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Introduction

L’orthographe, une composante importante de l’écrit, constitue un redoutable barrage pour celui qui ne la maîtrise pas. Elle altère la qualité de la communication entre individus, représente un facteur important de sélection et peut entraver l’accès à un emploi ou à une promotion. Les difficultés orthographiques auxquelles sont confrontés les étudiants algériens apprenant la langue française découragent plus d’un enseignant; il suffit d’observer leurs copies pour se rendre compte de la situation[1]. Pourtant l’écrit demeure la base de l’évaluation des compétences des étudiants en Algérie.

Après une présentation de notre problématique, d’une courte revue de littérature et de méthodologie, nous aborderons les résultats de la recherche et ouvrirons des perspectives.

1 Problématique et objectif de recherche

« Orthographe capricieuse, grammaire absconse : le français est réputé difficile » selon Eluerd et Orcenna (2017) et « l’orthographe française est l’une des plus difficiles au monde » (Fayol, 2003); pourtant, elle est banalisée par les didacticiens du FLE. Sur une trentaine de méthodes FLE analysées par Suleiman et Malkawi (2012), « les activités orthographiques au sens propre du terme sont pratiquement inexistantes ou presque » (p. 126), elles sont généralement inadaptées car elles « s’acharnent sur l’orthographe des noms propres…, l’écriture des chiffres, etc. » (p. 134).

En Algérie, selon un questionnaire/ sondage (annexe 2, questionnaire 1), les étudiants sont bien conscients de leurs difficultés, ils contestent la banalisation de l’orthographe, au niveau de l’apprentissage, et regrettent les grandes sanctions au moment de l’évaluation. Ils contestent aussi les cours traditionnels qu’ils jugent « décontextualisés », « inadaptés », « ennuyeux » et « rares ».

L’usage croissant des outils numériques de réseautage social et notamment de Facebook chez les étudiants algériens nous a interpellée. Ce réseau est leur préféré, il fait partie intégrante de leur vie (annexe 2, questionnaire 1) à cause de son aspect communicatif et collaboratif (Ala-Mutka, 2010; Mazman et Usluel, 2010). En dehors de la classe, la plupart se connectent longuement sur ce réseau pour se tenir à jour de ce qui se passe autour d’eux et dans le monde entier, pour partager aussi leurs intérêts, publier leurs idées et leurs sentiments, afficher des « j’aime » pour les publications qui leur plaisent, demander des informations, apprendre de nouvelles choses, nouer des relations sociales, etc.

Alors, comment peut-on profiter des possibilités offertes par ce réseau social et l’utiliser pour remettre à niveau les compétences orthographiques des étudiants algériens de la première année de français?

2 Revue de littérature

L’intégration des réseaux sociaux dans le domaine de l’enseignement/apprentissage a toujours suscité l’intérêt des didacticiens. Plusieurs chercheurs ont mis en évidence l’efficacité de l’utilisation de Facebook pour l’enseignement/apprentissage des langues étrangères. Ainsi, Blattner et Fiori (2009) ainsi que Kabilan, Ahmad et Abidin (2010) ont montré que les membres d’un groupe Facebook peuvent développer des compétences communicatives, pragmatiques et linguistiques en s’exposant à « des variétés linguistiques et expressions familières que les départements de langue et les manuels ne peuvent égaler » [nous traduisons] (Blattner et Fiori, p. 36).

Dans des études plus récentes, comme celles de Blattner et Lomicka (2012) et d’Hamada (2013), Facebook a été utilisé pour un projet de télécollaboration entre des étudiants de nationalités différentes où chacun apprend la langue de l’autre. Les résultats montrent que Facebook a contribué à favoriser la motivation et à améliorer le niveau de langue à apprendre (grammaire et vocabulaire).

Wang, Woo, Quek, Yang et Liu (2012) ont exploité Facebook comme une plateforme d’apprentissage en ligne en tant que solution alternative à certains espaces payants.

