Corps de l’article

1. Introduction

Baker 1988, 1996, 1997 a proposé qu’il existe une relation étroite entre les fonctions grammaticales et les rôles thématiques, une hypothèse qui est connue sous le sigle utah («Uniformity of Theta Assignment Hypothesis»). Par exemple, dans la structure initiale des verbes transitifs, le rôle d’agent se réalise comme sujet, le rôle de thème occupe la position de l’objet direct, en suivant une hiérarchie prédéterminée des rôles thématiques (Grimshaw 1990, Jackendoff 1990). Les verbes psychologiques présentent un problème intéressant puisqu’ils semblent violer ce principe. Le problème est illustré en (1). Le sujet d’expérience occupe la position de sujet en (1a) et la position d’objet en (1b).

Outre les deux types de verbes psychologiques illustrés en (1), il en existe un troisième type, où ce sujet fait surface en tant que datif, comme le montre (2). Le verbe s’accorde avec le thème.

Dans certaines langues comme l’espagnol et l’italien, des phrases comme (2) sont particulièrement intéressantes puisque, comme le montre (3), l’ordre des mots canonique est le contraire de ce qu’on trouve en français, bien que l’ordre des mots français soit aussi possible. L’espagnol se différencie en outre de l’italien puisque le sujet d’expérience doit être obligatoirement doublé d’un clitique.

La structure des verbes psychologiques a fait l’objet de beaucoup de débats. Selon Belletti et Rizzi 1988, le sujet d’expérience est toujours généré plus haut que le thème, alors que le thème est le complément du verbe. De cette façon, la hiérarchie thématique n’est pas violée. Dans le cas des verbes à sujet d’expérience datif (exp-dat) en italien et en espagnol, c’est soit le thème, soit ce sujet qui se déplace vers une position préverbale. Contrairement à Belletti et Rizzi, Pesetsky 1994 (voir aussi Jackendoff 1990, Grimshaw 1990, Ruwet 1993, Bouchard 1995, Arad 1998) suggère que le sujet des verbes comme effrayer est un agent généré dans une position plus haute que celle du sujet d’expérience accusatif (exp-acc).

Dans cet article, nous ne traiterons pas du problème des rôles thématiques associés aux différents types de verbes psychologiques. Nous centrons notre discussion autour des verbes à exp-dat du type gustar ‘plaire’ en (3). Notre objectif est d’étudier la position de l’argument que j’appelle ici «le thème» en conformité avec l’analyse de Belletti et Rizzi 1988, qui, selon Pesetsky 1994 : 50-53, est appropriée à l’égard de ce type verbal[1]. Le problème avec le thème des verbes à exp-dat est qu’il déclenche l’accord verbal – une indication qu’il devrait être analysé comme un sujet – mais, comme nous le montrons dans cet article, ce thème ne se comporte pas comme d’autres sujets en espagnol. Au contraire, il a un comportement d’objet à plusieurs égards. Nous suggérons ainsi que les constructions à exp-dat devraient être analysées comme des constructions ergatives, en suivant des propositions similaires pour d’autres constructions en espagnol, notamment les phrases impersonnelles avec se (Bruhn de Garavito 2000a, b; Bonneau et coll. 1995).

Cet article est organisé comme suit. Dans la section suivante, nous parcourons les différentes propositions traitant de la position des sujets en espagnol, afin de pouvoir comparer les différentes possibilités pour la position du thème dans les constructions à sujet d’expérience datif. Ensuite, nous examinons les caractéristiques des verbes à sujet d’expérience datif en espagnol, en observant en particulier les propriétés du thème. Enfin, une explication est proposée pour ces faits.

2. La position du sujet en espagnol

Il est bien connu que l’espagnol est assez flexible en ce qui concerne la position du sujet. Les trois possibilités principales sont illustrées en (4).

En (4a) l’argument Lucía (sujet) apparaît en position préverbale, généralement considérée comme la position canonique d’un sujet. En (4b), le sujet Lucía apparaît à droite du verbe et avant l’objet direct. En (4c), il est placé à la fin de la phrase. Les trois possibilités sont propositionnellement équivalentes.

