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Introduction

Cette contribution concerne la période de confinement du printemps 2020, durant laquelle écoles, collèges, lycées, universités et organismes de formation français ont été contraints par leur ministère de tutelle de modifier leur organisation pour préserver la « continuité pédagogique ». Tous les élèves, étudiants, enseignants et formateurs ont dû s’adapter à la formation à distance. Cette injonction inattendue a produit des effets contrastés. Certains l’ont appréciée, d’autres non, comme l’a montré une enquête réalisée par quatre chercheurs auprès de ce public avec plus de 5 000 réponses (Plateau, 2020). Nous prolongeons ici l’analyse de cette investigation réalisée au sortir du confinement, à la veille des congés entre début juin et fin juillet 2020, en filtrant les réponses de 2 193 acteurs de l’enseignement supérieur, université et formation professionnelle (FP) des secteurs de la santé et du médico-social.

Notre question de départ se formule ainsi : quel est l’impact du confinement sur le ressenti des étudiants et des professeurs ou formateurs en rapport aux formations mises à distance et sur leur utilisation des réseaux sociaux numériques (RSN)?

Pour y répondre, nous avons choisi la méthode de l’enquête par questionnaires et notre cadre théorique s’appuie sur l’approche ternaire des dispositifs (Albero, 2010), le concept de formation ouverte à distance (FOAD) par le biais de quelques auteurs, la clinique des usages (Bobillier Chaumon, 2016) et les RSN (Stenger et Coutant, 2010). Il s’agit par ces entrées de pouvoir mieux cerner les rouages d’une formation distante réussie, ou non, et de mieux comprendre le rôle joué par l’utilisation des RSN durant cette période.

Ces démarches étayent notre problématique et d’autres questions de recherche traduites dans nos questionnaires.

Cadre théorique

L’approche ternaire des dispositifs en formation (Albero, 2010) est le socle de notre approche. La dimension idéelle – représentée par la volonté politique d’imposer la mise en oeuvre du processus de continuité pédagogique à la dimension fonctionnelle – ou organisationnelle – représentée par les établissements d’enseignement et de formation – en constituent le contexte. La dimension actorielle regroupant les enseignants et/ou formateurs, comme les étudiants, est celle sur laquelle a porté notre enquête pour récolter de leur part des informations afin d’assurer un équilibre avec les deux autres dimensions ou d’établir la présence d’éventuels dysfonctionnements dans les dispositifs mis en place.

Nous sollicitons le concept de formation ouverte à distance (FOAD). L’alternance de cours à distance et de regroupements en présentiel est une de ses caractéristiques. Cependant, l’ouverture ne se réduit pas à cette définition. Elle se manifeste aussi avec la possibilité de donner « des libertés de choix à l’apprenant, au regard des différentes composantes du dispositif pédagogique » (Jézégou, 2008, p. 97). L’efficacité de ces dispositifs, mesurée par la réussite des utilisateurs, s’évalue par l’adaptation de l’accompagnement pédagogique à leur degré d’autonomie durant tout le processus de formation ainsi que par le maintien de leur persistance et de leur motivation, étayés par une ingénierie permettant à l’aide de ressources diverses et d’un accompagnement de type coopératif d’agir sur trois leviers : la (méta)cognition, la technique et la communication (Collectif de Chasseneuil, 2001). Ce dosage entre les formes d’accompagnement fonction de l’autonomie de l’apprenant se retrouve avec les typologies de Burton et al. (2011) partant d’un modèle composé uniquement de supports, sans interaction vers des modèles de plus en plus ouverts, articulant les phases présentielles et distantes avec un accompagnement médiatisé et/ou humain de plus en plus riche.

La modélisation de l’alternance intégrative médiatisée (figure 1) issue de l’analyse d’une FOAD dans le cadre d’une formation professionnelle (Plateau, 2018, 2019) met en perspective les relations entre les acteurs au travers de trois blocs principaux. Le premier (voir la pyramide bleue) relie l’apprenant, ses formateurs en établissement, l’accompagnateur principal (formateur référent), le formateur terrain (référent professionnel) et les compétences. Cette pyramide représente le schéma traditionnel de l’alternance intégrative en présentiel. Dès lors que la formation est mise en ligne, le second bloc (voir la pyramide verte ou espace médiatique) subdivisé en deux tétraèdres met en relation pour l’un (espace de médiation pédagogique) les médias formels avec chacun des acteurs précédemment cités et pour l’autre (espace de médiatisation) les concepteurs et les techniciens avec l’équipe pédagogique, voire les apprenants.

Figure 1

Modèle de l’alternance intégrative médiatisée

Modèle de l’alternance intégrative médiatisée

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La dernière pyramide referme cette représentation cubique : elle constitue l’espace informel, utilisé librement par les acteurs dans la sphère publique ou privée, en principe en dehors du dispositif de formation pour consolider ou diversifier leurs compétences et relations sociales. Ce modèle nous semble être un support utile pour illustrer et mieux comprendre les reliances et déliances (Bolle De Bal, 2003) observées durant cette époque de confinement.

La clinique des usages nous invite à répertorier quatre catégories d’analyses (individuelles ou personnelles, organisationnelles ou impersonnelles, relationnelles ou interpersonnelles et identitaires ou transpersonnelles) à l’aide de quelques indicateurs pour déterminer dans la situation réelle si les conditions d’acceptance de l’usage des technologies sont réunies (Bobillier Chaumon, 2016). Cette approche nous semble utile pour classifier les données principales recueillies par notre enquête.

