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Introduction

Au Brésil, le premier cas confirmé de COVID‑19 a été annoncé le 26 février 2020. Quatorze jours plus tard, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) estime que la COVID‑19 peut être qualifiée de pandémie. Pour « aplatir » la courbe des contaminations et éviter la saturation des hôpitaux, des centaines de pays ont adopté des mesures de distance sociale, voire de verrouillage. Dans ce contexte, seuls les travailleurs des services essentiels ont poursuivi leurs activités.

Plusieurs pays dans le monde ont fermé les écoles, touchant au mois d’avril 2020 plus de 80 % de la population étudiante (UNESCO, 2020). La fermeture des écoles et des universités au Brésil a concerné, au mois d’avril 2020, plus de 52 millions d’étudiants et dans l’enseignement supérieur, 8,5 millions. Face à ce scénario, les administrateurs pédagogiques, les directeurs d’école et les enseignants ont commencé à élaborer des stratégies pour minimiser les conséquences des suspensions de cours en présentiel et faciliter la continuité pédagogique grâce à l’enseignement à distance.

Le 17 mars 2020, le gouvernement brésilien a publié l’ordonnance no 343 qui prévoit le remplacement des cours présentiels par des cours à distance en utilisant les technologies numériques pendant la durée de la pandémie (Brésil, 2020). Les universités publiques ont interrompu leurs activités, alors que les établissements privés ont maintenu leurs cours. De cette façon, les formateurs et les étudiants habitués aux cours présentiels ont dû s’adapter à l’enseignement à distance en utilisant les technologies numériques.

Dans cet article, nous nous sommes intéressés à l’enseignement supérieur et, plus spécifiquement, aux programmes de formation en éducation physique. Au Brésil, il existe une formation qui permet d’obtenir une licence et qui forme les enseignants à travailler dans les écoles primaires et secondaires et dans les lycées. Une autre formation de baccalauréat forme les professionnels qui travaillent avec les activités sportives et artistiques dans le contexte extrascolaire. En outre, le Brésil offre la possibilité de suivre une formation en éducation physique présentielle ou à distance.

Au cours de la dernière décennie, il y a eu une croissance exponentielle des cours de formation à distance en éducation physique au Brésil (Anversa et al., 2017; Lazzarotti Filho et al., 2015) contrairement à la tradition du domaine ancrée sur le savoir-faire et les pratiques et expériences corporelles. Il convient de noter que la formation des enseignants d’éducation physique a été imprégnée, comme cela est le cas pour d’autres domaines, des technologies numériques, surtout dans les débats sans portée pratique (Kretschmann, 2015; Leight et Nichols, 2012).

Selon les chercheurs, les technologies numériques apportent une valeur ajoutée à l’enseignement de cette discipline et permettent de : 1) faciliter la régulation (Kok et van der Kamp, 2018), principalement par l’utilisation de la vidéo (Bouthillette, 2020; Karsenti, 2020), 2) faciliter la compréhension des concepts, 3) impliquer les élèves dans les stratégies de planification, 4) activer les connaissances préalables, 5) faciliter la gestion du temps et des efforts (Bouthillette, 2020), 6) surveiller ce que font les élèves (Karsenti, 2020) et 7) utiliser ces données pour l’évaluation (van Hilvoorde et Koekoek, 2018).

Sur la base de ces considérations initiales, l’objectif de cette étude est de décrire et de déterminer les défis et les apprentissage vécus par les formateurs d’enseignants d’éducation physique dans l’enseignement supérieur en période de pandémie. La pertinence de cette recherche se trouve dans le fait qu’elle documente et diffuse le processus de transition de ces formateurs d’un modèle d’enseignement présentiel à un enseignement à distance, médiatisé par les technologies. Il est à noter qu’il y a peu d’études empiriques dans le domaine des technologies numériques et de l’éducation physique et, en particulier, sur le point de vue des enseignants de cette discipline (Kretschmann, 2015).

État de la littérature : utiliser les technologies numériques pour former les futurs enseignants

Les technologies numériques offrent de nouvelles possibilités pour le développement professionnel des enseignants. De plus en plus de contenus leur sont proposés par le biais de webinaires ou de réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook (Carpenter et Krutka, 2015) accessibles en tout temps au moyen de toute technologie numérique mobile. La littérature scientifique met principalement en relief trois compétences transversales dont les technologies numériques favorisent le développement auprès des futurs enseignants : la collaboration, la réflexivité et la capacité d’autonomie.

