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Introduction

La pandémie de COVID-19 a provoqué plusieurs perturbations dans le monde de l’éducation (Villiot-Leclercq, 2020). Au printemps 2020, les mesures sanitaires mises de l’avant par les gouvernements ont provoqué un passage précipité vers la formation en ligne pour une forte majorité d’apprenants à travers le monde (UNESCO, 2020). Au Québec, bien que les élèves du primaire et du secondaire aient pu retourner en classe dès l’automne 2020, la formation de la plupart des étudiants universitaires s’est poursuivie presque exclusivement en ligne, particulièrement pour ceux inscrits dans un programme de formation initiale à l’enseignement au primaire ou au secondaire. En conséquence, ces étudiants n’ont eu que très peu de contacts en présence, voire aucun, avec leurs pairs et leurs enseignants (chargés de cours et professeurs) au cours des trimestres d’automne 2020 et d’hiver 2021. L’impact de ce type de formation, nouveau, imprévu et non sollicité pendant une période de crise sanitaire sur le vécu des étudiants est encore mal connu, particulièrement en ce qui concerne leur motivation, l’engagement dans les études et la satisfaction de leurs besoins psychologiques. Le but de la présente étude était de mieux documenter ces aspects en demandant à un échantillon d’étudiants poursuivant un programme de formation initiale à l’enseignement de se prononcer à ce sujet en comparant la formation en ligne reçue au cours de cette période à l’habituelle formation dispensée en présence.

La motivation à apprendre

Il est depuis longtemps reconnu que l’apprentissage n’est pas un processus uniquement de nature cognitive; il dépend aussi de ce qu’il est convenu d’appeler la motivation à apprendre (Bandura, 2012; Escudier et Debas, 2020). Ainsi, la motivation peut influencer la manière dont l’étudiant aborde sa formation en général, la quantité de temps qu’il y consacre, la qualité de son travail de même que sa performance (Usher et Kober, 2012).

Selon l’approche « attentes-valeur », le niveau de motivation peut être prédit par deux facteurs principaux : les attentes de succès à l’endroit de la formation ainsi que la valeur intrinsèque et extrinsèque qui lui est accordée (Kumar et Jagacinski, 2011; Schunk et al., 2013; Wigfield et al., 2015). La composante « attentes de succès » correspond aux anticipations de réussite à l’endroit des cours et des tâches qu’ils comportent. De son côté, la composante « valeur » renvoie aux motifs qui poussent l’étudiant à s’engager dans les études. Elle comprend la valeur intrinsèque, c’est-à-dire l’intérêt envers les différents aspects de la formation et le plaisir ressenti en situation d’apprentissage, et la valeur extrinsèque, plus utilitaire, qui réfère à la correspondance établie entre la formation et les buts personnels (Wigfield et al., 2006). Ainsi, l’étudiant qui entretient des attentes positives de succès et qui accorde beaucoup de valeur à sa formation sera plus enclin à s’y engager activement. À l’inverse, celui qui entretient des attentes de succès moins grandes ou qui accorde moins de valeur à sa formation sera plus enclin à adopter des comportements de retrait et d’évitement (Wigfield et al., 2015).Les attentes de succès et la valeur accordée à la formation sont influencées, entre autres, par les pratiques pédagogiques des enseignants et les caractéristiques du contexte de formation (Bandura, 2012; Wigfield et al., 2015) de même que par la nature des interactions sociales avec les enseignants et les autres étudiants (Wentzel et Brophy, 2014).

L’engagement dans les études

La motivation pousse la personne à s’engager dans des comportements et des cognitions délibérés. Elle détermine la direction et l’intensité de l’engagement et celui-ci peut être considéré comme une manifestation de la motivation (Reeve et Lee, 2014; Wigfield et al., 2015).

Les auteurs distinguent généralement trois formes d’engagement : l’engagement comportemental, l’engagement cognitif et l’engagement affectif (Fredricks et al., 2004). L’engagement comportemental fait référence à la participation aux activités de formation ainsi qu’aux activités sociales et extracurriculaires associées. Il comprend aussi l’assiduité, la ponctualité, le respect des consignes et la civilité (Finn et Zimmer, 2012).

L’engagement cognitif comprend pour sa part deux formes particulières : l’investissement psychologique et l’autorégulation. L’investissement psychologique réfère à la concentration et à l’attention lors de la réalisation d’une tâche (Ramdass et Zimmerman, 2011). Quant à l’autorégulation, elle fait référence aux mécanismes d’autocontrôle. Elle englobe des processus cognitifs comme la planification des tâches, la gestion de leur réalisation ainsi que la révision et la vérification du travail accompli (Schunk et Greene, 2018).