En présumant que les sujets sont générés à l’intérieur du SV (Koopman et Sportiche 1991), nous pourrions dériver les ordres de mots en (4a-b) en supposant que le sujet en espagnol peut être légitimé soit par le gouvernement, s’il reste à l’intérieur d’un SV, soit par la relation Spec-tête, s’il se déplace en [Spec, SInfl] (Contreras 1991). Nous supposons aussi que le verbe monte vers Infl. Si le sujet reste dans le SV, l’ordre est celui de (4b). Si le sujet se déplace en [Spec, SInfl], nous obtenons l’ordre (4a). Pour l’ordre (4c), on peut supposer que le sujet a été déplacé à droite et adjoint au SV.

Dans le cadre du programme minimaliste de Chomsky 1995, l’optionalité décrite ci-dessus est exclue par les principes d’économie. Si nous supposons que les traits N de Infl en espagnol sont forts, alors l’agent doit obligatoirement se déplacer pour valider ces traits. Cependant, cette prémisse est en conflit avec (4b). D’un autre côté, si nous supposons que les traits de Infl sont faibles, nous impliquons que l’agent doit rester in situ, ce qui entre en conflit avec la phrase (4a). Pour résoudre ce problème, il a été proposé que les traits N de Infl sont toujours faibles et que l’ordre des mots en (4a) est dérivé soit en déplaçant le sujet dans une position du spécificateur de la tête Top(ique), soit en le générant à la base par adjonction au SInfl (voir Mallén 1992, Olarrea 1996, Zubizaretta 1998 et Zagona 2002). Cela n’explique cependant pas (4c). Ordoñez 1998 montre d’une façon convaincante que l’ordre des mots en (4c) est dérivé, non par le mouvement du sujet vers la droite, mais plutôt par le mouvement de l’objet par-dessus le sujet vers une position plus haute, probablement celle de [Spec, SAgrO]. (Entre autres, les faits du liage montrent que l’objet c-commande le sujet.)

Pour résumer, on présume que les traits N de Infl en espagnol sont faibles. Le sujet doit rester in situ dans le SV. Les traits V de Infl, par contre, sont forts, ce qui est motivé par le mouvement obligatoire du verbe vers Infl, d’où la possibilité de l’ordre des mots V(erbe) S(ujet) O(bjet), comme en (5a)[3]. Par contre, le sujet peut sous certaines conditions se déplacer en [Spec, Top] (voir (5b)).

Finalement, nous présumons que l’objet en espagnol se déplace vers AgrO[4] et, par conséquent, que le sujet apparaît en position finale de la phrase, comme il est illustré en (5c).

3. Description des verbes à exp-dat en espagnol

Comme nous l’avons vu plus haut, en espagnol les verbes comme gustar ‘plaire’ en (3) prennent un exp-dat qui est obligatoirement doublé par un clitique. Le verbe s’accorde avec le thème. On peut avoir l’ordre exp > Verbe > Thème aussi bien que Thème > Verbe > exp. Ces faits sont illustrés en (6) avec le verbe interesar ‘intéresser’.

D’autres verbes psychologiques qui ont la même distribution que gustar en (3) et interessar en (6) sont agradar ‘plaire’, molestar ‘déranger’ et importar ‘être important’.

Bien que ces verbes soient généralement décrits comme une classe sémantique, il existe en espagnol un autre groupe de verbes (non psychologiques) qui semblent montrer une structure très similaire. Les verbes comme quedar ‘rester’ et sobrar ‘rester en plus’ prennent aussi typiquement un argument datif, comme en (7), où le verbe s’accorde avec le thème et où la présence du clitique est obligatoire[5].