Premièrement, la collaboration entre les futurs enseignants peut être facilitée par l’interaction (synchrone ou asynchrone) en ligne sous différentes formes, comme le forum ou le blogue, qui favorisent le développement de communautés de pratiques virtuelles (Cheon et al., 2012), et les wikis ou le partage de base de données (Aubusson et al., 2009), qui favorisent la résolution de problèmes (Kirschner et al. 2008) et facilitent l’échange d’expériences pratiques entre enseignants débutants et expérimentés (Kumar et Leeman, 2013). La collaboration peut aussi être développée à travers les réseaux sociaux, toujours selon ces derniers auteurs, lorsqu’ils sont utilisés pour favoriser les discussions sur des questions pédagogiques et pratiques, faciliter le partage de contenus et offrir à leurs membres la possibilité de valider le matériel d’enseignement et de démontrer la validité de certaines pratiques (Lantz‑Andersson et al., 2017).

La réflexion analytique et critique est considérée comme centrale dans le développement professionnel et la pratique des enseignants. Les technologies numériques sont susceptibles de soutenir de différentes manières l’approche réflexive des futurs enseignants (Deng et Yuen, 2013). Certains outils comme le blogue, selon ces auteurs, ou le portfolio électronique (Mills, 2013) permettraient de réfléchir de manière critique à sa propre pratique. D’autres outils sont susceptibles de stimuler la réflexion, par exemple la vidéo pour filmer et observer son propre cours, en permettant de développer l’esprit critique et la capacité d’analyse (Admiraal, 2014).

L’autonomie est considérée par Lang (1999) comme un des éléments essentiels de la professionnalisation. Les technologies numériques permettraient de développer la capacité d’autonomie des futurs enseignants en favorisant leur responsabilisation et en leur laissant une latitude importante pour organiser et orienter leur formation (Boulton et Hramiak, 2014).

En bref, la littérature scientifique indique que l’utilisation des technologies numériques en formation initiale des enseignants permet de développer certaines compétences transversales indispensables pour exercer le métier d’enseignant, comme la collaboration, l’approche réflexive et la capacité d’autonomie. D’un autre côté, plusieurs auteurs mettent en évidence le fait que les formateurs d’enseignants envisagent souvent avec réticence les technologies numériques, qu’ils utilisent surtout pour la transmission d’informations plutôt que pour la construction des connaissances (Chai et al., 2011) ou le développement de compétences transversales (Caneva et Akkari, 2018).

Objectifs de recherche

L’objectif de cette étude est de décrire et de déterminer les défis et les apprentissage vécus par les formateurs d’éducation physique dans l’enseignement supérieur en période de pandémie.

Méthodologie

Pour répondre à notre objectif, nous avons opté pour une approche qualitative. La technique du groupe de discussion (focus group) a été choisie pour collecter les données en mettant l’accent sur l’individu en tant que membre d’un groupe (Guimarães, 2006). Le groupe de discussion est constitué et développé en fonction du problème de recherche. Le chercheur doit soulever des questions pertinentes et contextualisées et construire un script de travail préliminaire et flexible avec le groupe, en ayant une compréhension claire de ce que l’on cherche à comprendre (Gatti, 2012).

Pour la composition du groupe, une invitation à participer par courriel a été lancée à une vingtaine de formateurs, accompagnée du formulaire de consentement. Huit formateurs ont répondu positivement, mais deux formateurs n’ont finalement pas pu participer. Ainsi, le groupe de discussion a été mené avec six formateurs qui travaillent dans la région métropolitaine de Cuiabá, dans la région centre‑ouest du Brésil. Le groupe de discussion s’est tenu le 23 mai 2020, lors d’une vidéoconférence avec Google Meet, qui a été enregistrée et a duré deux heures. Le tableau ci-dessous montre le profil des six participants (tableau 1). Afin de garantir leur anonymat, nous avons utilisé des noms fictifs.

Tableau 1

Participants à la recherche

Participants à la recherche

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Tous les formateurs participants sont diplômés (licence ou baccalauréat) en éducation physique et ont obtenu une maîtrise. En plus de travailler dans l’enseignement supérieur, ils travaillent dans d’autres environnements tels que les écoles secondaires et les salles de sport.

Trois questions principales ont été posées aux participants lors du groupe de discussion portant sur la maîtrise des technologies numériques avant et après la pandémie, les principaux défis auxquels ils ont été confrontés dans l’enseignement pendant la pandémie et les principaux apprentissages de cette période.

Analyse

Les discussions du groupe ont été enregistrées et transcrites à l’aide du logiciel Trint, puis la transcription a été révisée par l’un des chercheurs. Les données ont été analysées au travers de l’analyse thématique en continu (Paillé et Muchielli, 2012).

