Corps de l’article

[L]es principales infractions contre l’environnement qui relèvent de plusieurs juridictions nationales ou touchent à l’indivis mondial en dehors de toute juridiction nationale doivent être considérées comme des crimes internationaux selon les conventions multilatérales. […] Pour faciliter la répression des crimes internationaux, notamment des atteintes à l’indivis mondial, il faut élargir à ces infractions la compétence de la cour internationale envisagée par la Commission du droit international et actuellement à l’étude à l’Assemblée générale.

Paragraphes 23 et 28 de la résolution du Congrès tenu du 4 au 10 septembre 1994 à Rio de Janeiro (Brésil) par l’Association internationale de droit pénal sur les infractions contre l’environnement. Extrait repris dans Revue internationale de droit pénal, 66:1-2, 1995 aux pp 52 et 53.

Assumant la matérialisation de l’idéal régulateur de l’ordre social interétatique[1], le droit international s’est aussi assigné, depuis un lustre de temps, la mission de réglementer la protection de l’écosystème pour prévenir l’humanité des catastrophes éventuelles que causeraient les conséquences dues à l’activité industrielle. Portant sur la consécration des principes visant à prévenir les conséquences de l’activité humaine ou industrielle sur le sol, la mer, les espèces sauvages, les espèces fauniques, cette réglementation[2] est matérialisée dans l’ordre interne des États par l’adoption des mesures de mise en oeuvre[3]. C’est dans cette logique que s’inscrivent des mesures législatives censées organiser le cadre de répression de certains comportements criminels contre l’environnement. Ces mesures consistent à criminaliser les comportements d’atteinte environnementale pour pouvoir réprimer leurs auteurs. Il ne s’agit là que d’un aspect de mise en oeuvre d’une obligation internationale dont le défaut impliquerait la responsabilité de l’État pour absence de prévention ou de répression[4].

Au-delà d’un simple de défaut de criminalisation, l’absence de répression ou de prévention dans le chef des États signataires des textes relatifs à la protection de l’environnement s’entend aussi et surtout d’une incapacité avérée de l’appareil judiciaire de l’État qui favorise un phénomène quasi endémique d’impunité. C’est ce qui justement fonde l’hypothèse de mise en oeuvre de la responsabilité internationale de type pénal en vue de réprimer les atteintes environnementales. Du développement de cette hypothèse ressortent plusieurs préoccupations qui tiennent essentiellement à la définition des actes constitutifs d’atteinte environnementale pour savoir lesquels d’entre eux peuvent faire l’objet d’une répression internationale : les atteintes à l’environnement territorialisé et/ou les atteintes à l’environnement mondialisé?

Catégorisant les atteintes portées à l’environnement territorialisé, il appert de distinguer les actes qui violent les mesures administratives des « actes intentionnels » posés dans les limites d’un territoire en violation de la loi pénale pour un mobile donné. Les actes de violation des mesures administratives appellent seulement à des amendes. Ce sont des actes d’atteinte environnementale posés dans le mobile de se faire du lucre[5] ou de détruire l’ennemi pendant la guerre qui intéresse dans le cadre de cette nomenclature. Dans cet ordre d’idées, il importe d’insister sur le degré de gravité desdits actes, car seules les atteintes causant des dommages graves, étendus et durables sont d’une atteinte certaine à la sûreté de la planète[6]. Ces adjectifs épithètes qui définissent les dommages résultant de ces atteintes rendent compte de l’espace géographique et de la période sur lesquels s’étendent les conséquences de ces actes ainsi que de l’ampleur des préjudices ou de la perturbation de ces actes sur l’environnement humain[7]. Cette précision terminologique vaut son pesant d’or tant le champ de cette étude est circonscrit aux seules atteintes environnementales dont le seuil de gravité affecte l’ordre public de la société humaine universelle.

Parmi ces actes, seuls ceux perpétrés à des fins belliqueuses et destructrices sont clairement criminalisés par les textes du droit international, pour être en principe réprimés par l’État, et subsidiairement devant une juridiction internationale[8]. S’agissant des actes d’atteinte environnementale territorialisés, leur répression est une prérogative régalienne reconnue à l’État dont l’une des aptitudes est de criminaliser tel ou tel acte troublant l’ordre public national pour définir la juridiction interne compétente[9]. Cette compétence juridictionnelle relève de la souveraineté de l’État parce que les actes d’atteinte susvisés sont perpétrés dans les limites du territoire national[10]. Nonobstant quelques tempéraments liés à la nationalité de l’auteur ou de la victime et à l’universalité de punir, la répression des actes criminels perpétrés dans les limites d’un territoire donné est de l’apanage du juge territorial[11].

La justification de la compétence complémentaire de la CPI pour la répression des actes d’atteinte environnementale territorialisés qualifiés de génocide ou de crime de guerre se fonde sur le besoin de faire face à l’impunité des actes menaçant l’ordre public de la société humaine universelle[12]. Cette thèse est légitime d’autant plus que, indépendamment du lieu de commission d’un acte criminel, le caractère international que peut revêtir sa réprobation motive la nécessité de fonder la compétence d’une juridiction internationale. Ce raisonnement peut logiquement s’appliquer aux actes territorialisés d’atteinte environnementale d’une réprobation universelle certaine commis à des fins lucratives. Il n’en demeure pas moins des actes d’atteinte environnementale territorialisés pouvant être assimilés aux crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. En effet, les actes territorialisés d’atteinte à l’environnement sont qualifiés comme tels lorsqu’ils causent des dommages d’une atteinte certaine à la sûreté de la planète.

À côté des actes territorialisés, il est des actes de portée mondiale parce que commis sur des espaces communs à tous les États. Il s’agit des actes d’atteinte environnementale perpétrés en haute mer ou dans l’espace extra-atmosphérique qui ne dépendent d’aucun ressort juridictionnel[13]. Ainsi, le besoin de justice exigerait également de définir au niveau international un cadre de répression pour faire face à ces actes d’atteinte environnementale. Dans cet ordre d’idées, il conviendrait d’énoncer une dernière catégorie d’actes d’atteinte environnementale qui peinent à être réprimés à cause des circonstances de leur commission. Il s’agit là des actes transnationaux d’atteinte à l’environnement. À ce jour, quelques mesures interétatiques de coopération judiciaire prévoient la répression de certains d’entre eux[14]. Cependant, d’autres restent et demeurent impunis, car aucune mesure ne prévoit leur répression.

Ceux qui par bonheur sont réglementés demeurent timidement réprimés, car le cadre de répression se révèle des fois inadapté à l’ampleur de la criminalité. La nécessité de faire face aux dimensions subtiles et extraterritoriales de la commission de certains actes d’atteinte environnementale guide également les États à étudier un mécanisme qui rencontrerait habilement certaines réalités qui les entourent[15]. Cette option est légitime d'autant plus que certains criminels environnementaux recourent aux mêmes méthodes sophistiquées et aux mêmes réseaux que les trafiquants d’êtres humains, de stupéfiants et de produits de contrebande, qui sont des crimes organisés réputés[16]. Les actes de criminalité organisée qualifiés comme portant gravement atteinte au cadre physique dans lequel la vie peut évoluer[17] sont les suivants : les actes commis dans plus d’un État ou dans un seul État, mais avec une partie substantielle de leur préparation, de leur planification, de leur conduite ou de leur contrôle qui a lieu dans un autre État. Au nombre de ces actes, nous pouvons citer le trafic illicite des espèces animales et végétales menacées, la mise à mort, la destruction, la possession ou la capture des spécimens des espèces de faune et de flore sauvages sauf dans le cas où les actes portent sur une quantité négligeable de ces spécimens et ont un impact négligeable sur l’état de conservation de l’espèce. La criminalité transnationale organisée rend difficile la mission dévolue à la justice interne dans la répression des crimes tant les méthodes pour les commettre impliquent les subtilités transnationales[18].

S’il est vrai que ces actes, bien que commis au-delà d’un seul territoire ou hors d’un quelconque ressort national, sont d’une atteinte certaine à l’ordre public de la société humaine universelle, il n’en demeure pas moins opportun de concevoir leur répression devant la Cour pénale internationale à titre subsidiaire pour pallier à l’incapacité des juridictions nationales. Cette hypothèse est loisible d’autant plus qu’à l’instar d’une quelconque compétence judiciaire, la complémentarité de la CPI est adaptée à l’ampleur de la criminalité internationale. Et si l’on songeait que l’implication transnationale de certains comportements d’atteinte à l’environnement appelle à des solutions internationales pour une répression efficace[19], la CPI est la seule alternative d’entre les juridictions internationales existantes dans la mesure où elle est l’unique à être effectivement compétente à la répression permanente des crimes internationaux.

Cette problématique vaut la peine d’être élucidée tant elle est d’une originalité avérée, au-delà de l’intérêt scientifique qu’elle suscite. À observer la montée vertigineuse de l’industrialisation, l’ouverture exponentielle des frontières nationales aux capitaux étrangers, l’accroissement des volumes d’importations, le développement effréné des technologies de communication[20], il se révèle impératif d’étudier les possibilités d’exponentiation de la criminalité environnementale pour réfléchir aux modalités adaptées d’éradication.

Voilà pourquoi la présente étude se propose de réfléchir à un mécanisme efficace de répression des atteintes graves portées à l’environnement. Ce faisant, il va falloir apprécier le système répressif institué actuellement pour faire face à l’envergure de la criminalité environnementale (I), et ce, avant d’envisager les possibilités d’extension de la compétence matérielle de la Cour pénale internationale à certains actes graves d’atteinte à l’ordre public écologique commis en temps de paix dont le mobile est autre que les motivations destructrices, discriminatoires et belliqueuses (II).

I. Atteintes portées à l’environnement : l’envergure d’une criminalité dont le système répressif se révèle inadapté !

Envisageant d'apporter les éléments de réponse à la préoccupation de savoir que faire pour éradiquer par le droit l’impunité grandissante de la criminalité environnementale, ce point procédera, en premier lieu, à l’analyse des mécanismes étatiques pour déceler l’inadéquation de la politique criminelle des États à la lumière de l’ampleur de la criminalité (A). Il se propose aussi de réfléchir sur les possibilités actuelles du droit international pénal à réprimer les actes d’atteinte portés à l’environnement (B).

A. Mécanismes étatiques de répression des atteintes environnementales : une politique criminelle adaptée à l’ampleur de la criminalité ?

Dans l’objectif de mettre en oeuvre des conventions relatives à la protection de l’environnement, les États, par des mesures législatives de criminalisation et de poursuite, adoptent une politique criminelle qui se révèle inadéquate à l’ampleur de la criminalité environnementale (1). Il s’ensuit logiquement que cette inadaptation est aussi fonction de la mise en oeuvre des principes d’application de la norme pénale dans l’espace au regard de l’étendue de la criminalité environnementale (2).