Un fait important concernant les verbes à exp-dat est qu’ils sont toujours statifs en espagnol (Parodi-Lewin 1991)[6]. Il faut souligner que certains membres de ce groupe verbal peuvent montrer une alternance entre exp-acc et exp-dat, ce qui a des implications pour la sémantique. Dans le cas de exp-acc, le verbe est invariablement interprété comme agentif, alors que dans le cas de exp-dat, sa lecture est obligatoirement stative. Ce contraste est illustré en (8) avec le verbe molestar ‘déranger’. La phrase (8a) veut dire que les enfants ou les bruits dérangent Juana en général (peut-être parce qu’elle ne supporte pas les enfants ou les bruits). En (8b) les enfants dérangent Juana en le faisant exprès, ce qui est impossible dans la cas des objets inanimés.

Le présent article ne vise pas à examiner l’argument datif. Montrul 1996 suggère que le SN datif a été déplacé vers SInfl et que le clitique datif est la réalisation de l’accord du sujet. À la lumière des prémisses exposées dans la section 2, exp-dat est déplacé en [Spec, STop], ce qui nous semble tout à fait plausible, surtout que l’ordre des mots inverse (avec exp dans la position postverbale) est aussi possible.

La question ici est de savoir si le thème des verbes à exp-dat est un sujet ou pas. L’hypothèse d’après laquelle c’est un sujet s’appuie sur les deux faits suivants : 1˚ le thème déclenche l’accord verbal, comme nous l’avons déjà attesté auparavant, et 2˚ le thème peut être nul (pro), comme le montre la phrase (9)[7].

Dans la section suivante nous montrons que, malgré ces deux faits, le thème montre plusieurs des propriétés d’un objet.

4. Le thème des verbes à exp-dat : un sujet postverbal?

Dans la section précédente nous avons constaté que les verbes à exp-dat s’accordent avec le thème, qui peut aussi être nul. Ces deux caractéristiques suggèrent qu’il s’agit d’un sujet postverbal. Dans cette section, nous comparons le comportement du thème des verbes à exp-dat avec les sujets postverbaux des phrases déclaratives actives et passives. Nous montrons que le thème des verbes à exp-dat se comporte différemment de ces arguments qui, eux aussi, sont identifiés comme des sujets grâce au fait qu’ils déclenchent l’accord verbal, comme dans le cas de l’argument el sofá en (10), bien que celui-ci soit l’objet dans la base.

Une des différences entre un sujet et un objet est la possibilité de la «sous-extraction». Huang 1982 a montré que dans les langues qui permettent la sous-extraction, il est seulement possible d’extraire à partir d’un objet, et jamais à partir d’un sujet. Cette asymétrie se manifeste aussi en espagnol, comme le montre (11). L’exemple (11a) montre que l’extraction à partir du sujet d’un verbe actif est agrammaticale. Nous voyons en (11b) que l’extraction à partir du sujet d’une construction passive est aussi aberrante. Par contre, la sous-extraction de l’objet est parfaitement bonne, comme le montre l’exemple (11c).

Les exemples en (12) montrent que le thème des verbes à exp-dat se comportent comme l’objet en (11c) et non pas comme les sujets en (11a-b) à l’égard de la sous-extraction.

La deuxième propriété qui distingue les sujets du thème des verbes à exp-dat est la prédication secondaire. Pour des raisons qui ne nous sont pas claires, la prédication secondaire en espagnol est possible avec les sujets préverbaux (13a), alors qu’elle est agrammaticale lorsque le sujet apparaît en position postverbale dans une phrase active (13b) ou passive (13c).

Par contre, l’objet direct permet sans aucun problème la prédication secondaire :

Les exemples en (15) montrent que le thème des verbes à exp-dat se comporte plutôt comme l’objet en (14) et non pas comme les sujets postverbaux en (13b-c).

La troisième propriété que nous examinerons fait moins consensus parce qu’à première vue, elle semble indiquer que le thème des verbes à exp-dat se comporte comme un sujet. En espagnol, comme en français, l’omission d’un déterminant sur le sujet produit généralement une agrammaticalité. Cette condition s’applique de la même façon aux sujets postverbaux des constructions actives (16a) et passives (16b).

La comparaison de (16) avec (17) montre que cette condition sur les sujets ne s’applique pas aux objets, qui sont parfaitement grammaticaux sans déterminant.

