Corps de l’article

INTRODUCTION

En France, l’intérêt porté aux enfants exposés à la violence conjugale est encore discret à la fois dans les recherches scientifiques et dans la pratique clinique. À notre connaissance, seules les recherches de Savard (2011) et de Paul (2015)[2], en France, s’intéressent au développement des jeunes enfants exposés à la violence conjugale. Pourtant, au niveau international, de nombreuses recherches ont émergé ces trente dernières années, diversifiées tant au regard des périodes développementales ciblées que des secteurs de développement étudiés. Des travaux nord-américains ont également été menés sur les effets d’interventions destinées de façon spécifique aux enfants exposés à la violence conjugale. La mise en place de ces actions découle directement des travaux réalisés sur les conséquences de l’exposition à la violence conjugale qui ont permis de dégager l’ensemble des difficultés des enfants exposés, et sur lesquelles un travail d’intervention peut avoir lieu. Comprendre les répercussions de la violence conjugale sur le développement des enfants est nécessaire afin d’organiser leur accompagnement et de leur octroyer un statut spécifique. En ne les reconnaissant pas uniquement que comme témoin, mais comme co-victime de la violence au sein du couple, compte tenu des effets délétères qu’ils subissent.

MÉTHODOLOGIE UTILISÉE

Notre objectif est de recenser les travaux en psychologie du développement réalisés sur la construction des enfants exposés à la violence conjugale et de mener une analyse critique de leurs caractéristiques méthodologiques et des résultats centraux qui en ressortent.

Notre corpus a été élaboré à partir de travaux, majoritairement anglo-saxons et certains francophones provenant de revues scientifiques, étudiant le développement de l’enfant âgé de 1 an à 18 ans en contexte de violence conjugale. Afin de réaliser cette recension, nous avons utilisé différentes bases de données : Academic Search Premier, Eric, Medline, Psyinfo, Psyarticle, Psycritique, Psychology and Behavioral Science Collection, Francis. Les mots-clés employés pour cette analyse sont en français : violence conjugale, développement de l’enfant, enfant exposé; et en langue anglaise : domestic violence, marital violence, child development, child exposed. Nous les avons utilisés de manière isolée ou combinée.

Notre analyse ne prend pas en compte les revues de la littérature, les argumentaires et analyses théoriques sans travaux empiriques, de même que les méta-analyses (plusieurs recherches se recouperaient), les études de cas (rares et souvent trop spécifiques), celles portant sur des adultes interrogés rétrospectivement sur leur enfance et, enfin, les travaux traitant de l’évaluation d’intervention pour les enfants exposés. Seules les recherches empiriques présentant des données quantitatives et qualitatives concernant le développement des enfants exposés à la violence conjugale seront ici analysées. Ce choix témoigne d’une volonté d’identifier l’éventail des indicateurs mis en oeuvre afin d’examiner le développement des enfants exposés et incluant les travaux portant sur une démarche de recherche similaire.

Au total, nous avons pu recenser 64 documents intégraux relatifs au développement de l’enfant exposé à la violence conjugale, publiés entre 1995 et 2018, en français et en anglais. Nous avons fait le choix de ne sélectionner les articles qu’à partir de 1995 en raison de la recension sur les années antérieures effectuée par Savard et Zaouche Gaudron (2010).

ANALYSE DES ÉTUDES RECENSÉES

Les études sont examinées à travers leur origine géographique, les caractéristiques des participants et les méthodologies de recueil de données employées, afin d’en saisir les évolutions et les spécificités.

Origines géographiques des travaux

Dans un premier temps, il convient de constater la prépondérance des travaux menés aux États-Unis qui représentent 75 % de la totalité des travaux. Le Canada est le second pays produisant le plus d’études sur le sujet, mais loin derrière les États-Unis et suivi de près par la France. En Europe, la production de travaux est faible, on dénombre seulement sept études réparties entre la France (Berdot-Talmier, Aubrion, Pierrehumbert et Zaouche Gaudron, 2016; Paul et Zaouche Gaudron, 2017; Paul et Zaouche Gaudron, 2018; Savard et Zaouche Gaudron, 2014), la Grande-Bretagne (Riesen et Porath, 2004; Thornton, 2014) et l’Espagne (de la Vega, de la Osa, Granero et Ezpeleta, 2013). Puis, nous pouvons répertorier une étude australienne, une turque et une iranienne. Il est intéressant de remarquer que deux études proviennent du Moyen-Orient[3]. D’un point de vue temporel, nous relevons que les recherches menées après 2005 représentent 54,7 % de l’intégralité des études et se sont davantage développées dans les pays hors États-Unis, alors qu’entre 1995 et 2005, elles étaient presque exclusivement réalisées aux États-Unis (Tableau 1). Il est intéressant de constater que d’autres pays se sentent concernés par cette problématique, ce qui témoigne d’une prise de conscience progressive de la place des enfants exposés.

Caractéristiques des enfants interrogés

Les tailles des échantillons sur lesquels reposent les études ainsi que l’âge des enfants interrogés et les périodes de développement seront ici présentés.