1. La politique criminelle des États à l'épreuve de la criminalité environnementale : constats et défis

Le péril qui résulte des actes d’atteinte à l’environnement n’est pas seulement multiforme et exponentiel . Désormais, il s’étend dans l’espace et dans le temps[21]. La dangerosité de la criminalité environnementale s’apprécie par rapport à l’étendue des dégâts qu’elle peut causer. Cette étendue est temporelle, spatiale et matérielle. Elle fait penser en résumé à ce que peut coûter une atteinte à l’environnement. Un crime environnemental peut coûter la détérioration de la santé humaine, la rupture de la sécurité, des pertes importantes en vies humaines, des pertes des espèces sauvages ou fauniques, la disparition des espaces rares, la disparition de l’habitat et de la biodiversité, la sécheresse, la désertification et toutes les conséquences qu’entraine le changement climatique[22]. Il se déduit que la commission d’un acte ou d’une omission portant gravement atteinte à l’environnement remette en cause certaines prérogatives reconnues par l’ordre naturel et l’ordre juridique à l’homme. C’est le cas du droit à la vie, du droit à l’alimentation, droit au logement, du droit à la santé[23]. Cependant, il est tout aussi intéressant de faire constater le lien dialectique entre la conception humaniste de la protection de la répression des atteintes environnementales à sa conception activiste. Il en est des avantages que peut tirer l’homme de l’exploitation de la terre et de la nature au mépris de danger qu’elle pourrait représenter à la sûreté de la planète.

Au-delà du coût que représente la criminalité environnementale pour la société et l’humanité, son ampleur s’apprécie par rapport aux possibilités d’exponentiation et aux méthodes de commission. Les motifs qui incitent les personnes ou les organisations à commettre des atteintes portées à l’environnement justifient sa multiplication. D’ailleurs, à la différence d’actes d’atteinte à l’ordre public écologique commis pour des motifs belliqueux, destructeurs et discriminatoires, ceux commis à des fins lucratives sont d’une augmentation exponentielle[24]. Le contexte de la mondialisation a certainement favorisé l’ouverture des nouvelles opportunités criminelles vouées à satisfaire l’augmentation de plus en plus croissante de nouvelles demandes en biens de consommation situés loin des frontières nationales[25]. L’accentuation du marché global des produits licites et illicites due aux facilités de communication et de voyage de par le monde ainsi qu’à la perméabilité des frontières constitue une des possibilités d’augmentation de la criminalité environnementale[26].

Les actes de criminalité environnementale se réalisent dans le cadre des activités réputées illicites[27]. Ces actes se commettent souvent au moyen des procédés sophistiqués et subtils qui dépassent l’imagination du commun des mortels. Il s’agit là de la criminalité organisée dont l’apport est significatif comme facilité de commission des atteintes portées à l’environnement. Ces procédés subtils de commission des atteintes environnementales qui illustrent la criminalité organisée ne sont possibles que lorsqu’il s’agit d’un forfait qui se commet dans plus d’un État ou dans un seul État, mais avec une partie substantielle de leur préparation, de leur planification ou de leur contrôle qui a lieu dans un autre État[28]. Cette pratique criminelle se vérifie, pour les atteintes à l’environnement, dans les cas de trafic illicite des animaux sauvages, des plantes ou des matières appauvrissant la couche d’ozone, de commerce de l’ivoire d’éléphants, la pêcherie illégale, l’exploitation illégale et à grande échelle des ressources naturelles, etc.[29]

Pour peu qu’on s’en rende compte, la plupart d’actes de criminalité environnementale se commettent dans le cadre des activités économiques licites. C’est lorsque l’accomplissement de certaines activités liées à une raison sociale d’une société pétrolière, nucléaire civile, minière, industrielle donnée débouche intentionnellement ou par mégarde à la réalisation des forfaits causant des dommages graves, étendus et durables sur l’environnement et à la santé. Il n’en demeure pas moins des actes de sabotage écologique comme celui perpétré par la société Trafigura sur le Probo Koala à Abidjan[30] dont le contexte de réalisation justifie la qualification d’un crime environnemental. Ce sabotage a entrainé un déversement de 581 tonnes des déchets toxiques et causé des milliers des victimes, des blessés et une dizaine des morts. Du reste, ce forfait écologique continue jusqu’à ce jour à causer des conséquences néfastes[31].

Comme on peut s’apercevoir, l’envergure de la criminalité environnementale telle qu’illustrée dépasse de très loin les mesures étatiques de criminalisation qui prétendent l’éradiquer. Les mécanismes internes de criminalisation sont fondamentalement assis sur le régime répressif général. Les cadres réglementaires et institutionnels de protection de l’environnement censés relayer les lacunes du régime général de répression ne criminalisent pas en substance la criminalité environnementale. Ceux d’entre les ordres juridiques dont la politique criminelle semble adaptée à la répression de la criminalité environnementale se trouvent butés à une donne : le caractère transnational de certains actes d’atteinte à l’environnement et ses implications. Pour autant, si la modernisation de la réponse pénale est d’un apport considérable à l’éradication des atteintes environnementales, elle n’occulte pas cependant les limites évidentes du cadre interne face au caractère majoritairement transnational qui dénote de la criminalité environnementale[32], d’où l’internationalisation de la protection pénale de l’environnement s’impose. Toutes ces faiblesses de l’ordre interne des États expliquent une inefficience de la répression de la criminalité environnementale.

Ce constat est vérifiable comme l’illustrent ces quelques ordres juridiques des États. C’est notamment le cas de la Constitution de la République démocratique du Congo qui se limite en son article 55 à qualifier :

[l]e transit, l’importation, le stockage, l’enfouissement, le déversement dans les eaux continentales et les espaces maritimes sous juridiction nationale, l’épandage dans l’espace aérien des déchets toxiques, polluants, radioactifs ou tout autre produit dangereux, en provenance ou non de l’étranger, constitue un crime puni par la loi[33].

Et parcourant la loi congolaise, porteuse des principes fondamentaux relatifs à la protection de l’environnement et qui est censée mettre en oeuvre l’article 55 de la Constitution, nous constatons que rien n’est substantiellement dit concernant les éléments de définition dudit crime[34]. Cette loi se contente, en son chapitre 8 intitulé « Des infractions et des peines » à énumérer les infractions et les peines en cas de trouble à l’ordre public environnemental sans pourtant énoncer les éléments constitutifs des actes d’atteinte à l’environnement d’une gravité certaine[35]. Ce chapitre consacre treize articles à la criminalisation de certains actes d’atteinte à l’environnement. Parmi ces dispositions, quatre sont essentiellement consacrées à une criminalisation liée à certains préalables administratifs[36]. À côté de ces incriminations, il importe de rappeler que les différents textes de réglementation sectorielle[37] énoncent un mécanisme tout de même insuffisant qui conditionne le droit pénal au droit administratif dans la répression des actes d’atteinte à l’environnement.

La Constitution béninoise innove, quant à elle, en matière de la protection pénale de l’environnement. Cette protection est le reflet d’un cadre répressif plus ou moins adapté. On peut lire à cet effet l’article 29 de la constitution béninoise qui dispose que :

[l]e transit, l’importation, le stockage, l’enfouissement, le déversement sur le territoire national des déchets toxiques ou polluants étrangers et tout accord y relatif constitue un crime contre la nation. Les sanctions applicables sont définies par la loi[38].

Une analyse de ces dispositions fait ressortir les éléments matériels constitutifs de l’infraction de « crime contre la nation » qui apparaît en droit béninois comme la plus grande infraction pénale sanctionnée en matière environnementale[39]. Ainsi, l’infraction est consommée et qualifiée de crime contre la nation béninoise, lorsque l’un quelconque des faits ou activités suivants relatifs à la manipulation ou à l’exploitation sur le territoire national des déchets toxiques ou polluants provenant de l’étranger, à savoir « le transit, l’importation, le stockage, l’enfouissement et le déversement » est commis[40].

Le contexte de la mondialisation influe sur le débat de la criminalisation des atteintes à l’environnement en Occident. Cette implication commande aux États occidentaux de prendre en compte l’équilibre entre les enjeux environnementaux et ceux du développement durable. L’actuelle législation canadienne semble adaptée à la répression des infractions environnementales. Ses articles 228 à 273 font − en plus de l’actus reus du crime − allusion tant à la mens rea subjective qu’à la mens rea objective[41]. Ainsi la qualification de ces actes d’atteintes à l’environnement s’apprécie tant par rapport au résultat que par rapport au mobile et à l’intention du rétracteur[42]. Elle présente tout de même des limites quant aux actes commis au-delà des frontières. En France, le dispositif répressif mis au service de la protection de l’environnement apparait complet de par la multitude des incriminations qu’il présente. Par contre, ce dispositif présente de nombreuses défectuosités tant par rapport à sa conception que par rapport à sa mise en oeuvre[43].

Cependant, s’il s’avère que pour certaines atteintes portées à l’environnement, le recourt aux mécanismes nationaux suffisent pour une répression efficace, il en va différemment lorsque la dégradation de l’environnement s’inscrit dans le cadre d’une stratégie générale d’un groupe ou d’un gouvernement visant à saper la sureté de la planète pour un mobile déterminé[44]. Les ordres répressifs des États se révèlent inadaptés à cette autre facette du problème à résoudre : incriminer les atteintes massives à l’environnement d’un dommage grave, durable et étendu.

