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Introduction

Avec l’avènement du Web 2.0, plusieurs réseaux sociaux comme Facebook, Twitter ou Myspace ont fait leur apparition. Considérés comme des espaces de divertissement et de communication sociale à travers les divers outils d’échanges, ceux-ci proposent à leurs abonnés divers moyens d’interactions, à savoir la messagerie instantanée, la publication des statuts ou des commentaires et le partage des vidéos et des photographies (Moreau, Roustit, Chauchard et Chabrol, 2012). Pour bon nombre de personnes parmi lesquelles les jeunes, ces réseaux sociaux servent surtout à entretenir des relations amicales et à passer le temps (Thivierge, 2011). On remarque ces dernières années que ce rôle de simple divertissement des réseaux sociaux n’a cessé d’évoluer, ouvrant d’autres possibilités d’usage, tel celui de l’apprentissage. Confortant cette réalité, Loiseau, Potolia et Zourou (2011, p. 112) vont reconnaître que ces sites de réseautage social ouvriraient de nouvelles pistes dans l’apprentissage des langues, par exemple, en raison de « leur potentiel collaboratif (en ce qui a trait à la facilité de co-élaboration et de co-interprétation, à la gestion et à la valorisation de données et de ressources qui émanent d’un effort de partage et de co-construction) ». Dès lors, on note qu’il y a par exemple un recours croissant aux réseaux sociaux comme dispositifs d’apprentissage en pédagogie universitaire, car ils peuvent faciliter la réalisation de tâches collaboratives et permettre la co-construction des savoirs ou la coproduction de contenus en ligne (Rizza et Mahmoud, 2009). Dans ces conditions, Pinte (2010) souligne que tous les ingrédients sont réunis dans nos établissements d’enseignement pour faire des réseaux sociaux de véritables atouts pour l’apprentissage. Il n’est donc plus surprenant de constater que, selon Ben abdallah et Boukthir (2016), les réseaux sociaux sont en train d’évoluer en de véritables outils d’échanges pédagogiques, satisfaisant ainsi les attentes des apprenants. Plusieurs avis concordent sur ce point, parmi les outils du Web 2.0, Facebook figure au premier rang des réseaux sociaux les plus populaires et les plus utilisés par les jeunes (Beauné, 2012). En présentant Facebook comme une vaste plateforme d’interactions (Dang-Nguyen, Huiban et Deporte, 2015), Diakhaté et Akam (2015) ajoutent que ce réseau social facilite la communication entre ses abonnés et permet le partage de différents types de contenus (vidéos, photos, fichiers divers, etc.) en les rendant accessibles simultanément à des millions de personnes.

Cette recherche se penche sur l’utilisation de Facebook en pédagogie universitaire dans le contexte tunisien. Elle a pour finalité de mettre en lumière le potentiel que pourrait offrir l’usage pédagogique de Facebook dans l’enseignement supérieur, notamment dans des situations privilégiant le travail collaboratif durant une activité d’apprentissage en groupe. Pour traiter cette problématique de l’usage pédagogique des réseaux socio-numériques, nous avons fait appel à la théorie de l’apprentissage social de Bandura (1977) comme cadre d’analyse. Notre étude est structurée en trois grandes parties, à savoir premièrement la problématique de recherche suivie d’une recension des écrits qui mettra un accent sur les usages éducatifs de Facebook ainsi que ses apports à l’apprentissage. En second lieu, nous présentons le cadre théorique mobilisé et la démarche méthodologique mise en oeuvre. La dernière partie s’étend sur le corpus des données collectées à travers la présentation des résultats suivie des analyses et discussions.

