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Vers un droit global ? est un ouvrage collectif réunissant les textes de plusieurs auteurs sur l’émergence d’un droit global et de nouvelles normativités[1]. Il est le résultat du cycle annuel de conférences sur les fonctions contemporaines du droit organisé par le Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit de l’Université de Montréal de 2013 à 2014, dont Karim Benyekhlef a assuré la direction de 2006 à 2014[2].

Ce livre s’inscrit dans le contexte de la mondialisation et la dynamique de reconceptualisation des frontières qui le caractérise. Le droit global est une notion à rapprocher de la perspective de droit cosmopolitique[3]. La mondialisation économique offre de nouvelles possibilités au droit : elle initie les juristes au processus de mondialisation des règles de droit, nouveau concept dans la littérature juridique[4]. En dehors de la mondialisation des marchés, le droit global exprime une volonté politique de surmonter la prédominance de la vision économique[5].

L’ouvrage est divisé en sept chapitres rédigés par autant d’auteurs. Chaque chapitre aborde différentes conceptions du droit global.

Le premier chapitre, rédigé par Karim Benyekhlef, se consacre à la mise en contexte du droit global et des éléments qui constituent son émergence. Selon lui, la chute du mur de Berlin en 1989 marque le début du mouvement global[6]. Le néolibéralisme constitue le théâtre principal de l’évolution du droit global, notamment à travers des institutions telles que l’Union européenne (UE) ou le Fonds monétaire international qui « se définissent en bonne partie contre le totalitarisme, la dictature et […] toute forme d’intervention étatique qui brimerait la liberté[7] ». Le droit global, pour Karim Benyekhlef, présente une alternative au droit moderne qui se limite au territoire étatique dans le cadre du droit national, ou qui privilégie les États et exclut les « principaux protagonistes de la globalisation[8] » dans le cadre du droit international[9]. Le droit global devrait alors « combl[er] les interstices laissés libres par les droits nationaux et le droit international dans la régulation des phénomènes transnationaux[10] ». Si les échanges économiques restent le socle du droit global, ce dernier est d’abord constitué des normes de l’ordre marchand qui le facilitent[11]. Le droit global tente de mettre en avant les normativités émergentes en repensant les concepts de souveraineté, de monopole juridique et de droit moderne. Tandis que l’État doit laisser de côté sa centralité juridique, et non son influence, la nouvelle norme à portée globale doit aborder une approche pluraliste et globale[12].

Le second chapitre, rédigé par Alberto Lucarelli, professeur à l’Université Federico II, aborde la question des biens communs et de la fonction sociale de la propriété au travers du rôle des collectivités locales[13]. L’auteur y déplore la manière timide dont la question des biens communs est abordée et rappelle la théorie doctrinale de la responsabilité de dépasser la controverse théorique afin de leur donner la « consistance juridique » nécessaire pour entrer dans le « droit positif »[14]. Alberto Lucarelli tente de délimiter et de définir les biens communs en parlant notamment de biens du domaine naturel et environnemental ou encore de ceux du patrimoine indisponible. De plus, l’auteur s’attache à différencier les biens communs, les biens publics et les biens privés afin d’en assurer la juste utilisation[15]. Enfin, l’auteur estime que la jouissance des biens communs pour les individus nécessite un « système politique et administratif local capable de valoriser la dimension participative des citoyens[16] », et que c’est à ce niveau que les collectivités locales doivent agir.

Dans le troisième chapitre, écrit par Anne-Laure Champetier de Ribes Justeau, professeure à l’Université Loyola de Chicago, il est question de mettre en lumière les obstacles à la responsabilité transnationale des entreprises dans le domaine des droits de l’homme[17]. L’auteure prend l’exemple de l’arrêt Kiobel [18]: les plaignants ont eu recours à la juridiction des tribunaux américains grâce à l’Alien Tort Statute[19] afin d’obtenir un jugement suivant un texte précis, pour combler les lacunes du droit international. En effet, elle explique que le droit international ne régule pas les sociétés transnationales, tandis que le droit global serait particulièrement adapté puisqu’il « présuppose l’interconnexion et l’interdépendance de tous les ordres légaux[20] ». Mais l’ATS, toujours soumis à des frontières nationales, ne suffit pas au projet du droit global. L’exemple de l’arrêt Kiobel fait ainsi émerger des critiques à l’encontre d’une justice globale définie par les États-Unis[21].

