Corps de l’article

Introduction

Le 13 mars 2020, le gouvernement du Québec procédait à la fermeture de tous les établissements d’enseignement au Québec (Fédération des syndicats de l’enseignement, 2020). Dans le contexte de la pandémie de COVID‑19, tous les niveaux d’enseignement ont dû s’adapter rapidement afin de terminer l’année en cours. En attente de mesures gouvernementales, certaines universités ont pris la décision en mai 2020 d’offrir la majorité de leurs cours de la session d’automne à distance (Morasse, 2020). Cette décision engendre une transition pédagogique importante afin d’offrir l’ensemble des cours à distance.

La psychoéducation est un domaine de relation d’aide dont la formation universitaire est professionnalisante. Selon Wittorski (2007), la formation professionnalisante vise des apprentissages de l’ordre des savoirs théoriques et scientifiques ainsi que des savoirs professionnels. Le développement de savoirs professionnels doit s’appuyer sur l’utilisation d’une multitude de stratégies/approches pédagogiques permettant le développement des compétences par des modalités de mise en action qui comprennent entre autres des mises en situation ainsi que des moments d’analyse de pratique (Wittorski, 2012). L’apprentissage expérientiel vise à faire vivre à l’étudiant des activités qui s’approchent le plus possible des connaissances à acquérir et des habiletés à développer (Legendre, 2005). Dans le cadre d’une formation professionnalisante, cette approche contribue au développement des savoirs professionnels.

Cet article présente tout d’abord l’apprentissage expérientiel et la pertinence de cette approche pour la formation en relation d’aide telle que la psychoéducation. Ensuite, une des modalités d’apprentissage expérientiel développées dans le cadre d’un cours en psychoéducation avant la venue de la pandémie de COVID‑19 est présentée. Les avantages, désavantages et défis associés à cette méthode sont brièvement abordés. Finalement, les défis associés à l’enseignement à distance en contexte de pandémie et la modalité désignée pour permettre de continuer à valoriser l’apprentissage expérientiel dans la formation initiale sont explorés.

L’apprentissage expérientiel

Selon Kolb (1984), l’apprentissage expérientiel est « le processus par lequel les connaissances sont créées grâce à la transformation de l’expérience » (p. 155). Son modèle met l’accent sur l’importance de vivre une expérience concrète et de réfléchir à cette expérience dans le but de faire ressortir les concepts/savoirs qui pourront être réinvestis dans les expériences futures similaires. L’apprentissage expérientiel est donc un modèle d’apprentissage préconisant la participation à des activités ou expériences, qui se déroulent soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la classe, permettant l’application des connaissances théoriques à des situations authentiques (Education Development Centre, 2020). À l’intérieur de la classe, différentes activités permettent un apprentissage expérientiel, comme les jeux de rôle, les études de cas, les simulations et plusieurs autres. À l’extérieur de la classe, les stages et les expériences pratiques comprenant entre autres des services à la communauté sont des exemples d’activités qui permettent un apprentissage expérientiel.

Ces activités permettent de développer une meilleure compréhension des concepts du cours et de saisir leur pertinence pour la pratique professionnelle future des étudiants (Slavich et Zimbardo, 2012). Un apprentissage expérientiel, qui permet le développement des savoirs professionnels, serait d’autant plus important dans les professions de relation d’aide puisqu’il offre à l’apprenant des possibilités d’analyser et de réfléchir sur ses actions (Barnett et al., 1987), favorisant ainsi la formation de praticiens réflexifs (Papell, 1996).

L’apprentissage expérientiel avant le contexte de pandémie

Le cours Conception et évaluation d’activités et de programmes d’intervention psychoéducatifs est offert en formation initiale en psychoéducation. Il vise le développement de plusieurs compétences liées à l’exercice de la profession de psychoéducatrice ou psychoéducateur soit : être capable de concevoir et planifier une intervention en psychoéducation, être capable de mettre en oeuvre une intervention et d’en assurer le suivi, et être capable de contribuer à l’organisation des services (Ordre des psychoéducateurs et des psychoéducatrices du Québec [OPPQ], 2018). Afin d’offrir aux étudiants une expérience concrète qui vise le développement de chacune des compétences visées, des partenariats ont été développés avec différents milieux pour permettre ainsi un apprentissage expérientiel à l’extérieur de la classe. Les prochains paragraphes abordent cette expérience concrète dans la communauté ainsi que les bénéfices et les désavantages de cette approche.