Tout d’abord, l’échantillon le plus restreint de ce corpus est constitué de 8 enfants (Thornton, 2014) alors que le plus important se compose de 1653 sujets (Renner et Boel-Studt, 2013), ce qui démontre une grande variabilité dans la taille des échantillons. Pour l’étude comprenant 1653 enfants, les auteurs se sont appuyés sur une cohorte de données existante aux États-Unis. Les recherches allant de 8 à 70 participants représentent 28,1 % des études, et sont principalement issues de France, d’Iran, de Grande-Bretagne, d’Australie et des États-Unis (Johnson et Lieberman, 2007; Ornduff et Monahan, 1999; Paul et Zaouche Gaudron, 2017; Riesen et Porath, 2004; Savard et Zaouche Gaudron, 2014; Ybarra, Wilkens et Lieberman, 2007). 15,6 % comprennent 71 à 100 sujets et proviennent majoritairement des États-Unis et du Canada (Cox, Kotch et Everson, 2003; Doucet et Fortin, 2010; Huth-Bocks, Levendosky et Semel, 2001; Insana, Foley, Montgomery-Downs, Kolko et McNeil, 2014). 29,7 % des travaux comptent entre 101 et 200 sujets et se répartissent entre les États-Unis, le Canada et l’Espagne (de la Vega et al., 2013; Doucet et Fortin, 2014; Katz et Low, 2004; Kerig, 1998; Maughan et Ciccheti, 2002). 14 % des études, composées de 201 à 300 enfants, sont majoritairement issus des recherches américaines et d’une étude turque (English, Marshall et Stewart, 2003; Grych, Jouriles, Swank, McDonald et Norwood, 2000; Ulu et Fisiloglu, 2002), puis 9,4 % disposent de 301 à 500 sujets, ces études provenant des États-Unis et du Canada (Bourassa, 2007; Cummings, Pepler et Moore, 1999; Holmes, 2013). Enfin, deux travaux américains ont des échantillons allant au-delà de 500 enfants (Renner et Boel-Studt, 2013; Spilsbury et al., 2007). Ainsi, 56,2 % des travaux retenus pour cette recension disposent d’échantillons allant au-delà de 100 sujets. Ces panels importants permettent de dégager des connaissances essentielles dans le domaine.

Tableau 1

Distribution des recherches en fonction de leur pays d’origine et de leur année de parution

Distribution des recherches en fonction de leur pays d’origine et de leur année de parution

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Par ailleurs, nous avons relevé, dans les recherches, les différentes tranches d’âge sur lesquelles elles portaient. Nous avons distingué quatre tranches d’âge, celle de la petite enfance, c’est-à-dire de 0 à 3 ans, l’âge préscolaire de 3 à 5-6 ans, l’âge scolaire de 6-7 ans à 12 ans et de 12-13 ans à 18 ans pour la période adolescente. Certaines études portent sur plusieurs tranches d’âge, ce qui peut aussi expliquer les grands échantillons observés préalablement. Toutefois, nous constatons que la majorité des recherches (76,5 %) ne s’intéressent qu’à une seule tranche d’âge, 15,6 % se centrent sur deux tranches d’âge alors que trois et deux d’entre elles prennent en compte respectivement 3 et 4 tranches d’âge (Tableau 2).

Les recherches se sont davantage intéressées au développement des enfants d’âge scolaire (50 %) (De la Sablonnière et Fortin, 2010; Harding, Morelen, Thomassin, Bradbury et Shaffer, 2013; Zarling et al., 2013), puis à la période préscolaire (24,4 %) (Kolbo, 1996; Savard et Zaouche Gaudron, 2014) et à l’adolescence (18,6 %) (Bourassa, 2007; Ma, 2009) et, enfin, à la petite enfance (7 %) (Gustafsson, Coffman, Harris, Langley, Ornstein et Cox, 2013; Martinez-Torteya, Bogat, von Eye et Levendosky, 2009). Certaines études qui intègrent plusieurs tranches d’âge adoptent une approche longitudinale afin d’analyser l’évolution psychologique des enfants (Buckner, Beardslee et Bassuk, 2004; de la Vega et al., 2013; Ornduff et Monahan, 1999). Cette approche est particulièrement pertinente afin d’avoir une visibilité à long terme des conséquences de l’exposition à la violence conjugale, bien que complexe à mettre en place. Globalement, les différentes tranches d’âge sont relativement bien représentées, en tenant compte des difficultés d’accès de certaines. Par exemple, les mères et les enfants sont souvent recrutés par le biais de centres d’hébergement où les adolescents sont minoritaires, par rapport aux autres tranches d’âge.

Tableau 2

Répartition des recherches en fonction de la période de développement et du nombre de tranches d’âge prises en compte

Répartition des recherches en fonction de la période de développement et du nombre de tranches d’âge prises en compte

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Pour finir, les contenus des articles de cette recension restent quelque peu lacunaires, notamment en ce qui concerne les informations sociodémographiques de l’échantillon, telles que la séparation du couple, le temps de séparation, la durée de la vie conjugale…

Caractéristiques du parent interrogé

Parmi les études sollicitant le point de vue du parent, souvent afin d’appréhender le contexte de violence conjugale, le parent interrogé est exclusivement la mère. En effet, un grand nombre des recherches s’est orienté vers les centres d’hébergement et les associations spécialisées dans l’accueil des femmes victimes de violence conjugale pour constituer leur échantillon. L’absence des pères dans ces études ne permet donc pas de saisir leur point de vue sur la situation de violence conjugale. Les informations sur les pères sont recueillies auprès des mères et peuvent donc être biaisées. Les pères sont en général absents des travaux, soit parce qu’ils sont incarcérés en raison des passages à l’acte violents sur leur conjointe, soit parce qu’ils ont des difficultés à se reconnaître comme homme auteur de violences, soit enfin parce qu’ils ne veulent pas participer à de telles recherches ou encore parce que les chercheurs ne les interpellent pas.

Méthodes de recueil des données

Mode de recrutement des participants

Quatre sources de recueil de données ont été identifiées. La première, et la principale, constitue les Centres d’hébergement ou d’abris pour femmes victimes de violence conjugale. Ces lieux sont privilégiés, car ils réunissent un grand nombre de femmes et d’enfants victimes susceptibles d’accepter de participer. Dans le même sens, les associations d’aide et de conseils aux victimes sont des sources pour accéder à cette population. Comme nous l’avons évoqué précédemment, les cohortes de données représentent la deuxième source de recueil de données, notamment concernant les études nord-américaines. Certains chercheurs ont aussi procédé par des voies d’affichage, d’annonces et de flyers pour recruter leur population. Enfin, de manière plus marginale, certaines familles ont été sollicitées par le biais de centres de thérapie familiale ou conjugale consultant pour une problématique liée à la violence. Il est important de mentionner que, dans beaucoup d’études, une rétribution a été proposée aux participants, cette pratique est presque automatique dans les recherches américaines et peut aller jusqu’à 100 dollars.