1. Problématique et objectif de la recherche

L’usage des réseaux sociaux est devenu une partie intégrante de la vie quotidienne des jeunes et pourrait avoir un effet important sur leur éducation (Pinte, 2010). Ces réseaux sociaux, notamment Facebook, favorisent le développement des « cultures participatives » et des « cultures contributives » (Millerand, Proulx et Rueff, 2010). Selon Mélot, Strebelle, Mahauden et Depover (2015), grâce à Facebook et aux divers outils de communication qu’il regroupe, les étudiants sont capables de développer leurs habiletés à communiquer, ce qui va les rendre plus ouverts au partage de savoirs et d’informations. Dans un contexte de formation à distance, ce réseau social peut être considéré comme un lieu d’apprentissage collaboratif en complément des plateformes institutionnelles (Lampe, Wohn, Vitak, Ellison et Wash, 2011). Confirmant cela, Diakhaté et Akam (2015) ajoutent que Facebook peut être considéré comme un outil de co-construction dynamique de connaissances, présentant des atouts facilitant son intégration comme moyen complémentaire aux dispositifs formels de formation et d’encadrement des étudiants.

Au regard des conclusions issues des travaux mentionnés ci-dessus qui reconnaissent quelques atouts liés à l’utilisation pédagogique de Facebook, notre recherche se positionne dans cette lignée en s’interrogeant sur l’efficacité du travail collaboratif au cours d’une activité d’apprentissage qui rassemble un groupe d’étudiants interagissant sur cette plateforme. À cet effet, nous examinons un certain nombre de paramètres caractéristiques du travail collaboratif en contexte d’apprentissage social médiatisé à distance tels que la qualité des interactions (communication, échanges et organisation) et l’acquisition des connaissances réalisée dans une démarche collective de recherche, de partage et d’écriture de l’information.

Cette contribution a donc pour objectif d’analyser l’efficacité du travail collaboratif à distance sur Facebook dans le cadre d’une activité d’apprentissage. Nous nous proposons donc de vérifier l’hypothèse selon laquelle l’usage pédagogique d’un groupe Facebook dans le cadre de la réalisation d’un miniprojet permet la mise en place de processus efficaces d’apprentissage en favorisant la collaboration et l’acquisition des compétences attendues. Pour y parvenir, nous tenterons de répondre à la question suivante : « En quoi peut-on dire que l’usage pédagogique d’un groupe Facebook contribue à l’efficacité du travail collaboratif au regard de la dynamique interactionnelle et des compétences acquises par les étudiants? »

2. Recension des écrits

De nombreux travaux ont abordé les questions relatives à l’utilisation pédagogique des TIC et plus spécifiquement des réseaux sociaux en contexte de formation à distance ou d’apprentissage collaboratif. Il ressort d’une étude menée par Fusaro et al. (2012) auprès d’une population de 2 640 enseignants et 15 020 étudiants issus de 12 universités québécoises et portant sur les modalités d’apprentissage et l’utilisation des TIC par les étudiants qu’en majorité, ces derniers ont une appréciation très positive de l’utilisation des TIC dans leurs tâches scolaires. S’agissant en revanche de l’enseignement en ligne, il apparaît clairement que cette modalité de formation est faiblement appréciée des étudiants, bien qu’ils préfèrent généralement recourir aux applications du type réseautage social (Myspace, Facebook) et partage multimédia (YouTube).

S’inspirant des conclusions de l’étude précédente et dans l’optique d’expliquer cette faible attirance des étudiants envers la formation à distance ainsi que l’enseignement en ligne, Guillemet (2014) s’interroge sur l’expérience d’apprentissage vécue par un groupe d’étudiants québécois. Dans sa démarche, il procède à l’analyse de près de 800 messages échangés par les étudiants sur une page Facebook créée à leur initiative et dont ils profitent de l’auditoire pour témoigner de leurs préoccupations concernant les études ainsi que les facteurs affectant leur motivation et leur persévérance. D’après les résultats obtenus, l’une des causes du faible attrait éprouvé par les étudiants envers la formation à distance est l’absence d’une pédagogie efficace permettant une bonne coordination avec le tuteur ainsi qu’une bonne coopération entre les étudiants. En contrepartie, il apparaît de manière très explicite à l’issue des échanges analysés que les étudiants ressentent un attrait assez marqué pour Facebook comme plateforme d’interactions en raison « de sa popularité et de la rapidité des interactions qu’il permet », au détriment des autres forums existants.