L’expérience proposée aux étudiants est de concevoir, planifier, mettre en oeuvre et évaluer une activité psychoéducative auprès d’un groupe. Dans le cadre de cette activité, des équipes de 3 à 4 étudiants ont la possibilité de vivre cette expérience auprès d’une clientèle du milieu communautaire comme des groupes de scouts, des groupes parents-enfants ou des organismes offrant des services aux enfants ayant des déficiences multiples. Plusieurs étapes sont nécessaires à la réalisation de cette activité. Les étudiants doivent communiquer avec la personne-ressource afin de définir qui sont les participants (âge, sexe, présence de problématiques particulières à prendre en considération, etc.), la mission et les besoins de l’organisme. À la suite de cette cueillette d’information (analyse des besoins), les étudiants sont en mesure de concevoir une activité psychoéducative. La conception/planification de cette activité est le premier travail qu’ils ont à effectuer. L’enseignant communique avec les équipes s’il est jugé que l’activité prévue n’est pas appropriée pour l’âge ou les besoins des participants. Considérant que certains étudiants n’ont que peu ou pas d’expérience sur le terrain, cette étape est primordiale pour faire vivre une belle expérience aux étudiants. Après l’animation de l’activité psychoéducative, les étudiants doivent faire une évaluation de l’implantation (par ex. les écarts entre la conception/planification et l’expérience vécue), des auto-observations de leurs attitudes dans la relation avec les autres ainsi que l’évaluation de l’atteinte des objectifs (2e travail). Nous croyons que cette activité est de qualité puisqu’elle contient les huit éléments clés (voir tableau 1) qui contribuent à la réussite d’une expérience (Mandeville, 2004).

Les apprenants rapportent que cette expérience est stimulante et leur donne l’impression de s’approcher un peu plus du travail du psychoéducateur. Selon certaines observations, le fait de travailler en équipe permet aux étudiants plus timides d’avoir le soutien de leurs pairs et de prendre un rôle dans lequel ils sont à l’aise. Nous avons observé, tout comme d’autres l’ont rapporté (par ex. Law et al., 2018), que la réaction initiale de certains étudiants lorsqu’ils apprennent la tâche qu’ils auront à accomplir peut être empreinte d’anxiété et d’appréhension. Ces réactions mènent à deux types de réactions des étudiants : une surimplication ou de l’évitement. Ces réactions sont rapidement observées dans les contacts auprès des personnes-ressources par des appels nombreux et insistants ou l’absence d’appel. L’enseignant doit prendre suffisamment de temps pour rassurer les étudiants et clarifier les attentes à chacune des étapes.

Tableau 1

Les éléments clés nécessaires à un apprentissage expérientiel significatif. D’après Mandeville (2004 p. 37-47)

Les éléments clés nécessaires à un apprentissage expérientiel significatif. D’après Mandeville (2004 p. 37-47)

-> Voir la liste des tableaux

Cette activité permet à l’enseignant d’avoir un rôle de soutien aux équipes tout au long de la conception des activités. Les partenaires jouent un rôle conjoint avec l’enseignant puisqu’ils offrent un soutien lors de la mise en oeuvre de l’activité. Le développement de savoirs professionnels doit être soutenu à la fois par l’université et les intervenants du terrain (Ambrose et al., 2010) et nous arrivons à maintenir ceci par les échanges réguliers avec les partenaires. L’établissement de partenariats avec différents organismes peut être un défi pour la réalisation de cette activité. L’apprentissage dans un milieu de pratique serait l’une des approches les moins souvent utilisées, et ce, en partie puisqu’elle requiert beaucoup de temps pour la conception de l’activité et la création de partenariats avec les organismes (Wurdinger et Allison, 2017). Dans le cadre de ce cours, les partenariats ont été développés sur quelques années et sont maintenant bien établis.