Nous avons opté pour un codage mixte (L’Écuyer, 1990). La codification du corpus a été effectuée par trois chercheurs à partir d’une grille d’analyse élaborée en fonction de catégories préétablies et de celles qui ont émergé des verbatim.

Le codage des segments a été effectué manuellement. Un des chercheurs a tout d’abord effectué un codage semi-ouvert de tout le matériel. Deux chercheuses ont ensuite effectué un contre-codage du matériel en utilisant le livre de codes constitué. Le taux d’accord interjuges s’est élevé à 71 % pour la première chercheuse et à 74 % pour la deuxième, ce qui est considéré comme satisfaisant (Durand et Blais, 2003).

En dernière étape, une matrice de codage définitive a été réalisée afin de montrer quels résultats pouvaient être inférés à partir de l’organisation des données.

Deux catégories principales ont ainsi été recensées : 1) les défis rencontrés par les formateurs, 2) leurs apprentissages. La première catégorie est composée des trois sous-catégories suivantes : défis pour les formateurs; défis pour les étudiants; demandes des établissements. La deuxième catégorie est constituée des quatre sous-catégories suivantes : l’enseignement pendant la pandémie; l’usage de l’environnement virtuel d’apprentissage; la collaboration avec les collègues et avec le coordinateur pédagogique; le transfert d’expérience d’autres champs d’apprentissage.

Présentation des résultats et discussion

Dans la prochaine section, nous présenterons les résultats concernant les défis. Nous aborderons ensuite les principaux enseignements.

Défis rencontrés par les formateurs : s’adapter, se réinventer et sortir de sa zone de confort

Les mesures d’isolement dues à la COVID‑19 ont imposé aux formateurs la recherche d’autres formes d’organisation pour maintenir la continuité pédagogique de leurs étudiants. Dans ce nouveau contexte, les formateurs ont signalé plusieurs défis auxquels ils sont confrontés, tels que l’adaptation difficile à une nouvelle forme d’enseignement et d’apprentissage et l’utilisation de technologies numériques pour l’enseignement; la difficulté à motiver et à engager les élèves dans l’environnement virtuel; la gestion des défis rencontrés par leurs élèves, ce qui se reflète dans la relation pédagogique; les demandes institutionnelles.

Concernant l’adaptation à une nouvelle forme d’enseignement et l’utilisation des technologies, les formateurs ont indiqué que ce processus provoquait des sentiments contradictoires, des inquiétudes, des insécurités, des doutes et une surcharge de travail.

Divers types de difficultés sont évoqués :

  • Des difficultés techniques : « La difficulté est donc de s’adapter à de nouveaux outils. Le cours enregistré par vidéo est compliqué! [...] Vous devez être réalisateur, vous devez élaborer un scénario et vous l’expliquez. Il n’y a aucun moyen de contourner cela. C’est plus difficile. [...] » (Aline)

  • La surcharge de travail : « En ce moment, nous pouvons faire le travail deux, trois, quatre fois. » (Aline)

  • La difficulté de devoir réorganiser et repenser une nouvelle planification des cours : « J’ai beaucoup de difficulté, je passe des heures et des heures à planifier. Et il s’avère que je comprends et que je suis content, je dis : “J’ai réussi à casser cette idée-ci”. Mais pour les personnes qui n’ont pas cette habitude d’utiliser les technologies, c’est difficile. » (Gabriel)

  • Des difficultés qui se situent sur le plan émotionnel comme l’angoisse : « Et quand tout cela a changé, j’ai eu envie de m’adapter […] Je n’ai jamais pensé à enregistrer des vidéos des cours et cela m’a causé un peu d’angoisse. […] Je ne suis pas une personne qui a été conditionnée pour s’asseoir. [...] C’est aussi un défi de trouver un espace pour que je me comprenne en tant que professeure et que je puisse transmettre ces connaissances. Je travaille avec deux matières pratiques, comment vais-je apporter une expérience de gymnastique à mon étudiant qui est là, de l’autre côté [de l’écran]? » (Beatriz)

  • Le fait de devoir repousser ses limites : « Mon plus grand défi était de sortir de ma zone de confort. Mes cours étaient déjà organisés et réorganisés et affinés. Et aussi de s’adapter à cette nouvelle technologie d’enseignement en direct. » (Diana)

D’autres recherches sur l’enseignement à distance (Lazzarotti Filho et al., 2015) et sur l’intégration des technologies numériques dans la formation en éducation physique ont également mis en évidence les difficultés liées à l’insécurité et à la non-maîtrise des technologies numériques par les formateurs, l’intensification du travail d’enseignement et le manque de présence physique dans l’environnement virtuel (Bianchi et Pires, 2015).

