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Introduction

L’anatomie et l’histologie sont des pierres angulaires de l’enseignement préclinique dans les facultés de médecine. Ces deux matières sont enseignées pendant les trois premières années du cursus médical. Après une introduction générale en première année, elles sont intégrées, en deuxième et troisième années, dans un enseignement modulaire par système anatomique selon les principes de la pédagogie active (apprentissage par résolution de problèmes). Les étudiants peuvent ne pas percevoir pleinement l’importance de ces disciplines en tant que composantes essentielles de leur formation et donc ne pas développer un niveau de compétence suffisant (Abali et al., 2014). Des stratégies pour repérer précocement les étudiants en difficulté et mettre en place des recommandations favorisant les processus d’apprentissage actif ont été décrites (Ernst, 2014; Hortsch et Mangrulkar, 2015). Elles prennent en considération la pyramide d’apprentissage établie par le National Training Laboratories Institute mettant en évidence que seulement 10 % de ce qui est lu est mémorisé tandis que des actions pratiques ou d’enseignement au sein de groupes de discussion conduisent à une reproduction correcte de ce qui a été appris dans 50 à 75 % des cas. Afin d’assurer une assimilation durable et un meilleur transfert des acquis d’apprentissage dans différentes situations, nous organisons depuis plusieurs années les séances de travaux pratiques (TP) en anatomie et en histologie en incluant la participation active d’étudiants moniteurs (EM). L’adaptation de ces TP et l’accompagnement des étudiants par leurs pairs dans un contexte d’enseignement à distance font l’objet de ce compte-rendu d’expérience.

Adaptation des travaux pratiques (TP) d’anatomie et d’histologie pendant la crise sanitaire liée à la COVID‑19

Associer « pratique » et « distance » semble antinomique dans la mesure où les savoirs acquis au cours théorique sont transformés en savoir-faire dans les TP. L’adaptation des TP d’anatomie et d’histologie pendant cette crise sanitaire est le résultat du travail d’équipes (Bonnet, 2020a) ayant bénéficié d’une expérience antérieure (Multon et al., 2015) et d’outils numériques adaptés comme le MOOC Histo (Multon et al., 2018), la microscopie virtuelle et les ressources d’imagerie médicale (Dernier et al., 2017).

Les travaux pratiques en histologie

Comme les trois années précédentes, 203 étudiants du bloc 1 en médecine et dentisterie de l’ULiège (Belgique) ont suivi le MOOC Introduction à l’histologie, exploration des tissus du corps humain (session 7) hébergé sur la plateforme France université numérique (FUN) (Multon et al., 2020). Ce MOOC comporte cinq modules qui concernent les grandes familles de tissus. Chaque module comprend des vidéos dans lesquelles l’équipe enseignante réalise des dessins et des schémas de structures histologiques. De plus, dans chaque module, les apprenants peuvent réaliser l’activité « phare » du MOOC, la manipulation d’un microscope virtuel qui leur permet d’explorer des prélèvements de tissus biologiques sur des lames histologiques numérisées. Cette exploration est rendue possible grâce au logiciel Cytomine, développé par Marée et al. (2013), qui permet de visualiser, d’annoter et d’analyser collaborativement des images histologiques de haute définition. Différentes activités interactives (jeux-questionnaires, devoirs corrigés par des pairs…) complètent les observations au microscope et permettent à l’apprenant de tester et de renforcer ses connaissances dans chaque module du cours. Deux parcours pédagogiques (Gold et Silver) permettent d’approfondir différemment la matière. Le parcours le plus exigeant (Gold) du MOOC Histo est intégré au cursus de nos étudiants (Multon et al., 2018).

En pratique, un module du MOOC doit être réalisé toutes les deux semaines et est directement suivi d’une séance en présence portant également sur la matière du module. Ces séances dites « retour » sont organisées afin de consolider les connaissances acquises par les étudiants lors de leur travail en ligne. Une variété d’exercices dynamiques et interactifs leur sont proposés dans le but de revoir la matière dans différents contextes (tissus colorés différemment ou observés dans différents organes) et d’approfondir certaines notions. Lors de ces séances dirigées, les étudiants sont répartis en petits groupes encadrés chacun par un EM issu des années supérieures des études en médecine. Le travail des étudiants est divisé en deux phases. Dans un premier temps, chaque groupe travaille autour des différents exercices. Les EM prennent en charge la dynamique de groupe et guident les étudiants en cas de difficultés. Dans un second temps, l’enseignant responsable de la séance vérifie que les objectifs du module sont acquis à l’aide d’un système de vote en ligne (Socrative). Chaque étudiant est invité à donner une réponse individuelle aux questions posées à l’assemblée. L’enseignant peut alors commenter les résultats de l’assemblée et fournir une rétroaction pour chaque question en temps réel. Cette articulation en alternance en deux temps (travaux de groupe avec les EM et rétroaction de l’enseignant) a été choisie, car elle permet de vérifier les acquis d’apprentissage, et cela de manière progressive. L’intérêt majeur de ces séances en présence est la contextualisation des savoirs théoriques acquis lors des cours et des savoir-faire acquis lors du MOOC.