Finalement, l’engagement affectif fait référence aux réactions émotives, ce qui inclut l’ennui, la joie, la tristesse et l’anxiété (Fredricks et al., 2004) ainsi que les sentiments à l’endroit du lieu de formation, des enseignants et des autres étudiants (Stipek, 2002). Le concept d’engagement affectif recoupe largement ceux de valeur intrinsèque et extrinsèque ainsi que le besoin d’affiliation.

Les besoins psychologiques de base

Le modèle « attentes-valeur » explique la direction et l’intensité de l’engagement des apprenants. Il n’explique pas, toutefois, pourquoi il en est ainsi (Wigfield et al., 2015). Selon plusieurs chercheurs, les comportements en situation d’apprentissage seraient déclenchés prioritairement par la recherche de la satisfaction de certains besoins psychologiques (Baard et al., 2004; Deci et Ryan, 2012; Reeve, 2012). Particulièrement, les besoins d’accomplissement et d’affiliation seraient parmi les plus déterminants (Deci et Ryan, 2012).

Le besoin d’accomplissement fait référence à la nécessité de se sentir capable de réussir ce que l’on entreprend et de relever avec succès des défis personnels. Tout apprenant éprouve le besoin de connaître des réussites dans son milieu de formation et de maintenir ainsi une estime de soi positive (Wigfield et al., 2015). S’il éprouve plutôt un sentiment de non-accomplissement ou d’incompétence, il aura tendance à déprécier sa formation et à s’engager dans d’autres sphères d’activités afin de se valoriser et de maintenir son équilibre psychologique. Le besoin d’affiliation correspond pour sa part à l’établissement de relations chaleureuses avec ses enseignants et les autres apprenants ainsi qu’au fait d’être accepté et reconnu par eux (Deci et Ryan, 2012).

La formation en ligne

Selon plusieurs sources documentaires, la formation en ligne, parce qu’elle limite les interactions avec les pairs et les contacts avec les membres du corps enseignant, contribuerait à diminuer la qualité du vécu des étudiants, et ce, particulièrement lors de l’entrée en formation (Conseil supérieur de l’éducation, 2015; Lafortune, 2018; Loisier, 2010). D’autres font valoir que la qualité des interactions sociales est moins grande dans un contexte de formation en ligne. Par exemple, le langage corporel et les expressions faciales seraient moins visibles sur un écran, ce qui peut conduire à une mauvaise interprétation des propos et des intentions des participants (Wang et al., 2013).

Pour d’autres auteurs toutefois, les cours en ligne, lorsqu’ils sont offerts en mode synchrone, ne limiteraient pas les interactions sociales des étudiants (Turcotte et al., 2020). Deschênes et al. (2004) ajoutent que le rôle des interactions avec autrui dépasserait le partage d’un même espace physique. En milieu universitaire, ce rôle consisterait surtout à combler les besoins des étudiants lorsqu’ils ont besoin d’aide ou d’un accès à des ressources. La formation en ligne présenterait même certains avantages au regard de la dynamique de groupe. Ce serait le cas, par exemple, des étudiants plus introvertis qui participent peu en présentiel mais qui interviennent davantage lors des formations en ligne (Turcotte et al., 2020).

Outre l’aspect relationnel, d’autres facteurs liés à la formation en ligne ont attiré l’attention parce qu’ils semblent agir sur la motivation et l’engagement des étudiants. Ainsi, les médias font fréquemment état des difficultés des apprenants liées à la concentration, à l’isolement et à l’organisation dans un tel contexte de formation (Martin et al., 2021). Par ailleurs, une revue de presse sur la santé mentale liée à la COVID-19 rapporte une diminution de la motivation et de l’engagement dans les études en contexte de formation en ligne (Talbot et Lessard, 2020). Le manque de motivation, particulièrement, constituerait l’un des principaux facteurs d’abandon des études supérieures poursuivies en ligne (Park et Choi, 2009). À cet effet, le taux d’abandon des études poursuivies en ligne oscille habituellement entre 26,9 % et 43,2 %, alors qu’en présentiel, il se situe autour de 20 % (Daigneault, 2018; Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal, 2017). De même, les recherches sur les problèmes reliés à l’autonomie (Cosnefroy, 2012), à l’autorégulation (Jézégou, 2010), aux attentes de succès (Poellhuber, 2007) et à la collaboration interpersonnelle (Curtis et Lawson, 2001) en contexte de formation en ligne pointent toutes elles aussi vers des difficultés reliées à la motivation des apprenants. L’une des causes de ces difficultés résiderait dans les inégalités inhérentes à l’équipement et aux compétences technologiques des étudiants pour apprendre dans un tel environnement (Yagoubi, 2020). Les étudiants moins « technoperformants » pourraient donc se décourager et éprouver un sentiment de frustration dans un contexte de formation en ligne (Deschênes et al., 2004).