Les formateurs ayant participé à cette recherche enseignent habituellement dans des programmes présentiels. Pendant la distanciation sociale, les établissements ont flexibilisé les espaces éducatifs. Selon Silva (2004), penser à la flexibilité nécessite d’examiner les questions liées à l’enseignement – l’apprentissage, l’évaluation, les méthodologies et la planification –, qui composent les temps et les espaces de formation. En ce sens, l’apprentissage ne se limite pas aux espaces présentiels. Pour cette raison, la flexibilité des espaces s’accompagne de la flexibilité des horaires et du curriculum.

Les formateurs ont également déclaré que l’un des défis auxquels ils sont confrontés est de motiver et d’engager les étudiants dans la nouvelle forme d’enseignement médiatisée par les technologies. Celle-ci est très différente de l’interaction en face à face à laquelle ils étaient habitués : « l’un des défis est justement d’inciter ces étudiants à comprendre que cet espace technologique est aussi un espace de construction de connaissances collectives. » (Beatriz)

L’interaction et le dialogue à travers des sujets actifs sont fondamentaux dans les processus éducatifs. Paulo Freire (1977, p. 69) nous explique depuis de nombreuses années que « l’éducation est communication, c’est dialogue, dans la mesure où ce n’est pas une transformation de la connaissance, mais une rencontre d’interlocuteurs qui cherchent le sens des significations ». Lorsque la mesure de ce processus est altérée par l’utilisation des technologies numériques, nos formes de communication et d’interaction se transforment également. La maîtrise des technologies devient essentielle pour maintenir ce processus et un défi non seulement pour les formateurs, mais aussi pour les étudiants.

Les formateurs ont également discuté des défis rencontrés par les étudiants dans le nouveau scénario d’enseignement, défis qui ont aussi un impact sur la relation pédagogique. Ces défis sont en lien avec : le profil des étudiants et leur attitude à l’égard des outils numériques; le besoin d’une autonomie accrue dans le nouveau dispositif d’apprentissage; la résistance aux changements dans la manière d’enseigner; le manque de formation pour maîtriser les technologies numériques; la timidité face à une nouvelle forme d’interaction sociale; la difficulté d’accéder à Internet; les difficultés financières causées par la pandémie.

Aline : Le problème n’est pas que nous nous réinventons, ce sont les étudiants qui se réinventent. […] les étudiants qui fréquentent l’enseignement à distance ont un profil et les étudiants qui fréquentent l’enseignement présentiel ont un autre profil. [...]

Beatriz : Souvent, il a déjà sa propre timidité, une perspective différente sur son corps par rapport au mouvement que l’on développe en gymnastique.

Gabriel : La disparité d’expérience entre les étudiants. Il y a des étudiants qui maîtrisent très bien, il y a des étudiants qui ne maîtrisent rien. [...] Et nous savons qu’un pourcentage raisonnable d’étudiants de premier cycle a des difficultés à lire et à produire des textes.

Diana : Il y a des étudiants qui demandent que leur inscription [à l’université] soit fermée non pas parce qu’ils ne peuvent pas suivre ou parce qu’ils ne l’aiment pas, mais parce qu’ils sont au chômage, parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer leurs frais de scolarité.

Concernant l’autonomie accrue qui est requise par l’enseignement à distance, elle semble être un défi pour les étudiants.

Gabriel : Le dernier défi est la continuité et l’autonomie de l’étudiant pour étudier. L’idée même d’éduquer à travers la recherche, de former un étudiant chercheur aujourd’hui est plus évidente. L’autonomie dans l’étude, la recherche, la construction, la lecture.

À l’inverse, les résultats de Boulton et Hramiak (2014) montraient une autonomie accrue des étudiants lorsqu’ils apprennent par le biais des outils numériques. Ces résultats divergents pourraient être expliqués par le fait que l’utilisation des technologies numériques a été accélérée, sans préparation planifiée au préalable, par la situation d’urgence.

Les fractures numériques entre les étudiants sont un défi pour les formateurs et elles semblent exacerbées par le nouveau dispositif d’enseignement. Les fractures se manifestent par la difficulté d’accéder aux technologies ou à Internet.

João : Nous avons également des étudiants qui n’ont pas accès aux technologies. Cet étudiant ne suit pas de cours en direct, il ne peut pas accéder aux cours par la suite, il ne peut pas fabriquer les instruments d’évaluation. Il ignore totalement cette possibilité d’apprentissage.