Bowman et Akcaoglu (2014) et, entre autres, Celik (2008) et Wells (2008) avaient utilisé Facebook comme un espace de communication et d’échange hors la classe pour assurer la continuité entre la classe et l’après-classe, dans le but de favoriser les interactions étudiant-étudiant et étudiant-enseignant (Wang et al., 2012).

Dans l’éclectisme de ces interventions positives, nous tentons d’évaluer le potentiel de Facebook pour remédier à l’apprentissage de l’orthographe française des étudiants algériens de la première année de français en dehors de la classe afin d’assurer la continuité entre la classe et l’après-classe. Nous pensons que ses principales fonctions, le mur et la messagerie, sont un bon espace facilitant les échanges entre l’enseignant et ses étudiants. Cet échange permettra d’adapter l’enseignement aux besoins des étudiants pour ainsi améliorer leurs compétences orthographiques.

Puisque nous proposons un enseignement éclectique en dehors de la classe, nous devons d’abord apporter un éclaircissement sur l’éclectisme didactique et sur l’enseignement non formel par rapport à l’enseignement formel et informel.

L’éclectisme en didactique du FLE « est à l’opposé du n’importe quoi méthodologique : il implique de pratiquer des choix méthodologiques reposant sur un critère : l’efficacité; il impose de délaisser une cohérence globale pour des cohérences locales; enfin, il requiert pour sa mise en pratique des enseignants dotés d’une formation didactique approfondie » (Richer, 2007, p. 27). Puren (1994) ajoute : « Il n’y a pas de pratiques pédagogiques meilleures que d’autres dans l’absolu, a fortiori supérieures aux autres. Chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients plus ou moins bien ajustés à des groupes-classes déterminés » (p. 173).

Face à l’inefficacité des connaissances transmises à l’école lors des pratiques scolaires quotidiennes, des formes d’apprentissage non scolaires ont suscité l’intérêt en tant que solutions alternatives ou compléments de l’école (Hamadache, 1993, cité par Aljerbi, 2015). Il convient à la Commission des Communautés européennes (2000) d’officialiser trois catégories d’éducation : formelle, non formelle et informelle.

  • L’éducation formelle se déroule dans des établissements d’enseignement et de formation et débouche sur l’obtention de diplômes et de qualifications reconnus.

  • L’éducation non formelle intervient en dehors des principales structures d’enseignement et de formation et n’aboutit généralement pas à l’obtention de certificats officiels. L’éducation non formelle peut s’opérer sur le lieu de travail ou dans le cadre des activités d’organisations ou de groupes de la société civile (associations de jeunes, syndicats ou partis politiques). Elle peut aussi être fournie par des organisations ou services établis en complément des systèmes formels (classes d’enseignement artistique, musical ou sportif ou cours privés pour préparer des examens).

  • L’éducation informelle est le corollaire naturel de la vie quotidienne. Contrairement à l’éducation formelle et non formelle, elle n’est pas forcément intentionnelle et peut donc ne pas être reconnue, même par les individus eux-mêmes, comme un apport à leurs connaissances et à leurs compétences. (p. 9)

Coombs (2014, cité par Aljerbi, 2015) définit l’éducation non formelle comme étant « toute activité éducative organisée en dehors du système d’éducation formelle établi et destiné à servir des clientèles et à atteindre des objectifs d’instruction identifiables ». Cette définition est celle qui représente le mieux notre travail; elle met en avant quatre caractéristiques principales : organisation, détermination des publics, élaboration des objectifs précis et non-institutionnalisation. Néanmoins, plusieurs travaux (Aljerbi, 2015; Gasse, 2014; Hamadache, 1993, cité par Aljerbi, 2015; Mangenot, 2011) montrent qu’en pratique, il est difficile de délimiter les frontières entre les trois formes et que leur complémentarité est de rigueur. Pour cette raison, nous avons préféré parler de continuité lorsque les limites du cadre non formel de cet enseignement sont un peu ambigües.