On peut constater avec les exemples en (18) que le thème des verbes à exp-dat ne semble pas fonctionner comme un objet, puisque les phrases sans déterminant sont agrammaticales :

Les exemples de (18) semblent contredire l’argument avancé dans cet article que le thème des verbes à exp-dat se comporte comme un objet et non pas comme un sujet canonique. Cependant, les verbes non psychologiques qui ont la même structure que les verbes à exp-dat permettent l’omission du déterminant sur le thème nominatif pluriel (voir (19)) ou non dénombrable.

En partant du contraste entre (18) et (19), nous sommes en droit de nous demander s’il n’y aurait pas une autre raison, sans aucun rapport avec la fonction grammaticale du thème, qui force l’emploi du déterminant en (18). Il est possible que l’explication se trouve dans la sémantique des verbes psychologiques. Il se peut que les objets des verbes psychologiques soient incompatibles avec une interprétation générique associée aux noms nus. Cette idée est confirmée par d’autres classes de verbes psychologiques comme, par exemple, amar ‘aimer’ et adorar ‘adorer’, qui sélectionnent un sujet d’expérience nominatif et un thème accusatif. Bien qu’il soit incontestable que le thème de ces verbes est un objet, l’omission du déterminant sur cet argument est aussi agrammaticale :

La quatrième différence entre le thème des constructions à exp-dat et les sujets canoniques s’observe dans l’usage du se réfléchi. Bruhn de Garavito, Heap et Lamarche 2003 suggèrent que se n’a pas de spécification inhérente en traits formels et doit «hériter» une spécification du sujet le plus proche. Ce dernier peut être préverbal (21a) aussi bien que postverbal (21b).

Pour plusieurs locuteurs, les verbes à exp-dat sont incompatibles avec le se réfléchi. Néanmoins, certains locuteurs admettent que la phrase (22) est possible en espagnol.

Il faut noter que les locuteurs qui acceptent (22) n’acceptent pas l’ordre inverse – avec le thème Emilio dans la position postverbale :

En d’autres termes, il semble que se puisse trouver un antécédent si et seulement si le thème précède le verbe. C’est-à-dire que le thème s’est déplacé en [Spec, STop], où, comme le suggère Zagona 2002, se retrouvent les sujets canoniques. Cela contraste avec des phrases comme (21b), où il n’y a pas d’incompatibilité entre se et le sujet postverbal. Il s’avère ainsi que le thème postverbal dans les constructions à exp-dat ne fonctionne pas comme un sujet.

En guise de résumé, le thème des constructions à exp-dat se distingue des sujets postverbaux à l’égard de plusieurs propriétés. Contrairement aux sujets postverbaux en général, le thème postverbal dans ces constructions permet la sous-extraction et est compatible avec la prédication secondaire. De plus, il peut être réalisé par un nom nu à moins que d’autres conditions n’excluent cette possibilité. Finalement, il ne peut pas légitimer le se réfléchi.

Tout de même, nous ne pouvons pas conclure qu’il s’agisse d’un objet standard non plus parce que, comme nous l’avons vu, il déclenche l’accord sur le verbe et peut être nul. En fait, il y a une autre propriété du thème dans ces constructions qui le distingue des autres objets en espagnol; notamment, il s’agit de ce qu’on appelle «marquage d’objet différentiel» (Bossong 1991, Torrego 1998) ou marquage par a non datif.

Tous les objets en espagnol ne sont pas marqués de la même façon. Quand l’objet est à la fois [+humain] et [+spécifique], il doit être marqué par a non datif, comme le montre l’exemple (24a) (à comparer avec (24b), où nous avons l’objet [-humain]). Les sujets ne peuvent pas être marqués de cette façon, comme le montre la phrase (24c).

Comme on peut voir en (25), le marquage d’objet différentiel est impossible avec le thème des verbes à exp-dat.