Les fractures se manifestent également par les divers niveaux de maîtrise des technologies numériques de la part des étudiants, ce qui constitue une difficulté supplémentaire pour les formateurs.

Gabriel : Un des plus grands défis est de produire des connaissances avec les étudiants dans ce format d’apprentissage à distance. [Mais] il y a une disparité entre certains étudiants qui maîtrisent les technologies et d’autres non. [...] Vous devez les suivre individuellement et voir le besoin de chacun.

Les études de Lazzarotti Filho et al. (2015) et de Bianchi et Pires (2015) ont également montré que les étudiants ne maîtrisaient pas les technologies numériques et qu’ils ont souvent des difficultés d’accès à Internet et d’interaction pédagogique induite par les technologies. Dans le cas de cette recherche, la transition de l’environnement présentiel à l’environnement virtuel a mis en évidence une résistance à la nouveauté chez les étudiants non habitués aux technologies numériques, la timidité des étudiants à s’exprimer ainsi que des difficultés financières et d’accès à Internet.

Les formateurs ont également abordé le défi de répondre aux demandes des établissements dans lesquels ils travaillent telles que l’utilisation de nouvelles applications ou outils technologiques; l’usage de tutoriels pour aider d’autres collègues ou étudiants; une organisation différente du travail pédagogique; la proposition de cours attractifs; la motivation et la rétention des étudiants.

Aline : […] il y a eu une réunion à laquelle le coordinateur pédagogique a demandé d’utiliser Loom pour enregistrer des vidéos dans le but de motiver et d’attirer l’attention des étudiants sur le cours. [...] Sur Zoom il y a le contenu du cours dont vous discuterez avec eux (les étudiants) et dissiperez les doutes. Dans la post-classe se trouvent les activités proposées dans Google Classroom et les activités dans Google Forms.

Raul : Au fil du temps, les demandes des institutions ont également augmenté. Nous avons notamment dû entrer dans un nouveau format.

João : Nous avons une demande très élevée en plus, car les enseignants sont en première ligne, en particulier dans les établissements privés. Le cours doit donc être intéressant, attirer les étudiants. [...]

Face aux défis posés par le nouveau scénario pédagogique, les coordinations pédagogiques des programmes ont commencé à exiger des enseignants qu’ils intègrent davantage les technologies numériques dans leur enseignement. En outre, le formateur João a souligné une demande spécifique de la part des établissements privés, et notamment le fait de devoir attirer et garder les étudiants dans les cours, afin que ces étudiants-« clients » n’abandonnent pas l’établissement.

Les établissements universitaires privés représentent 87,9 % du nombre total d’établissements d’enseignement supérieur au Brésil, un marché et un domaine d’intérêts très compétitifs au Brésil et dans le monde (Noleto et Oliveira, 2019).

Apprentissages des formateurs : l’expérimentation et la découverte de nouvelles manières d’enseigner

La construction d’autres espaces de cours, plus spécifiquement des salles de cours virtuelles, améliore d’autres formes de communication médiatisées par la technologie et comporte non seulement des restrictions, mais aussi des apprentissages.

Concernant les apprentissages, les formateurs ont fait état d’un processus d’adaptation, de découvertes, d’expérimentation et d’utilisation des nouvelles technologies numériques, de nouvelles méthodologies et de nouveaux modes de relation avec leurs élèves, de collaboration avec des collègues et de coordination pédagogique, ainsi que du transfert d’expériences d’autres domaines professionnels vers l’enseignement supérieur.

Les participants ont indiqué avoir trouvé de nouvelles façons d’organiser les activités d’enseignement et d’utiliser des technologies numériques :

Raul : Aujourd’hui, je pense déjà à trois moments : l’enseignement présentiel est la partie principale du contenu, un cadre le précède et un processus de fixation post-classe. [...]

João : […] il est difficile de dire quel impact cela a eu, mais nous avons évidemment découvert des outils ou commencé à les utiliser d’une manière différente.

Beatriz : C’est un processus d’adaptation […] Même de nos postures. Ce fut donc un moment d’apprentissage et aussi un nouveau sens pour ces outils.

João : La plus grande découverte est que YouTube a tout! C’est fantastique! Non seulement YouTube, mais il a des plateformes et des applications spécifiques. J’ai même commencé à adopter une prescription d’exercice […] et vous pouvez l’adapter à votre contexte, à votre réalité.

