Corps de l’article

1. Utilisation des sources écrites sur Internet

Notre travail concerne l’étude de la formation des gentilés (noms d’habitants d’une ville) en français synchronique. Nous avons tout d’abord étudié un large corpus de gentilés français, puis nous en avons déduit des règles de construction morphophonologique, règles qui nous semblent faire partie de la compétence linguistique des locuteurs du français. Nous avons alors utilisé la Toile pour y rechercher des exemples de formations de ces gentilés et pour valider notre travail d’étude systématique.

Dans une première partie, nous allons préciser le domaine linguistique sur lequel nous avons travaillé : les gentilés, et expliquer quelles sont leurs caractéristiques (section 2) et quelle est la problématique (section 3).

L’analyse de ce domaine dans une perspective pragmatique d’utilisation dans le traitement automatique de textes nous a conduits à émettre l’hypothèse d’une forte régularité dans la formation des gentilés. C’est cette régularité que nous allons présenter à la section 4. La recherche de gentilés sur la Toile (section 5) nous a apporté, à côté de gentilés officiels, d’autres gentilés – disons «non officiels» – dont la régularité a pu être confirmée. Il importe de signaler que l’attestation de telles formes prouve et confirme la validité de notre hypothèse d’une construction régulière du gentilé par les locuteurs.

2. Les gentilés

Notre étude porte sur les noms d’habitants, ou gentilés, terme qui désigne de manière neutre le lien qui rattache une personne à un lieu. Il faut différencier ces noms des blasons populaires porteurs de connotation qui renvoient également à des habitants, mais qui le font d’une manière parfois affectueuse et hypocoristique, souvent humoristique ou critique. Par exemple, les habitants de la commune de Saint-André-les-Vergers dans l’Aube sont surnommés les «Têtes d’ail»[1].

L’étude des gentilés est à l’intersection de l’onomastique et de la morphologie, plus précisément la morphophonologie. Les gentilés se différencient d’autres désignations des habitants par deux critères, un critère morphologique et un critère sémantique ou pragmatique. Nous posons le critère morphologique que le gentilé soit dérivé morphologiquement de la désignation du lieu. La dérivation comprend, en général, la préfixation, la suffixation et la parasynthèse. Parmi les noms d’habitants, on trouve surtout des formes suffixées, par exemple Colembert – les Colembertois, la préfixation et la formation parasynthétique (application simultanée d’un préfixe et d’un suffixe) ne s’y trouvant pas. Pourtant, certains gentilés sont formés par conversion du nom de lieu, par exemple Manois → les Manois, Filain → les Filains[2]. Le critère sémantique pose que le gentilé X-suf porte le sens de «habitants de X», où X est une forme du nom de la localité. Cette restriction exclut les dérivés comme la Marseillaise, dont le sens réfère à un objet, même si ce sens est dérivé sémantiquement du sens primaire du gentilé homonyme.

«Gentilé» est le terme technique pour la désignation des noms d’habitants, par exemple Toulousain de Toulouse. Les gentilés s’utilisent facilement pour se référer aux habitants d’une localité, et leur usage évite l’emploi de tournures plus complexes comme les habitants de Toulouse, les gens de Toulouse, ceux de Toulouse ou autre. On préfère souvent dire les Toulousains.

3. La problématique des gentilés

Même si la plupart des gentilés sont facilement reconnaissables dans leur forme, il en existe plusieurs qui présentent une forme déviante. À part la simple suffixation du nom de lieu comme dans Toulouse → Toulousain, il y a des gentilés qui sont formés par d’autres procédés morphologiques : les gentilés peuvent être construits sur un radical supplétif en relation référentielle avec le nom de ville associé : par exemple les habitants de Saint-Denis sont les Dionysiens. Nous distinguons la base, qui est la partie du nom de lieu qui sert à la construction du gentilé, qui peut subir des transformations et qui est suffixée (ici : Denis), du radical, qui se trouve dans le gentilé, après avoir subi les transformations morphologiques (ici : Dionys-). Ainsi, la forme Dionysien est construite par le radical Dionys– et le suffixe –ien, le radical Dionys– étant en relation référentielle avec le nom Denis[3] du nom de ville Saint-Denis.