Ces voies d’accès aux populations concernées peuvent, néanmoins, constituer des biais dans l’échantillonnage, par exemple le fait d’accepter de participer à ce type de recherche peut témoigner d’une sensibilité ou d’inquiétudes à propos de ce que son enfant vit ou a vécu dans un contexte de violence conjugale. À l’inverse, lorsqu’une rétribution est envisagée, la question de la motivation se pose. Certains participants n’auraient peut-être pas participé à l’étude sans récompense, légitiment les réponses peuvent s’en trouver influencées. La majorité des lieux de recrutement sont spécialisés dans l’accueil ou la prise en charge des victimes ou des couples, ce qui n’inclut que des participants identifiés comme affectés par la violence conjugale, mais surtout avancés dans un processus de demande d’aide et probablement dans une phase de changement (séparation conjugale, arrêt de la violence, thérapies du couple…). Il apparait complexe d’interroger des victimes vivant toujours en contexte de violence conjugale sans les mettre en danger ou sans les culpabiliser (en interrogeant les mères sur les conséquences de la violence sur leur enfant, par exemple). Ainsi, les données recueillies seront différentes pour une femme qui est séparée et à l’abri du conjoint violent que pour une autre, toujours exposée à cette violence. Enfin, le fait d’avoir accès à cette population grâce à des lieux dédiés à la violence conjugale, comme les centres d’hébergement, conduit ces études à avoir un type de profil de population. Ce profil est celui de femmes qui n’ont pas suffisamment de ressources matérielles et financières pour se mettre à l’abri, et qui sont très souvent issues d’un milieu plutôt défavorisé. Ce biais engendre le raccourci que la violence conjugale n’a lieu que chez des familles de milieu modeste, qui sont les plus visibles, alors qu’elle concerne bien tous les milieux. Ces caractéristiques spécifiques du mode et du lieu de recrutement des familles sont à considérer dans les limites des études, ce qui n’est pas toujours discuté.

Méthodes d’évaluation

Les méthodes utilisées dans les travaux de cette recension ont quelque peu évolué au cours du temps, allant vers leur amélioration, mais sans modification majeure.

Les études avant les années 2005 étaient d’ores et déjà quantitatives et avaient tendance à employer des questionnaires. Il était courant de voir des méthodologies mixtes alliant des entretiens avec les questionnaires (N = 11). Nous n’avons pas repéré d’étude employant seulement l’entretien clinique comme moyen d’investigation. Selon l’âge des enfants, et si ces derniers étaient interrogés, des entretiens semi-directifs ont été privilégiés afin de faciliter l’expression des enfants sur le contexte de violence conjugale (Buckner et al., 2004). L’utilisation massive de questionnaires a pour objectif de recueillir un maximum d’informations sur la violence conjugale et le développement de l’enfant.

À partir de 2005, les méthodologies se précisent par l’utilisation quasi-exclusive de questionnaires, à l’exception de quelques études qui emploient l’entretien ou l’observation en complément (Berdot-Talmier et al., 2016; Zarling et al., 2013; Thornton, 2014). Tout comme pour les travaux plus anciens, les mères et les enfants sont sollicités pour compléter les questionnaires. Les questionnaires remplis par les mères portent, d’une part, sur le contexte de violence conjugale (Conflict Tactic Scale, Straus, 1979), et d’autre part, sur l’adaptation socio-affective de l’enfant (Child Behavior Checklist, Achenbach, 1991). Il est également fréquent que les mères complètent des questionnaires sociodémographiques afin d’obtenir des informations comme le revenu, le niveau d’étude, la catégorie socio-professionnelle ainsi que des éléments relatifs au fonctionnement familial tels que la relation parentale, coparentale, les contacts du père et de l’enfant… Quant aux enfants, les questionnaires auxquels ils doivent répondre sont relativement variés et renvoient : aux symptômes de stress post-traumatique (Trauma Symptom Checklist for Children, Briere, 1989), à la parentification de l’enfant (Parentification Questionnaire Youth, Godsall et Jurkovic, 1995), à la dépression de l’enfant (Beck Depression Inventory, Beck, Steer et Brown, 1996; the Child Depression Inventory, Kovacs, 1992; Center for Epidemiological Studies Depression Scale, Radloff, 1977), aux perceptions que l’enfant possède des conflits entre les parents (Children’s Perception of Interparental Conflict, Grych, Seid et Fincham, 1992; Modified Conflict Tactics Scale for Children, Straus, 1979; “Things I Have Seen and Heard” Scale, Richters et Martinez, 1990), à la régulation émotionnelle (The Emotion Regulation Checklist, Shields et Cicchetti, 1997) ou encore à leur fonctionnement cognitif (The Wechsler Preschool and Primary Scales of Intelligence- Revised, Wechsler, 1989). Ces études ont abandonné deux dimensions qui étaient appréhendées dans plusieurs recherches avant 2005, l’estime de soi de l’enfant (Buckner, Beardslee et Bassuk, 2004; Riesen et Porath, 2004) et son soutien social (Cox et al., 2003; Riesen et Porath, 2004). Le recours au questionnaire de manière quasi-systématique renvoie certainement à la volonté d’obtenir un grand nombre de données auprès d’échantillons très importants. Il constitue la méthode la plus facile à administrer et à analyser. La quantité de sujets est valorisée scientifiquement, bien que parfois l’usage du questionnaire ne soit pas toujours pertinent, ni adapté chez les enfants. Aussi, l’opérationnalisation de certains concepts au moyen d’un questionnaire peut aussi questionner alors que des observations ou des entretiens seraient moins limités.