Toujours à propos de l’usage des réseaux socio-numériques pour l’enseignement et l’apprentissage, il faut noter que Facebook est souvent utilisé en tant que plateforme d’échanges et de communication en complément des espaces institutionnels en vue d’améliorer les interactions entre les apprenants, d’une part, et les apprenants et leurs enseignants, d’autre part. Dans ce contexte, Celik (2008) étudie les échanges qui se sont déroulés au sein d’un groupe Facebook créé par une enseignante à destination de ses apprenants dans le cadre d’une formation de Français langue étrangère (FLE) appliquée dans un institut français à l’étranger. Le résultat retenu de l’analyse interactionnelle et pluri-sémiotique de cet échange démontre que ce groupe Facebook offre aux participants une grande liberté qui favorise un apprentissage communautaire informel de la langue et de la culture françaises. Dans une visée similaire, Mian (2012) s’est attelé à documenter les usages de Facebook chez des étudiants de l’Institut universitaire d’Abidjan en Côte d’Ivoire dans le cadre de la préparation d’un exposé en groupe. L’analyse des données issues des traces d’activités et de l’entretien semi-directif a révélé que les étudiants ont mis à profit l’espace Facebook, pour chercher ensemble des informations utiles à la réalisation de leur travail de groupe.

En général, l’ensemble des travaux recensés met au jour de nombreux atouts de l’utilisation des réseaux sociaux pour l’apprentissage. Au regard de la forte adhésion des jeunes envers les réseaux sociaux, dont Facebook, et des fonctionnalités d’interactions qu’ils proposent, tout porte à croire qu’on a davantage intérêt à examiner de fond en comble les différents aspects relatifs à ces usages pédagogiques.

3. Cadre conceptuel et théorique

Le paradigme de l’apprentissage social développé par Bandura en 1977 nous a semblé assez pertinent pour servir d’appui théorique à notre étude puisqu’il tente d’étudier le comportement humain en fonction des déterminants cognitifs, comportementaux et environnementaux. Selon Pinte (2010), les tendances d’intégration des TIC dans l’enseignement mènent aujourd’hui de plus en plus à l’apprentissage social, permettant ainsi ce qu’on appelle « l’apprentissage collaboratif ». En effet, apprendre dans un environnement de travail collaboratif implique une variation du comportement des individus dans différentes situations, et ce, en interaction. Bandura, dans sa théorie sur l’apprentissage social – en rappelant la position de certains chercheurs sur les déterminants de cette variation comportementale qui serait la résultante de l’interaction des personnes et des situations mises ensemble –, va alors essayer de clarifier comment ces deux sources interagissent. Il remet en question la conception unidirectionnelle de la notion de l’interaction où « les personnes et les situations sont traitées comme des entités indépendantes qui se combinent pour produire le comportement » en avançant que les déterminants personnels et environnementaux s’influencent mutuellement. Dans le cas d’une plateforme d’échanges telle que Facebook, les interactions favorisant l’apprentissage dépendent non seulement de la composante sociale constituée par les acteurs (groupe d’étudiants, enseignant ou formateur), mais aussi de l’environnement (interface, outils de communication et de collaboration) et des situations mises en place pour faciliter la construction collective des savoirs (planification, coordination, scénario pédagogique, etc.). Pour décrire le fonctionnement de cet ensemble, Henri et Lundgren-Cayrol (2001) vont l’illustrer en ces termes : « L’apprentissage collaboratif est une démarche active par laquelle l’apprenant travaille à la construction de ses connaissances. Le formateur y joue le rôle de facilitateur des apprentissages alors que le groupe y participe comme source d’information, comme agent de motivation, comme moyen d’entraide et de soutien mutuel et comme lieu privilégié d’interactions pour la construction collective des connaissances ».