Pour compléter notre analyse, nous cherchons à comprendre le rôle joué par les réseaux sociaux ancrés dans le bloc informel de notre modèle cubique durant ce confinement de mars à juin 2020. En s’appuyant sur la théorie des graphes, les réseaux sociaux, numériques ou non, constituent des systèmes complexes de relations. Celles qui se créent simplement de façon interindividuelle donnent aussi naissance à des propriétés collectives (Collard et al., 2013, p. 92-93). Boyd et Ellison (2007) ont montré l’extension exponentielle d’utilisateurs des social network sites (traduit par réseaux sociaux numériques ou RSN) depuis le premier du genre, SixDegrees.com, créé en 1997. « What makes social network sites unique is not that they allow individuals to meet strangers, but rather that they enable users to articulate and make visible their social networks[2] » (p. 211). Cette distinction, illustrée par celle qui est faite entre les réseaux mettant en contact des professionnels – comme avec LinkedIn – et les RSN mettant en relation des amis – comme avec Facebook –, est reprise par Stenger et Coutant (2010). S’appuyant sur la définition initiale de Boyd, ils la reprennent avec cette formulation :

Les RSN constituent des services Web qui permettent aux individus :

  1. de construire un profil public ou semi-public au sein d’un système,

  2. de gérer une liste des utilisateurs avec lesquels ils partagent un lien,

  3. de voir et naviguer sur leur liste de liens et sur ceux établis par les autres au sein du système,

  4. [de] fonde[r) leur attractivité essentiellement sur les trois premiers points et non sur une activité particulière. (p. 221)

Ils opposent ainsi ce concept à celui de « computation sociale » emprunté à Pierre Lévy, qui « entend par ce terme mettre en exergue l’activité collective des internautes en faveur de la construction et du partage de toutes formes de contenu » (p. 221) comme par exemple Wikipédia ou YouTube.

Les RSN sont aussi, d’après ces auteurs, un sous-ensemble des médias sociaux dont le contour est mal défini, sinon qu’ils englobent l’ensemble des dispositifs technologiques en relation avec leurs utilisateurs. En 2020, Cavazza (2021) dénombrait 170 plateformes pour 6 grands usages. Il en dénombre 245 en 2021 dans 45 catégories et le même nombre d’usages (publication, partage, messagerie, discussions, collaboration, réseautage). Les médias sociaux concernant les outils de collaboration ont multiplié le nombre de leurs utilisateurs depuis le confinement de 2020, comme Teams et Discord, à titre d’exemple. Alors qu’en 2019 les outils de visioconférence, dans la catégorie des outils de collaboration, ne figuraient pas dans la classification de Cavazza – c’est l’exemple de Zoom –, ils prennent une place importante en 2020 et plus encore en 2021.

Avec le temps, les médias et réseaux sociaux, comme leurs usages, se sont transformés. La frontière entre les réseaux d’amis généralement investis pour communiquer et ceux qui sont orientés autour d’activités et de centres d’intérêt spécifiques pour s’informer s’estompe. Sources d’information reconnues par les utilisateurs sachant les décrypter, moyens de communication favoris des adolescents, les RSN sont encore mal reconnus par les établissements d’enseignement. Ils entrent à pas feutrés dans le domaine de l’éducation et de la formation depuis quelques années, loin du rythme de croissance qu’ils connaissent dans la vie marchande et privée. Ceci dit, le confinement a exacerbé l’utilisation des RSN, notamment chez les plus de 50 ans (Consumer Science & Analytics, 2020).

Le cadre étant posé, il convient de soulever notre problématique et les questions de recherche qu’elle induit.

Problématique et questions de recherche

Le confinement a obligé les acteurs à modifier pour les uns leurs interventions pédagogiques et pour les autres leur façon d’apprendre. La mise en ligne des supports et l’utilisation des moyens de communication numériques pour assurer la « continuité pédagogique » ont provoqué des réactions dans la communauté éducative et nous nous interrogeons, en référence à notre question de départ, sur le ressenti des acteurs précités. Plusieurs questions de recherche en découlent :

Comment se sont-ils sentis physiquement et mentalement durant cette expérience inédite? Ont-ils apprécié la formation à distance? Ont-ils rencontré des difficultés? Les étudiants ont-ils eu le sentiment de « décrocher »? L’isolement forcé a-t-il influencé leur temps passé sur les RSN de la même façon que les enseignants? Les médias sociaux et les RSN ont-ils contribué à la dynamique de la continuité pédagogique? Au contraire ont-ils joué, comme les difficultés rencontrées, un rôle perturbant pour l’équilibre psychologique des différents acteurs? Au-delà du ressenti, cette expérience a-t-elle modifié la conception de leur identité d’étudiant ou de professionnel?

Ces questions complètent notre analyse sur le vécu des acteurs de la formation dans l’enseignement supérieur durant le confinement.

Méthodologie

Des réunions en visioconférence, durant le confinement, en « présence à distance » (Androwkha, 2020), ont été l’occasion de coconstruire sept questionnaires avec trois autres chercheurs.

Bâtis sur une plateforme collaborative à l’aide d’un tableur, chacun d’entre nous, ayant un public de prédilection, a adapté les questions aux différents publics (tutoiement pour les enfants et les collégiens par exemple). Pour cet article, nous exploitons trois questionnaires, un pour les étudiants universitaires, un pour ceux de la FP du domaine sanitaire et social et un autre pour leurs enseignants ou formateurs.