Depuis la crise sanitaire, ces séances n’ont pas pu être organisées, elles ont donc été adaptées sous forme de séances en classes virtuelles (zoom.us) de 6 à 7 étudiants encadrées par un EM (Bonnet, 2020c) (figure 1a).

Les travaux pratiques en anatomie

Les étudiants en deuxième et troisième années de médecine participent aux TP en anatomie qui sont organisés en deux temps : la réalisation de travaux de dissection et l’identification de structures anatomiques sur des ressources multimédias diverses. Ces deux approches sont coordonnées pour chaque région anatomique d’intérêt en concordance avec le module théorique enseigné. Ainsi, les étudiants s’entraînent à l’identification de structures anatomiques sur le corps humain et sur des ressources multimédias : IRM et scanographies, sections anatomiques, spécimens anatomiques 3D numérisés, vidéos et photos de dissections. Des évaluations formatives en présence balisent la progression des étudiants.

Figure 1a

Adaptation de l’enseignement des travaux pratiques d’histologie dans un contexte d’enseignement à distance

Adaptation de l’enseignement des travaux pratiques d’histologie dans un contexte d’enseignement à distance

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Ces modalités répondent aux compétences visées par les TP d’anatomie dans la formation de base des étudiants en médecine : le contact avec la mort (éthique du respect du donateur), l’acquisition des gestes techniques chirurgicaux de base par la réalisation de dissections, l’intégration des connaissances en anatomie topographique et palpatoire et enfin l’approche globale de l’anatomie pratique (anatomie radiologique, prosections, coupes…) par la manipulation des ressources numériques. D’ordinaire, chaque séance est assistée par une équipe d’EM selon un canevas précis.

Lors de la crise sanitaire, les quatre séances de dissection (région du cou, paroi abdomino-pelvienne, système digestif, systèmes génitaux) destinées aux 189 étudiants du bloc 2 en médecine ont été remplacées par plusieurs vidéos de dissections commentées d’Acland pour lesquelles nous avons réalisé une voix hors champ en français (Bonnet, 2020b) et entrecoupées de nombreux tests en ligne jalonnant les connaissances à acquérir. Les étudiants ont également analysé des ressources numériques (scanographies, vidéos de dissection, coupes anatomiques) d’abord individuellement et ensuite en groupe au sein de classes virtuelles (Collaborate sur Blackboard) encadrées par les EM (figure 1b).

Figure 1b

Adaptation de l’enseignement des travaux pratiques d’anatomie dans un contexte d’enseignement à distance (suite)

Adaptation de l’enseignement des travaux pratiques d’anatomie dans un contexte d’enseignement à distance (suite)

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Les avantages, les désavantages et les limites

Une scénarisation pédagogique en accord avec les objectifs d’apprentissage visés

La construction du dispositif d’enseignement à distance respecte le modèle de triple concordance assurant l’alignement entre les objectifs, la méthode et l’évaluation de l’apprentissage (Leclercq, 2008). Les acquis d’apprentissage avaient été préalablement définis grâce aux outils de la taxonomie de Bloom adaptés à l’anatomie (Thompson et O’Loughlin, 2015) et à l’histologie (Zaidi et al., 2017) afin de catégoriser les savoirs et les savoir-faire développés tels que la restitution factuelle, l’observation et la description, le développement des aptitudes visiospatiales, l’intégration de notions micro/macroscopiques, la construction d’un raisonnement diagnostique à partir d’observations histologiques ou anatomiques et l’établissement de liens entre l’aspect histologique d’un élément et sa fonction. Le dispositif proposé à distance remplit la quasi-totalité des objectifs visés. Seule l’acquisition des gestes techniques chirurgicaux de base par la réalisation de dissections n’a pu être atteinte.