La présente étude

Bien que la poursuite des études dépende d’une foule de facteurs, les attentes de succès, la valeur accordée à la formation et la satisfaction des besoins psychologiques de base représentent des éléments particulièrement déterminants en ce qui concerne l’engagement, la persévérance et la qualité du vécu des étudiants (Wigfield et al., 2015). Il convient en conséquence de se questionner sur les effets des dispositifs de formation en ligne développés rapidement dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et de se demander à quel point ces dispositifs ont permis aux étudiants de poursuivre leurs études de manière optimale. Cela est d’autant plus important lorsque la formation se déroule habituellement en présentiel sans presque aucun apport de la formation en ligne, ce qui est généralement le cas en formation initiale à l’enseignement.

Au regard de la problématique décrite ci-devant, l’objectif de la présente étude était de documenter les niveaux de motivation, d’engagement et de satisfaction des besoins psychologiques des étudiants poursuivant un programme de formation initiale à l’enseignement relativement à la formation dispensée en ligne lors des premières vagues de COVID-19 comparativement à l’habituelle formation donnée en présence.

Méthodologie

Afin d’atteindre cet objectif, différentes variables reliées à la motivation, à l’engagement ou à la satisfaction des besoins psychologiques ont fait l’objet d’un questionnaire à items autorévélés permettant aux participants d’exprimer leurs perceptions selon le contexte de formation, en présentiel ou en ligne. D’autres données, de nature plus qualitative, portant sur l’appréciation des cours en ligne ont aussi été recueillies afin de compléter nos informations.

Participants

À la fin du trimestre d’hiver 2021, l’ensemble des étudiants en formation initiale à l’enseignement d’une université francophone de Montréal (Canada) (N = 2529) ont été invités par courriel à remplir un questionnaire portant sur leur motivation, leur engagement et la satisfaction de leurs besoins psychologiques. Ces étudiants étaient tous inscrits dans l’un ou l’autre des neuf programmes de formation initiale à l’enseignement de leur université. Ces programmes préparent à l’enseignement au préscolaire et au primaire, en adaptation scolaire, en éducation physique et santé ou à l’enseignement du français, langue seconde, ainsi qu’à l’enseignement au secondaire : éthique et culture religieuse, mathématiques, univers social ou français. Tous ces programmes confèrent un baccalauréat de premier cycle universitaire, ont une durée de quatre années et mènent à l’obtention d’un brevet gouvernemental permettant d’enseigner soit au préscolaire et au primaire, soit au secondaire. En temps normal, toutes les activités de formation ont lieu en présentiel, en salle de cours à l’Université, sauf les 700 heures de stage qui, elles, ont lieu en milieu scolaire. Le courriel d’invitation qui a été adressé aux étudiants contenait un lien leur donnant accès au questionnaire déposé sur la plateforme LimeSurvey, un logiciel libre qui permet de créer des questionnaires en ligne. Les participants avaient un mois pour remplir le questionnaire en ligne et un courriel de relance a été envoyé à la mi-temps. Au terme de cette opération, 272 étudiants avaient rempli le questionnaire, ce qui représente un peu plus de 9 % des étudiants sollicités.

Instruments de mesure

Dans la première partie du questionnaire en ligne, les participants avaient à se prononcer à chacun des items sur les deux contextes de formation, en ligne et en présentiel, à l’aide d’une double échelle de type Likert à quatre entrées allant de 1 (fortement en désaccord) à 4 (fortement en accord). Dans la seconde partie, toujours à partir de la plateforme LimeSurvey, les participants devaient répondre à deux questions ouvertes portant sur leur appréciation des cours en ligne.

Motivation, engagement et satisfaction des besoins psychologiques

La première partie du questionnaire était composée de 33 items, adaptés du Motivated strategies for learning questionnaire (Pintrich et al., 1991) et du French expectancy-value questionnaire in physical education (Roure et Lentillon-Kaestner, 2018).