Théoriquement, la plupart des localités de France ont un gentilé, et nombre d’entre elles ont choisi un gentilé officiel. Une partie de ces gentilés officiels sont connus, principalement ceux des grandes villes françaises (les Parisiens, les Marseillais, Les Lyonnais, les Lillois, les Nantais, les Strasbourgeois) et de quelques villes plus petites, si elles sont d’un intérêt national : (Besançon → les Bisontins).

Les gentilés de la plupart des villes et, surtout, des communes plus petites ne sont pas connus, au niveau national, ni même parfois dans la région. Qui sait que les habitants de Méréglise, une commune de 74 habitants dans l’Eure-et-Loir, s’appellent les Méréglisiens, que Charleville-Mézières possède le gentilé officiel Carolomacérien ou que Réginaburgien est le gentilé officiel de Bourg-la-Reine? La forme savante de tels gentilés paraît compliquée. Elle est peu connue. Plus le gentilé présente des irrégularités, plus sa méconnaissance paraît grande. Quelle est la conséquence de ce fait? Comme nous avons pu le constater, l’emploi des gentilés est pratique, mais les locuteurs ne les connaissent pas tous : que feront donc les locuteurs francophones quand ils voudront désigner les habitants de Charleville-Mézières tout en ignorant le gentilé officiel? Ils vont se construire un gentilé avec leur compétence linguistique. Il pourrait y avoir une forme comme °Charlevillois ou bien °Méziérois. C’est la situation imaginée de plusieurs personnes qui publient leur page personnelle sur Internet et qui utilisent des gentilés tout en ignorant les gentilés officiels. Comment arrivent-elles à ces formes gentiléennes tandis que le gentilé officiel est Carolomacérien ? Pourquoi les locuteurs ne forment-ils pas des formes comme *Charlois, *Charlevilliste ou *Charleville-Méziérand ? Ils ne le font pas parce qu’ils savent inconsciemment quelle forme est acceptable et correspond à la langue, donc ils appliquent des règles intuitivement. Cela présuppose que ce domaine est fortement régulier. C’est notre hypothèse que nous avons pu démontrer tout d’abord par l’étude d’un corpus de 10 000 couples toponyme-gentilé, puis par les attestations de gentilés créés sur Internet.

Nous aimerions montrer les deux domaines : en premier lieu (section 4), les règles, déduites de nos observations, qui régissent la formation des gentilés en général. Elles ont pu être déchiffrées après la prise d’une perspective purement synchronique sur les gentilés et la stratification de la formation des gentilés dans plusieurs phases, à partir de la génération d’une forme gentiléenne en passant par les processus morphologiques jusqu’au procès de la sélection d’un gentilé et de la détermination du gentilé officiel. En deuxième lieu (section 5), nous présenterons des gentilés trouvés sur Internet, qui suivent ces règles linguistiques et prouvent ainsi leur fonctionnement.

4. Les règles sous-jacentes de la formation des gentilés

Les gentilés sont, fondamentalement, les produits d’une suffixation régulière, malgré l’apparence d’un ensemble de formes idiosyncrasiques. Les suffixes principaux se répartissent comme l’indique le tableau 1 :

Tableau 1

Les suffixes principaux servant à la formation des gentilés

Les suffixes principaux servant à la formation des gentilés

-> Voir la liste des tableaux

L’analyse du corpus d’environ 10 000 couples toponyme-gentilé a révélé que la plupart des gentilés sont formés régulièrement par simple concaténation, donc l’adjonction du suffixe sans changement de la base : Montrésor → Montrésorien. En plus, les gentilés considérés comme déviants d’une dérivation régulière ne le sont pas, les irrégularités de façade étant plutôt des sous-régularités.

4.1 Vue d’ensemble des processus morphologiques

À première vue, les gentilés peuvent être classés dans cinq groupes, distingués par le mode de formation :

  1. simple concaténation de suffixe :

    BergeracBergerac-ois,

  2. radical tronqué

    • de parties non prononcées :

      Versailles→Versaill-ais,

    • d’éléments prononcés :

      Vézelay→Vézel-ien,

  3. radical présentant une épenthèse :

    Chapeau→Chapeau-t-ois,

  4. radical présentant une allomorphie :

    Elbeuf→Elbeuv-ien,

  5. radical présentant une supplétion :

    Épernay→Sparnac-ien.