En dépit de l’insignifiante incrimination, la singularité caractérisant ces genres d’actes d’atteinte et son envergure nécessitent une politique criminelle adaptée. C’est ce qui justement explique que l’application des mesures répressives internes contre les atteintes environnementales soit inefficace, voire non effective. Les textes juridiques sur la poursuite et la recherche des crimes environnementaux doivent être adaptés[45]. Le dispositif sur la politique criminelle nécessite une prise en compte des réalités subtiles et sournoises qui entourent la commission des atteintes à l’environnement. En l’espèce, la recherche de ces infractions est dans plusieurs législations le fait d’une politique criminelle générale[46]. Ceci explique que les officiers de police judiciaire, les inspecteurs de police judiciaire, les agents de police judiciaire, les magistrats, les greffiers dans la plupart des États sont novices aux notions essentielles de la science environnementale[47]. Or, cette initiation est un prérequis indispensable à la recherche des infractions environnementales. Les textes de la plupart des États se contentent des dispositifs répressifs généraux, obsolètes et archaïques[48]. Pour d’autres États, les systèmes répressifs sont plus tournés dans la recherche des infractions dans un seul domaine de l’environnement[49]. La recherche des infractions dans d’autres domaines de l’environnement est relativisée[50]. L’agencement de la politique criminelle n’est pas de l’apanage des seuls agents de justice. Il doit être le résultat d’une synergie entre ces derniers et les institutions de gestion de la question environnementale[51]. Dans certains États, à l’exemple des États africains, les institutions environnementales n’ont pas dans leur culture l’habitude de coopérer avec la justice[52]. D’ailleurs certaines d’entre elles ne sont même pas effectives. Les organes de contrôle dans d’autres États ne fonctionnent pas comme il se doit. Il en est de la RDC où le Conseil national de l’environnement prévu par la loi y relative depuis 2011 n’est pas encore effectif[53]. Force est de conclure qu’après l’inventaire des pratiques législatives et judiciaires, il se dégage un constat de carence. Il convient par ailleurs de souligner que les dimensions qui caractérisent la commission de certaines atteintes environnementales expliquent l’inefficacité du juge territorial.

2. L'État territorial: juge naturel et adéquat à la répression des atteintes portées à l'environnement ?

Les termes juge naturel et adéquat qui apparaissent en filigrane de l’intitulé de ce point rendent compte de l’objet de la présente problématique qui a pour vocation de réfléchir sur la naturalité et l’efficacité du juge dans la répression des atteintes portées à l’environnement. Pour ce qui est de la naturalité du juge, elle ne s’entend pas seulement comme l’expression de l’aptitude du juge à décider du procès d’une manière appropriée[54]. Au-delà de toute liaison avec le droit naturel, les droits de l’homme, la nature même du litige, il est important de relever que les règles de compétence sont très déterminantes sur la question de la naturalité du juge dans la mesure où ce sont elles qui déterminent le juge le plus qualifié du point de vue territorial à connaitre d’un litige[55]. Autrement dit, la naturalité du juge s’apprécie par rapport à la territorialité de juridiction. Voilà pourquoi, en vertu de la souveraineté juridictionnelle, le juge de l’État sur le territoire duquel un acte d’atteinte à l’ordre public a été perpétré est compétent[56]. Se fondant sur ce principe, le juge territorial est compétent pour connaitre des atteintes environnementales qui se sont, ne serait-ce que, partiellement perpétrées sur le territoire national. Et pour cela, il suffit que l’un des éléments matériels de l’infraction ait été réalisé sur ce territoire, sans qu’il soit nécessaire que cette atteinte à l’environnement y ait été entièrement commise. Les textes des États consacrent la compétence du juge territorial.

En dépit de la consécration de la compétence territoriale de ces atteintes, il est malheureux de souligner que la criminalité environnementale n’est pas efficacement réprimée. Le problème est peut-être lié à l’extranéité ou à l’extraterritorialité de certains actes. L’extranéité et l’extraterritorialité en matière de criminalité environnementale peuvent résulter soit de la commission d’une atteinte à l’environnement par un national sur le territoire étranger, soit d’un étranger ayant commis une atteinte environnementale dans le territoire national, soit d’une compétence partagée entre États au nom d’une obligation internationale environnementale ou en dehors de cette obligation. Encore faudrait- il que l’ordre juridique interne l’énonce clairement dans un texte. Les ordres répressifs des États peuvent mettre en oeuvre ces aptitudes juridictionnelles en adaptant leurs textes. Certains − à l’instar de la territorialité de punir qui en vertu de la souveraineté s’impose à tout État − recourent à la compétence universelle. D’autres recourent à la compétence personnelle ou à la compétence réelle. Cette option relève du choix souverain de tout État estimant tel ou tel mécanisme efficace pour réprimer telle ou telle atteinte à l’ordre public[57]. Le plus important dans la poursuite de cette démarche réside dans la préoccupation de concrétiser l’obligation coutumière de poursuivre ou d’extrader auprès d’un autre État s’estimant capable de juger[58].

C’est dans cet ordre d’idées que les juges belges[59], français[60] et suisses[61], en vertu de la compétence personnelle, se fondent sur la nationalité de l’auteur ou de la victime, quel que soit le lieu de commission, pour réprimer certains actes d’atteinte à l’ordre public. Ces textes internes ne consacrent cette possibilité que dans l’hypothèse de la répression découlant de la violation des Conventions de Genève[62], de la Convention contre la torture[63], Convention contre la prise d’otages[64], de la Convention sur la personne physique des matières nucléaires[65], de la Convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile[66]. Il est vrai que d’autres États comme la France et la Suisse ouvrent cette compétence à toutes les infractions[67]. Ceci peut justifier l’action du juge français ou suisse en vue de la répression d’un acte extraterritorial d’atteinte à l’environnement lorsque la victime est un national. Malheureusement, la juridiction française ou suisse n’est pas active sur ce point. La faiblesse réside peut-être dans le fait que la disposition en question est conditionnée par la saisine de la victime, des ayants droit de la victime et par la dénonciation des autorités du pays où le fait a été commis[68].

En outre, est-il prévisible de s’appuyer sur la compétence réelle pour envisager fonder la compétence des juridictions internes dans la poursuite des infractions environnementales? La compétence réelle se fonde par définition sur la commission d’une infraction à l’étranger pouvant ainsi constituer une atteinte aux intérêts primordiaux de l’État. Cela peut s’agir d’un acte d’atteinte à la sureté de l’État comme le terrorisme, d’un acte de corruption, de contrefaçon des sceaux ou des timbres[69]. Au-delà des actes cités précédemment, on peut aussi ajouter des actes d’atteintes à l’environnement commis dans les limites du territoire de l’État qui a des effets extraterritoriaux atteignant même les territoires des États voisins.

Cependant pour combler les failles liées à l’applicabilité du principe de territorialité et ses corollaires, le droit consacre l’aptitude pour un juge de connaitre une infraction indépendamment du lieu de commission, de la nationalité de l’auteur ou de la victime. Il s’agit là de la compétence universelle. Elle peut revêtir un caractère obligatoire lorsqu’elle se fonde sur une obligation internationale[70]. Et lorsqu’une loi interne crée des critères de compétence beaucoup plus larges que ceux contractés suite à une ratification des traités internationaux, la compétence universelle se fonde sur un caractère facultatif[71]. C’est par une législation interne que les États consacrent l’application de la compétence universelle en vue de réprimer les crimes internationaux. Cette législation définit l’étendue, la portée et les limites de l’opposabilité des normes relatives à la répression des atteintes massives à l’ordre public[72].

Il en est de l’ordre juridique français qui fonde déjà ce régime à l’article 113-8-1 du Code pénal. En vertu de cette disposition, les juridictions françaises sont compétentes pour connaitre de tout crime ou délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement commis hors du territoire de la République par un étranger dont l’extradition a été refusée par les autorités françaises pour motif que le fait soit puni d’une peine ou d’une mesure de sureté contraire à l’ordre public français ou pour raison des garanties d’un procès équitable[73]. C’est le Code de procédure pénale qui réglemente par ailleurs la compétence universelle résultant de l’application des conventions internationales[74]. En droit suisse, plusieurs dispositions du Code pénal et du Code pénal militaire consacrent la compétence universelle sous des formes diverses. C’est le cas des articles 6 et 7 du Code pénal qui fondent d’une part la compétence universelle résultant de l’application des conventions internationales et d’autre part celle résultant des crimes commis à l’étranger. À l’issue de ces dispositions fondamentales de la compétence universelle, certains ont adopté des lois de mise en oeuvre. C’est le cas de la loi fédérale du 18 juin 2010 qui a instauré une compétence universelle spécifique aux crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre[75]. À l’instar du fondement reconnaissant au juge belge la compétence universelle lorsque l’auteur est trouvé en Belgique, le droit belge contient aussi une disposition générale qui donne compétence au juge belge pour tous les cas où une convention internationale contient une règle obligatoire d’extension de la compétence des juridictions des États parties. Et l’ordre juridique congolais consacre cette possibilité aux articles 3 du Code pénal et 100 du Code de justice militaire[76]. De ces exemples éloquents d’application des lois portant compétence universelle de punir les atteintes massives à l’ordre public international, il faut déduire la volonté approuvée par certains États à aménager un mécanisme efficace pour battre en brèche l’impunité des certains crimes odieux à la communauté internationale comme les atteintes graves à l’environnement.

Est-il que dans le cas d’espèce, d’entre les multiples conventions relatives à la protection de l’environnement, aucune ne consacre expressément l’obligation internationale de réprimer, par le biais du droit interne des États, les actes d’atteintes environnementales, qu’importe la nationalité de l’auteur ou le lieu de commission de l’infraction. Certains États peuvent néanmoins se fonder sur les cadres répressifs existants pour punir les actes d’atteintes graves à l’environnement en cas de refus d’extradition. D’autres actes d’atteinte environnementale constituant un crime de guerre ou crime de génocide peuvent être poursuivis sur base de la compétence universelle. Les ouvertures possibles pouvant envisager le fondement de la compétence universelle aux atteintes graves à l’environnement en dehors d’un quelconque lien de rattachement sont peut-être à rechercher dans la définition du crime international[77], dans les considérations protectrices des droits humains[78] ou dans les méthodes ayant facilité la commission de ces genres d’atteintes, car elle peut s’illustrer dans le contexte d’une criminalité organisée[79]. En raison du caractère universel des enjeux, ainsi que de la répartition géographique des phénomènes criminels, le juge territorial se trouve ainsi limité pour réprimer la criminalité environnementale organisée. Si de nos jours aucune politique criminelle des États n’a été à mesure de rencontrer de manière cohérente cette forme de criminalité, la spécificité environnementale ajoute un dilemme de plus à un édifice normatif déjà fragile. Toutefois, il faut souligner la possibilité qu’offre le Statut de Rome en vue de réprimer internationalement certaines atteintes environnementales commises pour des motifs belliqueux et destructeurs.

B. Atteintes environnementales : une catégorie cernée par le droit international pénal ?

À proprement parler, les règles découlant de l’ensemble des normes de droit international public dont l’objet est la protection de l’ordre public international par la prohibition des certains comportements qui y portent atteinte, sous peine de sanctions exécutoires ainsi que la répression de ces comportements[80] n’incriminent pas les atteintes graves portées à l’environnement en temps de paix (2). Ce sont ceux qualifiés de crimes de guerre et de crimes de génocide qui sont appréhendés par le droit international pénal en vue d’une possible répression des auteurs devant les juridictions pénales internes ou internationales (1).

1. Actes criminels de type environnemental: une catégorie juridiquement qualifiée de crime contre la paix et la sécurité de l'humanité ?