De ces 33 items, 12 ont servi à mesurer la motivation à apprendre : attentes de succès (4 items, exemple : « Habituellement, dans l’ensemble de mes cours, je pense que je peux très bien réussir », α = 0,82), valeur intrinsèque (4 items : « Habituellement, dans l’ensemble de mes cours, j’apprends beaucoup de choses intéressantes », α = 0,81) et valeur extrinsèque (4 items : « Habituellement, dans l’ensemble de mes cours, je pense que ce que j’apprends me sera utile dans ma vie professionnelle », α = 0,87). Douze autres items ont permis de mesurer l’engagement des participants dans leurs cours : engagement comportemental (7 items : « Habituellement, dans l’ensemble de mes cours, je participe activement aux travaux réalisés en équipe », α = 0,75) et engagement cognitif (5 items : « Habituellement, dans l’ensemble de mes cours, je planifie soigneusement le travail que j’ai à faire », α = 0,80). L’engagement affectif n’a pas été évalué parce que ce construit est très proche de ceux de valeur intrinsèque et d’affiliation qui, eux, ont été mesurés. Les neuf items suivants portaient sur la satisfaction des besoins psychologiques : besoins d’accomplissement (4 items : « Habituellement, dans l’ensemble de mes cours, je suis fier de ce que j’accomplis », α = 0,77) et besoin d’affiliation (5 items : « Habituellement, dans l’ensemble de mes cours, je trouve que les étudiants s’aident beaucoup entre eux », α = 0,78).

Appréciation de la formation en ligne

L’appréciation de la formation en ligne a été mesurée à l’aide de deux questions ouvertes portant sur les aspects positifs et négatifs des cours en ligne : « Qu’est-ce que vous avez aimé le plus des cours en ligne? » et « Qu’est-ce que vous avez le moins aimé des cours en ligne? ».

Traitement des données

Les données recueillies ont été analysées en fonction de leur nature particulière. Les données quantitatives relatives à la motivation, à l’engagement et à la satisfaction des besoins ont fait l’objet d’analyses statistiques inférentielles alors que les données qualitatives associées à l’appréciation de la formation en ligne ont été traitées par une analyse thématique. Le traitement de ces deux types de données est précisé dans les paragraphes qui suivent.

Motivation, engagement et satisfaction des besoins psychologiques

Les données quantitatives relatives à la motivation, à l’engagement et à la satisfaction des besoins psychologiques ont été numérisées et analysées à l’aide du logiciel IBM SPSS Statistics (version 27). Elles ont ensuite fait l’objet d’analyses quantitatives afin de déceler les éventuelles différences entre la formation en ligne et en présentiel. Trois séries d’analyses de variance ont été réalisées, une pour chacun des groupes de variables : motivation à apprendre (attentes de succès, valeur intrinsèque, valeur extrinsèque), engagement (engagement comportemental, engagement cognitif) et satisfaction des besoins (besoin d’accomplissement, besoin d’affiliation). Pour chacune de ces trois séries, nous avons tout d’abord procédé à un test multivarié à mesures répétées (MANOVA) afin de vérifier globalement si des différences significatives existaient entre les deux types de formation. Par la suite, des analyses univariées (ANOVA) ont été menées sur chacune des variables du groupe afin de localiser les différences significatives. Finalement, nous avons calculé la taille des effets significatifs à l’aide du coefficient êta carré partiel (ηp2). Pour ce faire, les critères d’interprétation proposés par Cohen (1988) ont été retenus. Ainsi, un êta carré partiel avoisinant 0,01 est un effet de petite taille, un résultat atteignant 0,06 indique un effet de taille moyenne et un effet de 0,14 correspond à un effet de grande taille.

Appréciation de la formation en ligne

Les données qualitatives recueillies ont été traitées et analysées à l’aide du logiciel QDA Miner (version 5.0). Sur les 272 questionnaires remplis, 257 contenaient des réponses aux questions ouvertes. Une analyse thématique a permis de procéder à une réduction des données en faisant appel à des dénominations par thèmes et en les regroupant en catégories pertinentes selon la procédure suggérée par Paillé et Mucchielli (2012). Cette procédure a permis de faire ressortir des thèmes représentatifs des réponses aux questions afin de mieux comprendre comment la formation à distance a pu affecter les étudiants. Les propos rapportés ont été repérés systématiquement puis regroupés et organisés à partir d’une série de mots-clés représentatifs.