Les références théoriques devant guider notre analyse étant ainsi clarifiées, il convient de rappeler que nous cherchons ici à savoir en quoi, et dans quelle mesure, Facebook contribue à l’efficacité d’un apprentissage collaboratif.

4. Méthodologie

4.1 Contexte de l’étude et public cible

L’activité d’apprentissage faisant l’objet de cette recherche s’est déroulée sur une période d’un mois et demi, soit du 1er novembre 2015 au 18 décembre 2015, et correspond à l’atelier « programmation Web 1 » qui vise l’acquisition par l’étudiant de compétences en développement des sites Web. L’étude regroupe au total 15 étudiants (7 femmes et 8 hommes), tous inscrits en 1re année de licence appliquée en technologies de l’informatique à l’ISET de Mahdia (Tunisie). Les consignes du travail énoncées par l’enseignant ont pour finalité la réalisation en binômes d’un site Web multilingue en utilisant le système de gestion de contenus Joomla! L’espace de travail collaboratif supportant les interactions est un groupe Facebook fermé auquel sont abonnés tous les étudiants et dont la création et l’administration incombaient à une étudiante volontaire.

À travers cet espace, les étudiants sont invités à collaborer dans une dynamique de groupe supportée par les fonctionnalités d’interactions existantes en partageant toutes les références utiles (vidéos, liens, idées et astuces, etc.) et en communiquant dans le but de coproduire leurs connaissances tout en coordonnant eux-mêmes le déroulement.

4.2 Approche méthodologique

Nous rappelons que le cadre théorique retenu dans cette étude est celui de l’apprentissage social de Bandura qui, selon Pinte (2010), permet l’apprentissage collaboratif à travers les échanges qui peuvent être établis entre les apprenants. Dans notre approche, nous aurons recours au modèle d’analyse proposé par Follet et Peyrelong (2006) dans leur étude sur l’efficacité du travail collaboratif. En effet, ces auteurs essaient d’évaluer l’impact de l’outil Microsoft SharePoint Portal Server 2003 (inséré dans un intranet pédagogique) sur l’efficacité du travail collaboratif au sein de deux groupes d’étudiants impliqués chacun dans un parcours de formation différent. Pour construire leur modèle d’analyse, ils retiennent trois composantes permettant d’opérationnaliser la collaboration en situation d’apprentissage à distance. Il s’agit de :

  • la coordination ou l’organisation du groupe sur la plateforme;

  • la communication, les échanges et l’interaction entre les membres du groupe;

  • la co-élaboration des productions attendues dans le cadre du groupe.

Le choix de recourir à ce modèle d’analyse se justifie d’une part par les similitudes constatées entre l’environnement Facebook utilisé dans notre expérimentation et l’outil Microsoft SharePoint Portal Server 2003, et d’autre part par le parallèle existant entre les finalités des deux expériences. En effet, les deux outils ont chacun des fonctionnalités capables de gérer une activité collective en vue de favoriser les échanges, la coordination et la production de connaissances. Également, les deux expériences analysent le déroulement du travail collaboratif en matière d’habiletés acquises et de qualité des interactions produites.

4.3 Méthodes de collecte et d’analyse des données

Les données recueillies pour cette recherche exploratoire et qualitative proviennent des traces d’activités relevées sur le mur Facebook et des réponses de l’entretien semi-directif mené avec les participants. Les traces d’activités sur la page ont été regroupées en deux catégories de contributions, à savoir : les ressources partagées; les questions, réponses et commentaires. Dans l’étape d’analyse visant à mettre en évidence l’impact de l’outil Facebook sur la coproduction des savoirs, la communication et la coordination durant l’apprentissage en collaboration, ces traces d’activités nous ont permis d’évaluer :

  • l’utilisation du groupe Facebook dans le partage des ressources nécessaires à l’apprentissage;

  • le flux des échanges entre les étudiants à travers leurs questionnements, commentaires et autres messages;

  • l’apport de Facebook dans la coordination des tâches entre les étudiants.