Au dernier groupe, on pourrait ajouter les gentilés sans rapport formel avec le toponyme auquel ils sont associés, par exemple Monthermé → Baraquin (il s’agit probablement d’un blason populaire usité comme gentilé). Le tableau 2 donne un aperçu de la quantification des différents modes de construction[4].

Tableau 2

Aperçu de la fréquence des modes de construction

Aperçu de la fréquence des modes de construction

-> Voir la liste des tableaux

La quantification nous montre que la concaténation reste de loin le mode de construction le plus fréquent qui s’analyse aisément au niveau de l’analyse morphologique automatique.

Pourtant, beaucoup de gentilés ne se laissent pas classer simplement dans ces groupes, parce que nous observons une épenthèse aussi dans les radicaux des gentilés qui ont subi une allomorphie ou une troncation ou les deux à la fois. Par exemple, le gentilé de Courçay est Courciquois, sur lequel nous constatons aussi bien la troncation de -ay que l’ajout de -iqu–. Dans le couple HermerayHermolitien, si la suffixation s’effectue après la construction du radical, il faut constater une troncation de la finale -eray et l’ajout de -olit– pour arriver à la construction du radical du gentilé. Sur les gentilés des toponymes composés, ces altérations peuvent affecter plusieurs éléments dans le radical composé d’un gentilé. Par exemple, la base du gentilé Lupovillois de Louvilliers-en-Drouais est Louvilliers qui est tronqué de -iers, mais en même temps le premier constituant Lou- est apparamment rendu par Lupo- dans le radical du gentilé, c’est-à-dire par une supplétion lexicale sur le constituant Lou- associé probablement au nom commun loup (cf. lupus en latin). Par conséquent, nous devons analyser ces phénomènes séparément et successivement. Pour cela, il nous faut des distinctions précises.

La construction des gentilés qui sont dérivés des toponymes doit être analysée en deux étapes successives et stratifiées : celle de la construction du radical du gentilé à partir du toponyme et celle de la suffixation, qui consiste principalement dans la sélection du suffixe. Notre étude a montré que la sélection du suffixe dépend, tout d’abord, de la structure du radical qui induit dans une certaine mesure le suffixe à ajouter. Nous montrons plus loin que la phonologie joue un rôle dans ce procès.

Nous avons pu montrer, dans notre thèse, que les gentilés dits «irréguliers» sont formés par troncation (raccourcissement), par épenthèse (ajout de consonnes ou de voyelles), par allomorphie (variation de forme reconnaissable) ou par supplétion (remplacement de forme) et que ces processus sont, pour la plupart, réguliers. Les différents changements sont explicités dans la suite.

4.2 La troncation

La troncation est un processus d’effacement d’une partie, surtout à la fin du mot, avant la suffixation. Les exemples La Fermeté → Fermet-ois, Valpuiseaux → Valpuis-éen, Rupéreux → Rupér-ois montrent que la finale vocalique n’est pas gardée, mais tronquée et que le suffixe s’attache au nom de lieu réduit. On trouve aussi des cas où la consonne finale est complètement effacée, mais cela est moins fréquent : La Framboisière → Frambois-ien, Guilvinec → Guilvin-iste. L’élément tronqué le plus fréquent est la terminaison –y, qui représente un quart de tous les cas de troncation du corpus : Clichy → Clich-ois. Très fréquentes sont les troncations des terminaisons vocaliques -é et -o : La Trinité → Trinit-aire, Porcaro → Porcar-éen. Il faut ajouter les cas de variantes graphiques de ces terminaisons -et (Moulinet → Moulin-ois), –er (Castelner → Casteln-ois), –ez (Douarnenez → Douarnen-iste), –ée (La Charmée → Charm-ill-at) et -ay (Limeray → Limer-ien), –ey (Urcerey → Urcer-ois), –ais (Tortezais → Tortez-ien), –ai (Obernai → Obern-ois) et -eau (Samoreau → Samor-éen), –eaux (Champeaux → Champ-éen), –au (Guimiliau → Guimilien), –aux (Auvernaux → Auvern-ois), –ot (Houdetot → Houdetois), –aud (Fontevraud-l’Abbaye → Fontevr-iste). En somme, on peut conclure que ce sont surtout les terminaisons vocaliques qui sont tronquées.

