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Les intermittents du spectacle. Sociologie d’une exception, par Pierre-Michel Menger, Paris : Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2005, 286 p., ISBN : 2-7132-2064-5.[Notice]

  • Martine D’Amours

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  • Martine D’Amours
    Université Laval

Dans cet ouvrage rigoureusement documenté, Pierre-Michel Menger décortique le cas extrême d’un secteur, celui des intermittents du spectacle en France, où l’hyperflexibilité de l’emploi est couplée à la couverture assurantielle du risque chômage. En sept chapitres complétés par des annexes et une bibliographie, l’auteur analyse les paradoxes et les déséquilibres d’un régime doublement exceptionnel, puisqu’il n’a pas son équivalent dans d’autres pays européens, ni dans d’autres secteurs du marché du travail français. Après avoir exposé comment ce système « d’emploi-chômage flexible » a contribué à désintégrer complètement le marché de l’emploi artistique, faisant croître le risque chômage, il appelle à une gestion à la fois responsabilisée et mutualisée de ce risque, grâce notamment à une modulation de la cotisation patronale selon le niveau de risque représenté par l’employeur. Dénoncé par les uns pour son coût élevé, revendiqué par les autres qui réclament son extension à d’autres secteurs d’activité, le régime des intermittents du spectacle se retrouve de manière récurrente à l’avant-scène du conflit social. Au chapitre 1, Menger identifie les éléments qui rendent ce conflit si singulier : il concerne un secteur en forte expansion; son ressort n’est pas la lutte contre la flexibilité mais au contraire, la défense et la promotion d’un système d’emploi hyperflexible; il oppose, non pas les artistes à leurs employeurs, mais bien les travailleurs et les employeurs du secteur artistique aux employeurs des autres secteurs de l’économie qui, en vertu du principe de mutualisation complète qui est au fondement du régime d’assurance-chômage français, supportent les déficits assurantiels du régime des intermittents du spectacle. Le chapitre 2 met en lumière les tendances révélées par l’analyse statistique. Les professions artistiques ont connu depuis 20 ans en France une progression spectaculaire de leurs effectifs (multipliés par plus de quatre) mais sans augmentation correspondante de la demande de travail (multipliée par deux). « Cette demande de travail s’exprime en contrats dont le nombre explose, mais dont la durée moyenne se raccourcit spectaculairement : c’est la spirale d’une fragmentation croissante de l’emploi, par l’effet d’une dispersion des contrats toujours plus courts sur une variété sans cesse plus grande de salariés intermittents, dont la durée annuelle moyenne d’activité a considérablement diminué » (p. 40-41). L’auteur explique ce résultat par l’organisation par projets dans les arts, qui requiert en permanence la disponibilité d’une abondante main-d’oeuvre aux caractéristiques et compétences variées. La rémunération des artistes se compose de trois paliers : des minima salariaux négociés, une rémunération additionnelle attachée à la réputation ou à la notoriété de l’artiste et des droits de suite tirés de l’exploitation de leurs oeuvres. Mais en vertu d’un régime créé dans les années 1960, les artistes français ayant accompli un nombre déterminé d’heures de travail dans une période donnée ont également accès, durant leurs périodes d’inactivité, à des revenus de remplacement procurés par l’assurance-chômage, lesquels constituent une proportion croissante de leur revenu total. Il existe d’ailleurs un débalancement de plus en plus marqué entre les cotisations versées par ce secteur à l’assurance-chômage et le montant des prestations qu’il en retire (dans un rapport de 8 pour 1, p. 108), d’où les tensions sociales récurrentes. Le chapitre 3 décrit le fonctionnement de ce que l’auteur appelle « le régime d’emploi-chômage » intermittent, qui repose sur trois ancrages juridiques. D’une part, même si l’artiste échappe en bonne partie à la subordination, le Code du travail établit à son endroit une présomption de salariat; d’autre part, les secteurs artistiques font partie de ceux dans lesquels des contrats à durée déterminée (CDD) peuvent être conclus; finalement le cadre juridique repose sur le postulat que ces professions ou activités ne s’exercent pas sur …