Enfin, nous relevons que les travaux les plus récents, principalement aux États-Unis, adoptent une approche longitudinale (N = 7) (Gustafsson et al., 2013; Holmes, 2013; Jouriles, Vu, McDonald et Rosenfield, 2014; Martinez-Torteya et al., 2009; Moylan, Herrenkohl, Sousa, Tajima, Herrenkohl et Russo, 2010). Bien que peu nombreux, les auteurs recueillent à présent leurs données à différents temps de la vie de l’enfant dans le but d’appréhender son évolution et la persistance ou la disparition de certains symptômes.

Méthodologie comparative

Sur les études recensées, 31 % s’appuient sur une approche comparative et ont recours à un ou plusieurs groupes de comparaison. Onze études utilisent deux groupes de comparaison (Holmes, 2013; Insana et al., 2014; Savard et Zaouche Gaudron, 2014; Tailor, Stewart-Tufescu et Piotrowski, 2015), cinq manient trois groupes, et deux d’entre elles s’appuient sur quatre groupes de comparaison. Ces différents groupes de comparaison sont relativement hétérogènes. En effet, huit études comparent les enfants exposés à la violence conjugale avec des enfants tout venant non exposés à la violence (Ma, 2009; Maughan et Ciccheti, 2002; Tailor et al., 2015), trois confrontent le lieu de vie des mères et des enfants, le domicile ou le Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) (Jouriles, Norwood, McDonald et Mahoney, 1996; Savard et Zaouche Gaudron, 2014). Savard et Zaouche Gaudron (2014) ont ainsi pu mettre en évidence que les enfants vivant toujours au domicile, auprès du père violent, présentaient davantage de difficultés socio-affectives que les enfants qui l’ont quitté. Quatre autres études mettent en perspective des groupes d’enfants exposés à la violence conjugale, des groupes d’enfants maltraités et des groupes d’enfants maltraités et exposés, parfois un groupe d’enfants tout venant y est ajouté (Bourassa, 2007; Moylan et al., 2010). Enfin, les trois dernières études comparent des éléments très différents. L’une constitue des groupes selon l’origine ethnique des enfants exposés à la violence conjugale (Lehmann et Elliston, 2001). Une autre étude compare les enfants exposés à la violence conjugale avec ceux ayant vécu un autre événement traumatisant (McCloskey et Walker, 2000). Puis, une dernière examine un groupe d’enfants exposés à la violence conjugale vivant en CHRS, un groupe composé de familles non violentes avec deux parents, un groupe de familles monoparentales non violentes et un groupe de familles sans abri sans violence (Jouriles, McDonald, Norwood, Shinn Ware, Collazos Spiller et Swank, 1998).

Dans bon nombre d’études, les variables contrôlées ne sont pas explicitées. Des variables comme la durée de séparation, l’origine ethnique, l’âge des parents et leur niveau d’étude ne sont pas toujours précisés. Comme l’information est souvent manquante, nous ne savons pas si ces éléments ont été évalués ou non.

Ainsi, l’emploi d’une méthode comparative s’est affirmé ces dernières années, et est probablement en lien avec le statut un peu particulier des enfants exposés (considérés comme des victimes indirectes), mais dont les conséquences n’en sont pas moins importantes que d’autres groupes d’enfants. Les études ont également tendance à utiliser très majoritairement le questionnaire pour recueillir leurs données, peut être au détriment de la parole des sujets. Les voies d’accès à cette population restent limitées aux structures spécialisées ce qui peut être réducteur dans la prise en compte des profils de victimes de la violence conjugale.

THÉMATIQUES ANALYSÉES ET PRINCIPAUX RÉSULTATS

L’examen des thématiques, sur lesquelles portent les études, a permis d’identifier des résultats portant sur les conséquences directes de la violence conjugale sur le développement de l’enfant, mais également les facteurs de risque et de protection pour son adaptation. Cette partie vise à dresser un bilan des connaissances actuelles en matière d’enfants exposés, mais également d’identifier les préoccupations concernant cette population.

L’analyse des 54 recherches recensées a conduit à dégager une quinzaine de thèmes traités. Le secteur majoritairement analysé réfère à l’adaptation socio-affective de l’enfant (N = 34), c’est-à-dire les conduites intra et interpersonnelles de l’enfant. L’adaptation socio-affective est souvent subdivisée en deux catégories de troubles : les troubles intériorisés et les troubles extériorisés. Les troubles intériorisés sont dirigés vers soi, ils renvoient aux problèmes émotionnels et peuvent prendre la forme de dépression, repli sur soi, anxiété, plaintes somatiques… Les troubles extériorisés sont dirigés vers autrui, ils représentent les conduites agressives ou encore les comportements délinquants. Les études s’intéressent également aux symptômes de stress post-traumatique (N = 15), mettant en évidence la situation traumatique que peut constituer l’exposition à la violence conjugale. D’autres thèmes peuvent avoir un effet indirect sur le développement de l’enfant comme l’attachement (N = 4) et la qualité des relations mère-enfant (N = 2), la perception du conflit par l’enfant (N = 10), le blâme (N = 8), la perception de la menace (N = 10), la parentification (N = 3), l’estime de soi (N = 4), le soutien social (N = 5) et la régulation émotionnelle (N = 5). Plus marginalement, le développement cognitif (N = 4), les conflits de loyauté (N = 2) et la peur de l’abandon (N = 2) sont abordés.