Pour l’entretien semi-directif, nous avons préparé une grille comportant dix questions qui a été administrée aux étudiants interrogés en binômes. Ces données fournissent des détails sur leur vécu que les traces d’activités seules ne pourraient apporter et viennent renforcer notre analyse de l’efficacité du travail collaboratif en permettant :

  • de clarifier les modalités de travail mises en jeu par les étudiants au sein du groupe;

  • de saisir l’apport des interactions sociales avec autrui exprimées à travers les discussions en chat;

  • d’évaluer l’appropriation de l’outil Facebook en tant qu’outil de travail collaboratif en interrogeant les conditions de travail, les difficultés ou les obstacles rencontrés.

Le passage des entretiens par binômes a eu lieu dès la clôture de l’activité pour une durée de 1 heure 30 minutes.

5. Présentation et analyse des résultats

5.1 Résultats issus des traces d’activités

Ce premier volet donne un aperçu général de la dynamique des interactions au sein du groupe. On y retrouve des données chiffrées selon les deux catégories déjà établies précédemment et dont les détails sont résumés dans le tableau suivant :

Tableau 1

Répartition des types de contributions au sein du groupe Facebook

Répartition des types de contributions au sein du groupe Facebook

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Nous constatons que le nombre de contributions au sein du groupe atteint son maximum pendant la période allant du 1er au 15 décembre 2015. Selon les témoignages des étudiants lors de l’entretien, cette interactivité importante s’explique par le fait que les participants se sont suffisamment familiarisés avec les mécanismes de collaboration et par le rapprochement du délai de remise des travaux finaux (15 jours restants).

Figure 1

Graphique des activités du groupe

Graphique des activités du groupe

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Au regard de ces traces d’activités, nous constatons que sur les 69 billets relatifs au partage des ressources, 12 étudiants ont effectivement contribué et seulement 3 auront été inactifs sur ce plan. Sur l’ensemble des 120 contributions dénombrées, les étudiants ont été les plus actifs avec un total de 34 questions posées, 40 réponses directes à celles-ci et 46 commentaires y relatifs.

S’agissant des interventions de l’enseignant, on relève quatre contributions dans lesquelles il définit respectivement l’objectif de l’activité, les orientations quant à l’organisation des sous-groupes de travail en binômes, l’échéancier du rendu et les critères d’évaluation du travail portant sur le travail collaboratif. La dernière trace de l’enseignant intervient au terme de l’activité lorsqu’il publie sur le mur Facebook les notes d’évaluation finales des productions réalisées en binômes.

À partir de ces traces d’activités, on peut dire que des manifestations de la collaboration entre étudiants en vue d’une production collective des savoirs ont pu être observées à travers les indicateurs suivants :

  • la pertinence des ressources partagées sur le mur du groupe – elles ont contribué à la production de nouveaux savoirs et à la résolution des difficultés de certains apprenants (commentaires de satisfaction relevés à 50 reprises sur les 69 ressources publiées);

  • le questionnement des pairs visant à comprendre une astuce proposée et qui débouche après argumentation sur un consensus (répertorié à 24 reprises sur les 34 questions posées);

  • le développement de l’esprit critique observé chez les apprenants par la remise en question de certaines idées proposées (observations recensées à 48 reprises sur les 86 commentaires liés aux différentes réponses aux questions posées).

La capture d’écran ci-dessous illustre une discussion entre étudiants à propos d’une difficulté d’installation de Joomla! par l’un d’eux et comment quelques membres du groupe essaient de résoudre le problème.