L’alternance de questions fermées de type OUI/NON et ouvertes pour les justifier est notre méthode mixte d’investigation. L’utilisation des questions ouvertes requiert que le répondant y consacre plus de temps, mais lui donne plus de liberté et minimise les biais induits par les réponses préformatées ou les filtres (Salvador, 1986). Le ressenti physique et mental est jaugé à partir de quelques indicateurs retenus collégialement pour mesurer le ressenti physique et psychosocial par une autoévaluation à l’aide de questions échelles.

Les questionnaires ont été testés plusieurs fois par leurs concepteurs puis par des collègues et des étudiants avant leur administration en ligne avec le logiciel LimeSurvey (LS). Pour les étudiants universitaires et les enseignants, le fichier du laboratoire a été mobilisé ainsi que celui des étudiants de différentes composantes en licence et master inscrits au centre de ressources de langues. Pour ceux de la FP du secteur sanitaire et social, la quasi-totalité des écoles de formation du territoire national ont été sollicitées.

Pour cet article, 2 193 réponses sont exploitables. Elles représentent 248 étudiants de l’université, 169 formateurs, 1 763 étudiants du domaine de la formation professionnelle (FP) du sanitaire (dont 1 198 étudiants en sciences infirmières [ESI]) et du social (essentiellement des étudiants éducateurs ou assistants sociaux) et 13 enseignants de l’université (figure 2).

Figure 2

Répartition des répondants

Répartition des répondants

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En raison de leur faible effectif par rapport à celui des formateurs, nous les avons le plus souvent regroupés, en les qualifiant d’enseignants. Pour ce qui est de l’échantillonnage, nous avons constaté des difficultés pour solliciter le monde universitaire; c’est la limite principale de cette étude exploratoire. Le nombre des réponses des ESI (ils sont un peu plus de 95 000 en France) affirme plus de solidité avec un seuil de confiance à 95 % et une marge d’erreur de 3 %.

La mixité de notre approche exploratoire, par le choix des questions et de leur analyse, répond au besoin de mieux cerner, comprendre, voire tenter d’expliquer ce qui a empêché, freiné ou non le processus d’acceptation situé (Bobillier Chaumon, 2016) dans ce contexte de confinement. Elle a pour fonction aussi de vérifier la robustesse de certaines des reliances représentées par notre modélisation, reliances indispensables, à notre avis, au développement efficace de l’apprentissage et, dans le cas précis du confinement, à une continuité pédagogique réussie.

Les réponses des sept questionnaires ont été extraites depuis LS puis concaténées dans un seul fichier (tableur) en vue de leur traitement. Pour les analyses statistiques, une nouvelle importation a été réalisée dans le logiciel Le Sphinx, très facile d’utilisation, notamment quand il s’agit de naviguer entre les strates. SPSS a été convoqué pour l’analyse de quelques corrélations et IRaMuTeQ (interface de R pour les analyses multidimensionnelles de textes et de questionnaires) pour les analyses lexicométriques des corpus en préalable des analyses qualitatives grâce à l’algorithme intégré au logiciel permettant une classification hiérarchique descendante (CHD; voir Reinert, 1983).

Résultats

Le ressenti physique et psychosocial des acteurs

Le tableau 1 indique que les moyennes réalisées à partir des indicateurs retenus pour mesurer le ressenti physique et psychosocial, selon les profils retenus, ont toutes un score inférieur à 3, valeur moyenne correspondant au ressenti d’avant le confinement. Son impact global sur ces indicateurs est donc plutôt négatif. Il l’est le plus chez les étudiants de la FP en comparaison aux formateurs. Nous notons aussi des scores très proches entre ces étudiants et ceux de l’université, mais ces derniers sont beaucoup plus gênés par des difficultés de concentration.

Tableau 1

Ressenti des étudiants et des enseignants durant le confinement à l’aide d’indicateurs du ressenti physique et psychosocial

Ressenti des étudiants et des enseignants durant le confinement à l’aide d’indicateurs du ressenti physique et psychosocial

* Moyennes sur une échelle de 1 à 5, de « beaucoup moins bien ») à « beaucoup mieux » que d’habitude.

** Les cellules colorées indiquent des moyennes par indicateur qui diffèrent (test t) de manière significativement inférieure (bleu pâle) ou significativement supérieure (bleu moyen) de la moyenne globale.

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Appréciation de la formation

Les acteurs de la formation de l’enseignement supérieur n’ont pas apprécié majoritairement (57 %) la formation à distance (tableau 2). Les enseignants l’ont très significativement mieux appréciée que les étudiants, mais avec seulement 46,7 % d’appréciation favorable. Les étudiants universitaires, en comparaison avec ceux de la FP, l’ont significativement mieux estimée (35,5 % contre 28,2 %).

Tableau 2

Appréciation de la formation à distance selon les étudiants ou les enseignants

Appréciation de la formation à distance selon les étudiants ou les enseignants

La dépendance est très significative. Chi 2 = 31,47, ddl = 4, p < 0,001

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Appréciations négatives

Le manque d’interaction et de contact humain provoqué par la distance, la difficulté de travailler à la maison causée par une surcharge de travail ou la proximité des contraintes familiales et les besoins non satisfaits d’explications exprimés par les étudiants pour mieux comprendre leurs cours sont les principaux éléments qui provoquent l’insatisfaction.

