Cet ouvrage commence par un constat évident – « L’émancipation des femmes est l’un des faits sociaux majeurs de ces cinquante dernières années » (p. 5) dans l’ensemble du monde occidental. En France, cette évolution prend des formes singulières : les Françaises conjuguent à la fois un haut niveau d’emploi, une fécondité soutenue et un sentiment dominant d’une dynamique d’émancipation irréversible. Pourtant, notent les auteures, depuis 1970 cette dynamique marque le pas. Les taux d’activité féminine sont toujours inférieurs à ceux des hommes et le rattrapage amorcé dans les années 1960 s’est interrompu ; leurs emplois sont de qualité inférieure et se concentrent dans les activités de service ; leur temps de travail est plus réduit par rapport à celui des hommes, mais aussi à celui des femmes des générations précédentes; leurs rémunérations sont souvent plus faibles, fréquemment en raison d’une discrimination ; elles sont plus exposées au risque de pauvreté ; elles sont rarement présentes dans des postes à haute responsabilité en raison d’un « plafond de verre » ; enfin, elles assument l’essentiel des tâches familiales et domestiques. L’émancipation des femmes est donc restée inachevée, leur autonomie presque parfaite en droit est tronquée dans la réalité. Cette situation constitue une injustice sociale intolérable. Pour faire justice aux légitimes aspirations de millions de femmes, il importe d’ouvrir un « deuxième âge de l’émancipation », qui implique une profonde réorganisation économique et sociale susceptible de donner aux femmes les moyens de leur liberté. Il ne suffit plus d’assurer l’autonomie des individus par la réduction des entraves au libre choix de chacun, il faut encore assurer une allocation collective des ressources qui permette d’égaliser le plus tôt possible les conditions de l’autonomie en donnant à chacun les moyens de ses choix. Cette approche du féminisme se soucie de la collectivité dans son ensemble, car en permettant aux femmes de travailler plus et mieux on prévient et réduit la pauvreté, on favorise la pérennité des systèmes de protection sociale et on valorise l’investissement collectif dans l’éducation des enfants. Il s’agit d’un féminisme qui est au coeur de la « question sociale » et de la justice sociale. Cet ouvrage propose les voies pour faire aboutir cette nouvelle étape de l’émancipation. Il comporte quatre chapitres, outre l’introduction et la conclusion. Le premier chapitre documente la « panne » de l’émancipation et ses causes et les coûts collectifs de la persistance d’inégalités entre hommes et femmes. Le second chapitre analyse les enjeux de l’emploi des femmes ; le troisième chapitre explore les modèles contrastés des pays nordiques et des États-Unis pour maintenir des taux d’activité féminine et de maternité élevés, l’un empruntant une voie socialisée et égalitaire, caractérisée par une prise en charge collective de l’égalité entre les sexes, et l’autre, la voie libérale, qui a mis longtemps pour réaliser le gâchis que représente l’inactivité des femmes. Le chapitre 4 examine les options pour la France en la matière. L’ouvrage note d’emblée le doublement, depuis 1962, des taux d’activité féminine dans la tranche d’âge de 25 à 49 ans (passant de 42 % à 80 %), tout particulièrement de celles en âge d’avoir un enfant. Il note en parallèle l’explosion des niveaux d’éducation féminins (avec le nombre de bachelières passant de 9,7 % parmi celles nées en 1927 à 70 % parmi celles nées en 1977). Pourtant un écart important subsiste entre les taux d’activité des femmes et des hommes, malgré la baisse des taux d’activité masculins depuis 1990. À tous les niveaux de qualification, les femmes sont aussi plus affectées par le chômage, encore que les écarts en cette matière se soient bien …
Le deuxième âge de l’émancipation : la société, les femmes et l’emploi Par Dominique Méda et Hélène Périvier, Paris : Seuil, 2007, 110 p., ISBN 978-2-02-091762-9.[Notice]
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Hedva Sarfati
Ancienne directrice au BIT, consultante dans le domaine du marché du travail et des réformes de la protection sociale auprès de l’Association internationale de la sécurité sociale (AISS), Genève