Résultats

Dans un premier temps, les analyses ont permis de dégager les résultats ci-dessous en ce qui concerne la motivation, l’engagement, la satisfaction des besoins et l’appréciation de la formation en ligne.

Motivation

L’analyse multivariée (trace de Pillai) indique un effet simple significatif du type de formation sur les variables reliées à la motivation, F(3, 268) = 12,937, < 0,001. Les résultats des tests univariés (détaillés au tableau 1) viennent préciser que les participants ont rapporté des attentes de succès significativement moins élevées dans un contexte de formation en ligne que dans un contexte de formation en présentiel. Aussi, les participants ont indiqué accorder moins de valeur intrinsèque aux contenus dispensés en ligne. La différence est de petite taille en ce qui concerne les attentes de succès mais de taille moyenne en ce qui concerne la valeur intrinsèque. Les résultats montrent cependant que les participants ont accordé approximativement la même valeur extrinsèque à leur formation, que celle-ci soit dispensée en ligne ou en présentiel.

Tableau 1

Moyenne (x̄), écart-type (σ), valeur de F, degré de signification (*) et taille d’effet (ηp2) des variables associées à la motivation selon le contexte de formation

Moyenne (x̄), écart-type (σ), valeur de F, degré de signification (*) et taille d’effet (ηp2) des variables associées à la motivation selon le contexte de formation

*p <0,05 **p <0,01 ***p <0,001

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Engagement

L’analyse multivariée (trace de Pillai) révèle un effet simple significatif du type de formation en ce qui concerne les variables reliées à l’engagement, F(2, 270) = 24,880, < 0,001. Les résultats des tests univariés (tableau 2) indiquent que les participants ont adopté un niveau d’engagement comportemental semblable dans les deux types de formation. Les résultats montrent cependant que ceux-ci ont rapporté des niveaux d’engagement cognitif significativement moins élevés dans un contexte de formation en ligne. Cette différence est de petite taille.

Tableau 2

Moyenne (x̄), écart-type (σ), valeur de F, degré de signification (*) et taille d’effet (ηp2) des variables associées à l’engagement selon le contexte de formation

Moyenne (x̄), écart-type (σ), valeur de F, degré de signification (*) et taille d’effet (ηp2) des variables associées à l’engagement selon le contexte de formation

*p <0,05 **p <0,01 ***p <0,001

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Satisfaction des besoins

L’analyse multivariée indique un effet simple significatif du type de formation sur les variables associées à la satisfaction des besoins, F (2, 269) = 21,668, < 0,001. Les résultats univariés (tableau 3) montrent que les participants sont moins bien parvenus à satisfaire leurs besoins d’accomplissement et d’affiliation dans un contexte de formation en ligne que dans un contexte de formation en présentiel. La différence entre les deux types de formation est de taille moyenne en ce qui concerne la satisfaction du besoin d’accomplissement mais de grande taille dans le cas du besoin d’affiliation.

Tableau 3

Moyenne (x̄), écart-type (σ), valeur de F, degré de signification (*) et taille d’effet (ηp2) des variables associées à la satisfaction des besoins psychologiques selon le contexte de formation

Moyenne (x̄), écart-type (σ), valeur de F, degré de signification (*) et taille d’effet (ηp2) des variables associées à la satisfaction des besoins psychologiques selon le contexte de formation

*p <0,05 **p <0,01 ***p <0,001

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Appréciation de la formation en ligne

L’analyse thématique menée sur les commentaires des participants qui ont répondu aux questions ouvertes portant sur ce que les participants ont le plus aimé (aspects positifs) et sur ce qu’ils ont le moins aimé (aspects négatifs) de la formation en ligne a permis de dégager six catégories distinctes : aspects personnels, relations avec les autres étudiants, enseignement, formules pédagogiques, organisation du temps, autres. Ces catégories regroupent 661 commentaires positifs et 548 commentaires négatifs. La plupart des catégories comprennent à la fois des commentaires positifs et des commentaires négatifs. Cela signifie que certains répondants ont émis un ou plusieurs commentaires positifs ou négatifs relevant de la même catégorie. Les résultats sont présentés par catégories, en fonction du pourcentage de répondants ayant émis des commentaires.