Le chapitre suivant de Benoit Frydman[22] décrit l’évolution du concept de droit global à travers l’École de Bruxelles[23]. Le droit global permet désormais de comprendre des phénomènes indépendants au-delà des frontières des États, à l’échelle du monde. C’est ici une vision proactive du droit global qui est mise en avant dans un monde en constante évolution. La production normative qui avait été faite jusqu’alors est, dans ce chapitre, remise en question et critiquée. L’auteur défend une vision évolutive du droit, notamment à travers l’existence et l’émergence d’un droit global qui serait capable de se plier aux exigences et aux dynamiques de l’environnement global[24].

Dans le cinquième chapitre, Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS, affirme que les migrations internationales s’inscrivent dans la mondialisation[25]. L’auteure soutient que la sortie des territoires nationaux est devenue plus facile au cours de ces vingt dernières années tandis que le droit d’entrée a connu le phénomène inverse sur la même période. C’est désormais un processus de multilatéralisme qui se met en place. Des réseaux migratoires se sont établis, mais beaucoup sont inégaux et non fonctionnels et les politiques d’immigration se sont en même temps durcies dans les pays d’accueil[26]. Catherine Wihtol de Wenden envisage également les mobilités comme des biens publics, et insiste sur l’importance de traiter les migrations de manière globale et non comme un élément soumis à la souveraineté des États[27].

Le chapitre six, rédigé par Maxime St-Hilaire, professeur à l’Université de Sherbrooke, s’intéresse au jus gentium comme potentielle variante du droit global[28]. L’auteur parle ici d’une alternative épistémologique, qui serait bénéfique au droit positif sans pour autant s’étendre à une « présentation matérielle du système des principes mondiaux du droit[29] » : les principes du jus gentium sont issus d’une science juridique. Il parle ici de jus gentium comme d’un « ensemble de principes propres à une communauté juridique scientifique qui, par définition, est internationale[30] ». C’est la raison qui commande ce jus gentium.

Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, dans le dernier chapitre, questionne l’existence d’un droit global de l’ennemi qui serait encadré par des normes relatives aux éliminations ciblées[31]. L’auteur, directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM) au ministère de la Défense français ainsi que professeur à la Paris School of International Affairs, prend l’exemple de la politique américaine d’éliminations ciblées pour souligner les confusions qui existent entre élimination et assassinat, entre les fins et les moyens, et entre drones armés et systèmes d’armes létales autonomes[32]. Il insiste sur le fait que ce n’est pas contre les drones eux-mêmes qu’il faut s’insurger, mais contre leurs effets. Les éliminations ciblées sont à considérer au regard du droit international humanitaire, auquel cas elles peuvent être légales ou du droit international des droits de l’homme. L’auteur finit par affirmer qu’un droit global de l’ennemi n’est pas envisageable, car, sur ce sujet, le droit dépend des intérêts des États concernés[33].

Les différents chapitres de cette monographie tentent de se compléter, mais ne dressent pas pour autant un portrait général du droit global et de son application concrète. Néanmoins, l’ensemble de l’ouvrage présente un éventail d’outils permettant à tous de s’initier à la notion de droit global. Cependant, des questions persistent et des ambigüités transparaissent : où le droit global se situe-t-il par rapport aux droits national, international et transnational ? En est-il le fédérateur, le garant ou le remplaçant ? Quelle est son ambition ? D’autre part, l’UE apparaît comme un exemple évident lorsque l’on parle de droit global[34]. Justement, l’UE fait l’objet de préoccupations importantes quant à son efficacité et sa légitimité, notamment sur les politiques migratoires qui ne sont pas coordonnées entre les pays. Dès lors, le droit global est-il viable ? De plus, qui en serait l’instigateur ? Quel pays ou quelle région en seraient le garant et le gardien ? N’y aurait-il pas un risque de déséquilibre de pouvoir entre les pays ? Il est difficile d’imaginer, dans la conjoncture, un conseil dans lequel tous les États abandonneraient une part de leur souveraineté. Le Conseil de sécurité illustre en effet la complexité d’établir un quelconque consensus au sein de la société internationale. Karim Benyekhlef oppose explicitement le droit global à un processus universalisant en le définissant comme une addition de droits[35]. Ainsi, il est difficile d’imaginer un équilibre convenant à tous les acteurs de la mondialisation face aux défis contemporains qu’elle impose et que le droit global prétend avoir la capacité de résoudre.