Une méthode d’évaluation adaptée à la distanciation

La distanciation des enseignements a naturellement conduit à la correspondance des modalités de l’épreuve certificative avec les nouvelles modalités d’enseignement. Pour les TP d’anatomie, un dispositif d’évaluation portant sur des ressources d’imagerie médicale similaires à celles travaillées en ligne a été mis en place sur la plateforme institutionnelle Blackboard depuis 2012 (Dernier et al., 2017). Il se base sur l’identification de structures anatomiques indiquées sur un premier écran par une image extraite d’un média : IRM, vidéo de dissection, pièce de prosection numérisée en 3D, coupe classique. Sur un deuxième écran, l’étudiant dispose de la totalité du média dont l’image est extraite. Il réalise un travail d’identification sur la base d’une procédure de diagnostic topographique et non d’une reconnaissance d’images mémorisées. Chaque structure possède un code d’identification utilisé pour formuler la réponse. En temps normal, ce dispositif est mis en application sur des ordinateurs sécurisés et destinés à cet usage, en salle d’informatique de la Faculté. Lors de la crise sanitaire de COVID‑19, les étudiants ont réalisé cette évaluation en ligne depuis leur domicile. L’épreuve certificative porte sur l’ensemble des compétences acquises lors des TP, qu’ils soient dispensés en ligne ou en présence, les compétences techniques liées à la dissection n’étant pas évaluées.

L’évaluation certificative des TP d’histologie a également fait l’objet d’une analyse réflexive (Pesesse et al., 2019). D’ordinaire, l’étudiant est amené à analyser des images histologiques inédites, projetées en amphithéâtre; il lui est demandé d’y reconnaître des structures annotées, d’organiser des critères de diagnostic par degré de pertinence et d’établir des liens entre les critères histologiques observés et des fonctions spécifiques. Trois types de questions se référant à des activités proposées dans le MOOC et dans les séances encadrées par les EM sont créés : des questions à choix large, des questions à choix multiples et des questions à réponse longue. Cette méthode d’évaluation a été transposée sur Blackboard et proposée comme évaluation à distance pendant la crise sanitaire.

Les conditions d’enseignement et d’évaluation des TP à distance influencent les performances aux examens certificatifs. Effectivement, pour les TP d’histologie, les étudiants du bloc 1 2019‑2020 (n = 176) (M = 14,64) sont significativement (p < 0,01) plus performants que ceux de 2018‑2019 (n = 232) (M = 13,12). Cette tendance est inverse pour les TP d’anatomie où les étudiants du bloc 2 2018‑2019 (n = 190) (M = 13,24) sont significativement (p = 0,01) plus performants que ceux de 2019‑2020 (n = 127) (M = 12,15). Ces résultats ont été obtenus par test de Student (logiciel R 4.0.2). Cette variabilité fera l’objet d’une étude ultérieure qui mettra en perspective la perception des étudiants et l’adéquation de l’alignement pédagogique.

L’étudiant-moniteur comme partenaire de l’enseignement à distance

Avant l’évaluation certificative à proprement parler, les différentes évaluations en ligne mises en place dans le contexte de la crise sanitaire ont fait l’objet d’une mise en situation d’examen auprès des étudiants, mais également des EM sélectionnés sur la base de leur mérite en anatomie ou en histologie et dans leur cursus médical en général. Ces derniers se sont révélés être de précieux partenaires dans l’ajustement des dispositifs d’un point de vue tant technique (navigateurs fonctionnels, optimisation de la connexion…) que pédagogique (pertinence des questions, temps de réponse…). La littérature, essentiellement anglo-saxonne, met en lumière les avantages et les défis liés à l’implication d’EM dans un dispositif pédagogique (Pasquinelli et Greenberg, 2008). Ceux-ci secondent l’équipe pédagogique, par exemple en fournissant une assistance supplémentaire et complémentaire (Weidert, 2012). Dans le contexte actuel, la présence des EM a permis de maintenir l’encadrement à distance par un accompagnement des étudiants en petits groupes et de manière plus individualisée. Le déploiement d’une pédagogie plus active et interactive a été facilité par l’utilisation de classes virtuelles.

Les EM ont accompagné les étudiants dans les TP à distance selon des interventions différentes. Pour les TP d’histologie, les EM ont jalonné de quatre moments différents les processus d’apprentissage grâce à l’utilisation de ressources pédagogiques (exercices, images…) selon un canevas établi par les enseignants. Pour les TP d’anatomie, 18 séances d’une heure chacune avaient pour objectif d’accompagner les étudiants dans la manipulation des ressources numériques proposées lors des TP en ligne afin de les préparer à leur examen (figures 1). Les actions des EM ont favorisé l’approfondissement de la compréhension de la matière. Outre cette action cognitive, une action métacognitive peut être associée au travail des EM en anatomie (Gordon et al., 2013). En effet, leur intervention alors qu’ils avaient été mis en situation d’examen a permis à l’étudiant de se situer par rapport à la tâche et d’analyser sa propre démarche de résolution ainsi que des outils d’aide à la navigation expliquant aux étudiants comment mettre en oeuvre certaines fonctionnalités pour exploiter au mieux les ressources pédagogiques.

