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Le livre d’Henri Pinaud traite des origines et de l’évolution de la fonction ressources humaines dans le contexte spécifique de la France. Mentionnons la richesse des informations contenues dans cet ouvrage sur les évènements politiques, économiques et sociaux qui ont influé sur l’évolution de la gestion des ressources humaines et l’orientation des relations professionnelles en France. L’ouvrage s’articule autour de quatre parties référant à des tranches d’histoire que l’auteur fait correspondre à des philosophies de gestion des ressources humaines bien distinctes.
Dans son introduction, l’auteur dresse un survol historique de l’évolution de la fonction ressources humaines en France, qui sera approfondi tout au long de l’ouvrage.
Dans une première partie intitulée Contexte de la Fonction personnel en France jusqu’aux années 80, l’auteur décrit les partenaires sociaux (organisations syndicales de travailleurs, organisations d’employeurs) et les modes de relations professionnelles (négociation collective, cogestion, information-consultation), mettant l’accent sur l’importance de l’État et la faiblesse de la régulation européenne en matière sociale. La négociation collective porte spécifiquement sur les salaires et les conditions de travail ainsi que sur les règles régissant les relations entre employeurs et organisations de travailleurs et s’effectue dans un cadre de régulation défini par l’État. La cogestion (ou le paritarisme) représente un sous-ensemble important des relations professionnelles et s’exprime à travers des organismes régionaux et nationaux. Le tripartisme caractérise plusieurs institutions où l’État, les représentants des employeurs et des travailleurs conviennent de se consulter régulièrement, de décider et de gérer ensemble. L’État est garant du droit du travail et exerce son influence directement (par les lois qui règlementent le travail) ou par le truchement d’une activité de contrôle (via des organismes chargés de vérifier l’application de la réglementation). Le modèle taylorien-fordien d’organisation du travail est implanté dans les grandes entreprises, et ce, dans tous les secteurs d’activités. De manière générale, la fonction personnel des années 70 se résume à opérer des recrutements, gérer la paie, élaborer et mettre en oeuvre des plans de formation, et veiller à l’application du droit du travail. En somme, la fonction personnel n’est pas considérée comme stratégique, alors que le chef du personnel apparaît comme un exécutant, étant au service des autres lignes fonctionnelles et faisant rarement partie du comité de direction. Dans les petites et moyennes entreprises, la fonction de responsable du personnel est souvent assurée par le chef comptable qui joue un rôle d’administration plutôt que de gestion de la fonction personnel.
La seconde partie portant sur le thème Les années 70 et la remise en cause de l’organisation scientifique du travail (OST) et des conditions de travail suggère notamment une analyse des origines de la remise en cause de l’organisation scientifique du travail. La grève générale de 1968 qui a eu lieu en France a servi de générateur de la remise en cause de l’organisation scientifique du travail, et ce, à travers une révolte des ouvriers spécialisés qui prôneront l’autogestion. Le caractère de plus en plus compétitif du marché y a également contribué, la production de masse cédant le pas à des produits moins standardisés et plus favorables à la commercialisation. Les nouvelles techniques de production et le développement des technologies de l’information ne sont pas en reste et nécessiteront très vite un personnel plus responsable, plus autonome que l’employé taylorien. Le taylorisme est défendu par les chercheurs, universitaires et consultants en organisation, qui affirment son caractère inévitable dans un système capitaliste tant sur le plan économique (la division sociale du travail et la parcellisation des tâches favorisent l’obtention d’une meilleure productivité) que politique (maintien des producteurs dans une position subordonnée par rapport au capital). Toutefois, le développement en Europe du Nord d’une nouvelle approche dite sociotechnique et de l’École des relations humaines contribuent à battre en brèche la théorie taylorienne, arguant pour la première qu’une organisation du travail qui prend appui sur la responsabilisation de petits groupes de salariés sur l’ensemble des cycles de production est source d’une meilleure productivité et, pour la seconde, qu’un leadership démocratique, par opposition à celui autoritaire, peut être considéré comme un style de commandement plus efficace.
La troisième partie traite de l’Évolution de la gestion du personnel en France au début des années 80. Devenant stratégique à partir de 1981, la gestion des ressources humaines connaît quelques changements liés notamment à l’évolution du contexte législatif et contractuel et plus spécifiquement à la décentralisation de la négociation collective, au renforcement des institutions de représentation du personnel (IRP), voire à la création du droit d’expression des salariés quand bien même ce dernier s’essouffle rapidement en raison d’une inertie de la hiérarchie qui considère que le processus d’expression fait double emploi avec la participation. La gestion participative s’exprime par des cercles de qualité et la recherche de nouveaux modes de contrôle et de mobilisation des salariés, tels le projet d’entreprise et la culture d’entreprise, cette dernière substituant un ordre moral à la discipline taylorienne. La gestion des ressources humaines vit une espèce de consécration où le directeur du personnel, qui deviendra membre à part entière du comité de direction, acquiert de nouvelles obligations et responsabilités sur des champs élargis et approfondis. Ce sera désormais la gestion des ressources humaines qui pilotera les outils de gestion participative et qui, du même coup, prendra en charge les aspects culturels et de communication.
Dans une quatrième partie intitulée Depuis la fin des années 80, la participation est soumise à de multiples contraintes, l’auteur souligne la dégradation croissante des conditions de vie au travail liée à une forte pression sur les salariés pour plus de flexibilité et de performance. La fin des années 80 voit en effet la gestion des ressources humaines de plus en plus mobilisée pour gérer les licenciements alors qu’on assiste à une baisse criante de l’adhésion syndicale, à un volume de négociation collective qui demeure modeste et à une multiplication de statuts d’emploi atypiques. Une désétatisation s’installe dans un contexte de plus en plus marqué par un chômage de masse, l’État consentant à peine à fournir une aide aux entreprises afin de limiter l’ampleur des licenciements. La gestion par les compétences, qui apparaît comme un nouveau mode de gestion pour répondre aux exigences de flexibilité et de reconnaissance des employés, entraîne une remise en cause des garanties collectives et est vite remplacée par la gestion des performances. Au plan de la gestion de la production, de nouveaux modes voient le jour, tels les flux tendus (production au plus juste), le juste à temps et la démarche qualité qui conduira à la certification et à l’accréditation. Enfin, l’entreprise cellulaire apparaît comme un nouveau schéma d’organisation, où nombre d’activités de la gestion des ressources humaines seront transférées aux cadres responsables des services.
En définitive, la lecture d’un tel ouvrage amène à s’interroger, face à une dégradation des conditions de vie au travail et de rémunération, sur la gouvernance et la responsabilité sociale des entreprises, la réhabilitation en France de l’entreprise capitaliste dans sa position d’institution sociale légitime s’accompagnant malgré tout d’un affaiblissement du lien social. Voilà un enjeu important auquel est confrontée la fonction ressources humaines et que ce livre, aux qualités indéniables notamment grâce à son caractère pédagogique, a bien fait apparaître.