant aux trajectoires familiale et professionnelle qu’ils ont empruntées au cours de leur vie. Les chassés-croisés entre la vie productive et reproductive sont particulièrement bien mis en lumière en moult moments. Ces témoignages constituent la substance première à partir de laquelle, suite au développement et à l’application rigoureuse d’un cadre d’analyse original, l’auteure tire différentes conclusions quant à la féminisation des professions. Le livre est organisé en quatre chapitres. Dans le chapitre 1, l’auteure présente son cadre d’analyse comme un « combinatoire théorique, mobilisant en trame de fond une lecture inédite de l’ensemble des écrits de Norbert Élias sur la sociologie configurationnelle » (p. 18). Les réflexions d’autres penseurs tels que Claude Dubar, Anthony Giddens et Ulrich Beck sur la crise identitaire, la « démocratisation » des rapports sociaux de genre et les processus d’individualisation sont aussi engagées. Selon l’auteure, ce cadre d’analyse permet une appréciation « de la manière dont [les différents niveaux d’analyse de la réalité sociale] s’entrecroisent pour façonner les relations de genre dans la conjoncture historique contemporaine » (p. 18). Dans la foulée, l’auteure prend bien soin d’effectuer une lecture critique des principales approches théoriques généralement mobilisées dans l’étude de la relation entre la profession et le genre. Parmi les plus diffusées, notons les conceptions individualistes, fonctionnalistes, interactionnistes, structuralistes/matérialistes et néowébériennes. Cette réinterprétation des contributions de différents courants a amené l’auteure à exposer son hypothèse : les processus de féminisation des professions entraînent une « redéfinition de l’Éthos professionnel » (p. 51), où l’Éthos professionnel correspond selon nous à l’ensemble des constituants identitaires d’une profession. L’auteure oppose cette hypothèse à l’idée largement reçue que la féminisation d’une profession entraîne inexorablement sa dévalorisation, idée qu’elle a déjà défendue et qu’elle continue de défendre dans d’autres communications. Aussi, Nathalie Lapeyre utilise le chapitre suivant pour démontrer, par un argumentaire documenté, la nature simpliste de l’hypothèse de la dévalorisation. Au passage et afin d’illustrer son propos, elle décortique les processus de féminisation de chacune des professions libérales étudiées et aboutit à la conclusion suivante : les hommes et les femmes ne se positionnent pas aux mêmes endroits dans la constellation sociale et économique d’une profession libérale. Ces positionnements ou localisations de genre prendront tout leur sens au troisième chapitre, …