Figure 2

Capture d’écran illustrant la résolution d’un problème rencontré par un étudiant à travers l’échange avec les membres du groupe Facebook

Capture d’écran illustrant la résolution d’un problème rencontré par un étudiant à travers l’échange avec les membres du groupe Facebook

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Ces indicateurs nous permettent de voir, sous le prisme de la production collective de savoirs, que Facebook a effectivement favorisé l’apprentissage collaboratif. Toutefois, en considérant le sentiment d’appartenance au groupe, indispensable dans un contexte d’apprentissage social, il y a lieu de s’interroger sur son impact dans cette étude étant donné que le groupe d’étudiants appartenait déjà à un milieu social (la classe) où préexistaient des liens déjà plus ou moins constitués. En effet, selon Boyd et Ellison (2007), les réseaux sociaux viennent renforcer et maintenir les relations entre des personnes se connaissant déjà dans la vie réelle.

5.1 Résultats d’analyse de l’entretien semi-directif

La communication et la pertinence des échanges au sein du groupe Facebook

De façon globale, les étudiants interrogés estiment que Facebook a facilité leurs échanges étant donné qu’ils ne trouvaient pas le temps nécessaire pour les réaliser en classe à cause des journées d’étude très chargées : « Grâce à Facebook, nous arrivions à communiquer avec plus de liberté une fois rentrés chez nous. » « Poser les questions directement sur le groupe Facebook me semble plus pratique, car c’est difficile de trouver le bon moment pour discuter des problèmes rencontrés en présentiel. » Ces interviewés laissent également entendre que les interactions entre eux sur Facebook étaient très faciles et très satisfaisantes grâce à la diversité des moyens de communication mis à leur disposition : « J’ai trouvé les échanges avec les membres de groupes que ce soit en public ou en privé très satisfaisants grâce aux divers moyens de communication que propose Facebook. » « Parfois, j’ai eu des lacunes à expliquer mon problème à l’un de mes camarades lors d’une discussion via l’option chat; donc j’ai eu recours à l’option appel vidéo. » D’autres étudiants affirment que Facebook facilite la circulation rapide de l’information entre eux : « À chaque fois où il y avait de nouvelles publications, j’étais informé grâce aux notifications. » « J’ai toujours trouvé des réponses parfois instantanées à mes questions au niveau du groupe au lieu de perdre mon temps à faire des recherches sur Google. »

En face de ces avis positifs sur la communication au sein du groupe, il est tout de même opportun de souligner que quelques étudiants déclarent avoir été obligés de recourir à d’autres logiciels de collaboration, comme Skype et TeamViewer, afin de dépanner certains de leurs amis : « Malgré la variété des outils de communication disponibles sur Facebook, j’étais obligé d’utiliser l’option d’édition en synchrone de TeamViewer afin d’aider mon binôme à accomplir l’installation de Joomla! sur son PC. » « J’ai utilisé l’option partage d’écran disponible sur Skype afin de montrer à mon ami les étapes d’intégration d’un template dans son site. »

Au terme de cette section de l’entretien, nous pouvons dire que Facebook a contribué à la réalisation de la collaboration entre les étudiants en grande partie grâce aux outils d’échanges et de communication qu’il propose. Ce résultat rejoint l’avis de Lampe et al. (2011) qui affirment que Facebook facilite la collaboration entre les apprenants. Mais comme certains étudiants reconnaissent avoir eu recours à divers moyens externes d’interaction, il y a lieu de considérer la part de ces outils de communication utilisés en dehors de Facebook dans la réalisation de cet apprentissage collaboratif.

La construction collective des savoirs au sein du groupe Facebook

Il est important de rappeler que les critères d’évaluation de l’apprentissage portant sur le travail collaboratif exigaient qu’un site Web soit produit par binômes. Ainsi, les savoirs construits collectivement durant une phase de collaboration de l’ensemble du groupe devaient ensuite être mesurés au travers de la réalisation de chaque binôme constitué. Comme en témoignent les questions, les réponses et les commentaires enregistrés, les étudiants affirment dans l’entretien qu’ils ont tiré profit des interactions au sein du groupe pour acquérir de nouveaux savoirs. Selon ces derniers, la qualité des ressources partagées a permis de mettre en commun les idées et de lever de nombreuses difficultés auxquelles ils faisaient face pour atteindre l’objectif pédagogique de la séquence, à savoir développer un site sous Joomla! : « Les fichiers et les documents partagés sur la page Facebook étaient assez variés et surtout répondaient directement aux besoins exprimés. » « J’ai beaucoup aimé certaines vidéos publiées qui m’ont aidé à résoudre rapidement mes difficultés. »