3. Méthodologie de la recherche

L’enseignante propose un enseignement éclectique non formel sur FB en dehors de la classe. A partir des interventions sur FB que l’enseignante souhaite « positives », nous souhaitons interroger le potentiel de Facebook comme un support pour remédier à l’apprentissage de l’orthographe française des étudiants algériens de la première année universitaire de français.

3.1 Corpus et terrain d’étude

Notre recherche est menée en ligne, sur un groupe Facebook, avec des étudiants algériens de première en français (futurs enseignants de français) à l’Université Abou Bekr Belkaid de Tlemcen en Algérie. L’arabe dialectal est la langue maternelle et le français est la première langue étrangère qu’ils ont étudiée pendant dix ans à raison d’environ trois heures par semaine (depuis la 3e année primaire jusqu’au bac). Après tout ce temps d’étude, ces étudiants alternent le français et l’arabe dialectal, mais ne parviennent pas à s’exprimer entièrement en français et encore moins à l’écrit bien que dans le système éducatif algérien, l’évaluation porte le plus souvent sur l’écrit.

Notre échantillon est constitué de 25 participants pour le groupe Facebook FB, dont 20 étudiantes et cinq étudiants âgés de 18 à 20 ans. Néanmoins, à cause des absences et des copies incomplètes, notre corpus s’est réduit à 20 copies exploitables pour l’analyse, dont 17 de femmes et 3 d’hommes.

3.2 Déroulement de l’expérience

Notre projet relève d’un éclectisme qui tire profit des possibilités pédagogiques qu’offre Facebook et s’inspire des méthodes « novatrices[2] » en orthographe. Il peut se définir comme une « recherche-action ». C’est une « recherche dans le but d’acquérir des connaissances sur le domaine étudié, action dans le but de mettre en oeuvre une transformation » (Dick, 1998, cité par Catroux, 2002).

Il s’agit aussi d’une recherche réflexive dans la mesure où les postures de la chercheuse et celle de l’enseignante sont endossées par une même personne. Nous utilisons deux styles d’écriture afin de formaliser les deux postures et de prendre de la distance en tant que chercheuse sur l’activité enseignante.

La procédure de recherche comporte plusieurs étapes : tout d’abord, faire un test d’évaluation. Il s’agit d’une dictée initiale didactisée permettant de découvrir les lacunes orthographiques récurrentes des étudiants (annexe 1). Sur les feuilles de la dictée, les étudiants devaient mentionner leur pseudonyme FB à la place de leur nom pour garder l’anonymat, afin que l’apprentissage se déroule de manière décontractée.

Ensuite, l’enseignante a créé un groupe FB et elle a demandé à une trentaine d’étudiants de rejoindre le groupe en leur donnant l’adresse électronique du compte. Vingt-cinq étudiants, dont une majorité de femmes, ont accepté de participer à cette expérience (cela n’indique pas que l’expérience intéresse plus le sexe féminin, mais que les étudiants de cette branche (FLE) sont majoritairement féminins). L’enseignante leur a expliqué, en présentiel, que l’objectif de cette expérience était de remettre à niveau leur orthographe française. Elle leur a expliqué le fonctionnement du groupe Facebook. Une bonne partie des étudiants semblaient intéressés, mais un peu sceptiques, ce qui peut éventuellement expliquer qu’une vingtaine d’entre eux (80 %) étaient réellement actifs sur le groupe.

Le projet FB propose un enseignement ludique. Il consiste à favoriser la communication enseignant-étudiant (voir les figures d’illustration ci-après).

  • Sur la messagerie FB, l’enseignante devait discuter avec les étudiants, comme une simple amie.

  • Elle devait répondre aux questions des étudiants (figures 6 et 7) et corriger instantanément les erreurs commises lors des tchats (figure 4).

  • L’enseignante publiait des règles orthographiques simplifiées et argumentées par des exemples (figure 3).

  • Les étudiants devaient avoir masqué leur nom et choisi un pseudonyme, par exemple : l’étudiante remplace son nom par le pseudonyme « çh màroou » (voir la flèche rouge à la figure 4).

