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Introduction

La transition actuelle vers la société numérique constitue une mutation structurelle irréversible. Par conséquent, l’école a un rôle clef à jouer. Il est fondamental de veiller à l’intégration pédagogique des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans les cours pour préparer les futurs citoyens aux nouveaux défis de la société et pour y participer pleinement, spécialement dans plusieurs pays du Sud où l’école est pour les jeunes le seul endroit où les compétences technologiques peuvent être acquises.

Toutefois, sans des enseignants motivés et compétents, les élèves ne pourront pas bénéficier des possibilités éducatives offertes par les technologies. Les résultats des recherches de Cordero et Fallas (2013) ont souligné que l’utilisation des technologies dans la formation initiale des enseignants peut prédisposer ceux-ci favorablement à l’intégration des TIC dans leurs cours.

Dans les pays du Sud, les technologies sont considérées par plusieurs gouvernements et par des organisations internationales comme un moyen à exploiter pour améliorer la formation et le développement professionnels des enseignants (Kangai et Bukaliya, 2011), la qualité de la formation étant, selon les pays, insatisfaisante (Akoto, 2015). Les TIC améliorent la formation dans la mesure où elles en facilitent l’accès, notamment là où le nombre de futurs enseignants à former est si important qu’il dépasse la capacité des universités (Kangai et Bukaliya, 2011). L’apprentissage à distance et à médiation technologique devient une solution pour améliorer l’accès à l’éducation, répondre aux besoins des différents groupes d’apprenants (Avila Munoz, 2008) et atteindre les enseignants dans des régions éloignées. De plus, les TIC favoriseraient aussi le développement professionnel par la possibilité de constituer des communautés de pratique virtuelles (Pegrum, Oakley et Faulkner, 2013).

En bref, la littérature scientifique propose deux arguments majeurs pour l’introduction intensive des TIC dans la formation des enseignants. D’une part, c’est une condition pour mieux préparer les futures générations. D’autre part, l’usage des TIC dans la formation des enseignants permettrait d’en améliorer la qualité et la pertinence. Les TIC sont par exemple un outil flexible susceptible d’atteindre les enseignants éloignés et disposant de moins de temps pour une formation en présentiel.

L’objectif de cette étude est de porter un éclairage sur l’utilisation des technologies de la part des futurs enseignants pendant leur formation initiale au Costa Rica. La revue de la littérature exposée dans la prochaine section vise à mettre en évidence les enjeux et le potentiel des TIC pour former les enseignants dans les pays du Sud et aussi par rapport au développement de compétences professionnelles transversales comme la collaboration (Kirschner et Davis, 2003), l’approche réflexive (Deng et Yuen, 2013) ou l’autonomie (Henri, 2010), ou alors de compétences spécifiques en technologies éducatives.

1. Revue de la littérature

Enjeux de l’usage des TIC en formation initiale des enseignants dans les pays du Sud

Les TIC offriraient des avantages spécifiques dans les pays du Sud (Valk, Rashid et Elder, 2010). La flexibilité spatiotemporelle propre aux TIC et plus particulièrement aux technologies mobiles permet aux futurs enseignants de se former à distance et de concilier plus aisément leur vie privée et leur développement professionnel, en évitant les temps de déplacement jusqu’aux établissements de formation, en proposant un rythme de travail plus individualisé et en permettant aussi de rejoindre des communautés marginalisées où l’accès à des ordinateurs n’est pas garanti, mais où en revanche le téléphone mobile est largement répandu (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture [UNESCO], 2012).

Certains chercheurs, surtout en provenance du continent africain, prétendent que sans les technologies, le développement économique et social ne sera pas possible et la fracture avec les pays du Nord se creusera davantage (Mugimu et Ssebbunga-Masembe, 2011). Toutefois, la fracture numérique se situe aussi à l’intérieur des pays, car un fossé est en train de se creuser en matière d’usages entre les consommateurs passifs et ceux qui sont capables de participer de manière active à la construction et au partage du savoir sur Internet (Granjon, 2011). En effet, ccertaines aptitudes sont nécessaires pour saisir les avantages offerts par les technologies et les mobiliser pour en tirer des bénéfices concrets (Hargittai et Hinnant, 2008).