De manière rationnelle, l’expression crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité renferme une acception beaucoup plus large que les crimes de guerre, les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes d’agression[81]. Au-delà de la consécration normative, la notion de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité s’entend de tout acte de violation grave d’une obligation internationale d’importance essentielle pour la sauvegarde des valeurs et intérêts fondamentaux à la communauté internationale[82]. Ces actes sont entre autres l’agression, l’atteinte grave aux lois d’humanité, le génocide, l’apartheid, les atteintes graves portées à l’environnement. À en croire l’article 19 du projet d’articles sur la responsabilité des États, ces actes, nonobstant la qualité des sujets auxquels ils sont imputés, constituent des actes de rupture à la paix et la sécurité internationales. Il n’en demeure pas moins des actes dont la répression constitue le maintien de l’ordre public international[83]. Ainsi, d’entre les violations environnementales, seules les atteintes graves ou massives doivent rationnellement être perçues comme constitutives de crime au regard du droit international; car la gravité est un facteur déterminant à l’appréciation de la valeur d’une obligation internationale violée. Cette gravité est appréciée tant par rapport à l’étendue du dégât causé par l’acte de violation que par la valeur des intérêts mis en danger par ce fait[84]. Cependant, la portée du positivisme rend compte de l’ineffectivité juridique des atteintes environnementales comme une catégorie de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité[85]. Les seuls crimes autonomes de droit international sont ceux identifiés des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, à savoir les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, les crimes de génocide et les crimes d’agression[86]. Ainsi, les atteintes environnementales ne sont pas un crime autonome de droit international. Donc, seules les atteintes graves à l’environnement entrant dans la qualification de l’un des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité sont appréhendées par le droit international.

Ainsi, relayant l’esprit de quelques dispositions pertinentes des Conventions de Genève, des projets d’articles sur la responsabilité des États et du Code sur les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, les textes constitutifs des juridictions pénales internationales pouvaient assimiler aux crimes de guerre ces comportements portés contre l’environnement :

la destruction et l’appropriation des biens, non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et délibérée […] le fait de lancer une attaque délibérée en sachant qu’elle causera incidemment des dommages aux biens de caractère civil ou des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu[87].

C’est dans cet ordre d’idées que, reprenant le litera c de l’article II de la Convention sur le génocide, les statuts instituant la CPI, les tribunaux pénaux internationaux et les juridictions internationalisées énonçaient comme actus reus du crime de génocide notamment :

[l]à soumission à des conditions d’existence devant entrainer la destruction physique totale ou partielle du groupe. L’expression « conditions d’existence » peut recouvrir, mais sans s’y limiter nécessairement, la privation délibérée des moyens indispensables à la survie, tels que nourriture ou services médicaux, ou expulsion systématique des logements[88].

Cette cristallisation conventionnelle des éléments matériels des crimes de guerre et de génocide est en fait l’illustration des actes d’atteinte à l’environnement qui sont qualifiés comme tels. Cette tendance a été affirmée par la jurisprudence pénale internationale à l’exemple du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie à l’occasion des deux affaires célèbres comme nous pouvons l’indiquer. Dans l’affaire Procureur c Krstic, illustrant un acte constitutif de crime de guerre, le juge a soutenu :

[l]a destruction physique ou biologique s’accompagne souvent d’atteintes aux biens et symboles culturels et religieux du groupe pris pour cible, atteintes dont pourra légitimement être tenu compte pour établir l’intention de détruire le groupe physiquement. La Chambre considérera donc en l’espèce la destruction délibérée des mosquées et des maisons appartenant aux membres du groupe comme une preuve de l’intention de détruire ce groupe[89].

Et dans l’affaire Procureur c Blagojevic & Jokic, mettant à l’évidence l’actus reus du crime de génocide, le juge a affirmé que :

La destruction physique ou biologique d’un groupe n’implique pas nécessairement la mort de ses membres. Si le massacre d’un nombre important des membres du groupe peut être le moyen le plus direct de détruire celui-ci, d’autres actes ou séries d’actes peuvent aussi conduire au même résultat. Un groupe est défini non seulement par ses membres, mais aussi par son histoire, ses coutumes, par le lien unissant ses membres et celui qu’ils entretiennent avec leur terre et avec d’autres groupes[90].

Au demeurant, parcourant les éléments matériels des crimes contre l’humanité, il est à constater qu’aucun d’eux ne reprend les atteintes portées à l’environnement dans sa définition. Donc, les atteintes environnementales ne rentrent pas dans la qualification des crimes contre l’humanité, à moins d’être cristallisées−à la manière de l’avis d’une frange de la doctrine − comme nouvel élément de sa définition[91]. Cette position se fonde sur le fait que les crimes environnementaux sont des actes attentatoires aux valeurs communes de l’humanité[92].

Poursuivant, on peut enfin soulever cette préoccupation : les actes de pollution à effet extraterritorial commis par un particulier sous l’instigation des organes politiques d’un État voisin de manière intentionnelle ne peuvent-ils pas être qualifiés de crimes d’agression? À s’en tenir à tous les écrits qui énoncent les hypothèses de l’intégration du crime d’agression dans le champ matériel de la CPI, l’acte constitutif d’agression ne peut être qu’un acte armé. Or, les actes de pollution ne sont pas par principe des attaques armées, à moins de les envisager comme armes de guerre accompagnant des actes armés d’un autre État[93]. Pouvons-nous de ce fait considérer les actes d’essai nucléaire émanant d’un État voisin comme activités constitutives de crime d’agression[94]? Non, l’agression s’entend d’un acte armé consommé. En dehors des actes d’atteintes environnementales précités, les actes perturbateurs de l’ordre public écologique ne sont pas encore cernés en droit international pénal. De surcroît, aucune atteinte portée à l’environnement n’est consacrée comme crime autonome de droit international.

2. Le droit international pénal n'incrimine pas les atteintes graves à l'environnement commises en temps de paix

D’entre la multitude des conventions sur la protection de l’environnement, aucune n’incrimine les atteintes environnementales comme crime à part entière. Bien au contraire, certaines se limitent à prescrire à charge des parties une obligation de les criminaliser. Bien plus, l’ensemble des normes coutumières et conventionnelles de droit international public destinées à maintenir l’ordre public international −par la répression des certains actes qui y portent atteinte[95]− ne cerne pas de manière indépendante la catégorie atteintes portées à l’environnement comme crime. Dans la nomenclature des catégories des crimes énumérés par différentes sources du droit international pénal, les actes d’atteintes à l’environnement sont parfois qualifiés de crimes de guerre et de crimes de génocide. Ainsi, tout acte d’atteinte à l’environnement n’est pas forcement constitutif des crimes de droit international.

Nonobstant ces évidences, il importe de pouvoir examiner les différentes sources du droit international pénal pour savoir quels sont les critères de définition d’un crime en droit international afin de s’assurer réellement des éléments qui manquent à certains actes d’atteintes massives à l’environnement pour être qualifiés comme tel. Parmi les multiples conventions sur le droit pénal international, aucune n’a expressément défini le terme crime de droit international. Seule une convention s’est limitée à reprendre le terme en question à travers de l’une de ses dispositions. La convention sur le génocide stipule en son article I : « Les Parties contractantes confirment que le génocide, qu'il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un “crime du droit des gens”, qu'elles s'engagent à prévenir et à punir »[96].

Face à la carence du droit conventionnel illustrée ci-dessus, la doctrine a tenté − par l’interprétation des normes coutumières et conventionnelles) de définir c’est qu'est-ce qu’un crime en droit international. Pour la doctrine dominante et constante, la prise en charge du terme « crime » par le droit international rend inexorablement compte de la mise en oeuvre de la responsabilité individuelle de type pénal en droit international. Car, soutient-elle, l’État ne peut s'en soustraire[97]. Néanmoins, cherchant à illustrer la gravité de certains faits internationalement illicites imputables à l’État, une certaine tendance de la doctrine crédite la thèse de l’existence d’un crime international à charge de l’État, crime dont on saurait déduire exactement les implications juridiques[98]. Cependant, dans le cadre de cette démarche sémantique, il importe de relever la distinction qui existe entre les termes crime de droit international, crime de droit de gens et crime international. Ce faisant, M. Salmon définit le crime de droit international comme : « Tout fait individuel qualifié d’infraction pénale par le droit international coutumier ou conventionnel »[99].

L’expression crime de droit gens recouvre une acception beaucoup plus large. Elle recouvre le crime de droit international et le crime international. Elle est une expression doctrinale couvrant la violation des normes fondamentales. C’est ce que Rivier illustre comme « [t]out acte qui viole un droit essentiel »[100].

De ce qui précède, nous pensons que la portée criminelle d’un acte individuel réside dans le fait que ce dernier viole les prescriptions du droit international dont l’atteinte est susceptible d’affecter la paix et la sécurité internationales[101]. C’est exactement là la raison de la distinction d’un crime à un délit et à une infraction en droit international. Alors qu’un délit affecte un intérêt protégé au plan international dont la commission implique plus d’un État, une infraction s’explique comme toute violation du droit international pénal qui n’est pas comprise dans la catégorie de crime ou de délit[102]. Il nous revient à retenir que la définition d’un crime en droit international réside dans le caractère essentiel du droit violé et dans la consécration normative d’une violation.

En l’espèce, seuls ces actes d’atteinte à l’environnement constituent des crimes de droit international : les actes constitutifs des crimes de guerre et des crimes de génocide[103]. Ainsi, faute de consécration normative, certains actes massifs d’atteinte à l’environnement, qu’importent leurs effets sur l’ordre public international, ne peuvent pas être qualifiés de crimes en droit international. Il en est des actes d’atteinte grave à l’environnement animés par des motifs purement économiques. Au nombre de ces comportements, nous pouvons énumérer les actes de pollution et de destruction manifeste de certaines espèces commis en temps de paix et pour des mobiles lucratifs[104].

Du moins, l’oeuvre de la Commission du droit international révèle que la criminalisation des atteintes portées à l’environnement dans l’ordre international est un vieux débat d’il y a une trentaine d’années dans le cadre du Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité. Ces crimes devraient en principe faire partie du champ matériel de la Cour criminelle permanente à côté des ceux consacrés actuellement dans le Statut de Rome. Faute de consensus entre États, ce projet sur la criminalisation des atteintes portées à l’environnement par le fait de la stratégie d’un gouvernement ou d’un groupe privé visant délibérément à saper la salubrité publique internationale est resté lettre morte.