  • Sur le mur FB, les étudiants devaient chercher l’erreur dans des phrases erronées que l’enseignante avait publiées (figures 1 et 2).

  • Les étudiants étaient libres de répondre ou de cliquer sur « j’aime ».

Figure 1

La question postée par l’enseignante sur le mur

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Figure 2

Les commentaires de la figure 1

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Figure 3

Réponse à la figure 1 postée sur le mur

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Figure 4

Fragment d’une conversation (enseignant/étudiant) sur la messagerie FB

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L’expérience s’est déroulée sur une période de trois mois. Elle a commencé le 16 novembre 2016 et s’est terminée le 15 février 2017.

3.3 Évaluation de l’expérience

Pour analyser l’effet de cette expérience sur l’amélioration de l’orthographe de nos étudiants, nous avons proposé les tâches suivantes : une dictée préliminaire et une autre finale.

3.3.1 Une dictée préliminaire (pré-test)

La dictée préliminaire avait pour but d’évaluer les difficultés que les étudiants doivent maîtriser. Il s’agit de phrases séparées à écrire en entier pour repérer et analyser minutieusement les lacunes : orthographe lexicale, accords, conjugaison, etc. (annexe 1). Nous leur avons laissé le temps de bien relire ce qu’ils devaient écrire. L’évaluation a porté sur l’orthographe lexicale et grammaticale, mais ne prenait pas en compte les majuscules et la ponctuation. Toutes les erreurs commises ont été catégorisées selon le modèle de Catache (2016) qui analyse le système orthographique du français et classe les erreurs selon la dominante (calligraphique, extragraphique, phonographique, morphogrammique, logrammique, idéogrammique et erreurs non fonctionnelles). Nous utilisons les sous-catégories de ces classifications pour faciliter la compréhension du lecteur.

3.3.2 Une dictée finale (post-test)

Pour évaluer les effets du projet Facebook sur l’apprentissage des notions orthographiques étudiées, nous avons opté pour la dictée lacunaire (dictée à trous : voir annexe 1). Cette dictée permet de cibler l’évaluation sur les problèmes constatés lors du test initial (finales des mots, gestion des accords en genre et en nombre, etc.) en excluant toutes les autres erreurs parasites. Pour cette dictée, nous leur avons laissé tout le temps de réviser ce qu’ils ont écrit.

4 Présentation et analyse des résultats

Nous présentons les résultats en deux temps. Dans le premier temps, nous présentons les résultats globaux du test initial et dans un second, nous exposons en détail les résultats des deux tests et leur comparaison.

4.1 Résultats globaux et analyse

Le test initial révèle le niveau orthographique des étudiants algériens de première année en français. Sur une dictée, du niveau B1 selon les critères du CECR, composée de 840 mots, nous rencontrons 166 erreurs. Les erreurs grammaticales sont légèrement plus nombreuses que les erreurs lexicales (tableau 1).

Tableau 1

Niveau des étudiants algériens en orthographe française. Résultats globaux du test initial

Niveau des étudiants algériens en orthographe française. Résultats globaux du test initial

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Les résultats globaux du test initial indiquent que les étudiants algériens entrant à l’université, et censés avoir un niveau B2 en production écrite, éprouvent beaucoup de difficultés en orthographe. Sur une dictée de niveau B1 (selon le CECR), en moyenne, 19,76 % de mots dictés étaient mal orthographiés, mais les résultats étaient un peu hétérogènes.

Nous constatons que les erreurs grammaticales sont légèrement plus nombreuses que les erreurs lexicales, ce qui montre que même le système de la langue n’est pas bien acquis. Pour que l’intervention soit pertinente et bien adaptée à leurs besoins orthographiques, nous avons établi un deuxième tableau qui représente les erreurs de façon détaillée.

4.2 Comparaison des résultats détaillés des deux tests

Le tableau 2 présente les erreurs que l’enseignante avait traitées dans le « Projet Facebook » et exclut toutes les erreurs parasites apparues lors du test final (comme le doublement des consonnes pour certains lexiques et certaines formes du pluriel puisqu’il s’agissait d’une dictée différente du pré-test). Il présente les résultats aux deux tests (initial et final) avec la classification des erreurs commises selon le modèle de Catache (2016) et leur comparaison pour connaître l’évolution ou la régression des erreurs.