Ces observations sont issues de notre analyse avec IRaMuTeQ. Réalisée à partir du corpus exprimant les raisons de la non-appréciation des cours à distance par nos étudiants et enseignants, la CHD (voir dendrogramme de la figure 3) regroupe, de façon inductive, dans chaque classe les formes ou lemmes les plus proches issus des segments de texte analysés selon les règles du chi 2 en représentant le lexique de chaque classe.

Figure 3

Dendrogramme issu de l’analyse du corpus des sondés n’ayant pas apprécié la formation à distance

Dendrogramme issu de l’analyse du corpus des sondés n’ayant pas apprécié la formation à distance

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IRaMuTeQ permet de projeter ces formes sur une carte factorielle (figure 4).

Le premier facteur (57,4 % du corpus) sépare nettement sur l’axe des abscisses la classe 1 des classes 2 et 3, et le second facteur (42,6 % du corpus), la classe 3 des deux autres sur l’axe des ordonnées.

Figure 4

Analyse factorielle des correspondances des raisons de ne pas avoir apprécié la formation à distance

Analyse factorielle des correspondances des raisons de ne pas avoir apprécié la formation à distance

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Le corpus ayant été délimité par des variables illustratives correspondantes à l’origine des personnes sondées (enseignants, formateurs, étudiants selon filières santé, social ou université), une autre carte factorielle (figure 5) montre dans cet exemple une tendance plus forte des enseignants à utiliser le lexique de la classe 1 où le manque d’interaction est le plus prégnant.

Figure 5

Analyse factorielle des correspondances des raisons de ne pas avoir apprécié la formation à distance par les différents acteurs (variables illustratives codées par une étoile dans le corpus)

Analyse factorielle des correspondances des raisons de ne pas avoir apprécié la formation à distance par les différents acteurs (variables illustratives codées par une étoile dans le corpus)

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L’analyse des similitudes affine notre interprétation en représentant les associations entre les formes et les communautés lexicales, représentées par des halos de différentes couleurs (figure 6).

Figure 6

Analyse des similitudes des sondés n’ayant pas apprécié la formation à distance

Analyse des similitudes des sondés n’ayant pas apprécié la formation à distance

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Enfin, à partir des profils de classe (figure 7), nous pouvons retrouver par un simple clic sur chacune des formes les segments de texte correspondants et leur auteur grâce au concordancier (figure 8) et retourner plus facilement au corpus initial.

Figure 7

Profil de la classe 1

Profil de la classe 1

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Figure 8

Concordancier du lemme « interaction » à partir du profil de la classe 1

Concordancier du lemme « interaction » à partir du profil de la classe 1

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Nous avons utilisé cette méthode de traitement pour les analyses textuelles des réponses aux questions ouvertes.

Appréciations positives

Les cours mis à distance peuvent être approfondis et donc mieux compris; il est possible de revenir sur ses cours à son rythme, ce que relatent les étudiants en université ou en FP. À titre d’exemple, explique un étudiant ingénieur, le « format vidéo permet de revoir les cours mal compris ou en accéléré si compris ». Cette ESI a elle aussi « trouvé les cours à distance très pratiques quand il s’agit de cours magistraux, sans grande nécessité d’échange ».

D’autres critères d’appréciation positifs concernent principalement l’autonomie permise par la gestion flexible des horaires et du rythme de travail, l’économie de transport, l’acquisition de nouvelles compétences numériques et le maintien du lien.

Si certains enseignants avaient déjà enseigné à distance ou pratiqué la classe inversée, la grande majorité ont eu l’occasion, comme l’exprime cette formatrice du domaine de la santé « de s’approprier de nouveaux outils, de réfléchir à de nouvelles approches » et de « garder un lien avec les groupes, les soutenir dans leur questionnement face à cette crise qui a bousculé les pratiques, le fonctionnement des organisations, pour certains l’arrêt d’un stage », dit encore une autre du domaine social. Ce brin d’optimisme ne doit pas cacher les difficultés qui se sont révélées.

Les difficultés rencontrées

Plus des trois quarts des enseignants du supérieur (tableau 3) déclarent avoir connu des difficultés contre environ la moitié des étudiants.

Tableau 3

Difficultés rencontrées

Difficultés rencontrées

La dépendance est très significative. Chi 2 = 51,89, ddl = 4, p < 0,001

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Détail des difficultés

Près des deux tiers des enseignants sont concernés par des difficultés d’ordre matériel (tableau 4).

Celles-ci sont relatées dans le corpus concerné par des soucis principalement de connexion, un matériel personnel peu performant ou devant être partagé avec d’autres membres de la famille, un manque de logiciels ou d’équipement annexes (micros, imprimantes). Pour les étudiants, ces mêmes problèmes sont exposés, avec une obsolescence plus marquée de leur matériel informatique, voire l’absence d’ordinateur pour pouvoir réaliser leurs travaux, auxquels s’ajoute le manque de livres, sans accès à la bibliothèque, pour travailler efficacement.

Tableau 4

Nature des difficultés

Nature des difficultés

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Un manque de formation ou d’accompagnement à l’utilisation des outils de visioconférence a été noté assez fréquemment par les enseignants et les formateurs. Beaucoup déclarent, comme quelques étudiants, s’être autoformés.