En effet, le Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité de 1954[105] s’inspire largement des principes de Nuremberg. Il est compréhensible que, pour la criminalisation des atteintes portées à l’environnement, ce texte n’aille pas plus loin que les principes de Nuremberg. Cette hésitation réside dans le fait qu’il était illusoire de penser à l’époque que les activités humaines pourraient irrémédiablement porter atteinte à des biens comme l’eau, l’air et le sol[106].

C’est environ trente ans plus tard[107] que la CDI a reconsidéré sa position quant à la criminalisation des atteintes environnementales dans le cadre du Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Cette criminalisation s’est matérialisée lorsque le rapporteur spécial a suggéré de prendre en compte les actes graves qui contreviennent aux textes conventionnels de protection de l’environnement dans la qualification des crimes contre l’humanité. La disposition se lisait ainsi : [c]onstituent des crimes contre l’humanité […] toute atteinte grave à une obligation internationale d’importance essentielle pour la sauvegarde et la préservation de l’environnement humain[108].

S’appuyant sur l’article 19 du projet d’articles sur la responsabilité des États[109], le rapporteur spécial a pensé qu’il était opportun d’ériger en crime international les atteintes environnementales d’une gravité certaine. Cette position a suscité un vif débat entre les membres de la CDI. À l’issue de ce débat, il ressort que la majorité des membres étaient cependant pour qu’il soit criminalisé les atteintes environnementales. C’est ainsi qu’en vertu de la majorité dégagée, un nouveau rapport fait état des aménagements qui ont gardé la formulation allant dans le sens d’une criminalisation dépendant des crimes contre l’humanité. La disposition stipulait :

Constituent des crimes contre l’humanité […] toute atteinte grave et intentionnelle à un bien vital pour l’humanité, comme l’environnement humain[110].

Bien qu’ayant gardé la formulation incluant des actes d’atteinte environnementale dans la qualification des crimes contre l’humanité, ces aménagements sont jugés adaptés et suffisants. C’est bien l’article 26 du projet de 1991 qui fut renvoyé au comité de rédaction.

Faisant état des commentaires et observations des États sur ce projet, le comité de rédaction retient la préoccupation, évoquée par certains membres de la CDI, sur la nécessité de faire des atteintes environnementales un crime indépendant. Ainsi, l’article 26 s’énonçait de la manière suivante :

Tout individu qui cause délibérément ou ordonne que soient causés des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel sera, une fois reconnu coupable de cet acte, condamné. Ce dommage est causé en temps de paix et en temps de conflit armé[111].

Curieusement, à la proposition du projet pour une probable adoption par les États à l’Assemblée des États parties à Rome, le Président du comité de rédaction décida unilatéralement de retirer du texte la qualification en temps de paix. C’est ce qui a motivé, de l’avis de la CDI, que les membres du groupe de travail de l’article 26 proposent ainsi d’inclure ces éléments de crime dans la qualification des crimes de guerre[112] et de génocide[113]. Cette démarche n’a eu qu’à actualiser le terme et ouvrir un vieux débat juridique intimement lié à l’existence de la Cour pénale internationale[114]. L’évolution du débat tel qu’abordé à ce jour nous présente un projet d’amendements du Statut portant institution de la Cour pénale internationale qui propose la définition d’un crime dénommé écocide dont la démonstration des garanties de réalisation constitue le point suivant[115].

II. L’extension du champ matériel de la Cour pénale internationale aux atteintes environnementales commises en temps de paix : une hypothèse adaptée?

En l’état actuel, le Statut de Rome ne consacre que quatre crimes dans la compétence matérielle de la CPI notamment les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, les crimes de génocide et les crimes d’agression. Les raisons et besoins justifiant les hypothèses consistant à imaginer la protection pénale de l’environnement sur le plan international expliquent l’indigente extension de la compétence de la CPI aux atteintes graves à l’environnement (A). Ainsi, ces actes attentatoires à l’ordre public international deviendraient le cinquième crime dans le champ matériel de la CPI (B).

A. La nécessité et la faisabilité de la révision du Statut de Rome

À l’instar des besoins de justice face à l’impunité dans le secteur environnemental justifiant la révision du cadre normatif instituant la CPI, il se profile deux préoccupations formulées comme suit : pourquoi (1) et comment (2) peut-on étendre sa compétence matérielle aux crimes environnementaux?

1. La nécessité d'étendre aux atteintes environnementales[116] : le champ matériel de la Cour pénale internationale

Les raisons justifiant l’incapacité des juridictions nationales à réprimer les atteintes environnementales d’une gravité certaine sont évidentes. Elles tiennent sur l’ampleur de certains actes de criminalité environnementale dont la subtilité recommande l’adoption d’une politique criminelle qui prend en compte les réalités transnationales et l’ingéniosité caractérisant la criminalité organisée. Cette thèse est légitime d’autant plus que la singularité de ces actes criminels ne s’explique pas seulement par rapport à l’ampleur de sa gravité, mais aussi par rapport aux probables implications extraterritoriales ou transnationales les caractérisant[117].

Ainsi, ces probables implications transnationales et la subtilité liée à la nature de la criminalité organisée nécessitent une solution interétatique qui impliquerait l’existence d’une cour supranationale. Mais quelle forme de juridiction pénale internationale conviendrait dans une telle hypothèse ? La littérature remarquable réfléchissant sur la question est partagée entre la possibilité de recourir à la compétence universelle[118] et celle de faire recours à une juridiction pénale internationale[119]. Il n’y a pas plus tard qu’en 2014 l’Union africaine, à travers le Protocole modifiant le protocole de la Cour de justice africaine, propose de criminaliser au niveau interétatique africain quelques actes d’atteinte environnementale. Quelle garantie d’efficacité pouvons-nous accorder à cette possibilité? D’abord, il convient en réponse à cette préoccupation de souligner que ce texte non encore effectif ne prend en compte que l’importation des déchets toxiques et l’exploitation illicite des ressources naturelles comme crimes environnementaux. Il conviendra ensuite de dire que l’actuelle configuration de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme présente un risque d’alourdissement dans la mesure où cette juridiction renfermera trois compétences − une compétence générale de droit international, une compétence en matière des droits de l’homme et une compétence en matière pénale sur quatorze crimes[120]. Ajouter un élément de crime en plus de quatorze crimes existants et deux autres compétences, sans prendre des mesures adéquates ne fera qu’enfoncer le problème d’ineffectivité.

Une certaine opinion pense en outre qu’il existe une hypothèse adéquate, notamment celle envisageant l’instauration d’un Tribunal pénal international pour l’environnement. L’hypothèse du Tribunal pénal international pour l’environnement ne rassure pas vu le coût financier et les exigences logistiques que cela pourrait représenter[121]. En outre, la compétence universelle comme mécanisme de répression des crimes environnementaux présente tout de même des limites quant aux garanties d’efficacité, car cette aptitude de juger n’est pas territorialement illimitée. Par ailleurs, les ramifications mafieuses caractérisant la criminalité organisée ne sauraient être décelées par un système, soit-il international, qui mise sur les juridictions nationales ou les institutions internes de sécurité d’autant plus que cette nature de criminalité est aussi facilitée par le circuit institutionnel de certains États[122]. Une juridiction pénale internationale indépendante des institutions étatiques serait adéquate à la répression de cette nature de criminalité.

De l’avis d’une opinion dominante[123], la Cour pénale internationale serait la juridiction adaptée à rencontrer les réalités subtiles et transnationales caractérisant notamment la criminalité environnementale, réalités qui justifient une impunité endémique. Cette position est confortée par celle envisagée par la Procureure de la Cour pénale internationale consistant à renforcer le régime pénal complémentaire de la Cour[124]. Dans cet ordre d’idées, la Procureure entend encourager les procédures déjà amorcées au niveau national par les États sur des crimes entrant dans leur compétence en renforçant les phases d’enquête et de poursuite[125]. C’est à ce titre qu’elle envisage une coopération entre la CPI et les États, à la demande des États, pour porter assistance au sujet des comportements constituant des crimes graves au regard de la législation nationale[126]. Cette assistance et coopération aux fins des enquêtes et des poursuites concernent tous les crimes graves au regard de la législation nationale, notamment ceux qui n’entrent pas dans le champ matériel de la Cour pénale internationale. Il s’agit notamment de certaines atteintes environnementales commises en temps de paix : l’exploitation illicite des ressources naturelles, l’appropriation illicite des terres et la destruction de l’environnement, etc[127].

Martelant sur l’application de l’article 93-10 du Statut de Rome, ces idées du document de politique générale de la Procureure ont le mérite de souligner la vocation de la Cour pénale internationale à lutter contre l’impunité et à prévenir notamment certains actes d’atteinte grave à l’environnement. Plus qu’un voeu, cette idée traduit l’intérêt de la Cour à pouvoir contribuer à l’éradication de la criminalité environnementale grandissante pour garantir la sureté de la planète. C’est là notamment la pertinence des critères de sélection, évoqués dans ce document, qui, parlant de la gravité, insiste sur les crimes entrainant des ravages écologiques et la destruction des biens protégés[128]. Pour peu qu’on le réalise, ces idées attestent le besoin impérieux d’étendre la compétence matérielle de la Cour pénale internationale aux atteintes graves à l’environnement commis en temps de paix.

D’ailleurs, un regard critique sur l’effectivité de la Cour pénale internationale conforterait l’hypothèse d’étendre sa compétence matérielle aux atteintes graves à l’environnement commis en temps de paix. Car, pourquoi ne pas se servir d’une institution qui a déjà fait ses preuves d’effectivité? En effet, le bilan de la Cour pénale internationale sur son fonctionnement, depuis l’entrée en vigueur du Statut de Rome jusqu’à ces jours, est significatif. En dépit de toutes les réalités et difficultés auxquelles elle est confrontée, la Cour pénale internationale compte dans son actif un bilan éloquent : vingt-trois affaires, vingt-neuf mandats d’arrêt, dix examens préliminaires et dix situations d’investigation. S’agissant des affaires, on peut compter aujourd’hui huit détenus, treize personnes toujours en liberté, trois charges abandonnées, neuf citations à comparaitre, six verdicts, neuf coupables et une personne acquittée[129].