Nous pouvons ajouter que les apprentissages ont effectivement été réalisés durant cette activité au regard de l’évaluation faite par l’enseignant à travers son commentaire sur Facebook appréciant les productions des binômes : « Vos différents sites démontrent que vous avez dans l’ensemble acquis les savoirs attendus au terme de cette séquence, ce qui était l’objectif premier de cette activité sur Facebook; les sites Web développés ne sont pas parfaits certes, mais peuvent être considérés de qualité. » Ce résultat confirme l’avis de Mélot et al. (2015) qui affirment que la collaboration des étudiants sur les réseaux sociaux permet de développer chez eux des compétences de haut niveau.

Le rôle d’accompagnement de l’enseignant durant l’activité sur Facebook

De l’avis de l’ensemble des étudiants, l’enseignant n’a pas été présent pour ce qui est du soutien aux apprentissages pour réguler les échanges, comme le confirment les traces d’activités mentionnées plus haut. Selon les étudiants, cette « inactivité » a eu comme conséquence d’entraîner des pertes de temps qui auraient pu être évitées si l’enseignant avait réagi souvent en régulant à l’aide d’un commentaire, d’un conseil, d’une orientation, etc. : « C’est la première fois que j’ai eu l’occasion de développer un site Web en utilisant Joomla!, j’aurais aimé que notre enseignant soit toujours présent sur le groupe afin de clarifier certains points ou résoudre certains conflits. » Ce point de vue rejoint l’avis de Diakhaté et Akam (2015) qui affirment que l’absence d’un modérateur Facebook ne permet pas une co-construction durable des connaissances.

L’aptitude des étudiants à s’approprier Facebook en tant qu’outil de travail collaboratif 

Il découle de l’entretien que seulement 3 étudiants sur 15 admettent avoir eu des difficultés d’appropriation de l’outil dans toutes ses fonctionnalités pour collaborer au cours de l’activité. Le premier explique sa faible implication dans l’activité par des raisons techniques : « J’ai voulu participer mais malheureusement je n’ai pas une connexion Internet. » Le deuxième déclare : « Je ne suis pas convaincu par cette façon de travailler que je découvre gênante car je ne trouve pas du temps pour consulter Facebook et être un membre actif au sein du groupe. » Par contre, le troisième quant à lui dit aimer le travail en solitaire : « J’aime travailler seul ou bien collaborer en présentiel avec mon binôme. »

Pour les 12 autres étudiants, bien que n’ayant pas éprouvé de difficultés majeures à s’approprier le dispositif, certains d’entre eux affirment avoir aimé l’expérience et auraient souhaité être d’abord familiarisés avec l’usage de Facebook dans un contexte éducatif. Cela explique la dynamique assez faible au sein du groupe durant la première période du lancement du projet, comme viennent l’attester ces déclarations : « J’ai beaucoup aimé l’expérience, mais au lancement de l’activité j’ai mis du temps à faire des contributions sur la page du groupe car j’avais la crainte de mal m’y prendre. » « L’entrée dans le dispositif aurait été plus facile si nous avions reçu avant le lancement de l’activité un scénario d’usage de Facebook pour l’apprentissage collaboratif. » Selon quelques étudiants, un inconvénient majeur du travail collaboratif sur Facebook provient de la distraction (chats parallèles avec des amis externes au groupe) et de la dispersion lorsqu’on est redirigé à partir d’un lien vers une page Web externe : « Dès que je consulte le compte Facebook, je ne peux pas me concentrer car du coup je suis tenté de discuter avec les amis ou bien à consulter les vidéos et les publications au niveau du journal de ma page. »

Bien qu’il s’agisse de leur première expérience d’intégration de Facebook dans un cadre éducatif, les étudiants ont apprécié l’idée tout en réussissant à s’approprier les fonctionnalités indispensables au travail collaboratif.