Ils ont noté aussi une charge très importante ou inégale et plus rarement inexistante de travaux à réaliser. Côté enseignant, cette charge ressort aussi très fortement. « On gagne sur les trajets/déplacements, déclare un universitaire, mais on perd énormément de temps dans les préparations », car il a fallu « repenser l’ingénierie de l’enseignement sans y être préparé », complète une formatrice. Côté étudiants, la somme de travail réclamée par les enseignants ou formateurs a été en général plus forte et pour certains, les difficultés de compréhension liées à la distance ont accentué cette impression de chronophagie.

Quant aux difficultés liées à la perte de motivation, elles sont beaucoup moins marquées chez les enseignants. Les étudiants de l’université les évoquent beaucoup plus souvent que ceux de la FP. Elles sont souvent la conséquence de celles qui ont été évoquées précédemment, mais aussi de celles qui sont liées aux conditions de confinement.

« Tous nos repères habituels se sont effondrés, évoque une étudiante de master, rester enfermé chez soi ça ne motive pas du tout à travailler, alors qu’en présentiel, on a les profs, on les voit, on les entend, on prend des notes, on est actif et concentré; au domicile la concentration n’était pas présente, les difficultés personnelles et le moral à zéro ne permettai[en]t pas de travailler, beaucoup de ma filière dont moi avons pensé à abandonner ou que nous n’y arriverions jamais. »

Dans ces commentaires sur la motivation, une parenthèse sur le décrochage s’avère utile.

Le décrochage

La question du décrochage posée avec une échelle de Lickert (tableau 5) indique que 48,3 % des étudiants en FP et 46 % des étudiants universitaires interrogés ont eu le sentiment d’avoir décroché, soit des valeurs très proches.

Le domicile, non conçu pour la formation, distractif pour certains, exempt des échanges entre pairs et devenu lieu de solitude, de stress, voire de déprime pour d’autres a accentué chez eux le phénomène de démotivation. Le « travail à la maison est très compliqué avec les enfants », déclare cette étudiante en FP, comme bon nombre d’étudiants et d’enseignants parents.

Tableau 5

Impression de décrochage des étudiants (N = 2 011)

Impression de décrochage des étudiants (N = 2 011)

La dépendance n’est pas significative. Chi 2 = 2,74, ddl = 5, p = 0,739

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Pour cette étudiante, le « manque d’information dont on disposait de la part de la fac » est aussi un élément perturbant qui exacerbe le sentiment d’isolement de cette population. L’absence d’attractivité des cours, les diaporamas simplement déposés sur les plateformes sans interactivité comme le « manque de suivi des formateurs » et l’absence « de correction aux travaux faits », voire la réquisition des étudiants et des formateurs dans les hôpitaux sont révélateurs d’anxiété. « Se retrouver seule, indique une étudiante en sciences infirmières (ESI), passer des partiels de groupe, tout à distance, psychologiquement c’est très dur... heureusement que les réseaux sociaux existent!!!! » L’utilisation des réseaux sociaux durant le confinement a précisément augmenté, comme le montrent les résultats suivants.

Temps d’utilisation des réseaux sociaux

Les enseignants (tableau 6) déclarent avoir passé en moyenne 1,24 heure sur les RSN avant le confinement, ce qui est très significativement inférieur au temps passé par les étudiants de l’université, soit 2,59 heures, ainsi qu’aux 3,17 heures déclarées par ceux de la FP. Ces derniers y ont consacré aussi très significativement plus de temps que leurs homologues universitaires. Ils déclarent avoir le sentiment d’y avoir passé plus de temps durant le confinement qu’avant (3,75 sur une échelle de 1 à 5 : valeur 3 = comme d’habitude et valeur 4 = plus long que d’habitude), valeur assez proche de celle des étudiants de l’université (3,85).

En comparaison avec le temps passé sur les RSN avant le confinement, les enseignants ont le sentiment d’en avoir passé moins durant le confinement (3,50) que les étudiants de la FP (3,75) et que les autres étudiants (3,87).

Tableau 6

Temps passé sur les RSN avant le confinement et appréciation de l’écart entre celui-ci et le temps passé durant le confinement

Temps passé sur les RSN avant le confinement et appréciation de l’écart entre celui-ci et le temps passé durant le confinement

* Échelle de 1 à 5, de « beaucoup moins » à « beaucoup plus que d’habitude ».

** Les cellules colorées indiquent des moyennes par indicateur qui diffèrent (test t) de manière significativement inférieure (bleu pâle) ou significativement supérieure (bleu moyen) de la moyenne globale (total)

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Quel usage des médias sociaux et des RSN?

La question concernant cet usage n’était pas posée en clair (autre limite de cette étude), mais l’exploration complète du corpus des réponses aux questions ouvertes permet de retracer quelques-uns des usages exprimés. Pour cela, nous avons identifié manuellement par leur nom les médias sociaux et les RSN utilisés et dressé un état des usages selon deux grandes catégories. La première concerne la pédagogie subdivisée en trois sous-catégories – les cours, le suivi et les réunions –, la seconde la communication informelle avec une branche représentant le lien social et une autre la solidarité (tableaux 7 et 8).