En raison des attraits mentionnés ci-haut, l’utilisation des technologies représente aussi l’avantage d’élargir l’offre de formation et de s’inscrire à des programmes non proposés localement en favorisant ainsi l’égalité d’accès et une meilleure équité dans la distribution des connaissances (Brun, 2011).

Malgré ces avantages, un certain nombre de préoccupations touchant surtout les pays du Sud sont à évoquer, comme des ressources techniques et des infrastructures inappropriées (pannes d’électricité, équipement vétuste, Internet lent) et le manque de ressources pour acheter l’équipement (Khan, Hasan et Clement, 2012). À ce problème s’ajoute celui des professeurs peu qualifiés ayant des compétences informatiques et médiatiques limitées à cause d’une formation inadéquate (Boéchat-Heer, 2018), qui peut provoquer une résistance au changement (Ouédraogo, 2011). De plus, certains projets internationaux naissent comme une réponse à un problème urgent (la nécessité de former rapidement des enseignants) et ils ne s’inscrivent ni dans une vision claire du gouvernement ni dans une politique d’intégration planifiée sur le long terme (Khan et al., 2012), ou alors ils n’impliquent pas la direction des établissements de formation pour le montage du projet (Tondeur et al., 2012). Certains projets impliquant les technologies mobiles voient le jour de manière isolée, sans connexion avec les programmes de formation et les objectifs plus larges des TIC en éducation (UNESCO, 2011).

Un autre élément problématique est le matériel pédagogique peu adapté au contexte local, surtout s’il est conçu dans des pays du Nord (Janssens-Bevernage, Cornille et Mwaniki, 2005).

Après avoir évoqué de manière générale les avantages et les désavantages des TIC dans la formation des futurs enseignants, nous traitons dans la prochaine section du potentiel des TIC pour améliorer le développement professionnel des futurs enseignants.

Les possibilités offertes par les TIC pour le développement professionnel des enseignants

Les TIC peuvent offrir de nouvelles manières, plus flexibles et efficaces, d’assurer le développement professionnel des enseignants (Baran, 2014). Il existe de plus en plus de webinaires et de visioconférences, des MOOC pour apprendre à enseigner avec le numérique ou pour approfondir des thématiques spécifiques d’une discipline, des groupes Facebook créés sur différents sujets (TIC en éducation, classe inversée, etc.) ou encore Twitter qui est devenu le principal réseau d’échange en éducation (Roy, 2018).

En matière d’instruments, les technologies mobiles offrent des fonctionnalités intéressantes pour développer la compétence de la collaboration (Baran, 2014)[1]. Dans l’étude de Colognesi et Balleux (2018), les tablettes ont montré leur potentiel pour former les futurs instituteurs en Belgique en élaborant des scénarisations pédagogiques de manière collaborative. Quant aux téléphones portables, ils offrent lors du stage la possibilité de prendre des photos, de filmer les cours et d’interagir rapidement avec le superviseur ou les collègues (Aubusson, 2009).

Aussi, Kumar et Leeman (2013) indiquent que la collaboration peut être facilitée par l’interaction (synchrone ou asynchrone) en ligne sous différentes formes, comme le forum ou le blogue qui favorisent le développement de communautés de pratiques virtuelles porteuses de possibilités d’activités formatrices (Cheon, Lee, Crooks et Song, 2012), de productions par binômes à l’aide d’un forum (Baron et Bruillard, 2006) ou de collaborations entre pairs et avec le superviseur de stage offrant la possibilité d’une rétroaction immédiate (Baran, 2014).

La construction du savoir en collaboration peut aussi être favorisée par des outils comme les wikis, le partage de base de données (Aubusson, Schuck et Burden, 2009) qui facilitent l’échange d’expériences pratiques entre enseignants débutants et expérimentés (Kumar et Leeman, 2013) et la résolution de problèmes (Kirschner, Wubbels et Brekelmans, 2008).

La collaboration peut aussi être développée à travers les réseaux sociaux (Kumar et Leeman, 2013) lorsqu’ils sont utilisés comme des plateformes virtuelles permettant de créer et de partager des contenus en ligne et de favoriser des discussions entre les enseignants.