Les conséquences sur le développement de l’enfant

L’adaptation intériorisée et extériorisée

La plupart des études (N = 34) s’attache à étudier l’adaptation socio-affective des enfants et des adolescents évoluant dans un contexte de violence conjugale, soient en les comparant avec d’autres groupes d’enfants maltraités ou d’enfants non victimes de violence, soit en se référant à une table d’étalonnage. Majoritairement, l’outil utilisé dans les études est le Children Behavior Checklist for Children (CBCL, Achenbach, 1991). Malgré la spécificité de chaque étude, les chercheurs mettent en exergue la présence de troubles chez les enfants exposés, troubles d’une grande variabilité. Tous ces travaux cherchent à dépasser une lecture linéaire de l’effet de l’exposition à la violence conjugale sur l’adaptation socio-affective de l’enfant, en intégrant dans l’analyse des facteurs intrafamiliaux (relation parent-enfant, état psychologique des parents, enfant maltraité, comportement parental…) susceptibles d’intervenir sur l’adaptation de l’enfant.

Certaines recherches ont tendance à montrer une association directe entre le contexte de violence conjugale et l’adaptation psychologique de l’enfant. Les études de Grych et al. (2000) (N = 228) et de Katz et Low (2004) (N = 130) mettent en évidence un effet direct de l’exposition à la violence sur le développement socio-affectif de l’enfant. Hunter et Graham-Bermann (2013) ont mené une étude sur un échantillon de 219 enfants âgés de 6 à 12 ans ayant été exposés à la violence conjugale et vivant en CHRS. Bien qu’ils aient intégré la variable médiatrice du contact de l’enfant avec le père dans leur étude, pour expliquer l’adaptation de l’enfant, ils constatent que la fréquence de l’exposition à la violence conjugale est corrélée positivement avec les problèmes intériorisés et extériorisés des enfants. Kerig (1998) observe à l’aide d’analyse de régressions multiples, sur son échantillon de 106 enfants âgés de 8 à 11 ans, que la violence conjugale est un prédicteur des problèmes d’adaptation générale, des problèmes extériorisés et intériorisés. Dans ces deux études, le Children Behavior Checklist for Children (CBCL, Achenbach, 1991) a été utilisé afin de déterminer les troubles émotionnels et comportementaux des enfants.

Néanmoins, dans la quasi-totalité des recherches examinant l’adaptation socio-affective des enfants, d’autres variables sont ajoutées pour tenter de comprendre leur ajustement.

En effet, la majorité des recherches fait état d’un effet indirect de l’exposition à la violence conjugale sur l’adaptation de l’enfant en complétant ce modèle linéaire par des variables médiatrices ou modératrices[4]. Ces dernières explorent les caractéristiques individuelles et familiales, par exemple, Renner et Boel-Studt (2013) soulignent l’effet médiateur du stress parental. Doucet et Fortin (2014), sur un échantillon de 116 enfants de 8 à 12 ans, montrent que la qualité de la relation mère-enfant constitue un médiateur permettant d’expliquer les différents profils d’adaptation de l’étude. D’autres travaux énoncent l’effet modérateur du sexe des enfants (Buckner et al., 2004), de leur âge (Spilsbury, Kahana, Drotar, Creeden, Flannery et Friedman, 2008) ainsi que de la maltraitance directe envers les enfants sur leur adaptation socio-affective (Bourassa, 2007). Enfin, les résultats de l’étude longitudinale de Martinez-Torteya et al. (2009), qui reposent sur 190 enfants rencontrés à 2, 3 et 4 ans, évoquent que les enfants exposés à la violence conjugale sont 3,7 fois plus à risque de développer des problèmes intériorisés et extériorisés que les enfants qui n’ont jamais été exposés à la violence.

Les symptômes de stress post-traumatique

Une autre des dimensions étudiées chez les enfants exposés à la violence conjugale concerne les symptômes de stress post-traumatique (N = 15). Le stress post-traumatique est une thématique particulièrement investie ces dernières années (Fainsilber Katz, Stettler et Gurtovenki, 2016; Paul et Zaouche Gaudron, 2017; 2018). Les études réalisées rapportent des résultats relativement différents sur la proportion d’enfants touchés par ces symptômes. L’étude de McCloskey et Walker (2000) révèle qu’un quart des enfants de leur échantillon (N = 337), parmi deux groupes, l’un composé d’enfants exposés à la violence conjugale et l’autre d’enfants ayant été confrontés à un événement traumatisant (tel que la maladie ou la mort d’un proche), serait affecté par des symptômes de stress post-traumatique. Dans le même sens, Levendosky, Huth-Bocks, Semel et Shapiro (2002) soulignent, concernant leur échantillon de 62 enfants âgés de 3 à 5 ans, que 24 % d’entre eux présentent des états de stress post-traumatique, tout en précisant que tous les enfants de l’échantillon avaient subi au moins un symptôme de stress post-traumatique (anxiété, dépression, colère, dissociation). Chemtob et Carlson (2004) indiquent que 40 % des enfants de leur échantillon (N = 25) présenteraient des symptômes de stress post-traumatiques, et spécifient que les mères auraient tendance à sous-estimer la détresse des enfants, d’où l’importance de multiplier les sources de renseignements (mère, enfant, enseignant). En comparant un groupe d’enfants exposés à la violence conjugale (N = 53) et un groupe d'enfants non victimes et non exposés (N = 64), Ma (2009) atteste d’un haut niveau de symptomatologie des enfants du premier groupe et d’un impact certain de l’exposition à la violence conjugale. De plus, la menace perçue par les enfants augmenterait également la probabilité de développer plusieurs symptômes de stress post-traumatique (Spilsbury et al., 2007). L’étude de Lehmann et Elliston (2001) fait état d’un effet direct du type de violence conjugale auquel les enfants ont été exposés sur les réponses traumatiques manifestées par les enfants.