Il est cependant vrai qu’un bilan comme celui-ci ne représente pas grand-chose au regard de la masse des victimes des situations dont le besoin de justice ne se fait apparemment pas bien entendre à la CPI. Il est tout de même établi que dans l’espace d’une quinzaine d’années, une telle statistique répressive illustre une effectivité irréfutable qui insinue une relative efficacité avec laquelle compter dans la démarche consistant à habiliter la Cour pénale internationale dans la répression de la criminalité environnementale. Il importe dans cet ordre d’idées de souligner le rôle combien important de la Cour pénale internationale dans la lutte contre l’impunité et la criminalité. De ces affaires, il s’est construit une jurisprudence constante sur la caractérisation des différents crimes de droit international. Cette caractérisation tient sur certains principes nécessaires à la théorisation des atteintes environnementales. Si dans ses décisions, le juge de cette juridiction a su d’une manière implicite contribuer à la théorisation des principes de répression[130] de certains actes criminogènes, il en va de sa capacité à rencontrer certaines limites qu’accusent les ordres répressifs nationaux à l’endroit des atteintes environnementales d’une certaine envergure. Mais comment cette hypothèse serait-elle effective avec un cadre normatif juridiquement limité ?

2. la faisabilité de la révision du Statut de Rome

Sous réserve d’une tout autre disposition émanant d’elle − toute convention peut être amendée par accord entre les parties. Ainsi les règles relatives à la validité d’un traité lui sont applicables[131].

Ce propos tiré de la Convention de Vienne sur le droit des traités énonce la possibilité reconnue aux États parties signataires d’une convention de l’amender à tout moment qu’ils jugent nécessaire. Ainsi, en application de cette disposition, les États prévoient dans chaque traité une ou plusieurs dispositions sur l’amendement de certaines clauses du traité. Cette disposition reprend l’objet et d’autres détails sur l’amendement. Le Statut instituant la Cour pénale internationale n’est pas en reste. Il prévoit deux dispositions énonçant les détails sur les amendements. C’est le cas de l’article 123 dont la consécration intéresse l’objet du présent amendement. Il dispose :

Sept ans après l'entrée en vigueur du présent Statut, le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies convoquera une conférence de révision pour examiner tout amendement au présent Statut. L'examen pourra porter notamment, mais pas exclusivement, sur la liste des crimes figurant à l'article 5. La conférence sera ouverte aux participants à l'Assemblée des États Parties, selon les mêmes conditions. [...] À tout moment par la suite, à la demande d'un État Partie et aux fins énoncées au paragraphe 1, le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, avec l'approbation de la majorité des États Parties, convoque une conférence de révision. [...]L'adoption et l'entrée en vigueur de tout amendement au Statut examiné lors d'une conférence de révision sont régies par les dispositions de l'article 121, paragraphes 3 à 7[132].

Loin d’être une étude exégétique, la présente démarche consiste à étudier au regard du droit international la possibilité de réviser toutes les dispositions liées à l’amendement ayant pour objet d’étendre le champ matériel de la Cour aux crimes environnementaux. Cet amendement vise à adapter le Statut de Rome à la poursuite des atteintes graves portées à l’environnement. Les dispositions visées par la révision sont les articles 5, 8ter, 9, 15, 17, 20, 21bis, 25, 33, 36, 42, 43, 53, 65, 75, 77 et 121 du Statut de Rome[133]. La révision de l’article 5 doit faire état de l’ajout du crime d’écocide dans la nomenclature des crimes entrant dans le champ matériel de la CPI[134]. Dans cet ordre d’idées, il importerait d’ajouter un article 8ter qui explique les éléments de définition du crime d’écocide. On aurait dû parler d’un article 9 ou 10 qui fait état de l’économie du crime d’écocide, mais pour respecter l’ossature actuelle du Statut de Rome il est préférable de numéroter ainsi : 8ter[135]. Parlant des éléments du crime, le point 1 de l’article 9 doit, dans le but de faire état de ce crime, ajouter dans son corps le concept 8ter après l’énonciation du terme des articles 6, 7, 8 et 8bis, illustrant les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, les crimes de génocide et les crimes d’agression[136]. Considérant le fait que l’expertise du PNUE ou de tout autre organisme spécialisé sur les techniques de durabilité de l’environnement est un élément indispensable à l’appréciation de la gravité des faits, cela devrait conditionner la recevabilité de la Cour à l’égard d’une affaire tenant sur le crime d’écocide[137]. Ainsi, l’article 17 doit tenir compte de cet aspect. C’est aussi le cas de l’article 20 qui, évoquant le principe Ne bis in idem, doit en son point 3 inscrire la disposition relative au crime d’écocide[138].

Le régime de répression du crime d’écocide doit prendre en compte le caractère évolutif d’une infraction continue[139]. Ainsi, il conviendrait d’ajouter un article 21bis qui consacrera les principes d’un jugement déclaratoire à l’égard d’une conduite en cours d’exécution[140]. Ainsi les règles de procédure et de preuve y relatives sont applicables. L’un des aspects qui singularisent la criminalisation des atteintes graves à l’environnement tient bien entendu à la qualité de l’auteur responsable du crime. À l’opposé des principes coutumiers de Nuremberg, ce crime est aussi et surtout le fait des personnes morales qui sont censées répondre pénalement de leurs actes[141]. D’où le Statut de Rome devrait, à l’instar de la responsabilité individuelle, consacrer une responsabilité pénale des personnes morales[142]. L’article 25 est le mieux établi pour une matérialisation de cette réforme. Il doit ainsi parler d’une simple responsabilité pénale qui inclut la responsabilité individuelle et la responsabilité des personnes morales[143]. De ce fait, l’article 33 exclurait toute justification pour un ordre manifestement illégal[144]. L’article 36 du Statut de Rome doit à mon avis prendre en compte l’expertise environnementale dans le processus de désignation des juges devant composer les chambres siégeant en matière de crimes d’écocide. Étant un fait que la détermination de ce crime appelle à élever des théories scientifiques sur l’environnement au rang des normes, il importe de désigner des procureurs ayant une large connaissance des détails sur la traçabilité et la légalité environnementales[145]. D’où la modification de l’article 42 doit tenir compte de cela en ajoutant des procureurs adjoints qui sont censés être experts en la matière. Le dernier membre de la phrase du point 6 de l’article 43 sur l’organisation de la greffe doit prendre en compte ce crime[146].

L’article 77 devrait en principe ajouter les sanctions à prévoir en cas des crimes d’écocide tout en tenant compte de sa singularité. Ainsi serait-il important d’ajouter un point 3 qui en plus des sanctions prévues ordinairement, inclurait des peines comme la dissolution des personnes morales, la confiscation et l’ordre de cessation des opérations[147]. Les modifications à apporter à cette disposition doivent avoir un lien avec la retouche de l’article 65 qui est relatif à l’aveu de culpabilité[148]. De ce fait, la Cour pourra, à travers la retouche de cette disposition, échanger l’aveu de culpabilité à l’imposition d’une pénalité à définir à l’article 77[149]. Cette démarche devra être menée par le Procureur. Au cas où elle réussissait, la décision y résultant doit devenir une obligation que la Cour est tenue d’exécuter. L’article 75 du Statut de Rome relatif à la réparation des victimes, devant ainsi tenir en compte la spécificité des crimes environnementaux, soulignerait le fait que ces différentes modalités sont envisageables de manière parfois cumulative. Un accent particulier doit être mis sur la justice transitionnelle, la restauration et le remboursement en pertes directes résultant des conséquences découlant de ces crimes[150]. Et le dernier point à réviser doit être relatif à l’entrée en vigueur de ces amendements à l’égard de chaque État. Il vise le point 5 de l’article 121 du Statut de Rome. Sur cette disposition, une certaine opinion estime qu’il serait préférable d’étendre l’opposabilité des amendements visant les articles 5, 8ter et les éléments du crime d’écocide aux États non-signataires du Statut de Rome qui les ont acceptés une année après leur dépôt auprès du Secrétaire général des Nations Unies par 7/8e des États parties[151]. Or, le contenu actuel de la disposition limite l’opposabilité des amendements du Statut de Rome aux seuls États parties les ayant acceptés[152].

Cette proposition de révision vise la possibilité d’étendre l’opposabilité de la question à certains États non membres qui s’estimeraient intéressés par le projet. Plus qu’une question d’opposabilité, cette hypothèse rend compte de la nécessité d’impliquer un bon nombre d’États pour l’aboutissement d’un projet d’amendement tendant à étendre la compétence de la Cour pénale internationale aux atteintes graves portées à l’environnement. Au regard des enjeux de l’heure, l’adhésion des États à un tel projet est fonction d’intérêts qu’ils peuvent trouver à la suite de cette démarche. Ainsi le disait si bien Charles de Gaulle, « entre États, il n’y a pas d’état d’âme, il n’y a que des intérêts »[153]. Pour les États du sud, s’impliquer dans un tel projet représenterait à la fois un danger et un intérêt.

C’est un danger dans la mesure où la reconnaissance de l’écocide remet en cause la souveraineté permanente sur les ressources naturelles. Ce principe présuppose une exploitation souveraine des ressources naturelles et une latitude pleine de confier l’exploitation des ressources naturelles à tel ou tel partenaire économique. Veillant au respect des valeurs protégées par l’écocide, l’État est astreint à certaines limites en usant de cette prérogative régalienne[154]. Ces limites tiennent notamment à l’observation des principes environnementaux comme la précaution, la prévention. Cette reconnaissance s’évertue en intérêt pour ces États, lorsque certains partenaires économiques sont tenus d’exploiter les ressources naturelles dans le respect strict de la souveraineté sur les ressources naturelles et des principes établis du droit de l’environnement. Avec l’incrimination de l’exploitation illicite des ressources naturelles, les États du sud sont préservés de la spoliation des puissances économiques. Ces enjeux fondés sur ces prérogatives de l’État déterminent le positionnement des États par rapport à l’aboutissement du projet tendant à consacrer la reconnaissance de l’écocide[155]. Les bénéfices financiers qui résultent des activités industrielles visées par la criminalisation internationale dont il est question expliquent la réticence des États du nord à s’impliquer pour l’aboutissement d’un tel projet[156].

Néanmoins, en dépit des obstacles tant juridiques, politiques qu’économiques qui pèsent pour l’aboutissement d’un tel projet, la configuration actuelle sur l’adhésion des États au projet tendant à étendre la compétence matérielle de la Cour pénale internationale au crime d’écocide nous donne une lueur d’espoir.

Sur les 124 États parties de la CPI, plus d’une quarantaine d’États attestent d’une volonté de criminaliser les atteintes graves portées à l’environnement. Pour un amendement du Statut de Rome, il faut obtenir 2/3 des votes des États parties à la CPI. Encore qu’avec la CPI, la logique de pondération des voix n’est pas démise[157]. C’est celle postulant l’égalité des votes qui est la règle. Ainsi, telles sont les contraintes liées à la démarche tendant à amender le Statut de Rome en vue d’intégrer les crimes environnementaux dans le champ matériel de la CPI. En outre, en quoi consistent même ces crimes? Quels en sont les éléments ?