Cependant, notamment lors du stage, ce type de collaboration peut être entravée par la difficulté de superviser la pratique professionnelle lors d’une formation à distance et d’évaluer la compréhension pratique de la pédagogie par les enseignants stagiaires. De plus, cette possibilité de collaboration est dépendante de l’équipement technologique accessible sur le lieu du stage (Allsopp, Alvarez McHatton et Cranston-Gingras, 2009).

En bref, la littérature scientifique indique que l’utilisation des TIC en formation initiale permet de développer certaines compétences transversales indispensables pour exercer le métier d’enseignant, par exemple la collaboration.

Dans la prochaine section, nous verrons que des compétences professionnelles spécifiques en technologies éducatives peuvent aussi être développées.

L’utilisation des TIC dans la formation initiale des futurs enseignants est corrélée positivement avec le développement de compétences professionnelles en technologies éducatives et avec le sentiment d’autoefficacité

Peu de recherches empiriques permettent de démontrer que les TIC ont un impact positif sur la pratique professionnelle des enseignants (Laferrière et Allaire, 2010). Toutefois, Allsopp et al. (2009) ont indiqué qu’une exposition prolongée aux technologies pendant la formation initiale permet une amélioration de leurs compétences technologiques et développe le sentiment d’autoefficacité (Boéchat-Heer, 2018).

Boulton et Hramiak (2014) proposent d’introduire les technologies de manière systémique dans la formation initiale pour encourager un processus de modelage. Celui-ci permettra de réduire l’anxiété et de renforcer l’intérêt pour les technologies (Kumar et Leeman, 2013), d’améliorer les compétences technologiques et donc l’utilisation de ces outils (Area Moreira, Hernández Rivero et Sosa Alonso, 2016) ainsi que de stimuler la motivation des futurs enseignants à intégrer les TIC dans leur pratique (Lameul, 2008).

L’effet du modelage commence à être souligné, bien qu’Allsopp et al. (2009) relèvent que le type de support dont les futurs enseignants auraient besoin pour une intégration efficace des TIC n’est pas encore suffisamment étudié. Un avis plus modéré par rapport à l’effet du modelage est également partagé par Larose, Grenon, Morin et Hasni (2009) qui soulignent le rôle central du stage et l’attitude du superviseur vis-à-vis des technologies. Selon Boulton et Hramiak (2014), il faudrait que le développement des compétences technologiques des futurs enseignants se poursuive après la formation initiale. Une exposition prolongée aux TIC pendant la formation initiale n’est pas suffisante si les futurs enseignants poursuivent par exemple leur stage dans une école où les TIC sont peu valorisées.

Les TIC peuvent stimuler la motivation, mais aussi être un frein en raison du temps requis pour les maîtriser et les utiliser en classe (Fisher, Higgins et Loveless, 2006) ou du stress qu’elles engendrent (Colognesi et Balleux, 2018). Dans d’autres cas, la motivation est forte, mais l’absence d’une reconnaissance professionnelle pour les compétences technologiques acquises peut être un élément inhibiteur.

L’intégration des technologies dans les programmes de formation peut avoir un impact sur la posture des enseignants et transformer leur vision des technologies ainsi que leurs croyances épistémologiques (Colognesi et Balleux, 2018). Les auteurs montrent dans leur étude que l’utilisation des tablettes a induit un changement de posture des futurs enseignants : au début de la formation, les tablettes étaient perçues comme un gadget; à la fin, les postures avaient changé et la tablette était considérée comme un instrument amenant diverses possibilités pour l’apprentissage, comme la différenciation pédagogique et la créativité́.

2. Problématique et objectifs de la recherche

La revue de la littérature a mis en évidence le potentiel des TIC pour la formation des enseignants. La recherche à l’origine de cet article se situe dans les perspectives évoquées, car elle s’intéresse à l’utilisation des TIC dans la formation initiale des enseignants au Costa Rica, pays à revenu intermédiaire ayant misé sur l’éducation et la technologie pour impulser son développement économique et social.

L’intégration des TIC en contexte universitaire

Les établissements de formation des enseignants relèvent désormais le potentiel des technologies pour créer de nouveaux modèles d’apprentissage. Selon l’UNESCO (Khvilon et Patru, 2002), les établissements de formation des enseignants ont une fonction fondamentale à assumer pour que l’éducation profite pleinement des TIC dans l’apprentissage : il est essentiel que les enseignants acquièrent des compétences technologiques de base. Cependant, l’utilisation des TIC dans ces établissements n’est ni régulière ni systématique dans de nombreux pays, faute de politiques claires aux stratégies et objectifs bien définis (Vaillant, 2013) et d’une attitude favorable des professeurs (Campos Martinez, 2015).