Il est clair que les médias sociaux évoqués pour les cours ou le suivi pédagogique et les réunions concernent très majoritairement les outils de collaboration (dont les visioconférences principalement avec Zoom, l’intranet social avec Teams et les outils collaboratifs proposés par Google). Les RSN classiques n’apparaissent pratiquement pas dans ce cadre, mais sont évoqués très majoritairement dans leur emploi informel pour garantir les liens sociaux entre pairs et exercer leur solidarité. Le « maintien du lien (se faisait) par téléphone et par les réseaux (Messenger, Skype, WhatsApp, Instagram) », indique un étudiant de master. « On s’est tous rapprochés en un sens, nous dit une étudiante de licence. On s’aidait beaucoup à travers les groupes sur les réseaux sociaux, que ce soit pour l’apprentissage ou pour les angoisses. »

Tableau 7

Médias sociaux et RSN utilisés à des fins pédagogiques

Médias sociaux et RSN utilisés à des fins pédagogiques

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Tableau 8

Médias sociaux et RSN utilisés de façon informelle

Médias sociaux et RSN utilisés de façon informelle

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Une autre facette des usages et non-usages des réseaux sociaux est apparue aussi par ailleurs. Des conflits ont été exprimés, cet étudiant l’illustre : « Le fait de ne pas se voir régulièrement et de n’avoir que les réseaux sociaux comme plateforme de communication nous rendait plus irritable[s], nous nous agacions facilement, et l’ambiance due au Covid accentuait les tensions. » Au-delà de ces difficultés relationnelles, la non-adhésion à ces groupes informels peut être délibérée, comme le précise une ESI : « Je ne suis pas sur Facebook donc je n’ai eu aucun contact avec mes camarades pendant le confinement » ou due à un manque d’intérêt, comme le relate cet étudiant de master : « Les différents groupes sur les réseaux sociaux de notre promotion sont restés quasiment inactifs. »

D’autres usages sont plus récréatifs, comme faire du « sport sur YouTube », pour une doctorante, ou permettre de surmonter certains moments difficiles, comme l’exprime ce professionnel de la santé : « Pendant ma période de renfort à l’hôpital, les “blagues” des collègues de travail sur WhatsApp (équipe [de] formateurs de l’IFSI) étaient une véritable récréation quand je revenais le soir à la maison, après l’atmosphère inquiétante des services. »

Ces nouvelles façons d’apprendre et de communiquer, avec les difficultés rencontrées et la solitude parfois difficile à vaincre, ont-elles modifié la perception d’un changement identitaire selon les profils?

La perception d’un changement identitaire

Pour la majorité des répondants, la situation n’a pas engendré un changement identitaire, sauf pour un tiers des enseignants (tableau 9). Ils se voient en général plus facilitateurs que transmetteurs de connaissances, certains estiment avoir acquis de nouvelles et indispensables compétences informatiques et d’autres appréhendent une perte du sens du métier induite par ce changement de relation pédagogique. Ce sentiment de changement identitaire est chez eux très significativement plus marqué que chez les étudiants. Pour ces derniers, il est beaucoup plus évoqué par les étudiants de la FP (22,5 %) que par ceux de l’université (12,1 %).

Tableau 9

Changement identitaire induit par le confinement

Changement identitaire induit par le confinement

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Parmi les étudiants universitaires, l’autonomie engendrée par le confinement a solidifié leur confiance en eux et, pour certains, leur capacité d’adaptation, par exemple par l’acquisition de nouvelles compétences. La crainte de diplômes bradés plus difficiles à négocier sur le marché du travail et l’augmentation des inégalités creusées par la situation avec la nostalgie des contacts en présentiel fragilisent cette identité.

Pour les étudiants de la FP, l’autonomie et l’adaptabilité sont les effets les plus remarqués. La réquisition « sur le front » des futurs soignants a stimulé le passage du statut « d’étudiant à professionnel en 5 minutes », comme l’exprime caricaturalement une ESI, mais souvent avec le sentiment d’une meilleure reconnaissance par les équipes, car « en stage, relate une autre étudiante, nous étions des collègues et non plus des stagiaires ».

Elle a été un renfort à la motivation, à la vocation du métier d’aidant très présent dans les réponses. À contrario, la crainte d’obtenir un « diplôme en carton (demi-diplôme) », « et le sentiment de devenir une génération à part (promo covid!) » planent, comme chez les universitaires, sur quelques discours.

Nous finalisons ce panorama de résultats avec quelques corrélations pour mettre en lien les variables étudiées avec celles concernant principalement le ressenti des acteurs.

Influence de l’appréciation de la formation et des difficultés sur des indicateurs de ressenti physique et psychosocial

Chez les étudiants de la FP, tous les indicateurs du ressenti montrent des corrélations très significatives (tableau 10), positives avec l’appréciation de la formation, négatives avec les difficultés rencontrées. Chez ceux de l’université, la capacité à faire face aux problèmes n’est pas corrélée avec ces deux variables ni avec le ressenti physique en ce qui concerne l’appréciation de la formation. Chez les enseignants, les difficultés ne sont pas corrélées (ou peu pour le ressenti physique et la capacité à faire face aux problèmes) aux indicateurs du ressenti. Elles le sont plus avec l’appréciation de la formation, sauf pour les ressentis physique, mental et du sommeil.

Tableau 10

Corrélations entre l’appréciation de la formation distante et les difficultés rencontrées avec les indicateurs du ressenti physique et psychosocial

Corrélations entre l’appréciation de la formation distante et les difficultés rencontrées avec les indicateurs du ressenti physique et psychosocial

* La corrélation (de Pearson) est significative au niveau 0,05 (bilatéral).