La catégorie « organisation du temps » est celle qui regroupe le plus de commentaires positifs. En effet, 86 % des répondants ont donné un ou plusieurs commentaires de ce type. Ceux-ci ont apprécié les temps de déplacement moindres, la gestion de l’horaire personnel plus simple, la ponctualité facilitée et la flexibilité accrue que permettent les cours en ligne. Seulement 16 % des répondants ont plutôt fait part d’un ou de plusieurs commentaires négatifs reliés à l’organisation du temps. Cela signifie que les répondants, dans l’ensemble, considèrent la plus grande facilité à gérer son temps comme un avantage majeur de la formation en ligne.

La catégorie « relations avec les autres étudiants » recueille quant à elle de nombreux commentaires négatifs, 43 % des répondants en ayant formulé un ou plusieurs relativement à cette catégorie. On mentionne l’isolement, le manque de contacts avec les pairs et les difficultés liées à la gestion des travaux d’équipe comme des aspects de la formation en ligne les moins appréciés. À peine 7 % des répondants ont plutôt formulé un ou plusieurs commentaires positifs indiquant qu’ils considèrent que ce type de formation facilite la gestion des travaux d’équipe et les contacts avec les autres étudiants. 

Plusieurs répondants ont aussi évoqué la qualité de l’enseignement parmi les aspects négatifs de la formation en ligne et se sont exprimés à ce sujet (43 % des répondants ont émis un ou des commentaires en ce sens). On souligne principalement la qualité moindre des relations avec les enseignants, les problèmes de communication, l’insatisfaction à l’endroit de l’évaluation, le manque d’organisation de certains enseignants et la brièveté de certaines séances de cours. Cela dit, une proportion moins élevée de répondants (19 % des répondants) a plutôt mentionné que la qualité de l’enseignement était un aspect positif de la formation en ligne. Ceux-ci rapportent une interaction plus facile avec leurs enseignants, une plus grande flexibilité chez ces derniers et des modes d’évaluation moins stressants.

Une grande proportion de répondants (29 %) a également mentionné comme éléments négatifs des aspects personnels reliés à la motivation, à l’engagement, à l’isolement et aux compétences technologiques alors qu’une proportion moins grande (13 %) a fait part au contraire d’appréciations positives sur ces mêmes éléments. Ainsi, plusieurs rapportent avoir été moins motivés dans le contexte de la formation en ligne, avoir eu plus de difficulté à se concentrer et avoir ressenti des effets nocifs sur leur santé et leur bien-être. D’autres ont plutôt indiqué s’être sentis moins anxieux dans les cours en ligne, avoir apprécié le fait d’encourir moins de risques pour leur santé en demeurant à la maison ou se sont considérés comme plus autonomes dans leurs études.

Dans une moindre mesure, certains participants ont donné des commentaires en ce qui concerne leur appréciation de la formation en ligne ou sur les différentes formes qu’elle peut prendre. Par exemple, certains de ces commentaires sont très généraux, tel « Je n’aime pas les cours en ligne », sans plus de détails, alors que d’autres font plutôt référence au fait de pouvoir suivre le cours au moment de son choix (cours asynchrone). Vingt-trois pour cent des participants ont formulé des commentaires positifs sur l’attrait de la formule pédagogique expérimentée alors que 26 % ont plutôt fait part de commentaires négatifs. Finalement, un peu moins de 8 % des répondants ont formulé des commentaires ne pouvant s’intégrer dans aucune des cinq autres catégories. Ces commentaires portent sur des aspects périphériques comme l’accessibilité du matériel, les services offerts sur le campus ou l’accessibilité physique des lieux. Ces commentaires, regroupés dans la catégorie « autres » sont marginaux et n’ont pas été considérés davantage.

Discussion

La présente étude a consisté à comparer les niveaux de motivation, d’engagement et de satisfaction des besoins psychologiques des étudiants dans le contexte de la formation donnée en ligne lors des premières vagues de COVID-19 et ceux de l’habituelle formation en présentiel.