La formation des enseignants au Costa Rica et l’intégration des TIC

Au Costa Rica, les TIC sont promues par le ministère de l’Éducation pour améliorer la qualité de l’éducation. En revanche, la qualité de la formation des enseignants est problématique à cause de l’absence d’un curriculum de formation des enseignants uniforme à travers le pays (UNESCO, 2014), de la forte présence d’universités privées, et de politiques de formation des enseignants incohérentes et dépourvues d’une vision sur le long terme (Jiménez, 2014). Cela soulève des interrogations, dans la mesure où il est peu probable que les élèves acquièrent les compétences technologiques si leurs enseignants ne les développent pas eux-mêmes. Bien que ces compétences puissent être acquises aussi en dehors de l’école, par l’autoformation, avec les pairs ou dans le cadre familial, nous estimons que l’école a un rôle à jouer, ne serait-ce que pour stimuler le développement d’une réflexion critique et favoriser l’utilisation des TIC pour la formation. Toutefois, le lien entre la formation des futurs enseignants, le développement de leurs compétences technologiques et l’acquisition de ces compétences par les élèves est peu problématisé.

Au vu de ce paradoxe apparent et des travaux préalablement cités, nous sommes amenés à nous interroger sur les usages des technologies par les futurs enseignants pour leur propre formation, dans le cadre de la formation tant formelle (université) qu’informelle (usage privé). L’objectif de cet article est de porter un éclairage sur l’utilisation des technologies de la part des futurs enseignants pendant leur formation initiale.

3. Cadre théorique

Parmi les nombreuses théories développées sur l’adoption des innovations[2], nous avons choisi de baser notre analyse sur les principaux concepts de la théorie de la diffusion des innovations de Rogers (2003) reconnue en matière de changement et d’innovation dans l’univers du progrès économique et technologique, mais aussi dans celui de l’éducation.

La complexité des facteurs entrant en jeu lors de l’introduction des innovations dans les établissements d’enseignement et des changements qu’elles induisent a été mise en évidence par Fullan (2015). La théorie de la diffusion des innovations de Rogers (2003) permet d’appréhender cette complexité, en explicitant les variables qui définissent le processus et le niveau d’adoption d’une innovation, sa mise en oeuvre et ses canaux de diffusion. De plus, selon Medlin (2001), Rogers rend en considération non seulement le niveau individuel, mais aussi le niveau social, car la diffusion d’une innovation est une activité tout aussi individuelle que sociale. D’ailleurs, bien que le niveau d’adoption soit souvent mesuré à partir des individus comme unité d’analyse, Rogers suggère également les organisations ou les communautés comme unité d’analyse en tant que membres ou unités d’un système social. En effet, plusieurs aspects de la diffusion d’une innovation ne peuvent être expliqués uniquement à partir des comportements des individus.

Dans le cadre de notre étude, nous nous sommes intéressés spécifiquement au niveau d’adoption d’une innovation et à son processus de diffusion dans un système social.

4. Méthodologie

L’approche exploratoire choisie pour cette étude est mixte (Pinard, Potvin et Rousseau, 2004), avec une dominance qualitative. Les participants ont été sélectionnés dans quatre groupes différents : les futurs enseignants (en formation initiale) du préscolaire et du primaire, les professeurs de la Faculté de sciences de l’éducation, les responsables des filières de formation et les responsables TIC de deux universités costariciennes situées au centre du pays. Le choix des universités a été déterminé à partir de deux critères : 1) université publique; 2) offrant un programme de formation pour les futurs enseignants du préscolaire et du primaire. Seulement deux des cinq universités publiques présentes dans le pays répondaient à ces critères : l’Université du Costa Rica et l’Université nationale[3].

Cinq instruments ont été employés pour recueillir les données : une grille d’analyse pour les documents institutionnels et politiques portant sur l’utilisation des TIC dans les universités et plus précisément dans les programmes de formation; trois grilles d’entretiens semi-dirigés avec 1) le responsable de filière de chaque université; 2) le responsable TIC de chaque université; 3) les professeurs des facultés d’éducation[4]; un questionnaire destiné aux futurs enseignants.