Tableau 2

Catégorisation des types d’erreurs commises lors des deux tests, selon le modèle de Nina Catache (2016), comparaison et nombre de visualisations

Catégorisation des types d’erreurs commises lors des deux tests, selon le modèle de Nina Catache (2016), comparaison et nombre de visualisations

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Le tableau 2 révèle des erreurs de différentes natures. Certaines sont essentiellement grammaticales et touchent donc le fonctionnement de cette langue, comme les homophones grammaticaux (sont, son, sans), les marques d’accord dans le GN (l’accord de l’adjectif possessif « leur » avec le nom), les accords du participe passé, le pluriel ainsi que des problèmes de conjugaison, comme la confusion entre les temps. Mais on trouve aussi beaucoup d’erreurs d’ordre lexical, même dans des mots très familiers, comme par exemple : erreur de segmentation sur le terme « bien sûr », erreur de morphologie sur les mots « connexion » et « chacun », confusion entre les homophones « foi, fois et foie », altérations de la valeur phonique de certains mots dues aux interférences avec la langue maternelle, etc. (ces erreurs sont spécifiques à notre corpus d’évaluation qui était de faible ampleur et ne traite, bien sûr, qu’une partie des lacunes orthographiques de ces étudiants).

La colonne de droite du tableau montre que les erreurs ont diminué de 106/420 mots dictés à 66 erreurs/500 mots, soit une amélioration de presque la moitié (48 %). Néanmoins, cette amélioration est variable d’un étudiant à l’autre et d’un mot à l’autre.

L’analyse des résultats révèle que l’amélioration est proportionnelle à l’activité de chaque étudiant sur le groupe et à sa visualisation de la règle. On constate que l’amélioration est importante (elle varie de 50 % à 80 %) lorsque les règles sont visualisées par la quasi-totalité des étudiants, comme c’est le cas pour le mot « connexion », les homophones « sont », l’accord de l’adjectif possessif « leur » avec le nom, l’accord du participe passé et le pluriel des adjectifs numéraux. L’amélioration se réduit (à 25 % et 28 %) lorsque les règles sont visualisées par seulement 11 ou 14 personnes, comme c’est le cas pour le déterminant « tout », ou le mot « chacun ».

Néanmoins, l’activité des étudiants qui était bien encadrée sur le groupe n’était pas le seul facteur responsable de ces progrès. Nous y ajoutons, entre autres, la facilité de la structure orthographique et aussi la règle qui l’explique. Par exemple, pour le lexique « connexion », la règle contenait une petite astuce pour se rappeler son orthographe, alors l’amélioration était beaucoup plus importante que celle du terme « bien sûr », car pour ce dernier se sont présentées plusieurs erreurs (biensûr, bien sur, bien sure) et comme la règle ne contenait pas de moyens mnémotechniques, la progression était moins importante que pour le mot « connexion ». Quelques cas doivent être traités à part, comme l’homophone « à » pour lequel la progression était seulement de 33 %, dans la mesure où dès le début, il n’y avait que 3 erreurs sur 40, qui se sont réduites à une seule lors du test final. Il en va de même pour la distinction infinitif/participe. Nous n’avons pas constaté de progression, car il y avait uniquement 2 erreurs lors des deux tests.

En somme, il s’avère que le projet Facebook était bénéfique; il a en effet contribué à améliorer le niveau d’orthographe des étudiants algériens. Mais quelle est la dynamique tutorale qui encadre les étudiants sur le groupe et comment a-t-elle contribué à remédier aux carences orthographiques des étudiants?