L’accès aux séances animées par les EM est également différent pour les deux TP. Pour les TP d’histologie, il prend un caractère obligatoire. La présence aux classes virtuelles est contrôlée. Pour les TP d’anatomie, les étudiants ont pu choisir « à la carte » parmi les séances organisées, répondant ainsi à un besoin à un moment critique de leur apprentissage. Notons également que les plateformes de classes virtuelles étaient différentes (zoom.us ou Collaborate). À terme, ces variables devront être analysées selon les principes du tutorat à distance afin d’en évaluer l’influence en matière d’efficacité (de Lièvre et Depover, 1999).

Les conditions d’enseignement et d’apprentissage sont améliorées par le statut particulier des EM. Leur proximité en âge avec les étudiants qu’ils encadrent est en effet rapportée comme étant un facteur facilitateur de leur intervention (Chapin et al., 2014). Choisis parmi les anciens étudiants qui ont réussi l’examen sanctionnant ce même cours et ont encore fraîchement en tête les difficultés qu’ils ont eux-mêmes rencontrées dans leurs études, ils prodiguent une vision sur la matière proche de celle de leurs pairs (Gordon et al., 2013). Leur position leur permet aussi d’être considérés par les étudiants comme non surplombants et dès lors accessibles (Groom, 2006; Roderick, 2009). Issus de la génération Z, les EM et les étudiants partagent les mêmes codes du point de vue tant des pratiques numériques que du niveau d’adaptabilité. Ils n’ont pas été réticents au changement, cette génération étant la première à embrasser les nouveaux paradigmes et possibilités (Helsper et Enyon, 2013). Par exemple, les EM en anatomie étaient libres de prévoir leur séance virtuelle à des moments qui leur convenaient. Force est de constater que les séances qui ont rassemblé le plus grand nombre d’étudiants étaient celles qui étaient organisées avant 8 h ou après 21 h.

Dandavino et al. (2007) rapportent des gains concernant l’acquisition de compétences pédagogiques pour les EM eux-mêmes, et cela à trois niveaux. Premièrement, les EM sont des futurs internes et des membres potentiels du corps professoral qui auront des responsabilités pédagogiques à remplir. Ensuite, avec une meilleure compréhension des principes pédagogiques, ils peuvent devenir eux-mêmes de meilleurs apprenants. Et finalement, les compétences pédagogiques acquises leur permettraient de devenir des communicateurs plus efficaces en matière de transmission d’informations, aspect essentiel de l’interaction médecin‑patient.

L’équipe pédagogique analysera également les enregistrements des sessions virtuelles afin de percevoir la posture et les stratégies développées par les EM pour appréhender l’apprentissage spécifique des concepts morphologiques. Cette perspective s’inscrit dans une démarche d’analyse du dispositif amorcée avant la pandémie sur la base d’un audit externe et de travaux en groupes de discussion ayant pour objectif une régulation des outils didactiques proposés, de l’encadrement pédagogique des EM et des aspects motivationnels.

Conclusion

La distanciation des enseignements nous a conduits à faire évoluer nos pratiques de manière urgente au regard du confinement. Il est important d’adopter une posture réflexive par rapport à ces évolutions. Correspondent-elles véritablement à des innovations, c’est-à-dire à des changements voulus en vue d’une amélioration? Sont-elles à conserver lors de la reprise partielle ou totale de l’enseignement sur le campus? Pour répondre à ces questions, une analyse objective des changements observés et de leurs valeurs ajoutées sera réalisée en y intégrant notamment le point de vue des étudiants. Entwistle et Peterson (2004) proposent d’analyser leurs interactions avec les environnements numériques offerts. Cette démarche sera également adoptée auprès des EM.

En conclusion, la crise sanitaire a imposé en la rendant nécessaire la transition vers l’enseignement à distance. Si nous n’avons pas tous été égaux par rapport à l’automatisation et à la dématérialisation de nos enseignements, nos dispositifs majoritairement en adéquation avec l’enseignement à distance ont facilité ce changement. Notons par exemple que notre établissement a fait le choix de rentabiliser la conception de MOOC au sein des programmes universitaires (Defaweux et al., 2019). Finalement, le recours à une équipe d’EM et l’adaptation des modalités d’évaluation ont permis de compenser l’encadrement des activités préalablement organisées en présence et de maintenir une cohérence pédagogique des dispositifs d’enseignement.