B. Le régime juridique du crime d’écocide

L’originalité de la démarche consistant à réfléchir sur les possibilités de criminaliser les atteintes graves à l’environnement en droit international tient sur le fait d’énoncer les éléments spécifiques liés à la définition de ces genres d’atteintes et à la détermination des mécanismes de mise en oeuvre de leur possible répression. Il conviendrait cependant de s’arrêter sur le régime juridique de ce crime afin d’illustrer l’implication possible de la singularité qui le caractérise par rapport à la qualification (1) à la détermination des mesures pénales à prendre pour réprimer leurs auteurs (2), à l’établissement de la culpabilité et à l’instauration des peines adaptées (3).

1. La qualification du crime d'écocide

En vertu des principes de Nuremberg et du droit international pénal, la reconnaissance juridique d’un acte d’atteinte à certaines valeurs internationalement protégées est fonction de son identification à certains critères. Ces critères sont notamment les éléments constitutifs d’un crime[158]. Scrutant la démonstration des éléments constitutifs, il importe de souligner avant tout leur caractère indispensable dans la qualification d’un fait criminel. Ainsi que souligne le Statut de Rome, « les éléments des crimes aident la Cour à interpréter et appliquer les articles 6, 7 et 8 »[159]. Cependant, la peine en vertu d’un crime relevant de la Cour pénale internationale n’est prononcée qu’en fonction d’un acte physique commis avec intention de nuire et connaissance des faits incriminés. Il n’en demeure pas moins vrai de l’animus necandi[160]. C’est pour établir au-delà de tout doute raisonnable la culpabilité ou l’innocence de l’accusé. En effet, les crimes contre l’environnement sont caractérisés dans leur qualification par une prépondérance de l’acte matériel et une relativité de l’élément intentionnel. Parcourant les écrits[161] sur la criminalisation des atteintes graves à l’environnement, le constat est unique : la liste non exhaustive des actes physiques pouvant entrer dans la qualification du crime d’écocide inclut les actes positifs ou négatifs consistant en la destruction manifeste de l’écosystème. Quelques-uns des actes physiques sont les suivants : la pollution, le déversement des déchets toxiques, l’exploitation illégale des ressources naturelles, le trafic de certaines espèces animales, le trafic des déchets, l’exploitation illicite des bois, etc. Cependant, le caractère criminogène de certains actes dépend d’un certain degré de gravité. Le critère du seuil de gravité permet de ne pas confondre le crime d’écocide à une infraction ou un forfait appelant une simple transaction ou des dommages intérêts[162]. La détermination du seuil de gravité de l’acte d’atteinte à l’environnement est d’une grande importance. Mais comment apprécier le seuil de gravité d’un acte physique d’une atteinte certaine à l’environnement? La réponse à cette préoccupation rend compte de la nécessité d’identifier la valeur et l’intérêt protégés par l’incrimination des atteintes graves à l’environnement. Cette incrimination protège-t-elle la santé humaine, la biodiversité et/ou la préservation de l’espace naturel? Pour peu qu’on s’en rende compte, les travaux de la CDI faisant état d’une réflexion critique des termes rapprochés énoncés dans différents rapports, dont « environnement humain », « environnement naturel » et « environnement » illustrent cette problématique[163]. Ces travaux concluent que pour qu’un acte dommageable à l’environnement tombe sous le coup du Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité, il faudrait qu’il porte atteinte à la vie, à la biodiversité et au milieu naturel[164]. Quoi qu’il en soit, le lien d’interdépendance existant entre ces différentes valeurs à protéger illustre l’impérieuse nécessité de les concevoir sous un thème global fondant la protection humaine et la protection du futur de l’humanité : la sureté de la planète, pour éviter le cumul de qualification en cas de concours d’infractions.

S’agissant de l’intérêt à protéger, à quoi servirait-il d’incriminer un fait qui endommage un milieu naturel nuisible à la sécurité de l’homme ou d’incriminer un acte ou une omission qui contribue à la destruction d’une espèce animale dangereuse à la préservation de la biodiversité? C’est l’illustration du conflit entre l’approche anthropocentriste et naturaliste du crime contre l’environnement qui induit de prendre en compte la dialectique protection de l’homme et préservation du milieu naturel dans la criminalisation. C’est pourquoi l’idéal serait de consacrer une incrimination internationale et globale qui prend les deux intérêts. L’adjectif « globale » qui qualifie le terme incrimination dans la phrase précédente rend compte de la nécessaire imprécision qui omettrait de déterminer un quelconque acte ou omission pour qualifier l’écocide. Cette imprécision est nécessaire dans la mesure où elle éviterait le conflit entre ces deux approches dialectiques de l’incrimination des atteintes graves à l’environnement[165]. Ainsi il appartiendra au juge d’apprécier la portée de chaque acte ou omission par rapport à l’objectif visé par l’accusé pour savoir si l’acte même est d’un intérêt avéré à la sureté de la planète ou s’il porte atteinte à un intérêt suprême protégeant la sureté de la planète. Ainsi, l’excuse pourrait tenir sur les causes de justification. Un acte ou une omission perpétrée portant atteinte à un intérêt dans le dessein de protéger un autre intérêt suprême peut être qualifié soit d’une légitime défense ou d’une extrême nécessité.

C’est dans cette longueur d’onde que le projet d’amendements sur le crime d’écocide conçu sous l’impulsion des ONGs réunies au sein de End Ecocide on Earth présente dans ce qui devrait être l’article 8ter du Statut de Rome révisé le condensé de ce qu’il pense être la définition du crime d’écocide en question. Dans ce projet, le crime d’écocide est le fait d’avoir causé un dommage significatif et durable à un système des communaux globaux et à un service systémique dont dépend une population ou un sous-groupe de population humaine[166]. Énonçant de manière détaillée les éléments physiques du crime d’écocide, ce texte ne cite pas explicitement un quelconque acte comme pour illustrer les actes d’atteinte à l’environnement. Il se limite à référer à ce qui est protégé contre tout acte : système des communaux globaux et service écosystémique dont dépend la population. Parlant du système des communaux globaux, le projet fait allusion aux espaces et milieux naturels dont l’affectation entrainerait des conséquences évidentes sur l’homme. Et élucidant le terme service écosystémique dont dépend la population, ce texte illustre le bénéfice obtenu par les êtres vivants des écosystèmes − entre autres l’homme, les espèces sauvages, les espèces fauniques − comme l’habitation, la purification de l’air, les ressources génétiques, les ressources naturelles, etc[167]. N’est-ce pas là une sage formule d’énumérer les actes physiques dont la liste n’est pas limitative. Ces actes portés contre un aspect du système des communaux globaux ou du service écosystémique sont des actes d’omission ou d’action.

À l’instar de l’élément matériel, l’élément intentionnel doit en principe être indispensable à la détermination du crime d’écocide. C’est justement ce que pensent les rédacteurs du Statut de Rome lorsqu’ils soutiennent que la responsabilité pénale et la peine en raison d’un crime relevant de la compétence de la Cour ne sont établies que si l’élément matériel est commis avec intention et connaissance[168]. Il est de ce fait notoire que l’élément matériel du crime doit s’accompagner d’un élément psychologique constitué par l’intention et la connaissance. En effet, l’intention et la connaissance sont là les critères qui permettent à définir l’élément psychologique d’un crime contre la paix et la sécurité de l’humanité. Ainsi l’intention s’entend comme la volonté de commettre l’acte matériel ou la conscience et la volonté infractionnelle[169]. Et sur la connaissance, les rédacteurs du Statut de Rome pensent au fait d’être conscient des conséquences prévisibles de l’acte posé et au fait d’être conscient des implications juridiques qui découleraient de l’acte[170].

S’agissant de l’intention criminelle dans le cas des atteintes graves portées à l’environnement, l’orientation des discussions des membres de la CDI sur la mens rea des crimes contre l’environnement est d’une illustration valable. Cette étude déduirait du terme délibérément repris dans l’énonciation du projet de l’article 26 de 1991 qu’il était admis que ce crime ne peut être commis qu’intentionnellement et non par négligence. En réaction à cette interprétation, les observations des États-Unis soutiennent que ce terme délibérément est d’une imprécision avérée[171]. Cette thèse est loyale d’autant plus que du terme délibérément on déduirait plusieurs possibilités qui n’illustrent pas nécessairement l’intention de commettre le crime en question. Il en est à titre illustratif du cas d’une personne qui agit en pleine connaissance des conséquences de ses actes, mais sans avoir l’intention de causer un préjudice. Dans un sens concret, le terme délibérément n’implique pas nécessairement un acte qui réunit en même temps la volonté infractionnelle et la connaissance. La connaissance dont il s’agit sous-entend la connaissance de l’illégalité et des faits[172]. Par la connaissance de l’illégalité, il faut en effet démontrer que l’accusé avait connaissance de la norme proscrivant l’acte qu’il a commis. Dans le cas de l’écocide, on peut relever la connaissance des principes et règles du droit international de l’environnement qui proscrivent tel ou tel acte d’atteinte certaine à la sureté de la planète. Il s’agit des principes consacrés dans les textes conventionnels relatifs à la protection de tel ou tel domaine environnemental. C’est le cas par exemple de la Convention Marpol, de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et flore sauvages menacées d’extinction, etc.

Cependant la connaissance de droit ne préjuge pas nécessairement le fait de savoir la gravité de l’acte posé par l’accusé par rapport à la proscription énoncée par un texte du droit international de l’environnement. C’est pourquoi il est important d’associer à cette connaissance de droit le fait que l’accusé a été au courant des faits ou des éléments factuels ayant entrainé ou causé le crime d’écocide. Cette connaissance est établie dans le chef des sociétés industrielles, minières ou pétrolières qui sont censées avoir dans leur structure un département de l’environnement constitué des experts environnementaux dont la mission est d’étudier l’impact environnemental de tel ou tel acte de portée industrielle ou d’exploitation. Il est par contre difficile de prouver qu’un individu ou un groupe organisé a été au courant des éléments factuels. Ce sont là les difficultés qu’éprouve la démonstration de l’intention criminelle en cas d’écocide. Dans l’éventualité d’une impossibilité de prouver l’intention criminelle, une certaine tendance estime qu’il est impératif de déformer la notion d’intention en incluant la prise du risque consciente pour répondre à une indignation de la société civile face à une catastrophe grave et sérieuse[173]. C’est à juste titre que le Projet de Convention Écocide estime que les infractions sous-jacentes énumérées étaient également considérées comme intentionnelles « lorsque l’auteur savait ou aurait dû savoir qu’il existait une haute probabilité qu’ils portent atteinte à la sûreté de la planète ». Voilà pourquoi une frange de la doctrine[174] estime nécessaire de réfléchir sur une responsabilité objective fondée sur la connaissance des conséquences techniques qui incomberaient sur les acteurs entre autres les dirigeants des sociétés industrielles et les individus[175]. La justification de cette responsabilité reposerait sur le principe de précaution[176]. Dans ce cas, l’intention, la négligence ou l’ignorance contribuerait seulement à l’appréciation des circonstances atténuantes ou aggravantes.