Beatriz : J’apprends chaque instant auquel j’accède. [...] Hier, j’ai commencé à travailler avec Google Forms […] Je suis en train de comprendre la technologie comme un avantage […] Je pense aussi que la créativité est devenue très importante pour nos cours.

Beatriz : Aujourd’hui, je donne à WhatsApp un sens plus important pour les étudiants. C’est un moyen pour stimuler, encourager et demander comment ça va, afin que nous puissions faire avancer le cours de manière plus cohérente.

Au cours du groupe de discussion, les participants ont également indiqué qu’ils utilisaient déjà les technologies numériques dans l’enseignement, mais de manière naissante et sans explorer leur plein potentiel. Le nouveau scénario d’enseignement les a forcés à les apprendre et à les utiliser dans leur enseignement. À cet égard, les recherches de Bianchi et Hatje (2007) sur l’intégration des technologies numériques dans la formation des enseignants ont permis de diviser les enseignants en trois groupes : a) ceux qui utilisaient déjà les outils numériques uniquement pour améliorer la qualité des cours; b) ceux qui ont cherché à étendre l’utilisation des outils numériques à l’aide de blogues, de plateformes virtuelles, d’agendas virtuels, d’adresses électroniques collectives, de logiciels libres et de vidéoconférences; c) ceux qui commençaient à utiliser les technologies numériques et admettaient que leur utilisation devait être améliorée et élargie.

Les formateurs ont également mis en évidence l’apprentissage et les découvertes liés aux possibilités pédagogiques que l’environnement d’apprentissage virtuel (VLE) peut offrir dans le processus d’enseignement‑apprentissage.

Raul : Pendant cette période de pandémie, il n’y avait pratiquement pas d’autre moyen. Nous avons commencé à explorer le portail académique [Learning management system, LMS] et je me suis rendu compte que c’était mon grand partenaire dans ce processus.

Diana : L’élève peut suivre, s’il a raté le cours, car le texte est là, l’article est là. Il y a donc des choses dans [le] VLE que je ne pensais pas pouvoir mettre. Par exemple, je ne savais pas que je pouvais mettre un lien […]

Le VLE peut être utilisé à la fois dans l’enseignement à distance et présentiel avec des activités qui peuvent être menées en dehors du cours. Cet outil permet le stockage, l’administration et la disponibilité de contenu Web, en fait bénéficier le travail éducatif, élargit les possibilités de créativité, permet l’interaction entre les formateurs et les étudiants, et procure des espaces pour intégrer les discussions qui stimulent la pensée critique et l’action réflexive (Anversa et al., 2017).

Un autre apprentissage des formateurs est lié aux expériences d’utilisation de vidéos dans leurs cours, tant pour favoriser l’analyse des mouvements sportifs (Beatriz, Diana), que pour l’enregistrement des cours (Gabriel) ou la production de vidéos par les étudiants (Aline, Beatriz).

Diana : J’ai trouvé cette chaîne de vidéos, car imaginez, un cours de natation! C’est la chaîne « Nada Mais », elle a une approche très claire, elle est extrêmement pédagogique […] Il a donc un très large éventail de possibilités d’apprentissage.

Gabriel : J’ai ouvert une chaîne sur YouTube et c’est plus facile pour les étudiants d’y accéder. [...] Dans une classe, vous êtes un peu bavard. Dans la vidéo, vous avez besoin d’être clair. Quelle est l’idée principale que vous souhaitez transmettre? Vous devez écrire un script, produire.

Aline : […] J’ai demandé à Gustavo [professeur dans une académie de danse] de faire une vidéo d’une séquence quaternaire de mouvements en danse. Il l’a enregistrée et je l’ai envoyée aux étudiants et j’ai demandé à mes étudiants d’enregistrer une séquence quaternaire et de m’envoyer les vidéos.

Beatriz : J’ai fait une activité avec la classe qui consistait à enregistrer une vidéo conceptuelle de deux minutes, faisant référence à un thème. Et beaucoup d’entre eux étaient résistants parce qu’ils n’étaient pas stimulés et ensuite nous sommes allés le déconstruire […] Et quand ils ont commencé à envoyer les vidéos, j’ai été surprise.

Aline : Nous allons avoir un cours pratique sur Zoom, ils vont mettre le portable ou le téléphone portable le plus loin possible pour que je puisse voir leur corps. Je vais sélectionner quelques mouvements de gymnastique et enseigner une séquence de mouvements de base. Ensuite, je leur demanderai de le faire comme s’ils enseignaient à l’école.