Enfin, nous dénombrons sept outils différents permettant d’évaluer les symptômes de stress post-traumatique, principalement des questionnaires (Le Children's Impact of Traumatic Events Scale-Family Violence Form, Wolfe et Lehmann, 1992; le Post-Traumatic Stress Scale for Family Violence, Saunders, 1994; le PTSD scale from the CBCL, Wolfe, Gentile et Wolfe, 1989; le Trauma Symptom Checklist for Children, Briere, 1996), mais aussi quelques entretiens (Le Structured Clinical Interview for DSM-III-R (SCID), Spitzer et al., 1990; le Posttraumatic Stress Disorder Semi-Structured Interview and Observational Record for Infants and Young Children, Scheeringa et Zeanah, 1994). Cette diversité d’outils utilisés pour évaluer cette dimension souligne la complexité à comparer les résultats entre chaque étude.

Facteurs de risque et de protection pour le développement de l’enfant

Attachement et qualité de la relation parents-enfant

Comme pour les symptômes de stress post-traumatique, l’attachement et la qualité des relations parents-enfant restent des dimensions qui sont appréhendées à l’aide d’outils très divers (entretiens, observations filmées des interactions mère-enfant, questionnaire Attachment Q-set, Waters, 1987). Ces variables sont souvent intégrées dans les recherches en tant que médiatrices ou modératrices du développement socio-affectif des enfants. Doucet et Fortin (2014) indiquent que la qualité de la relation mère-enfant contribue à distinguer les différents profils d’adaptation des enfants exposés et joue le rôle de facteur de protection. En revanche, l’étude de De la Sablonnière et Fortin (2010) porte exclusivement sur l’effet de la violence conjugale sur la qualité de la relation mère-enfant (N = 111), en considérant la santé des mères comme modérateur de la relation. Les résultats suggèrent que dans un contexte de violence conjugale, les mères en bonne santé auraient tendance à utiliser des mécanismes compensatoires de soutien et d’affection auprès de l’enfant afin de pallier les effets néfastes de l’exposition à la violence conjugale, ce qui renforcerait la qualité de la relation mère-enfant. Néanmoins, la relation mère-enfant peut également être ternie par la violence conjugale, notamment lorsque les mères ont un mauvais état de santé physique et psychologique. Des différences sont observées quant au répondant (mère ou enfant) évaluant la qualité de la relation. De manière générale, les études tendent à montrer l’effet de la violence conjugale sur la qualité de la relation de l’enfant avec les parents, principalement parce que cette violence affecte la sécurité de l’enfant et le fragilise sans qu’aucun de ses parents ne puisse le protéger de celle-ci (Thornton, 2014). Enfin, il apparaît que la qualité de la relation mère-enfant est sous-tendue par la capacité des mères à reconnaître et soutenir l’expression de leur enfant suite aux événements violents (Johnson et Lieberman, 2007; Savard et Zaouche Gaudron, 2014).

Perception du conflit, de la menace et le sentiment de blâme

La perception du conflit et de la menace par l’enfant est toujours évaluée à l’aide du même outil, à savoir le Children’s Perception of Interparental Conflict (Grych et al., 1992). Il permet d’estimer les caractéristiques du conflit selon l’enfant, la menace perçue par celui-ci et son sentiment de blâme. Les auteurs l’utilisent dans son intégralité ou n’emploient que certaines échelles. Dans notre recension, nous relevons neuf études qui s’intéressent à la perception du conflit parental de l’enfant. Kerig (1998) met en évidence l’effet médiateur des caractéristiques du conflit perçues par l’enfant sur la relation entre la violence conjugale et les problèmes d’adaptation de l’enfant. De plus, cet auteur constate d’autres effets qui sont différenciés selon le sexe. Les garçons tendraient à percevoir davantage de menaces lors des conflits parentaux, ce qui serait médiateur de l’impact de la violence sur leur anxiété. Quant aux filles, leur sentiment de blâme est plus important et médiatiserait la relation entre la violence et leurs problèmes internalisés. Jouriles, Collazos Spiller, Stephens, McDonald et Swank (2000) trouvent des résultats qui varient quelque peu. Effectivement, sur un échantillon de 154 enfants âgés de 8 à 12 ans, ces auteurs témoignent de l’existence d’une corrélation positive entre les enfants se blâmant pour le conflit conjugal et les hauts scores de problèmes extériorisés. Aussi, le blâme et la menace perçue seraient corrélés positivement avec l’auto-évaluation des enfants des symptômes d’anxiété et de dépression. Par ailleurs, l’étude de Ulu et Fisiloglu (2002), portant sur 232 enfants âgés de 9 à 12 ans, apporte d’autres conclusions. En ce qui concerne les propriétés du conflit, elles seraient associées aux problèmes intériorisés relevés par les parents et l’enseignant des enfants. La perception de la menace est en lien avec la dépression de l’enfant (rapportée par lui-même). Concernant le blâme de l’enfant, selon sa propre évaluation, il apparaît associé aux symptômes dépressifs, mais également aux problèmes intériorisés et extériorisés évalués par la mère et, enfin, aux problèmes extériorisés relevés par l’enseignant. Pour finir, Jouriles et al. (2014) mettent en exergue un lien entre la perception de la menace et l’évaluation des problèmes extériorisés des enfants. Une corrélation positive apparait aussi entre le blâme et les problèmes extériorisés rapportés par les mères.

La parentification

La parentification est définie comme : « un processus relationnel interne à la vie familiale qui amène un enfant ou un adolescent à prendre des responsabilités plus importantes que ne le voudraient son âge et sa maturation dans un contexte socioculturel et historique précis et qui le conduit à devenir un parent pour ses (ou son) parents. C’est un processus impliquant toujours plusieurs générations qui plonge ses racines dans les générations des grands-parents et dont les conséquences peuvent toucher les générations à venir. » (Le Goff, 2005, p.7). Le fait d’endosser les rôles parentaux est parfois étudié dans les recherches portant sur les enfants exposés à la violence conjugale (Fortin et Lachance, 2011). Bien que cette dimension ne fasse pas l’objet d’une étude à part entière, il convient de souligner que pour Doucet et Fortin (2014), les enfants ayant des difficultés sur tous les plans de leur adaptation (adaptation générale, intériorisée et extériorisée) sont également ceux qui sont le plus parentifiés au sein de leur famille. Aussi, la parentification serait prédite par le blâme de l’enfant et sa peur de l’abandon (Doucet et Fortin, 2010). Enfin, ces auteurs indiquent l’importance de considérer les caractéristiques individuelles de l’enfant, telles que son sexe ou son âge, pour prédire la parentification de l’enfant en contexte de violence conjugale.