4.3 L’épenthèse

Un procédé avec lequel la troncation entre en concurrence est l’épenthèse, ou ajout d’éléments qui sont appelés joncteurs[6]. Certains segments sont ajoutés à la base du nom de lieu avant la suffixation : Herré → Herré-c-ois, Champdieu → Champdieu-l-at [7]. Le joncteur le plus fréquent dans notre corpus est –s [z], que nous retrouvons dans un quart de tous les gentilés contenant un joncteur : Berthenay → Berthenay-s-ien, Tréglonou → Tréglonou-s-ien. Mais aussi –t, –c et –n sont fréquents : Pierry → Pierry-t-ier, Fléty → Fléty-c-ois et Osséja → Osséja-n-ais.

Si la troncation aide, apparemment, à réduire la base à un radical convenable pour un suffixe, l’épenthèse remplit la même fonction de construire un radical auquel puisse s’appliquer un suffixe. Dans ce contexte, il est important de signaler que la présence d’un joncteur sélectionne un suffixe précis et évite l’adjonction d’autres suffixes comme nous l’avons noté lors de l’ajout du joncteur –s [z] :

Luray → Luraysien, Saint-Éloi → Saint-Éloisien, Torfou → Torfousien.

La sélection du suffixe -ien s’observe dans 93 % des gentilés construits à l’aide du joncteur –s– (136 sur 146). En même temps, le suffixe -ais est presque systématiquement évité (par euphonie). Pareillement, le joncteur –l– se combine de préférence avec les suffixes -ais et -ien, mais rarement avec le suffixe -ois qui, lui, est le suffixe ajouté à des bases prolongées par le joncteur –c– [k] pour former la terminaison typique -(a)cois. La sélection du joncteur semble être influencée par le radical, surtout la voyelle précédente, mais elle est étroitement liée à la sélection du suffixe.

4.4 L’allomorphie

Les gentilés présentant une allomorphie sont très nombreux, parce que l’allomorphie peut être de nature très variée. Certaines allomorphies correspondent à des règles morphologiques du français comme le redoublement des consonnes finales lors de la suffixation. Ce sont surtout les trois consonnes -n, –s et -l qui se redoublent : Langeron → Langeronnais, Mézos → Mézossais, Lunel → Lunellois. Le changement de la qualité de la voyelle dans la syllabe fermée finale va dans le même sens : Cipières → Cipiérois[8]. Les changements qui affectent les consonnes finales sont moins réguliers. Il est assez fréquent que la terminaison par -x d’un nom de lieu se transforme en –s, qui paraît une allomorphie graphique simple, parce que c’est seulement dans cette position intervocalique que la consonne devient audible : Morlaix → Morlaisien. À côté de plusieurs variations graphiques sans répercussion dans la phonie, certains changements ont un effet sur elle, par exemple les transformations de –f en –v ou de –t en -d : Lindebeuf → Lindebeuvien, Carlat → Carladais ou lorsque la consonne finale -s se transforme soit en -d, soit en –t, soit en -c : Privas → Privadois, Juliénas → Juliénaton, Allemans → Allemancois. Les gentilés ont toutes les apparences de termes formés oralement et non sur la base des noms écrits. Ceci conforte notre hypothèse sur l’importance de la composante phonologique.

Le changement de la consonne fricative sourde [ʃ]–ch en –c, qui s’explique par les formes latines étymologiques des noms de lieux, est assez fréquent et se trouve par exemple dans Chantepie → Cantepien. D’autres transformations concernent les voyelles ou des groupes de voyelle plus consonne. L’allomorphie la plus fréquente dans ce domaine est celle de au à al, par exemple dans Mauvages → Malvagien ou Ronvaux → Ronvalois. Le digraphe ou se transforme régulièrement en ol, en ov ou en u, cf. Pomfou → Pamfolien, Bardou → Bardovien et Gommecourt → Gommecurien.

4.5 La sélection du suffixe

À part la construction du radical, l’adjonction d’un suffixe n’est pas non plus le fait du hasard. Il y a plus de trente suffixes toponymiques, dont neuf servent à former des gentilés, trois d’entre eux (-ois, -ais, -ien) sont majoritaires et suffixent 78 % des gentilés du corpus (cf. le Tableau 1 pour des chiffres détaillés).