Dans cet article, nous présentons uniquement les résultats des questionnaires soumis aux futurs enseignants qui vont nous permettre de répondre à l’objectif visant à déterminer comment les futurs enseignants utilisent les technologies dans leur formation. La collecte des données a eu lieu pendant l’année universitaire 2016-2017 par la distribution d’un questionnaire à 500 étudiants sur un total de 646 inscrits dans les filières qui nous intéressent dans les sièges principaux de l’Université du Costa Rica (San José) et de l’Université nationale (Heredia). Pour assurer un bassin d’échantillonnage suffisamment large, les questionnaires ont été soumis à au moins un groupe d’étudiants pour chaque année du programme de « bachelor[5] » et de « licenciatura[6] ».

Le questionnaire a été élaboré à partir de la revue de la littérature et de notre cadre théorique. Les questions posées concernent non seulement l’utilisation des technologies par les futurs enseignants pour leur formation (à l’université, à la maison, lors du stage), mais aussi l’utilisation des TIC par les professeurs universitaires afin de mettre en perspective les points de convergence ou de divergence et de mieux comprendre les types d’utilisation et les motivations sous-jacentes. Le questionnaire comportait 28 questions et 6 sections : 1) données sociodémographiques, 2) politiques TIC, 3) fréquence et raisons d’utilisation des technologies, 4) autoévaluation du niveau de maîtrise des technologies, 5) utilisation des technologies par les professeurs de la Faculté, 6) utilité des technologies pour la formation des enseignants. Comme certaines questions étaient formulées à partir d’une échelle de Likert de 1 à 5 (questions portant sur les fréquences) ou d’une échelle de Likert de 1 à 4 (questions portant sur les accords) et que nous voulions nous assurer d’obtenir des réponses ayant une plus grande précision, le questionnaire comporte aussi 5 questions à développement.

5. Résultats

Le questionnaire a été rempli par 341 futurs enseignants, soit environ 53 % de la population totale, qui présentent les caractéristiques indiquées au tableau 1.

Tableau 1

Informations sur le profil des participants au questionnaire

Informations sur le profil des participants au questionnaire

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Les filles sont largement représentées avec une proportion de 93 % de l’échantillon. Une proportion de 70 % des participants se situe dans la catégorie d’âge de 20 à 29 ans. Les deux universités sont représentées de manière presque équivalente (52 % pour l’UCR, 48 % pour l’UNA) et les participants sont répartis de manière équitable entre la filière du préscolaire (53 %) et du primaire (47 %), bien qu’ils fréquentent majoritairement la première année d’études (28 %). Le nombre de participants le moins important correspond à la 5e année (13 %), non obligatoire. Sur l’ensemble des participants, 15 % étaient en train d’effectuer le stage pratique.

Accès aux technologies et fréquence d’utilisation par les futurs enseignants

Une proportion de 98 % de la population étudiée a accès à Internet à la maison et possède au moins un outil pour s’y connecter. Dans 99 % des cas, elle s’en sert pour sa propre formation. Dans les deux universités, les futurs enseignants ont accès à l’ordinateur et à Internet dans des salles spécialisées.

Comme le montre le tableau 2, la majorité des étudiants utilisent presque toujours ou toujours le téléphone portable (M = 4,65) alors que 79 % des professeurs interdisent ou déconseillent l’utilisation de cet instrument pendant les cours. Les deux applications les plus fréquemment utilisées sont le courrier électronique (M = 4,8) et les réseaux sociaux (M = 3,99). Les vidéos en ligne, notamment YouTube, sont presque toujours utilisées (M = 3,82), alors que Google Scholar et Wikipédia sont moins fréquemment utilisés.

L’outil technologique le plus fréquemment utilisé n’est pas le même pour les futurs enseignants et les professeurs. Chez les premiers, il s’agit du téléphone portable (M = 4,65), alors que pour les seconds, la moyenne pour cet instrument est beaucoup moins élevée (M = 2,18).