4.3 Les interventions tutorales favorisant l’apprentissage de l’orthographe sur Facebook

Il s’avère que Facebook a permis la mise en oeuvre de notre projet de pédagogie différenciée dans les meilleures conditions. Le mur et la messagerie Facebook étaient un bon terrain pour faciliter les interventions tutorales afin d’améliorer les compétences orthographiques des étudiants. On distingue deux types d’intervention :

4.3.1 Interventions proactives

Selon le mode d’intervention de l’enseignant auprès des étudiants, les interventions proactives se manifestent de différentes manières.

D’un côté, sur le mur, on pose des questions de type « chercher l’erreur » pour stimuler l’apprenant et le pousser à exploiter ses connaissances en orthographe française et lui proposer par la suite la règle adaptée (figures 1 et 3). « La proactivité donnerait à l’apprenant le sentiment d’être suivi dans son apprentissage en le stimulant à rester en état de veille cognitive et à exploiter les aides mises à disposition » (De Lièvre et Depover, 2001). La pertinence de la proactivité est associée à la manière de stimuler l’étudiant, qui est « une situation didactique dans laquelle il est proposé au sujet une tâche qu’il ne peut mener à bien sans effectuer un apprentissage précis. Cet apprentissage, qui constitue le véritable objectif de la situation-problème, s’effectue en levant l’obstacle à la réalisation de la tâche. Ainsi, la production impose l’acquisition » (Meirieu, 1999), et à l’explicitation de la règle pour lui expliquer l’obstacle. « Si l’enseignant ou l’enseignante veut que les élèves apprennent à résoudre des problèmes, il doit les faire participer activement. Les élèves tireront alors profit de l’interaction. L’enseignant ou l’enseignante se sert d’une stratégie d’enseignement direct pour leur permettre d’acquérir les informations nécessaires » (Rogers, 2013) (figures 1 et 3).

D’un autre côté, sur la messagerie Facebook, lorsque les étudiants commettaient des erreurs en discutant avec l’enseignante, cette dernière intervenait pour les corriger. Il s’agit de la rétroaction corrective. Cette intervention « comprend toute correction qui mentionne explicitement ou implicitement que la production d’un apprenant n’est pas conforme à la langue cible[3] » (Carroll et Swain, 1993). L’exposition de l’apprenant à la correction dès qu’il commet une erreur, « favorise l’acquisition[4] » (Long, 1996). L’enseignante est intervenue de trois façons à la manière de Lyster (2001)[5] :

  • La correction explicite. C’était la plus fréquente. Il s’agit de fournir l’orthographe correcte dès que l’étudiant commet une erreur. Par exemple, le mot « posé » a été explicitement corrigé par l’enseignante qui a répondu : « on écrit “pour poser une question”… après « pour », le verbe se met à l’infinitif » (voir les mots soulignés en rouge à la figure 6 ci-dessous);

  • La reformulation. L’enseignante reformule la proposition de l’apprenant en éliminant l’erreur de façon implicite. Exemple : « quand je suis en temps libre… » a été reformulé par « quand j’ai du temps libre… » (voir les mots soulignés en vert à la figure 5, ci-dessous);

  • La répétition de l’erreur. Une demande de clarification est faite en utilisant des phrases comme « Pardon? » ou juste un point d’interrogation. Par exemple, « Quoi? », « Le dessin? » (Voir les mots entourés en bleu à figure 5 ci-dessous).

Les effets de cette rétroaction corrective se manifestent de différentes manières, elle est souvent ressentie comme utile. Elle entraîne une réparation de la part de l’étudiant. Par exemple, le mot « désin », après négociation, a été corrigé par l’étudiante (voir les mots entourés en bleu à la figure 5 ci-dessous).

Il en est de même pour la formule « quand je suis en temps libre » que l’étudiante avait utilisée correctement après l’intervention de l’enseignante (voir les mots soulignés en mauve à la figure 5 ci-dessous). Cette rétroaction corrective est aussi considérée comme facilitatrice; elle est préconisée dans le cadrage initial et fait partie de l’activité. Elle peut aussi être gênante; lorsque l’apprenant est corrigé chaque fois, la correction est perçue comme une intervention qui réduit sa confiance. Dans notre exemple, l’étudiant a répondu par « oui » suivi d’un émoticône qui montre que l’étudiant est gêné (voir les mots entourés en orange à la figure 5 ci-dessous).