Bien que le thème des verbes à exp-dat ne se comporte pas comme un sujet à plusieurs égards, la comparaison des phrases en (24) et (25) suggère que ce thème n’est pas un objet stricto sensu non plus. L’impossibilité de a en (25) s’explique facilement par le fait qu’un nom ne peut pas être marqué de deux cas à la fois : a est un marqueur de l’accusatif [+spécifique] et [+humain], alors que le thème en (25) est nominatif, car il déclenche l’accord verbal. Les exemples en (26) confirment cette explication : en (26a), le thème los esclavos ne s’accorde pas avec le verbe, donc il ne peut pas être nominatif, ce qui ne crée pas de conflit casuel ici; en (26b), il y a un conflit casuel entre le nominatif (signalé par l’accord avec le verbe) et l’accusatif [+spécifique] et [+humain] (signalé par a)[10].

Dans la section suivante, nous allons nous tourner vers une explication possible des similarités entre les objets et le thème des verbes à exp-dat.

5. Position du thème dans la structure des verbes à exp-dat

Le fait que les verbe à exp-dat en italien sélectionnent le verbe être comme auxiliaire (voir (27)) suggère que ces verbes sont inaccusatifs, par opposition aux verbes à exp-acc (voir Pesetsky 1994 : 50-53).

En plus, étant donné que les verbes à exp-dat sont statifs (voir la section 3), nous présumons que ces verbes n’impliquent pas de «coquille larsonienne» dans leur SV (Larson 1988) et ont une structure argumentale avec le thème généré comme complément de verbe (objet logique), et que le sujet d’expérience est en position de [Spec, SV], comme en (28).

La question subséquente est de savoir comment le thème peut déclencher l’accord sur le verbe. Nous voudrions suggérer que l’accord est possible si nous supposons qu’il existe une catégorie fonctionnelle au-dessus de SV où le thème se déplace de sa position de base. D’après Bobaljik et Thráinsson 1998, les langues se divisent en deux types : celles qui ont seulement une catégorie fonctionnelle dominant le SV, comme l’anglais, et celles qui ont une structure SInfl complexe («l’hypothèse de Infl scindé»), comme l’islandais. Selon ces auteurs, il existe deux caractéristiques principales d’une langue à Infl scindé. L’une est la possibilité de la montée du verbe. Il est bien connu que dans la plupart des langues romanes le verbe monte, comme les auteurs eux-mêmes le soulignent (Bobaljik et Thráinsson 1998 : 66; voir aussi Pollock 1989 et Belletti 1994). Un des arguments en faveur de l’hypothèse que le verbe monte en espagnol vient de l’inversion dans les questions comme en (29) et de la position des adverbes (à droite du verbe) comme en (30).

L’autre diagnostic d’une langue à Infl scindé est la morphologie flexionnelle. Une langue où une flexion verbale inclut le temps séparé de l’accord sur le verbe a plus d’une catégorie fonctionnelle au-dessus du SV. L’anglais, par exemple, réalise le présent par le marqueur de la troisième personne -s, et le passé par le marqueur temporel -ed, mais les deux ne peuvent jamais se présenter sur un seul radical verbal. Par contre en espagnol, une flexion de l’imparfait contient un marqueur de temps suivi de l’accord de personne (canta-ba-s ‘chantais’). Bref, l’espagnol remplit les deux conditions d’une langue à Infl scindé.

La preuve que l’espagnol se classe comme une langue à Infl scindé selon l’hypothèse de Bobaljik et Thráinsson est confirmée par Ordóñez 1998, qui argumente que les phrases à sujet final sont dérivées par le mouvement de l’objet dans une catégorie fonctionnelle qui domine immédiatement le SV. Suivant Ordóñez 1998 et Bobaljik et Thráinsson 1998, nous présumons qu’il s’agit en effet de AgrO (mais voir la note 4).

Ainsi, nous proposons que le thème des verbes à exp-dat se déplace de sa position de base vers [Spec, SAgrO]. Hypothétiquement, c’est une des positions où un argument (sujet ou objet) s’accorde avec le verbe, qui à son tour passe par AgrO en allant plus haut vers T.

Étant donné la structure SV en (28), où le sujet d’expérience reçoit un Cas inhérent (Belletti et Rizzi 1988), nous avons deux possibilités dont le choix dépend de facteurs discursifs : la position [Spec, STop] est remplie soit par le sujet d’expérience, soit par le thème. Dans le premier cas, nous obtenons l’ordre exp > Verbe > Thème, illustré en (31).