En ce qui concerne la motivation à apprendre, le fait que les participants aient considéré avec moins d’optimisme leurs chances de réussite dans les cours en ligne pourrait s’expliquer en partie par une anxiété plus élevée générée par l’isolement, l’accès limité au soutien des pairs et des enseignants et, surtout, par un contexte de formation entièrement nouveau pour la plupart d’entre eux. Une étude menée auprès de 6 215 étudiants québécois du collégial (Fédération étudiante collégiale du Québec [FECQ], 2021) soutient cette explication relative aux effets de l’anxiété et de l’isolement sur les attentes de succès. Rappelons aussi que le passage à la formation en ligne a été accompagné de nombreuses autres mesures de sécurité publique venant limiter davantage les interactions sociales, affectant de nombreux aspects liés au bien-être psychologique des étudiants (FECQ, 2021; Labra et al., 2021; Roux et al., 2021). Plusieurs commentaires qualitatifs reçus au cours de la présente étude font état d’un fort sentiment de solitude et de difficulté à travailler en équipe et à se concentrer ou à faire face aux défis technologiques générés par la formation en ligne. Cela dit, un certain nombre des commentaires qualitatifs indiquent que l’aide serait plus facilement accessible dans un contexte de formation en ligne et que les travaux en équipe y sont facilités. Ces appréciations divergentes sont à considérer selon nous dans la perspective de la petite taille de la différence moyenne entre les deux types de formation quant aux attentes de succès. Possiblement que pour plusieurs participants, l’isolement et le changement brusque dans le type de formation auront contribué à diminuer grandement les attentes de succès alors que pour d’autres, moins nombreux, ces facteurs n’auront eu que peu d’effet. Dans ces conditions, il est possible que la formation en ligne ait eu un impact négatif important sur certains étudiants alors que pour d’autres, cet impact aura été négligeable et parfois même positif.

Par ailleurs, une majorité de répondants estiment que les séances de cours en ligne étaient moins intéressantes et qu’ils s’ennuyaient davantage pendant ces séances. Plusieurs ont mentionné qu’il était plus difficile de se concentrer et de maintenir son attention lors des séances de cours, que celles-ci n’étaient pas toujours ni bien préparées ni bien organisées et qu’ils ont eu plus de difficulté à se motiver dans ce contexte de formation. Peu de commentaires indiquent que les séances de cours en ligne aient été plus intéressantes. Cela dit, il faut situer ces résultats dans la perspective d’une offre de formation développée très rapidement alors que les enseignants ont été mis dans l’obligation de faire une certaine forme de formation à distance d’urgence (Laurendeau, 2020), visant avant tout le maintien des activités de formation (Hodges et al., 2020). Cela dit, il convient de souligner que si les niveaux d’intérêt rapportés par les participants sont significativement plus élevés en présentiel, ils demeurent quand même plutôt moyens.

La valeur extrinsèque accordée à la formation ne varie pas significativement quant à elle selon le contexte de formation. Les participants évaluent à peu près également la pertinence et l’utilité des contenus de formation dans l’exercice de leur futur métier d’enseignants ainsi que la contribution de ces contenus à leur développement professionnel.

Nos résultats indiquent par ailleurs que les répondants estiment que leur niveau d’engagement comportemental est semblable en contexte de formation en ligne et en formation en présentiel. Ils rapportent avoir été aussi ponctuels lors des séances de cours et dans la remise des travaux, aussi assidus dans la fréquentation des séances et aussi appliqués dans la réalisation de leurs travaux. En revanche, leur engagement cognitif a été moins grand pendant le confinement à la maison. Ils déclarent s’être moins investis sur le plan psychologique dans ce contexte, avoir été plus facilement distraits lors des séances, s’être fixé des objectifs de performance moins élevés et avoir moins eu recours aux stratégies de dépannage en cas de difficulté. Ces résultats sont corroborés par plusieurs commentaires des répondants selon lesquels de nombreux distracteurs à la maison ont fait en sorte qu’ils ont eu beaucoup plus de difficulté à se concentrer et à maintenir leur attention. Par ailleurs, l’UNESCO (2020) ajoute que les universités ont réagi à la pandémie en priorisant les cours préenregistrés et les plateformes en ligne, ce qui aurait pu avoir des effets négatifs sur l’engagement des étudiants. Daniels et al. (2021), dans une étude menée auprès d’étudiants universitaires canadiens, ont eux aussi observé une diminution de l’engagement lors de la pandémie. À notre avis, l’engagement cognitif moins grand dans les cours en ligne pourrait aussi être relié directement à la valeur intrinsèque inférieure rapportée par les participants de la présente étude.

Finalement, l’analyse des données révèle que les participants sont parvenus plus difficilement à satisfaire leurs besoins d’accomplissement et d’affiliation dans le contexte de formation en ligne. Ces différences sont de taille moyenne en ce qui concerne le besoin d’accomplissement mais de grande taille dans le cas du besoin d’affiliation.