Leur distribution dépend de la forme phonique de la terminaison, c’est ainsi que –on détermine le suffixe -ais dans 93 % des cas, par exemple dans Cernon → Cernonnais, la terminaison [εl] -el, -els, -elle, -elles détermine le suffixe -ois (77 %) (Fontenelle → Fontenellois) et une terminaison de la fricative dentale sonore [z], surtout après [ε] –ais, –ez provoque la suffixation par -ien à 77 %, par exemple Gambais → Gambaisien, La Falaise → Falaisien. Le choix du suffixe n’est donc pas libre, il y a plusieurs possibilités et surtout quelques restrictions de combinaisons peu probables. En résumant, on peut dire que la construction des gentilés apparemment irréguliers suit en fait des règles que nous avons pu mettre en évidence, mais ces règles sont plus complexes que pour les gentilés formés par simple concaténation.

Souvent, ces règles n’indiquent pas un processus dérivationnel biunivoque à une condition précise, mais une possibilité de réalisation parmi plusieurs possibles. Donc une certaine gamme de possibilités de dérivations est donnée alors que d’autres processus dérivationnels sont plutôt évités.

5. Les gentilés trouvés sur la Toile

Quels sont les gentilés qui se trouvent en parcourant la Toile? Les gentilés officiels sont utilisés, notamment par les communes elles-mêmes sur leur page web. On trouve également des termes employés comme des gentilés bien qu’ils ne correspondent pas aux gentilés officiels. Ces gentilés sont formés intuitivement par des locuteurs pour des raisons diverses, dont nous supposons qu’elles tiennent soit à leur ignorance, soit à leur intention de créer un terme connoté ou compréhensible par tous. Ce sont surtout ces formations gentiléennes que nous avons cherchées.

Les gentilés sur la Toile ont été trouvés manuellement, mais il est possible de les faire rechercher par un automate. À partir du nom de ville ont été générées, par suffixation, plusieurs formes possibles et ces formes ont été cherchées sur le moteur de recherche Google. Nous y avons trouvé des attestations de beaucoup de ces formes.

Ces gentilés «nouveaux», nous les avons répartis en trois groupes : ceux qui diffèrent du gentilé officiel seulement par leur suffixe[9] (Tableau 3), ceux dont le radical est inchangé[10] (Tableau 4) et le tableau 5 regroupe les gentilés dont nous avons trouvé plusieurs variantes.

Tableau 3

Suffixe différent de celui du gentilé officiel

Suffixe différent de celui du gentilé officiel

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 4

Gentilés officiels formés par allomorphie ou supplétion

Gentilés officiels formés par allomorphie ou supplétion

-> Voir la liste des tableaux

Sur la base de Tours, quatre formes attestées sont observées, deux suffixes différents, plus deux variantes graphiques du gentilé officiel. Les locuteurs connaissent donc le gentilé, mais ignorent son orthographe. Il est intéressant de voir que le radical des gentilés générés est toujours le même : celui du gentilé officiel Tourangeau.

Le cas extrême est celui des gentilés créés sur le nom du département Nord, avec trois gentilés nouveaux, suffixés par les trois suffixes principaux. Ce dernier cas ne surprend pas, parce que le suffixe –iste n’est pas un suffixe typique pour un gentilé.

Tableau 5

Concurrence de plusieurs suffixes différents

Concurrence de plusieurs suffixes différents

-> Voir la liste des tableaux

Il faut étudier maintenant le contexte de ces formes pour pouvoir les traiter en tant qu’affirmation pour notre hypothèse. C’est ce que nous aimerions illustrer sur l’exemple des gentilés de la ville de Metz.

6. Les contextes dans lesquels apparaissent ces gentilés

L’extrait suivant d’une page personnelle reflète un commentaire sur les performances des équipes de football de Metz et de Toulouse. L’auteur de cette page emploie Metzois au lieu de Messin, soit parce qu’il ne connaît pas le gentilé officiel, soit qu’il crée spontanément cette forme sans réfléchir.

Je ne vous cache pas nos performance footballistique [sic] puisque depuis 1993 les Ultras Metzois ne l’ont emporté qu’une seule et unique fois lors de Metz-Toulouse en 1998, lors d’un match mythique. Il semble que les toulousains ...[13]

Ces amateurs de cavernes ont rencontré deux homologues de Metz qu’ils appellent également les Metzois.