Dans le cas de la formation en éducation physique dans ce nouveau contexte d’enseignement, l’utilisation de la vidéo semble être un moyen efficace pour aborder les pratiques corporelles (danses, sports, combats, gymnastique et jeux) et en discuter. Selon Lazzarotti Filho et al. (2015) et Lisboa et Pires (2013), l’analyse et la discussion du mouvement humain sont essentielles pour une pratique pédagogique appropriée dans l’enseignement à distance à médiation technologique. En outre, dans la formation des enseignants d’éducation physique, Lazzarotti Filho, Silva et Pires (2013) distinguent les savoirs des pratiques corporelles (savoir comment faire), les savoirs sur les pratiques corporelles (connaissances scientifiques sur les pratiques corporelles ou connaissances sur le contenu) et les savoirs pédagogiques des pratiques corporelles (savoir didactique-pédagogique ou comment enseigner).

Certains formateurs ont déclaré que leur apprentissage est lié à une meilleure connaissance de leurs élèves et à la compréhension de leurs intérêts, de leurs besoins et de leur contexte de vie.

Diana : Pour moi, ce qui reste à apprendre va au-delà de ma pratique professionnelle. J’essaie de me mettre à la place de l’autre. [...] C’est de la compassion, tu sais? [...] J’essaie de penser à l’autre de manière humaine. Comment vais-je facturer à mon élève quelque chose qui dépasse ses capacités? [...] « Qu’est-ce qui est difficile pour vous? En quoi puis-je vous aider? Pourquoi êtes-vous en retard avec l’activité d’évaluation? »

João : Mais maintenant je pense que nous faisons plus, nous sommes plus proches des étudiants. Cela exige parfois que le cours que vous avez enseigné soit adapté à la réalité de l’étudiant. Vous ne voyez donc pas tout le monde de la même façon.

Beatriz : Cette idée que l’élève peut également apporter des connaissances l’encourage à vouloir être en classe, à vouloir apprendre. Je dis toujours : « Utilisez votre créativité! Nous ferons des recherches ensemble afin de pouvoir faire de cette chaîne que nous avons maintenant, quelque chose de très important! » Le réseau très social qu’est Instagram fait partie de la culture des étudiants. Nous connectons donc ces espaces qu’ils utilisent au quotidien. Il y a un autre professeur à la Faculté qui a un groupe Facebook.

Même dans l’enseignement présentiel, la connaissance des élèves par les formateurs est fondamentale pour le processus d’enseignement-apprentissage. Anversa et al. (2017) suggèrent que dans le VLE, les enseignants et les tuteurs adoptent le constructivisme social, axé sur une relation dialogique selon laquelle une personne apprend mieux lorsqu’elle est engagée dans un processus de construction collectif de connaissances. L’utilisation d’exemples liés à des situations de la vie réelle fait interagir l’apprentissage avec les aspects personnel et émotionnel, créant un climat favorable entre les sujets concernés.

Les formateurs ont également mis l’accent sur le fait d’avoir acquis des apprentissages grâce à un travail collaboratif avec d’autres collègues ou à la coordination des cours, à l’utilisation de tutoriels ou à la participation à des cours de formation sur l’utilisation des technologies numériques. La situation d’urgence semble ainsi avoir encouragé les formateurs à trouver le temps et les ressources nécessaires pour se former à l’utilisation des technologies numériques, alors que le manque de temps est habituellement un facteur qui freine justement leur adoption (Caneva, 2019).

Aline : J’ai passé une matinée entière avec le professeur Paulo, il a beaucoup de difficultés! Imaginez, si nous qui sommes jeunes avons déjà cette difficulté. [...]

Beatriz : J’essaie toujours de parler à d’autres collègues formateurs et pas seulement en éducation physique, donc je peux les ajouter à mes cours. Inviter une personne qui travaille sur le terrain à parler avec mes étudiants est un moyen de rendre d’autres contacts possibles.

João : Nous avons appris et enseigné ensemble. Hier, par exemple, je parlais à un collègue et lui, par exemple, je ne savais pas que vous pouviez transférer le rendez-vous que vous avez sur Google Agenda à un autre collègue […]

Beatriz : La relation que nous avons établie avec la direction pendant cette période pandémique était beaucoup plus étroite. Parce que nous devons nous soutenir mutuellement. [...] Donc en même temps qu’on a des problèmes, on va les résoudre ensemble, discuter ensemble, réfléchir ensemble […]

Gabriel : Il y a un an et demi, j’ai commencé à suivre Google for Education […] J’ai également suivi un cours Adobe Illustrator qui fonctionne beaucoup sur cette idée de création. [...]