** La corrélation (de Pearson) est significative au niveau 0,01 (bilatéral).

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Impact du temps passé sur les RSN sur le ressenti physique et psychosocial et quelques autres variables

Les corrélations présentées au tableau 11 ne sont pas significatives pour les enseignants, hormis la variable genre concernant surtout les formateurs, corrélée négativement avec T0 (temps d’usage des RSN avant le confinement), ce qui dénote un usage plus fréquent des hommes par rapport aux femmes, à l’inverse des étudiants de la FP. Ce temps d’usage semble décliner avec l’âge, chez tous les étudiants. Il semble agir défavorablement sur la concentration des étudiantes en FP, et réduire leurs difficultés liées aux compétences numériques, mais augmenter celles qui sont liées à la perte de motivation. Chez les étudiantes universitaires, c’est le sommeil qui en pâtit, comme le sentiment d’estime de soi, ce qui se reproduit quand le temps d’usage des RSN durant le confinement (T1) augmente, en agissant aussi sur le sentiment de leur état mental. Durant cette même période, chez les étudiantes en FP, les corrélations sont toutes négatives avec les indicateurs du ressenti (sauf l’état physique et le sommeil), le sentiment de décrochage est corrélé positivement et les difficultés liées à la motivation également.

Tableau 11

Corrélations du temps passé sur les réseaux sociaux avec les indicateurs du ressenti physique et psychosocial et autres variables

Corrélations du temps passé sur les réseaux sociaux avec les indicateurs du ressenti physique et psychosocial et autres variables

a. T1 : sentiment du temps passé sur les réseaux sociaux durant le confinement par rapport au temps passé avant le confinement. T0 : temps passé sur les réseaux sociaux avant le confinement.

b. Calcul impossible, car au moins une des variables est une constante

* La corrélation (de Pearson) est significative au niveau 0,05 (bilatéral).

** La corrélation (de Pearson) est significative au niveau 0,01 (bilatéral).

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Discussion conclusive

En référence aux catégories d’analyse prêtées à la clinique des usages (Bobillier Chaumon, 2016), l’acceptation située des dispositifs mis en place durant le confinement nous a permis de juger ou non de leur efficacité.

Sur le plan de la dimension organisationnelle (impersonnelle), les défaillances matérielles et l’absence ou le manque de logiciels dans certains établissements pour diffuser de façon ergonomique les cours n’ont pas rendu attrayant l’usage des technologies. En référence à l’approche ternaire des dispositifs en formation est apparue la difficulté d’organiser l’impératif idéel de la continuité pédagogique imposé par les instances ministérielles de l’éducation. Si les universités disposent d’environnements numériques de travail (ENT) et de plateformes de formation à distance, ce n’est pas le cas de toutes les écoles de FP, notamment celles des instituts de formation en soins infirmiers, comme le relate une enquête menée entre mai et juin 2020 par la fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fabregas, 2020).

Être équipé de plateformes comme les universités, les lycées et les collèges ne suffit pas pour faire système ou « reliance » entre les acteurs, « il faut aussi que les formés soient bien outillés et préparés à ces nouvelles méthodes », précise une formatrice du domaine sanitaire. Une autre du domaine social explique que « nombre d’entre eux ont peu de moyen[s] et de ce fait travaillent avec un smartphone ou [une] tablette » et « la connexion Internet payante [...] pour certains d’entre eux est difficile à assurer au niveau financier ». L’accès équitable au dispositif de formation devrait pourtant être possible pour tous. Une étude récente de Leyrit (2020) faisant un constat analogue a chiffré par ailleurs à environ 10 % le nombre d’étudiants universitaires devant partager leur ordinateur avec au moins un membre de leur famille, réduisant en conséquence le temps d’accès à leur formation.

Au-delà des défaillances matérielles, les problèmes liés à l’impréparation des enseignants et des formateurs pour pouvoir gérer efficacement leur mission durant le confinement posent la question de leur formation. Il conviendrait de permettre à chaque utilisateur, et plus particulièrement ceux de la FP, d’atteindre le niveau d’acquisition requis à l’usage compréhensif, raisonné et agile des outils numériques. Par anticipation, « universities should also provide online resources for students to help with time management and independent learning skills[3] » (Mollenkopf et al., 2020, p. 77).

En ce qui a trait à la dimension individuelle (personnelle), la charge cognitive trop sollicitée par une surcharge de travail se montre contrariante et agit significativement sur la charge émotionnelle. Dans les discours de nos acteurs, des signes de découragement, d’épuisement, voire la perception de maux physiques sont apparus. Les sous-charges de travail évoquées également sont tout autant contreproductives. Émotionnellement encore, la distance a créé des insatisfactions, voire des abandons chez les étudiants. Le sentiment de décrochage, résultante d’un apprentissage non apprécié, inapte à stimuler la concentration et perturbé par les difficultés (Plateau, 2020), a touché un nombre non négligeable de nos répondants. Marqueur du confinement et de l’insatisfaction générée par les cours à distance, ces observations au sujet du décrochage, comme celles qui ont été faites à propos de l’obsolescence des équipements informatiques de nombreux répondants, rejoignent des études récentes comme celles de Leyrit (2020).