Nous en discutons, le soir au gîte, avec deux spéléos de Metz avec qui nous avons sympathisé. Ils sont nettement plus matinaux que nous et nous proposent d’équiper le lendemain à l’aube. [...] L’équipement mit [sic] en place par les Metzois est, selon eux, de type alpin.[14]

Le prochain extrait montre le mélange de niveaux de langage parlé ou relevé. Notons l’utilisation des gentilés officiels messin (et aussi toulousain) à côté de messois et toulousois.

Les messois et toulousois ont pris l’habitude de se retrouver pour de grosses fêtes (tant à TOULOUSE qu’à METZ) sous l’égide de sainte PICOLE et sous l’esprit régnant chez nous : l’esprit B.F.S (BOIRE FUMER SUPPORTER)... dans lequel nos amis messois se sont largement fondus... Un match inter supporters a lieu dans l’aprés midi [sic] [...] avec comme trophée un magnifique bouclier, largement inspiré de la culture rugbistique toulousaine, [...] symbolisant notre amitié et l’esprit de convivialité qui régient [sic] nos relations [...] vu que les messins ne l’ont emporté qu’une seule et unique fois, en 1998...

Comment peut-on expliquer l’usage de deux gentilés différents dans un même texte? Tout d’abord, ce voisinage ne choque pas les auteurs, puisqu’ils ne l’ont pas remarqué ou, du moins, ne croyaient pas nécessaire de le faire remarquer. Les deux formes leur paraissent tout à fait possibles et acceptables. L’introduction du gentilé officiel peut aussi résulter de la copie d’une phrase d’un autre site ou d’un autre auteur. À moins que messois et toulousois aient une fonction hypocoristique.

Un dernier exemple montre que même les journalistes (ici, sur Internet) emploient des gentilés créés par les locuteurs eux-mêmes, probablement par ignorance de la forme officielle Messin.

Un Metzois de 38 ans, connu des services de police pour ses provocations, a été réveillé par les gendarmes après avoir passé la nuit sur le divan d’exposition d’un grand magasin de meubles de Forbach.[15]

Pourtant, il faut faire attention, le gentilé hypothétique Metzien (avec le suffixe -ien) n’est pas une création de gentilé (bien que bien formé théoriquement), parce qu’il s’agit d’un terme officiel, dérivé d’un nom propre (anthroponyme), de M. Christian METZ, spécialiste de l’audiovisuel. Les dérivations d’anthroponymes ont recours systématiquement au suffixe -ien[16]. Il faut donc exclure ces attestations de nos analyses des gentilés.

[...] d’un [sic] tradition structuraliste française organisée autour de C. Metz. [...] En fait, il nous semble que le syntagme metzien est une unité d’un document audiovisuel.[17]

la grande syntagmatique de Christian METZ . […] celui de l’articulation qu’on ne fait plus tout à fait sur le modèle metzien.[18]

Les différents contextes dans lesquels apparaissent ces gentilés soulignent l’extrême utilité de leur usage, même quand les locuteurs ne connaissent pas le gentilé officiel d’une commune. Ils se créent facilement une forme gentiléenne qui corresponde à leur intuition. Et c’est la grande prépondérance du suffixe -ois dans plus d’un tiers des gentilés qui fait qu’il est employé systématiquement, comme le montre le cas du gentilé Metzois. La base de Metzois [mεs] qui se termine par une voyelle suivie d’une consonne est apte à la suffixation par ce suffixe. Une transformation (troncation ou ajout) n’est même pas nécessaire. L’exemple du gentilé Besançonnais montre qu’un autre suffixe (ici : –ais) est choisi si le contexte phonologique l’exige, cette fois-ci la voyelle nasale [ɔ̃]. Les règles énumérées plus haut ne sont pas, en fait, autre chose que l’intuition d’une bonne forme rendue patente. Les autres exemples ne contrarient pas ces règles et sont donc acceptés, indépendamment de leur statut de gentilé officiel.

7. Conclusion

Nous avons trouvé sur Internet, à côté des gentilés officiels, bien sûr en grand nombre, aussi des gentilés crées par des locuteurs et différents des gentilés officiels.

L’attestation de ces gentilés confirme notre hypothèse que les gens forment des gentilés spontanément, et, ce qui est plus important, le fait que les formations se réalisent selon certaines règles. Par l’attestation de ces formes gentiléennes sur Internet, nous avons pu apporter une preuve que la construction des gentilés se réalise suivant les règles présentées dans la section 4.