Tableau 2

Fréquence d’utilisation des technologies par les futurs enseignants pour leur formation et par les professeurs (1 = jamais; 5 = toujours)

Fréquence d’utilisation des technologies par les futurs enseignants pour leur formation et par les professeurs (1 = jamais; 5 = toujours)

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Types d’utilisation des outils technologiques par les futurs enseignants

Les réponses à une question ouverte ont permis de répertorier à la fois les types d’utilisation (figure 1), mais aussi les raisons à l’origine de ces choix (figure 2). Le principal constat est que le téléphone portable est surtout utilisé pour la communication scolaire et privée. Il est utilisé pour chercher rapidement des définitions (ENS3) ou la signification de certains mots (ENS230). Certains mentionnent la prise de photos des notes de cours (ENS78), la lecture (ENS125) ou l’accès à Internet (ENS301). D’autres raisons sont aussi évoquées, comme le fait d’avoir toujours avec soi le téléphone portable et son utilisation à la fois pour le divertissement et la communication avec les proches.

L’ordinateur portable est principalement utilisé pour effectuer les travaux universitaires, chercher des informations, et rédiger des documents ou des présentations. La tablette est très peu utilisée (M = 1,89). La minorité qui l’utilise évoque la praticité, la tablette étant moins lourde qu’un ordinateur. Son usage principal est prendre des notes ou lire (figure 1).

La majorité des futurs enseignants apportent un outil technologique à l’université. En effet, 69 % des répondants ont ignoré la question « Pourquoi n’apportez-vous pas d’instruments technologiques à l’université? » (figure 2). Ceux qui ont répondu évoquent l’insécurité et la peur d’une agression (figure 2). La non-nécessité est une autre raison, tout comme l’inconfort, par exemple de l’ordinateur, plus lourd à transporter que d’autres outils[7].

Figure 1

Occurrences textuelles par rapport à l’utilisation d’instruments technologiques à l’université par les futurs enseignants (n = 815)

Occurrences textuelles par rapport à l’utilisation d’instruments technologiques à l’université par les futurs enseignants (n = 815)

Remarque. Les chiffres de cette figure représentent le nombre d’« occurrences textuelles » (c’est-à-dire une occurrence pour chaque segment codifié) pour chaque code, tous programmes confondus (préscolaire et primaire à l’UNA et à l’UCR). Un même étudiant peut avoir répondu en énumérant des éléments appartenant à plus d’un code.

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Figure 2

Occurrences textuelles en réponse à la question « Pourquoi n’apportez-vous pas d’instruments technologiques à l’université? » (N = 123)

Occurrences textuelles en réponse à la question « Pourquoi n’apportez-vous pas d’instruments technologiques à l’université? » (N = 123)

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Usages des technologies par les professeurs

Selon les futurs enseignants, les professeurs utilisent les technologies principalement pour faire des présentations (M = 1,31). Les usages en vue de stimuler la réflexion auprès des futurs étudiants, de favoriser la collaboration ou d’effectuer des évaluations sont beaucoup moins importants (M = 3).

Tableau 3

Usages des technologies par les professeurs classés par ordre d’importance (1 = plus important; 4 = moins important)

Usages des technologies par les professeurs classés par ordre d’importance (1 = plus important; 4 = moins important)

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Types d’utilisation des applications Web par les futurs enseignants

La figure 3 illustre les types d’utilisation des applications Web par les futurs enseignants à partir de la fréquence de leurs réponses à la question ouverte « Dans quel but utilisez-vous les applications Web suivantes? ».

Figure 3

Types d’utilisation des applications Web par les futurs enseignants

Types d’utilisation des applications Web par les futurs enseignants

Remarque. Les chiffres de cette figure représentent le nombre d’« occurrences textuelles » (c’est-à-dire une occurrence pour chaque segment codifié) pour chacun des codes, selon les programmes : préscolaire et primaire à l’UNA et à l’UCR. Il est important de noter qu’un même étudiant peut avoir répondu en énumérant des éléments appartenant à plus d’un code. Les chiffres représentent l’ensemble des occurrences pour chacune des catégories, tous programmes confondus.

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Les réponses ont permis d’établir 12 catégories (figure 3). Pour des raisons d’espace, nous allons apporter des exemples uniquement pour les catégories ayant le plus grand nombre de réponses :

  1. Pour la communication formelle et scolaire, les futurs enseignants privilégient le courriel, utilisé surtout pour la communication avec les professeurs pour obtenir des informations scolaires (cours ou travaux à rendre), partager des documents ou envoyer des travaux. Pour la communication plus informelle, avec les camarades, ils préfèrent les réseaux sociaux.