Le sujet d’expérience ne peut pas valider les traits N du verbe, car il a reçu un Cas inhérent dans sa position de base. Le thème, déplacé en [Spec, SAgrO] de sa position de base, est donc le seul candidat pour valider les traits N du verbe. Celui-ci monte vers T en passant par AgrO, d’où l’accord verbal. L’ordre des mots inverse Thème > Verbe > exp est dérivé par le mouvement du thème vers Top avec le site intermédiaire de [Spec, SAgrO]. L’accord verbal est déclenché de la même manière[12]. Le sujet d’expérience reste in situ.

Y a-t-il un argument supplémentaire qui pourrait appuyer davantage notre hypothèse d’après laquelle le thème se déplace vers une position plus haute que celle de [Spec, SV]? Les faits concernant le placement du thème par rapport aux adverbes ainsi que la position des quantificateurs flottants pourraient nous donner une réponse à cette question.

Pour ce qui est la position des adverbes, on suppose généralement que les adverbes comme frecuentemente ‘fréquemment’ sont adjoints au SV. Nous avons montré plus haut en (30) qu’en espagnol, cet adverbe apparaît à droite du verbe, ce qui nous indique que le verbe se déplace à l’extérieur du SV. En (32), nous montrons le placement des arguments par rapport à l’adverbe generalmente ‘généralement’ dans une construction non psychologique. Nous y voyons que l’agent ainsi que le thème suivent l’adverbe.

Cependant, dans une construction à exp-dat, comme en (33), le même placement du thème (soit après l’adverbe) est beaucoup plus dégradé[13]. La comparaison de (32) avec (33) suggère que le thème d’un verbe à exp-dat doit être plus haut que l’adverbe et, par conséquent, plus haut que [Spec, SV].

L’autre argument en faveur du mouvement de thème dans les constructions à exp-dat vient des quantificateurs flottants. Sportiche 1988 a suggéré qu’il est quelquefois possible de déterminer la position de base d’un SN à partir d’un quantificateur laissé derrière après le mouvement (donc appelé flottant). Dans les exemples suivants, nous utilisons le quantificateur todo ‘tout’ et son diminutif todito. La phrase (34b) montre que les quantificateurs flottants sont agrammaticaux dans le cas d’un sujet postverbal (comparez avec (34a).

Par contre, un quantificateur flottant est assez acceptable avec le thème d’un verbe à sujet d’expérience datif, comme le montre la phrase (35b). Pour certains locuteurs, cette phrase est tout à fait grammaticale.

Pour résumer, le placement du thème d’un verbe à exp-dat par rapport aux adverbes indique qu’il doit être plus haut dans la structure qu’un sujet postverbal dans une structure transitive non psychologique. Le test avec des quantificateurs flottants confirme cette observation. Bien que nous n’ayons pas encore de preuve définitive pour la structure proposée en (30), l’ordre des mots relatif aux adverbes et quantificateurs flottants montre que notre analyse est sur la bonne piste.

6. Conclusion

Dans ce travail, nous avons examiné les propriétés du thème des verbes à exp-dat en espagnol. D’une part, ce thème se comporte comme un sujet (il déclenche l’accord verbal et peut être nul). D’autre part, nous avons montré que ce thème se distingue des sujets canoniques par rapport à une série de propriétés, notamment la possibilité ou non de la sous-extraction, de la prédication secondaire, de la réalisation par un nominal nu et de la légitimation du se réfléchi. Nous avons proposé que le statut ambivalent (sujet/objet) du thème des verbes à exp-dat découle du fait qu’il est généré à la base comme un complément du verbe (et donc ne viole pas l’utah de Baker) et puis se déplace vers une projection qui domine immédiatement le SV. Nous avons étiqueté cette projection comme AgrO en laissant de côté la question de sa nature exacte. L’analyse proposée n’est qu’un pas intermédiaire dans l’étude des verbes à exp-dat (et des verbes psychologiques en général), et nous restons ouverte à d’autres possibilités d’analyse.