2. Le comportement coupable et la responsabilité pour crime d'écocide

Parlant des éléments des crimes, le Statut de la Cour les énonce comme pouvant aider la Cour à interpréter et à appliquer les crimes relevant de la compétence de la Cour. Cependant, d’entre les actes entrants dans la qualification des crimes relevant de la compétence de la Cour, aucun acte de dommage significatif et durable à tout ou partie du système des communaux globaux ou à un service écosystémique dont dépend la population n’est repris par les textes de la CPI, à moins d’être un acte constitutif de crime de guerres ou de génocide. La formule « fait ou actes » consacrée dans le Statut de Rome, dans les Éléments des crimes ou certains textes de droit international comme la Convention sur le génocide[177] pour définir les crimes de droit international illustre en substance la nature de tout acte constitutif des crimes. Il s’agit tantôt d’une action de l’auteur, d’une tentative punissable, d’une action en cours d’exécution, d’une omission de l’auteur, des ordres de l’auteur, des directives de l’auteur ou d’une action sous la direction d’un supérieur.

En cas des crimes d’écocide, est constitutif de conduite punissable toute action de l’auteur, toute omission de l’auteur, toute action en cours d’exécution, toute tentative punissable, tout encouragement, tout ordre, toute directive, toute aide, etc. En outre, la singularité du crime d’écocide implique des mesures particulières quant à la qualité du criminel. Ces mesures conditionnent une restructuration de l’institution « responsabilité pénale ». Le droit international pénal contemporain énonce quant à la qualité de l’auteur du crime de droit international : « [ce] sont des hommes, et non des entités abstraites, qui commettent les crimes dont la répression s’impose, comme sanction du droit international »[178]. Il est cependant intéressant de faire constater que certains actes perturbateurs de l’ordre public international ne sont pas que le fait de l’individu. Il en est par exemple des atteintes portées à l’environnement. En l’espèce, la plupart d’actes d’atteintes graves à l’environnement émanent des personnes morales identifiées comme société, entreprise, ONG, association sans but lucratif, partenariat, tout autre entité juridique, gouvernement identifié comme exploitant d’une raison industrielle ou commerciale donnée[179]. Or se rapportant au Statut de Rome, la Cour n’est personnellement compétente qu’à l’égard des individus[180]. D’où la nécessité de réfléchir sur la possibilité de réprimer les personnes morales. Pensant rencontrer cet écueil, il va falloir amender le Statut de Rome pour y inclure la responsabilité pénale des personnes morales. Cette responsabilité doit en principe générer une obligation de réparer au bénéfice des victimes et à charge du coupable. Elle doit prendre en compte la particularité des crimes : un crime qui crée des conséquences à plusieurs générations durant et dont les débiteurs accusent d’une garantie évidente de solvabilité. Cette réparation doit se baser sur les principes de justice restauratrice et, si nécessaire, faire appel à la justice transitionnelle[181].

À l’instar de la responsabilité pour l’action ou l’omission individuelle contre l’environnement, il doit être consacré la responsabilité des supérieurs hiérarchiques, la complicité, l’entreprise criminelle commune et la coaction. Dans ce sens, la responsabilité des supérieurs s’entendra comme le fait d’exercer un contrôle ou de diriger[182] l’utilisation de tout processus ou équipement dont le déploiement a entrainé l’écocide. Elle peut aussi s’entendre comme le fait d’exercer un contrôle sur une personne ou un groupe des personnes qui a commis un acte d’écocide. Dans ce cas, pour éviter de se faire imputer une quelconque responsabilité du fait de sa position de supérieur hiérarchique, l’auteur doit prouver qu’il a pris toutes les mesures nécessaires en vertu de son pouvoir pour empêcher la commission du crime d’écocide par des personnes placées sous son autorité directe. Ainsi, cette responsabilité pourra inclure une ou deux personnes morales ou physiques qui ont agi en interaction soit comme responsable hiérarchique, comme auteur, comme complice ou comme coauteur du crime d’écocide[183]. À cet effet, l’organisation à laquelle appartient toute personne agissant comme responsable hiérarchique par le fait de sa position peut être tenue solidairement responsable pour les actions de cette dernière. Nonobstant les questions liées à la nature particulière du crime d’écocide, les motifs d’exonération mentionnés aux articles 31, 32 et 33 du Statut de Rome doivent être appliqués[184].

3. L'établissement de la culpabilité et l'instauration des peines adaptées à la singularité du crime d'écocide

En vue d’établir la culpabilité pour atteintes graves à l’environnement, il faudrait par principe observer les mêmes règles énoncées par le Statut de Rome pour la matérialisation d’un procès juste et équitable. Une attention singulière doit cependant être faite sur certains aspects liés au caractère atypique du crime d’écocide avant et pendant le procès pénal. Il en est par exemple de l’institution des procureurs adjoints censés être experts en matière de poursuite de ces genres de crime, de la procédure en cas d’aveu de culpabilité, de la recevabilité et de la qualification des juges faisant partie de la composition jugeant les crimes d’écocide. Étant celui qui initie et met en mouvement l’action publique pour traduire en justice les présumés criminels des actes d’écocide, son expérience sur ces genres de poursuite ne peut pas faire ombre de doute ; tant la singularité de ces crimes implique, au-delà de la maitrise de la pratique judiciaire devant la CPI, une certaine maitrise des questions sur l’environnement. Il en est de même pour le juge censé faire partie d’une composition jugeant le présumé coupable du dommage significatif et durable au système des communaux globaux et au service écosystémique. Pour se prononcer sur sa recevabilité en rapport à une affaire de crime d’écocide, la Cour devrait consulter le PNUE et d’autres institutions internationalement reconnues et spécialisées dans les sciences de la durabilité et de l’environnement[185]. Par rapport à l’aveu de culpabilité, le projet d’amendements susmentionné propose l’instauration d’une possibilité visant à soumettre à l’intention de la Cour un avis écrit qui équivaudrait−sous réserve du consentement des parties au procès et de l’approbation de la Cour−à une décision exécutoire de la Cour dont l’objet consistera à négocier l’aveu de culpabilité en échange d’une catégorie de sanction[186]. Ces peines étant la confiscation des profits et le remboursement des frais de justice, leur purgation risque de ne pas rencontrer la fonction destinée à la peine : la dissuasion générale et la rétribution[187]. Il est certes vrai que l’aveu illustre la reconnaissance des préjudices et souffrances causés aux victimes de ces actes, mais envisagée dans ce cas, elle paraitrait inadaptée à l’autre objectif qui est l’amendement de l’accusé. Car, il suffirait pour l’accusé de négocier cet échange pour être libéré. L’accusé ne sent pas dans ce cas le poids du châtiment et de la réprobation sociale.

Pour adapter les peines prévues par le Statut à l’écocide, il faut tenir compte des peines destinées aux personnes morales de droit. En plus des peines prévues par le Statut de Rome, il va falloir ajouter dans la classification des peines la confiscation, la dissolution obligatoire de la personne morale et l’ordre de cessation des opérations[188].

***

Abordée sans succès il y a bien des temps dans le cadre des travaux de la CDI, la criminalisation internationale des atteintes graves à l’environnement par hypothèse à l’impunité terrifiante de la criminalité environnementale demeure d’une nécessité impérieuse. Cette tendance converge vers la possibilité d’étendre carrément la compétence matérielle de la Cour pénale internationale aux atteintes graves à l’environnement. Ces avis sont partagés entre la possibilité envisageant l’ajout d’un élément de définition aux crimes contre l’humanité ou celle consistant à définir un crime autonome en plus de quatre crimes constituant la ratione materiae de la CPI qui inclurait toutes les atteintes graves à l’environnement commis en temps de paix.

On se souviendra que de l’essentiel du débat fait sur ces atteintes dans le cadre du Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité dans les années 80, l’idée dominante consistait à soutenir la consécration du crime contre l’environnement comme un élément des crimes contre l’humanité soutenant que les atteintes graves à l’environnement étaient attentatoires aux lois d’humanité. Plus près de nous en 1995, une avancée spectaculaire dans la criminalisation de ces actes attentatoires à l’ordre public international est restée indélébile. La CDI, dans le cadre du projet fini à soumettre à l’Assemblée des États parties, en son article 26, énonça clairement le crime contre l’environnement en reprenant les éléments nécessaires à sa définition. Fort malheureusement, sous la pression d’une poignée des pays aux intérêts menacés, le Président du groupe de travail retira unilatéralement le terme en « temps de paix ». Ce retrait servira à ces États de convaincre les autres à supprimer de la liste des crimes qui relèveront de la compétence de la future juridiction pénale permanente ces atteintes comme crime autonome afin d’inclure celles commises en temps de guerre dans la qualification des crimes de guerre et de génocide. Dès lors, le Statut de Rome demeure muet quant à la criminalisation de ces actes en temps de paix vécus au quotidien. C’est dans ce contexte que la coalition des ONGs, réunie sous l’appellation End Ecocide on Earth, envisage la criminalisation par la CPI de tout acte d’endommagement grave et étendu d’un ou des plusieurs écosystèmes pouvant avoir des conséquences sur plusieurs générations. Ainsi, l’appréhension des actes d’atteinte grave à l’environnement par le droit de la CPI dépendra d’une restructuration du Statut de Rome qui prendra en compte les règles de la Convention de Vienne sur le droit des traités et les dispositions du Statut de Rome sur la révision et les amendements. Dans le fond, il faudra revoir, les dispositions relatives à aux crimes, à la qualité des responsables de ces actes, au fonctionnement de la Cour en pensant aux experts sur la poursuite de ces genres de crime. Les autres aspects de restructuration concernent non seulement la définition des éléments du crime, mais aussi le régime de réparation et des peines de la CPI aux crimes environnementaux. Cette adaptation prendra en compte la justice restauratrice, la justice transitionnelle, les peines destinées aux personnes morales de droit. Il va sans dire que l’hypothèse envisageant cette restructuration de la CPI en faveur de la poursuite de ces actes vaut son pesant d’or tant, en dépit des véhémentes critiques sur la politisation de la Cour, elle demeure la seule institution qui, de par son expérience, son bilan et son histoire, peut efficacement faire face à la recrudescence terrifiante de la criminalité environnementale.