Résumés
Résumé
Lorsque le directeur de La Revue musicale sim, Jules Écorcheville, part pour le front en 1914, il écrit à son ami Émile Vuillermoz :
Si je ne reviens pas, je vous recommande notre oeuvre, cher ami. Et surtout, si vous tenez à me faire plaisir dans l’autre monde, efforcez-vous de maintenir la concorde et l’harmonie entre les différents éléments qui vont se trouver en présence à ma disparition. Notre revue est faite de différentes pièces ajustées (Amis, sim, etc.), qui tiennent en équilibre par miracle, quelques années de cohésion sont absolument nécessaires encore et c’est précisément cette concentration de nos différentes forces qu’il faudrait maintenir. En tout cas, il ne faudrait pas que ma disparition entraînât celle d’une oeuvre qui nous a coûté, à tous, tant de peine. N’est-il pas vrai ?
Malgré le souhait d’Écorcheville, La Revue sim disparaîtra, mais pas pour longtemps puisqu’elle donnera naissance à deux nouveaux organismes en 1917 et 1920. Pendant la guerre, les anciens de La Revue sim dont Lionel de La Laurencie, vont créer la Société française de musicologie (sfm) sur les ruines de la Société internationale de musique et publieront un Bulletin qui deviendra la Revue de musicologie. Loin de l’actualité, s’écartant délibérément du contexte sociopolitique et culturel, la sfm et son Bulletin favoriseront une approche très « scientifique » et relativement nouvelle en France, de la musicologie, bien qu’encore teintée par les tendances historicisantes à la manière de la Schola Cantorum et écartant pour un temps toute la musicologie germanique. En parallèle, sous les auspices du musicologue Henry Prunières qui s’écarte résolument de la sfm, est créée La Revue musicale. C’est à partir d’un réseau international qui place la musicologie française au coeur de l’action musicale contemporaine que Prunières établit de nouvelles alliances avec le milieu des arts et de la littérature pour fonder l’une des plus célèbres revues musicales de la première moitié du xxe siècle. À partir de documents inédits, nous étudierons les circonstances qui mènent à la refondation de La Revue musicale sur les cendres de la Revue sim entre 1915 et 1919. Nous verrons ainsi comment les hasards de la guerre mènent Prunières à entreprendre la carrière d’éditeur et comment le musicologue conçoit le projet international de la revue dans un contexte de guerre qui contribue à une redéfinition des cultures nationales.
Il est difficile d’extrapoler sur ce qu’aurait pu être l’avenir de La Revue musicale sim si la guerre n’avait pas eu lieu. Il est par contre possible de documenter et de comprendre le rôle que la Grande Guerre jouera dans l’essor d’une nouvelle dynamique pour la musicologie française dont la division d’abord justifiée par le conflit aura des conséquences à long terme sur l’échiquier international de la discipline.
Mots-clés :
- Revue musicale,
- musicologie,
- Écorcheville,
- Prunières,
- Guerre 14-18,
- presse musicale
Abstract
When the director of La Revue sim, Jules Ecorcheville, left for the front in 1914, he wrote to his friend Émile Vuillermoz:
If I do not come back, I recommend our work, dear friend. And above all, if you want to please me in the other world, try to maintain concord and harmony between the various elements that will be in the presence of my disappearance. Our periodical is made of different adjusted pieces (Friends, sim, etc.), which balance by miracle, a few years of cohesion are absolutely necessary again and it is precisely this concentration of our different strengths that should be maintained. In any case, my disappearance should not entailed that of a work which cost us, all, so much trouble. Is not it true?
Despite the wish of Écorcheville, La Revue sim will disappear, but not for long since it will give birth to two new organizations in 1917 and 1920. During the war, the alumni of La Revue sim including Lionel de La Laurencie, will create the Company French musicology (sfm) on the ruins of the Société internationale de musique and will publish a Bulletin that will become the Revue de musicologie. Far from the current events, deliberately departing from the socio-political and cultural context, the sfm and its Bulletin will favor a very “scientific” and relatively new approach in France, of musicology, although still tinged by the historicizing trends in the manner of the Schola Cantorum and dismissing for a time all Germanic musicology. In parallel, under the auspices of the musicologist Henry Prunières who resolutely deviates from the sfm, is created La Revue musicale. It is from an international network that places French musicology at the heart of contemporary musical action that Prunières establishes new alliances with the world of arts and literature to found one of the most famous musical journals of the world of the first half of the 20th century. From unpublished documents, we will study the circumstances that lead to the re-founding of La Revue musicale on the ashes of the Revue sim between 1915 and 1919. We will thus see how the chances of war lead Prunières to undertake the publishing career and how the musicologist conceives the international project of the journal in a context of war that contributes to a redefinition of national cultures.
It is difficult to extrapolate what the future of La Revue sim would have been if the war had not taken place. On the other hand, it is possible to document and understand the role that the Great War will play in the development of a new dynamic for French musicology whose division first justified by the conflict will have long-term consequences on the chessboard. international discipline.
Keywords:
- Revue musicale,
- musicology,
- Écorcheville,
- Prunières,
- World War One,
- musical press
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Parties annexes
Note biographique
Michel Duchesneau est professeur titulaire à la Faculté de musique de l’Université de Montréal et directeur de l’oicrm. Il est l’auteur du livre L’avant-garde musicale en France et ses sociétés de 1871 à 1939 (Mardaga, 1997), le coéditeur des collectifs Musique et modernité en France (pum, 2006), Musique, art et religion dans l’entre-deux-guerres (Symétrie, 2009), Charles Koechlin, compositeur et humaniste (Vrin, 2010), Écrits de compositeurs (Vrin, 2013) et l’éditeur de deux volumes consacrés aux écrits du compositeur et pédagogue français Charles Koechlin (Mardaga, 2006 et 2009).
Bibliographie
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- Écorcheville, Jules (1915a), lettre à Madeleine Écorcheville du 18 janvier, Fonds Jules Écorcheville.
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- Prunières, Henry (1914b), lettre à Camille Prunières du 4 septembre, Archives privées Henry Prunières (ahp), 2 lettres.
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