Estime de soi et soutien social

L’étude de Riesen et Porath (2004) fait ressortir que, dans un contexte de violence conjugale, l’estime de soi des enfants serait liée au soutien social qu’ils perçoivent ainsi que leur perception du succès dans des domaines qu’ils jugent importants. Plus précisément, les compétences perçues des enfants dans l’apparence physique, la conduite de comportement, les résultats scolaires et la popularité sont fortement associées à leur estime de soi. Il semble également que le soutien émotionnel de la part de la mère et des amis proches de l’enfant, âgé entre 7 et 12 ans, soit plus fortement lié à l’estime de soi des enfants que le soutien des enseignants et des adultes sans lien de parenté. L’étude de Buckner et al. (2004) a indiqué, quant à elle, que l’estime de soi peut partiellement médiatiser le lien entre l’exposition à la violence conjugale et l’adaptation de l’enfant. L’exposition à la violence conjugale est corrélée négativement avec l’estime de soi uniquement chez les garçons, c’est-à-dire que plus l’exposition à la violence est importante, moins le score d’estime de soi est élevé.

Régulation émotionnelle

La régulation émotionnelle représente la capacité à agir sur ses propres émotions, il s’agit d’un processus psychologique qui renvoie à la capacité de déclencher, d’inhiber ou encore de moduler ses propres affects (Krauth-Gruber, 2009). La régulation émotionnelle a été examinée dans la recherche de Maughan et Ciccheti (2002). Menée auprès de 139 enfants âgés de 4 à 6 ans, cette étude compare deux groupes, l’un est composé d’enfants exposés à la violence et l’autre n’a jamais été confronté à la violence. Il ressort que 80 % des enfants du premier groupe présentent une dérégulation émotionnelle par rapport au second qui en est affecté à 37,2 %. Le manque de contrôle et l’ambivalence émotionnelle médiatiseraient la relation entre le contexte violent et la présence de symptômes anxieux et dépressifs. Dans ce prolongement, Zarling et al. (2013) rapportent également un effet médiateur de la dérégulation émotionnelle sur le lien entre la violence conjugale et les problèmes intériorisés et extériorisés des enfants. Pour finir, Thornton (2014) souligne, à partir des données recueillies sur des enfants de 5 à 9 ans, que la violence conjugale génère une gamme d’émotions négatives pour les jeunes enfants.

Ainsi, différents aspects du développement des enfants exposés à la violence conjugale sont traités dans les études. L’adaptation socio-affective est la plus fréquemment étudiée en lien avec des variables médiatrices accentuant l’effet de la violence sur le développement de l’enfant. Tout comme pour l’adaptation socio-affective, le stress post-traumatique apparait régulièrement dans les études soulignant la situation potentiellement traumatique dans laquelle se trouvent les enfants. Les relations familiales sont aussi affectées par le contexte de violence conjugale et la relation mère-enfant s’avère au coeur des préoccupations dans la mesure où elle peut jouer le rôle de facteur de risque ou de protection pour le développement de l’enfant. Notons, enfin, que les enfants exposés à la violence conjugale doivent faire face à un sentiment d’insécurité et de menace constant, comme le démontrent les études, et peuvent éprouver une culpabilité importante pour ces violences.

Le sexe des enfants

Certaines caractéristiques (le sexe, l’âge, le fait d’avoir été maltraité) sont également examinées dans les études afin de vérifier si elles ont tendance à accentuer ou, au contraire, à réduire les conséquences de l’exposition à la violence conjugale sur le développement de l’enfant. 

Concernant le sexe des enfants exposés à la violence conjugale, les recherches observent des effets différents sur le développement socio-affectif. D’après l’étude de Kerig (1998) portant sur un échantillon de 106 enfants, 48 filles et 58 garçons, âgés de 8 à 11 ans, il existe des différences entre les filles et les garçons dans leur adaptation. Chez les garçons, cette différence s’opère au niveau de l’adaptation générale, puisqu’ils seraient touchés à la fois sur l’adaptation intériorisée et extériorisée, alors que pour les filles, l’exposition à la violence entre les parents pourrait constituer un facteur de risque uniquement au niveau de leur adaptation intériorisée. Cet auteur fait également référence à des réponses différentes selon le genre lors de situations stressantes, telles que les situations de violence conjugale, les garçons ont davantage tendance à adopter une approche plus orientée vers l’action en mobilisant leurs ressources pour attaquer le problème extérieur, tandis que les filles intériorisent leur détresse, se centrent sur elles-mêmes, et se soucient de leurs responsabilités pour le bien-être de leur famille. Cummings et al. (1999) ajoutent que les filles (N = 62) exposées à la violence conjugale récente présentent plus de problèmes d’extériorisation et d’intériorisation que les garçons (N = 52) exposés à la même violence. Plusieurs études mettent aussi en évidence que les enfants de sexe féminin sont plus à risque de développer des problèmes de comportement (Becker et McCloskey, 2002; Cummings et al., 1999; Spilsbury et al., 2007). Au contraire, d’autres ne constatent pas d’effet différencié du sexe sur le développement socio-affectif des enfants exposés à la violence conjugale (Ma, 2009). Lemmey et al. (2001) relèvent d’importantes différences entre les enfants exposés et les enfants non exposés, pour les deux sexes, au niveau de l’adaptation générale. Enfin, l’analyse de Moylan et al. (2010) a montré que les effets de l’exposition à la violence conjugale pour les garçons et les filles (N = 457), chez des enfants d’âge scolaire et des adolescents, sont statistiquement comparables. Il apparaît ainsi que les conclusions apportent quelques éléments divergents quant au sexe de l’enfant exposé, ne permettant pas d’établir si un genre est plus susceptible de développer un type de troubles. Il n’est pas non plus démontré de manière consensuelle que les garçons manifesteraient davantage de difficultés extériorisées et les filles de difficultés intériorisées.