Figure 5

Conversation présentant plusieurs types d’intervention et leur impact (posté le 19/01/2017 à 22:06)

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Figure 6

La demande sur la messagerie FB (posté le 23/01/2017 à 21:05)

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4.3.2 Interventions réactives

Les interventions sont réactives lorsque l’enseignante réagit à une demande de l’apprenant à travers la messagerie Facebook. Les réponses étaient parfois en privé et parfois sur le mur. Par exemple, sur la messagerie, l’étudiant a posé la question « Je ne sais pas si on écrit quant ou quand pour poser une question sur le temps? » (voir les séquences entourées de vert à la figure 6 ci-dessous). Et la réponse était « Très bien, je vais publier une règle sur le mur » (voir la réponse à la figure 7 ci-dessous).

Ces modalités réactives donnaient à l’apprenant le sentiment d’être suivi dans son apprentissage et d’obtenir rapidement et facilement la réponse. Ceci nous paraît en accord avec les observations de Mason (1992) lorsqu’il estime que la manière dont les tuteurs interviennent a plus d’impact que la fréquence de leurs interventions.

Figure 7

La réponse sur le mur (posté le 24/01/2017)

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En somme, les modalités tutorales qui ont stimulé et aidé les étudiants à combler leurs lacunes orthographiques sont les interventions proactives et réactives de l’enseignante, et la rétroaction corrective.

Conclusion et perspectives

Notre projet FB s’appuie sur des situations didactiques qui tirent profit des possibilités pédagogiques qu’offre Facebook et s’inspire des méthodes novatrices en orthographe. Ce projet, non formel, a été mis en oeuvre en dehors des principales structures d’enseignement. Il a permis d’établir une continuité entre la classe et l’après-classe.

Le mur et la messagerie FB ont permis de mettre en place une pédagogie pour remettre à niveau certaines compétences orthographiques, comme ont déjà pu le constater Bowman et Akcaoglu (2014), entre autres.

L’utilisation de la messagerie fut un terrain propice d’échange (Wells, 2008) où l’enseignante a pu détecter d’autres points faibles (figures 4, 5 et 6). Elle les a traités avec différentes interventions tutorales :

  • L’intervention réactive (Mason, 1992), en répondant à leurs demandes sur le mur et sur la messagerie;

  • La rétroaction corrective (Carroll et Swain, 1993), en les corrigeant dès qu’ils commettaient une erreur orthographique lors des discussions sur la messagerie;

  • L’intervention proactive (De Lièvre et Depover, 2001) à travers des questions et des règles orthographiques explicatives que publiait l’enseignante sur le mur. Ces notions orthographiques ont suscité l’intérêt des étudiants qui ont dit avoir été motivés par cette approche novatrice comprenant des règles concises, plutôt faciles, sans contraintes formelles et adaptées à leurs besoins, ce qui a favorisé l’apprentissage de l’orthographe.

Cette étude présente trois points faibles, à notre sens. Le premier tient au caractère chronophage pour l’enseignante de la démarche adoptée; le deuxième est la taille réduite de la population échantillon considérée dans cette étude; le troisième est la durée très limitée de cette dernière.

Malgré les limites réelles de la portée de cette expérimentation, nos résultats étayent l’hypothèse selon laquelle ce projet a permis d’apporter un soutien orthographique efficace aux étudiants. En effet, nous avons pu constater une régression du nombre d’erreurs entre le début et la fin du projet à partir du test de la dictée.

Nous avons pu constater une corrélation entre l’activité de chaque étudiant au sein du groupe et la baisse de leurs erreurs entre le pré-test et le post-test.

Notre étude relève de l’expérimentation pédagogique et non de la recherche fondamentale. Elle ne nous permet pas de dégager des résultats scientifiques, mais les constats effectués nous incitent à poursuivre l’expérience sur une durée plus longue.