Les étudiants de l’université ont beaucoup plus évoqué cette démotivation que ceux de la FP. Ils ont pourtant moins apprécié la formation distante et connu plus de difficultés que les étudiants universitaires. Ce résultat est peut-être dû au fait que durant leurs stages en hôpitaux, des étudiants ont dû renforcer les équipes mobilisées par la COVID, d’autres ont été réquisitionnés, ce qui malgré les conditions difficiles leur a permis de conserver des liens sociaux en présentiel. Mais au regard des corrélations avec la mesure du temps d’usage des RSN pendant le confinement, un lien semble établi avec les difficultés liées à la perte de motivation. Ceci dit, l’étude ne permet pas d’affirmer qu’il existe un lien de causalité entre cet usage et la perte de motivation qui pourrait en résulter. Nous pouvons toutefois remarquer qu’un usage accru des RSN durant le confinement est corrélé négativement de façon plus significative aux indicateurs du ressenti physique et psychosocial chez les étudiants en FP que chez ceux de l’université.

La dimension relationnelle (interpersonnelle) n’a pas vraiment permis au collectif de retrouver sa substance, la « présence à distance » des groupes ne s’est pas vraiment manifestée, sans doute par manque d’agilité ou d’habitude des enseignants à gérer les visioconférences, mais aussi parce que les liens sociaux établis en distanciel n’ont pas été perçus comme ayant la même saveur qu’en présentiel.

Ces réflexions nous amènent à convoquer notre modèle de l’alternance intégrative médiatisée. La disponibilité des médias pour les étudiants et les enseignants nécessite de leur part une maîtrise de leur utilisation, mais pas seulement. Les outils et méthodes proposés doivent être alignés (Biggs, 1996) avec les objectifs pédagogiques, leur évaluation, mais aussi la technologie (Marcel Lebrun; voir Ludoviamagazine, 2013) pour éviter tout conflit instrumental (Marquet, 2011). Les dysfonctionnements relatés sont souvent le signe d’une « déliance » entre deux sommets de notre cube, comme par exemple une mauvaise utilisation des médias (systèmes de visioconférence, de plateformes collaboratives, etc.) par un utilisateur ou un accompagnement technique et/ou pédagogique insuffisant. La base de l’enseignement présentiel étant fragilisée, voire tronquée, le système médiatique est en équilibre frêle. Les compétences à acquérir en pâtissent. L’accompagnement prend ici toute sa place, qu’il soit technique ou pédagogique. C’est aussi ce qu’ont préconisé les étudiants inscrits à des cours de formation d’enseignants dans l’enquête de Mollenkopf et al. (2020) à savoir : après s’être assurés de l’accès des étudiants aux technologies, proposer des cours qui favorisent l’interaction ainsi que la possibilité de dialogue et d’aide à la compréhension des corrections, et surtout éviter la surcharge de travail en prenant en compte les conditions du travail à distance réalisé dans le cadre familier de l’étudiant. Cela nécessite de la flexibilité de la part de l’enseignant « and be generally prepared for the unexpected[4] » (p. 75). Des techniques issues du concept infopédagogique peuvent favoriser l’interaction et la motivation par une scénarisation « d’activités d’apprentissage qui s’inscrivent dans une stratégie socioconstructiviste et cognitiviste, engageante et ludique dans un environnement informatique » (Pouliot et Rocheleau, 2020, p. 45), mais sont très gourmandes en temps de préparation.

L’interaction n’est pas que le fait des médias formels. Elle s’exerce au-delà des transactions présentielles ou distancielles du cours. Dans le cadre de la pandémie, les difficultés de communication ont fait écrire à une étudiante ESI : « Heureusement que les réseaux sociaux existent!!!! » Certes, ceux-là peuvent recréer les reliances détruites ou abîmées par le confinement, mais aussi créer d’autres déliances – nous l’avons observé –, voire attiser le « décrochage » quand les conflits s’ajoutent à la solitude. En fait, les réseaux sociaux classiques comme Facebook et ceux qui permettent la constitution de groupes ont révélé un rôle de reliant entre pairs, notamment du côté des étudiants. Si les médias sociaux utilisés affichent une certaine multiplicité, ce sont surtout les visioconférences et les outils collaboratifs qui sont cités quand il s’agit des cours en synchrone, ceux de tests ou de dépôts de documents pour les séquences asynchrones, et les réseaux sociaux dits classiques pour permettre un lien et un soutien entre pairs. Ce lien par les RSN est remarqué aussi dans des recherches récentes comme favorisant la motivation du travail entre des étudiants au détriment du téléphone et des courriels (Mercier, 2020).

La dimension identitaire (transpersonnelle) semble avoir été préservée : plus de la moitié des répondants n’ont pas noté de changement et moins d’un tiers ont vu des modifications. Ces dernières sont pour la plupart positives, dans la manière de s’organiser et d’avoir gagné en autonomie pour les étudiants, dans l’amélioration de compétences pour les étudiants de la formation professionnelle et les enseignants. Ceci dit, pour les étudiants, la crainte d’obtenir des diplômes dévalorisés à la suite du premier confinement de 2020 est à même de se reproduire, voire de s’amplifier en 2021. Plus que d’observer, il serait utile de remédier. Intensifier les formations des enseignants à l’hybridation, comme le font les universités et plus difficilement les établissements de formation du sanitaire et du social, est une voie. Stimuler les reliances entre les enseignants et les concepteurs de cours en ligne pour optimiser la scénarisation et l’attrait des séquences pédagogiques pourrait aussi s’envisager. Intensifier l’apprentissage aux techniques d’accompagnement à distance pour que les dimensions identitaires des enseignants comme des étudiants soient animées d’un pouvoir d’agir dans un environnement capacitant (Falzon, 2010) serait aussi un bon compromis.