  2. Pour la recherche d’informations, les futurs enseignants mentionnent les réseaux sociaux. Ceux-ci sont utilisés pour rechercher et échanger des informations sur des pages qui traitent d’éducation (ENS248) ou de la formation des enseignants (ENS60). Les blogues sont consultés pour obtenir des informations d’actualité et trouver des ressources pédagogiques ou des opinions de leaders (ENS88) dans un domaine spécifique. Wikipédia est utilisé pour accéder à des informations générales (ENS194) et surtout pour chercher la définition de certains mots ou concepts (ENS323). Cependant, plusieurs considèrent qu’il s’agit d’un outil peu fiable (ENS156). Au contraire, Google Scholar donnerait accès à des informations fiables, sûres (ENS93) et qui ont de la valeur (ENS19), et il est utilisé pour la recherche de références bibliographiques (ENS332).

  3. Pour effectuer les travaux de groupe, les réseaux sociaux et les applications collaboratives (Google Docs, wiki) sont mentionnés. Toutefois, l’élaboration de textes de manière collaborative est citée dans seulement 7 % des réponses.

  4. Pour trouver des ressources didactiques, Pinterest ou YouTube sont très utilisés. Ce dernier est utilisé pour trouver des activités manuelles, des chansons et des danses (ENS48) pour les enfants. De plus, les vidéos favoriseraient l’interaction et le dynamisme du cours en ajoutant une dimension ludique.

  5. Pour faciliter la compréhension de concepts, les futurs enseignants recourent principalement à YouTube (44 % des réponses). Les tutoriels sont visionnés pour expliquer aux enfants de manière visuelle certains concepts (ENS176), de manière plus simple et visuelle (ENS176).

  6. Pour partager des documents ou des travaux, les plateformes éducatives qui sont aussi une ressource pédagogique sont utilisées, car ici se trouvent principalement les supports pour les cours ou des ressources utiles (ENS103) pour le stage.

6. Discussion

L’absence de modèles de bonnes pratiques d’intégration des technologies mobiles

L’outil de prédilection des futurs enseignants est le téléphone portable. Les professeurs utilisent principalement l’ordinateur et très peu les technologies mobiles. Le téléphone portable est d’ailleurs interdit pendant les cours par certains professeurs. Leur réticence face aux technologies récentes et une insuffisance de connaissances à leur égard confirment les résultats de l’étude d’Echeverria Saez (2011). Bien qu’il existe des initiatives soutenues par le gouvernement costaricien pour introduire les technologies mobiles en éducation[8], l’intégration dans la formation initiale des futurs enseignants n’est pas systémique. Cette absence de modèles de bonnes pratiques d’intégration des technologies mobiles dans les cours nous interpelle, car il est peu probable que les futurs enseignants seront en mesure d’en faire un usage pédagogique dans leur pratique professionnelle (Boulton et Hramiak, 2014), à moins que cette lacune soit compensée par l’autoformation. Cela pourrait amener à des utilisations pédagogiques des technologies mobiles peu appropriées et à des projets voués à l’échec par l’absence d’une connexion avec les programmes de formation des futurs enseignants.

La non-utilisation de la tablette

L’outil le moins fréquemment utilisé par les futurs enseignants et par les professeurs est la tablette, produit relativement cher pour un pays à revenu intermédiaire. Il n’y a pas de rejet de cette technologie « par abandon » parce que les utilisateurs seraient mécontents de sa performance, mais plutôt un rejet « par remplacement » (Rogers, 2003) avec un autre outil (le téléphone portable) moins cher. Selon cet auteur, la non-institutionnalisation d’une innovation et l’absence d’un usage routinier dans la pratique expliquent sa non-utilisation et le remplacement par une autre innovation.