L’apprentissage expérientiel à distance

Le contexte de la pandémie de COVID‑19 implique une transition pédagogique vers l’enseignement à distance. Il nous amène à réfléchir à des modalités pour maintenir la place prépondérante de l’apprentissage expérientiel dans l’enseignement à distance des savoirs professionnels en formation initiale en psychoéducation. Bien que la formation pour les professions de relation d’aide soit généralement en face à face puisqu’elle vise à engager les étudiants dans la relation avec les autres, les besoins des apprenants amènent les universités à utiliser de plus en plus la formation à distance (Rehfuss et al., 2015; Wasik et al., 2019). Malgré une plus grande utilisation de la formation à distance, la sélection des outils ou des modalités appropriés pour développer les savoirs professionnels reste un défi constant pour les enseignants (Fominykh et al., 2018). Parmi les différentes modalités, la vidéoconférence est utilisée en enseignement en distance puisqu’elle permet de créer des interactions entre les participants en temps réel (Barton et al., 2016). Les prochains paragraphes abordent un projet d’apprentissage expérientiel à distance qui utilisera la vidéoconférence et sera mis en oeuvre à l’automne 2020. Plus précisément seront présentés les avantages et les défis associés à cette modalité pour le développement des compétences en psychoéducation.

La vidéoconférence dans le développement des compétences en psychoéducation

Afin d’offrir aux étudiants une occasion d’apprentissage concrète découlant d’une expérience pratique sur le terrain, nous privilégierons l’utilisation de la vidéoconférence dans le but d’offrir des activités virtuelles. La vidéoconférence est une modalité déjà utilisée en relation d’aide, à la fois pour des rencontres individuelles et de groupes, puisqu’elle permet des résultats similaires à l’intervention en face à face auprès de diverses clientèles (Backhaus et al., 2012). Cette modalité a aussi été utilisée, telle qu’elle le sera dans le cadre de ce projet, dans l’enseignement à distance de savoirs professionnels afin d’offrir des possibilités d’apprentissage expérientiel (par ex. Law et al., 2018). Elle permettra donc aux étudiants en psychoéducation de vivre une expérience pratique à distance dont le but est de concevoir, planifier, mettre en oeuvre et évaluer une activité psychoéducative.

Afin d’offrir cette activité aux étudiants, quelques aspects techniques sont à prendre en considération. Tout d’abord, nous devrons choisir des partenaires qui permettront d’offrir des services par vidéoconférence. Certains organismes, comme plusieurs groupes de scouts, ont continué d’offrir des services par vidéoconférence pendant la pandémie. Cette étape prendra davantage de temps que par le passé puisque nous savons déjà que plusieurs organismes ayant des clientèles plus vulnérables ou de jeunes enfants n’offriront pas cette possibilité. De plus, nous informerons les étudiants des recommandations de l’ordre professionnel quant à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC). En période de pandémie, l’OPPQ a produit un ensemble de fiches d’information pour soutenir ses membres quant à l’intervention à distance. Plus spécifiquement, l’OPPQ (2020) a produit une fiche sur la préparation de l’intervention à distance, un thème en lien avec les objectifs du cours. Des éléments importants s’y retrouvent, comme avoir les connaissances et compétences nécessaires à l’utilisation de l’outil choisi (voir figure 1).

Figure 1

Obligations du psychoéducateur dans l’intervention à distance

Obligations du psychoéducateur dans l’intervention à distance
Tous droits réservés. Source : Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec (2020, p. 2)

-> Voir la liste des figures

Bien qu’une activité à distance par l’entremise de la vidéoconférence diffère de l’activité en présence par l’absence de proximité avec la clientèle, elle représente tout de même un défi stimulant pour l’apprenant. L’étudiant aura une expérience concrète auprès d’une clientèle du milieu communautaire pour laquelle il devra s’investir pleinement, sera responsable de sa démarche et pourra vivre une réussite personnelle. Il bénéficiera du même soutien que par le passé. Les travaux permettront l’autoréflexion et l’actualisation de la personne. Les éléments clés nécessaires à un apprentissage expérientiel significatif seront donc encore présents.