Conclusions, limites et perspectives

Nous nous proposions à l’entame de cette recherche de vérifier l’hypothèse selon laquelle l’usage pédagogique de Facebook favorise la mise en place d’un processus efficace d’apprentissage collaboratif. Les éléments d’analyse que nous avons retenus pour évaluer cette efficacité reposaient essentiellement sur deux indicateurs. Il s’agissait premièrement du déroulement de l’apprentissage en collaboration mesuré au travers de la qualité des interactions entre les étudiants, de la coordination des tâches et de la production collective des savoirs. Le deuxième critère d’évaluation, à savoir l’acquisition des compétences, devait être mesurée au travers de la production d’un site Web par chacun des binômes au terme de l’activité d’apprentissage. Concernant le déroulement de l’apprentissage collaboratif, l’analyse des traces d’activités et des contenus de l’entretien semi-directif nous a permis de constater que l’interface Facebook a contribué de manière significative à la mise en place d’un processus de collaboration caractérisé par des échanges variés, une production collective et un partage des savoirs au sein du groupe. Il ressort de l’évaluation finale par l’enseignant des productions réalisées que les compétences attendues au terme de l’activité ont été acquises par les étudiants. Il est dès lors possible d’avancer que l’usage de Facebook durant cette activité a favorisé la mise en oeuvre d’un processus efficace d’apprentissage collaboratif entre les étudiants. Cependant, quelques facteurs susceptibles d’influencer ces résultats méritent d’être soulignés. Au vu du recours assez fréquent (reconnu par les étudiants) à d’autres outils (externes) d’échanges et de coordination des tâches au détriment de ceux qui existent sur Facebook, on est en droit de s’interroger sur leur apport dans l’aboutissement de l’activité et, par conséquent, sur la part effective de Facebook dans l’efficacité de l’apprentissage collaboratif. D’autre part, étant donné la taille assez réduite de l’échantillon considéré dans cette recherche, ces résultats nous donnent un aperçu qui mériterait d’être étendu à travers des études portant sur une population plus vaste. En dépit de ces limites, il n’en demeure pas moins vrai que Facebook dispose des outils d’interactions nécessaires à la communication, à la coordination, à la coproduction et au partage des savoirs. Il convient également d’ajouter que dans la perspective de rendre l’usage de Facebook en situation d’apprentissage collaboratif à distance plus efficace, l’enseignant doit prendre en compte, comme le souligne Grosjean (2004), les différentes dimensions susceptibles de contrôler le déroulement de l’activité. Il cite à ce propos la définition du rôle des participants lors du déroulement de la séquence de formation à déployer, l’élaboration d’un scénario pédagogique détaillé qui clarifie les composantes de la collaboration sollicitées ainsi que les caractéristiques personnelles des participants.

Au-delà de ces quelques facteurs pouvant influencer de manière significative le déroulement efficace d’activités de travail collaboratif en ligne, à l’instar de l’accès à une bonne connexion Internet et à la possession de terminaux informatiques appropriés, l’on est en droit de reconnaître que Facebook peut être implémenté comme environnement d’apprentissage à distance. Toutefois, il faut préciser que certaines conditions préalables à la réussite de tels projets s’imposent. Il s’agit entre autres de la formation des formateurs et des étudiants aux outils qui ne doivent en aucun cas représenter une difficulté, du suivi des étudiants, etc. (Chomienne et Lehmans, 2012). Enfin, il serait intéressant que d’autres recherches soient menées afin d’étudier par exemple les effets que pourrait induire l’intégration des réseaux sociaux, et notamment de Facebook, dans les plateformes LMS ordinaires comme outil interne d’interactions. D’autres travaux pourraient également explorer l’impact de l’usage pédagogique de Facebook sur la motivation des apprenants.