En ce qui a trait au besoin d’accomplissement, cela signifie que les participants se sont sentis moins compétents dans leurs cours et qu’ils ont eu plus de difficulté à s’y réaliser pleinement. Rappelons que tout apprenant éprouve le besoin de se réaliser dans son milieu de formation et que ce besoin va de pair avec son niveau d’engagement (Wigfield et al., 2015). Quant au besoin d’affiliation, plusieurs auteurs soulignent que l’établissement et le maintien de relations positives et chaleureuses avec les autres étudiants et le corps enseignant représentent un élément important dans la qualité du vécu des étudiants (Conseil supérieur de l’éducation, 2015; Lafortune, 2018; Loisier, 2010). Or, dans le contexte de la présente étude, de nombreux répondants ont émis des commentaires sur la difficulté à établir des relations avec les enseignants et les autres étudiants. Plusieurs ajoutent qu’ils se sont souvent sentis seuls, qu’ils ont eu de la difficulté à s’intégrer socialement et qu’ils ont trouvé que le niveau d’entraide entre les étudiants était moins élevé. Le nombre de commentaires négatifs de cette sorte et l’affirmation plutôt forte et unanime des répondants à ce sujet portent à conclure que la formation en ligne a constitué une entrave importante à l’établissement et au maintien de relations interpersonnelles positives pour plusieurs d’entre eux. Les données recueillies par la FECQ (2021) vont dans ce sens et indiquent que plus la relation avec le corps enseignant et les autres étudiants a été affectée par la crise, plus la motivation a été affectée elle aussi. Les difficultés plus grandes des étudiants à satisfaire leurs besoins d’accomplissement et, surtout, d’affiliation dans les formations dispensées en ligne pendant la pandémie devraient selon nous être considérées prioritairement dans le développement futur des formations de ce type.

Conclusion

En conclusion, la pandémie de COVID-19 a entraîné la réorganisation de l’offre de formation des universités partout dans le monde, ce qui a fait en sorte qu’un grand nombre de cours ont dû être suivis en ligne (Statistique Canada, 2020). Plusieurs études se sont intéressées aux impacts de cette situation extraordinaire sur la santé et le bien-être psychologique des étudiants, leur motivation, leurs revenus et leurs performances scolaires (FECQ, 2021). La présente étude apporte un éclairage supplémentaire en ce qui concerne la motivation, l’engagement et la satisfaction des besoins psychologiques des étudiants en formation initiale à l’enseignement en venant préciser quels aspects particuliers de ces facteurs ont été affectés. Les résultats obtenus indiquent aussi des pistes à considérer en ce qui concerne les pratiques enseignantes et les futurs travaux en pédagogie universitaire. Cela dit, la présente étude comporte certaines limites. Tout d’abord, elle a été effectuée auprès d’un échantillon de convenance provenant d’une seule faculté, ce qui rend hasardeuse la généralisation de ses résultats à d’autres domaines d’études et à d’autres lieux de formation. Ensuite, faute de données accessibles, il a été impossible de distinguer nos résultats en fonction de variables comme le genre des participants, leur programme d’études ou le nombre de trimestres passés en formation. Il est possible que ces variables aient pu exercer un effet modérateur important entre le type de formation et les variables dépendantes considérées. Finalement, comme la formation en ligne s’avère diversifiée et de qualité inégale d’un cours à l’autre (Turcotte et al., 2020), il conviendrait de prendre ce facteur en compte dans les prochaines études sur le sujet.

Bien que la présente étude indique une motivation moins grande des étudiants en contexte de formation en ligne ainsi que des niveaux moindres d’engagement et de satisfaction des besoins psychologiques, nous sommes d’avis que nos résultats ne devraient pas être interprétés comme une contre-indication absolue de ce type de formation au premier cycle universitaire, mais plutôt comme une source d’informations à prendre en considération en pédagogie universitaire et dans les développements futurs des dispositifs de formation à distance. Par ailleurs, il est certain que la pandémie n’a pas constitué un contexte idéal pour le développement et l’implantation d’un type de formation à ce point différent des pratiques enseignantes et des méthodologies de travail auxquelles les étudiants de ces programmes sont traditionnellement exposés. Rappelons aussi que la disponibilité des technologies et l’adaptation rapide des enseignants et des établissements ont permis aux étudiants de poursuivre leur formation dans un contexte de pandémie mondiale, ce qui aurait été beaucoup plus difficile, voire impossible à réaliser il y a tout juste une dizaine d’années…