Certains défis, certes, rendront cet exercice plus complexe, ce qui pourra générer un stress supplémentaire pour certains étudiants. Tout d’abord, le langage non verbal est plus difficile à voir en vidéoconférence. Lors de l’utilisation de la vidéoconférence par Law et al. (2018), la difficulté à lire le langage non verbal des participants a donné lieu à des moments de malaise lors des échanges. Nous demanderons aux étudiants de questionner régulièrement les participants afin de s’assurer du bon déroulement. De plus, nous solliciterons le soutien des personnes-ressources lors de l’animation afin de nommer ou informer les étudiants de situations problématiques s’il y a lieu. Également, l’utilisation de la vidéoconférence amène une part de rigidité dont il faut tenir compte dans son animation (Hébert, 2020). Les étudiants devront être soutenus dans la conception et la planification de l’animation afin de prendre en considération cette rigidité en s’assurant, par exemple, de nommer les règles de fonctionnement en début de rencontre. L’animateur peut, par exemple, déterminer un moyen de prendre la parole, comme en cliquant sur « lever la main ». Bien que l’utilisation de ce moyen puisse contribuer à la bonne marche de l’activité, une part de spontanéité se perd à travers les échanges. Enfin, la vidéoconférence est exigeante en énergie et en concentration pour les participants (Hébert, 2020). Plutôt que d’avoir des attentes uniformes quant à la durée des activités virtuelles, cette dernière sera déterminée avec chaque équipe d’étudiants en fonction de l’âge des participants et des besoins. Bien que cette activité soit similaire à l’activité en présence, l’élément clé de la continuité transactionnelle de Mandeville (2004) sera vécu différemment autant dans la possibilité pour l’étudiant d’utiliser des expériences passées en intervention à distance que dans la façon dont cette expérience influencera celles qui suivront. Il est difficile, par exemple, de savoir si l’étudiant sera exposé à des interventions à distance par l’entremise de la vidéoconférence dans ses expériences futures. Il sera important d’aborder cette dimension avec les étudiants afin de s’assurer de maintenir leur engagement et leur motivation dans la réalisation de l’activité.

Pour l’enseignant, la mise en place des activités à distance représente un nouveau défi. Des changements dans les pratiques de l’enseignant seront nécessaires afin de permettre une relation d’assistance significative. L’enseignant devra accompagner les étudiants dans la conception des activités tout en considérant les défis et limites de la vidéoconférence, c’est-à-dire la difficulté à lire le non verbal, la rigidité ainsi que l’énergie et la concentration nécessaires pour l’utilisation de cette technologie. Un accompagnement sera aussi fourni aux étudiants quant aux connaissances et compétences pour l’utilisation de la vidéoconférence. Cette transition à distance nécessitera donc beaucoup de temps pour offrir de l’accompagnement aux étudiants et aux personnes-ressources dans la réalisation de cette activité.

Conclusion

Le contexte de la pandémie de COVID‑19 a engendré une transition pédagogique importante dans plusieurs universités québécoises alors que les cours de l’automne 2020 devront être offerts à distance. Dans le but de maintenir l’apprentissage expérientiel offert dans la formation initiale en psychoéducation, la vidéoconférence a été désignée comme étant une modalité pertinente. Par l’entremise de la vidéoconférence, les étudiants auront la possibilité de vivre une expérience concrète auprès d’une clientèle du milieu communautaire. Malgré l’absence de proximité physique avec la clientèle et le fait que certains défis seront à prévoir par l’utilisation de cette technologie à la fois pour les apprenants et les enseignants, les avantages de maintenir cette activité à distance quant au développement des savoirs professionnels semblent supérieurs. En conclusion, force est de constater que même si la vidéoconférence existe depuis de nombreuses années, le contexte de la pandémie de COVID‑19 a permis de mettre de l’avant la pertinence de cette technologie pour l’enseignement à distance et plus spécifiquement pour le développement des savoirs professionnels par l’entremise d’expériences concrètes permettant un apprentissage expérientiel.