Selon Hammerness et al. (2019), l’apprentissage tout au long de la vie implique de nombreux changements ou innovations qui nécessitent l’abandon d’anciennes routines, croyances et pratiques. Dans la formation des enseignants, un professionnel doit non seulement « connaître les réponses », mais aussi avoir la capacité et la volonté de travailler collectivement, à la recherche de nouvelles réponses aux problèmes d’enseignement, si nécessaire. Concernant les cours de formation continue pour l’intégration des outils numériques dans l’enseignement supérieur, Bianchi et Pires (2015) ont déclaré qu’il y avait peu d’initiatives proposées au sein de l’université, la recherche de formation dépendant davantage de l’intérêt et de l’initiative des enseignants.

Une autre expérience d’apprentissage des formateurs concerne le transfert d’expériences professionnelles acquises dans d’autres lieux de travail. Lors de la pandémie, ils les ont appliquées à l’enseignement supérieur.

Gabriel : J’essaie de transposer l’idée d’éducation à temps plein de l’éducation de base, l’idée d’études orientées et dirigées aux étudiants de premier cycle.

Raul : Qu’est-ce que j’ai fait? J’ai quitté ma discipline et je suis allé parler aux élèves d’Ikigai, […] qui appartient à la culture orientale et parle de la raison de vivre [...], la moitié des élèves sont paumés parce qu’ils ne travaillent pas. Certains envisagent d’arrêter le cours. Pensez-vous qu’ils sont intéressés à étudier l’histoire et les fondamentaux de l’éducation physique? [...] Ikigai enseigne la raison de vivre. Vous trouvez quelque chose à faire qui vous passionne, quelque chose que vous savez faire, si vous avez des gens intéressés par ce que vous allez faire et si c’est financièrement viable. Et puis je suis allé leur raconter cette histoire et j’ai dit : « Alors maintenant, qu’est-ce que l’éducation physique a à voir avec votre but dans la vie? »

Beatriz : L’enseignement à temps plein a des méthodologies très intéressantes. [...] J’ai enseigné la discipline de Life Project et l’un des éléments qui fonctionnent est la question de la connaissance de soi. [...] Et c’est un élément que j’ai également apporté à mes cours. [...]

À cet égard, Bransford et al. (2019) soulignent également que les connaissances et compétences mobilisées dans l’action pédagogique des enseignants en classe englobent aussi les connaissances et actions apprises dans d’autres sphères professionnelles, et révèlent le transfert d’apprentissage permettant de résoudre de nouveaux problèmes rencontrés dans le contexte pédagogique.

Conclusion

Dans cette étude, les résultats ont révélé que les formateurs d’enseignants d’éducation physique travaillant dans l’enseignement supérieur ont dû modifier leur travail pédagogique et le processus d’enseignement-apprentissage dans le contexte de la pandémie de COVID‑19, passant de l’enseignement présentiel à l’enseignement à distance, grâce aux technologies numériques.

Ce processus a posé aux formateurs plusieurs défis de type technique (adaptation à de nouvelles technologies numériques), organisationnel (adaptation à une nouvelle forme d’enseignement demandant un investissement de temps supplémentaire), psychologique (gestion de l’incertitude et de l’angoisse), contextuel (gestion des inégalités accrues entre les étudiants) et institutionnel (pression des établissements privés sur les formateurs pour continuer à attirer et à retenir les étudiants). D’autre part, les formateurs ont expérimenté divers apprentissages professionnels en intégrant par exemple davantage les technologies dans leur enseignement.

Indépendamment de la pandémie, l’utilisation des technologies numériques dans l’enseignement supérieur et pour la formation des enseignants devient une nécessité afin d’éviter que la future génération d’enseignants ne reproduise les mêmes difficultés d’intervenir pédagogiquement avec les technologies numériques (Bianchi et Pires, 2015). Nous avons constaté que l’utilisation forcée des technologies numériques par les formateurs les a encouragés à se former davantage, à expérimenter et à découvrir de nouveaux outils. Cependant, un frein à l’utilisation accrue et systématique des technologies numériques subsiste, celui de la fracture numérique, des inégalités constatées parmi les étudiants en matière d’accès ou d’usage des technologies et qui ne va pas se résoudre rapidement, d’autant plus en période de crise sanitaire et économique.

Nous envisageons d’explorer, pour nos études futures, l’évolution des usages des technologies numériques par les formateurs d’enseignants en éducation physique dans une période qui se situe une ou deux années après l’issue de la crise sanitaire afin de constater si l’intégration des technologies est davantage ancrée dans les pratiques d’enseignement à la suite des apprentissages constatés dans cette période particulière.