Des technologies peu utilisées pour le développement professionnel des futurs enseignants

Selon les futurs enseignants, les professeurs utiliseraient les technologies principalement pour des présentations. Le potentiel pour soutenir l’approche réflexive, l’autonomie ou la collaboration est peu exploité. L’utilisation des instruments et des applications technologiques est plutôt passive, de l’ordre de la réception. Les usages d’Internet pour la production (blogue, wiki) sont beaucoup moins fréquents que les usages pour la réception (visionnement de capsules vidéo). Ce résultat confirme la recherche de Chai, Koh, Tsai et Tan (2011) qui montre que les utilisations sont souvent destinées à la transmission d’informations plutôt qu’à la construction des connaissances.

La polyvalence d’un même outil et des frontières brouillées entre usage dans le cadre professionnel et usage dans le cadre privé

Souvent, un instrument est utilisé pour des buts très différents : le travail scolaire et le divertissement. Le téléphone portable est par exemple utilisé pour la communication requise par des travaux de groupe, mais aussi pour la recherche d’informations ou le divertissement. C’est aussi le cas pour YouTube qui a plusieurs fonctionnalités, tant comme soutien pour la formation que comme outil didactique pour la future pratique professionnelle des enseignants ou pour le divertissement. Il en est de même pour les réseaux sociaux, utilisés pour le divertissement, la communication et la collaboration. Les réseaux sociaux sont beaucoup moins utilisés par les professeurs, bien que les bénéfices d’une utilisation dans le cadre du stage, pour le partage de contenus et la discussion entre enseignants expérimentés et en formation, par exemple, aient été soulignés par Kumar et Leeman (2013).

Les TIC offrent ainsi des possibilités d’apprentissage attrayantes et en évolution constante qui brouillent les frontières entre éducation formelle et informelle, comme une étude de l’UNESCO (2011) l’a souligné. Avec les technologies, les possibilités d’apprentissage se sont multipliées en stimulant les démarches personnelles informelles (Ito et al., 2009). L’utilisation des vidéos pour mieux ancrer des concepts confirme les résultats de recherches mettant en relief le potentiel des TIC pour favoriser un apprentissage en profondeur (Fisher et al., 2006), surtout lorsqu’il s’agit de ressources en ligne (Knight, 2010). Comme Ito et al. (2009), nous constatons que les expériences numériques avec les nouveaux médias stimulent l’autoapprentissage et un nouveau rapport au savoir, ainsi qu’une autonomie plus large (Jézégou, 2010).

Ces multiples usages s’expliquent par le fait qu’une innovation peut être réinventée et adaptée aux besoins des utilisateurs (Rogers, 2003). Par exemple, le téléphone portable a été en quelque sorte « réinventé » en passant d’outil de divertissement à outil pour le travail scolaire. De plus, il est facile à utiliser, caractéristique qui facilite, selon Rogers (2003), l’adoption d’une technologie.

La fiabilité, l’efficacité ou l’obligation institutionnelle à l’origine du choix d’un outil ou d’une application technologique

Les vidéos sur YouTube sont consultées principalement grâce à la facilité d’utilisation de cet outil, à sa facilité d’accès (ex. par le téléphone portable) ou à sa gratuité. L’utilisation des technologies pour gagner en efficacité a aussi été soulignée par Pedró (2012).

Conclusion

L’objectif de recherche consistait à déterminer les usages des TIC dans les établissements publics de formation des futurs enseignants au Costa Rica. Le principal constat est que l’accès aux TIC n’est pas l’enjeu majeur. Les principales différences ressortent sur le plan des typologies des usages et de la fréquence d’utilisation. Nous avons observé des différences entre les futurs enseignants et leurs professeurs. Nous avons également observé la polyvalence de certains instruments comme le téléphone portable qui s’explique par des caractéristiques de ces innovations décrites par Rogers (2003) comme étant la simplicité, la possibilité de les utiliser aussi pour d’autres fins que la formation et leur large diffusion. Cette polyvalence a contribué à brouiller les frontières entre éducation formelle et informelle et à créer des environnements personnels d’apprentissage numérique.

Pour conclure, l’acquisition des compétences technologiques est fondamentale pour évoluer dans notre société. Toutefois, si la polyvalence des technologies facilite la formation formelle et informelle et si les avantages et les gains de temps sont indéniables, nous nous interrogeons sur les enjeux liés à cette perméabilité́ des frontières entre la vie personnelle et professionnelle, sur l’interface travail/formation/famille et sur la préservation de l’individu et de son temps libre dans une société où la disponibilité et la joignabilité 24 heures sur 24 deviennent la norme.