L’âge des enfants

L’effet de l’exposition à la violence conjugale se traduirait différemment selon le moment où elle est apparue dans la vie de l’enfant, c’est-à-dire l’âge auquel l’enfant y a été confronté pour la première fois. Dans l’étude longitudinale de Holmes (2013), menée sur 446 enfants âgés de 5 à 8 ans en comparant un groupe d’enfants exposés à la violence conjugale et un groupe non exposé, les résultats indiquent un effet négatif à long terme sur les comportements lorsque les enfants y ont été exposés à un âge précoce. Il semblerait qu’au fil du temps, les enfants les plus fréquemment exposés entre leur naissance et 3 ans sont ceux qui présentent les comportements les plus agressifs vers l’âge de 8 ans. Ces auteurs mettent aussi en avant que les conséquences de l’exposition à la violence conjugale sont retardées pour n’apparaître qu’à l’âge scolaire des enfants. Levendosky, Huth-Bocks, Shapiro et Semel (2003) notent que les effets négatifs de l’exposition à la violence dans le couple commencent très tôt, mais dans le domaine relationnel dans un premier temps, et ne s’aggravent en termes d’adaptation extériorisée et intériorisée que dans un second temps.

L’âge des enfants, au moment des études, déterminerait aussi les mécanismes qu’ils mettraient en oeuvre pour tenter de s’adapter au contexte de violence. En effet, Jouriles et al. (2000) ont rendu compte des différences existantes entre un groupe d’enfants âgés de 8-9 ans et un autre groupe d’enfants âgés de 10 à 12 ans. Les enfants les plus âgés auraient davantage tendance à manifester des problèmes intériorisés, qui seraient associés à leurs cognitions pour comprendre l’impact de la violence conjugale. Enfin, les problèmes d’extériorisation sont plus massifs chez les adolescents que chez les enfants âgés entre 7 et 10 ans (Jouriles et al., 2014).

La maltraitance

La maltraitance des enfants, en plus de l’exposition à la violence conjugale, représente une autre préoccupation des chercheurs. Effectivement, plusieurs études (N = 7) tentent de comparer l’effet de cette variable sur l’adaptation des enfants. De la Vega et al. (2013) ont remarqué, dans leur échantillon d’enfants (N = 168), âgés de 4 à 17 ans, répartis dans différents groupes selon le type de maltraitance, qu’il existe une augmentation des troubles lorsque les enfants cumulent plusieurs formes de maltraitance (dont l’exposition à la violence conjugale). Cette augmentation se produit généralement au niveau de l’adaptation intériorisée. L’accumulation des formes de maltraitance affecte différents domaines de la psychopathologie et amplifie le risque de développer des troubles de l’attention ainsi que des problèmes sociaux. De plus, Bourassa (2007) rapporte que la cooccurrence entre l’exposition à la violence conjugale et la maltraitance physique des adolescents a un effet négatif significativement plus important que l’exposition unique à la violence entre les parents. Ainsi, les jeunes à la fois maltraités et exposés révèlent plus fréquemment de symptômes extériorisés et intériorisés se situant en zone pathologique.

Ainsi, bien que le sexe des enfants n’apparaisse pas comme une caractéristique indubitable pouvant accentuer ou limiter les difficultés des enfants, l’âge semble quant à lui déterminant. Les études témoignent du fait que les conséquences de l’exposition à la violence conjugale n’auront pas la même gravité selon l’âge auxquelles elles seront apparues dans la vie de l’enfant. Plus un enfant est exposé tôt, plus il présentera de difficultés d’adaptation. Il en est de même pour la maltraitance de l’enfant, qui en plus de l’exposition à la violence conjugale, amplifierait les problèmes de l’enfant.

CONCLUSION

La recension des travaux menés entre 1995 et 2018 sur le développement des enfants exposés à la violence conjugale fait émerger plusieurs conclusions. Tout d’abord, à partir de cette recension, force est de constater le retard de la recherche en France dans ce domaine, compte tenu de la réalisation d’une seule étude (Savard et Zaouche Gaudron, 2014). La plupart des recherches sont réalisées en Amérique du Nord et apportent des connaissances importantes pour examiner le développement des enfants exposés à la violence conjugale. Elles ont tendance à majoritairement employer des méthodologies quantitatives visant à recueillir un grand nombre de données sur des grands échantillons et à utiliser le questionnaire comme outil de prédilection. Rapide dans son administration, le questionnaire peut paraitre mal adapté à des populations d’enfants, notamment les plus jeunes, au regard de leurs modes d’expression privilégiés (jeux, dessins, entretien), mais également du vécu potentiellement traumatique que les études viennent questionner.

Les résultats dominants concernent l’influence négative de l’exposition à la violence conjugale des enfants sur leur développement, principalement au niveau de leur adaptation socio-affective et des symptômes de stress post-traumatique. D’autres domaines du développement semblent également être affectés par ce contexte familial comme l’attachement de l’enfant, le développement cognitif, le soutien social et l’estime de soi. Malgré l’influence directe de la violence conjugale sur l’adaptation des enfants, d’autres facteurs apparaissent comme médiateurs ou modérateurs de cette relation. Ainsi, la santé des mères, le stress maternel, le comportement parental, le contact que l’enfant a avec son père, la perception des enfants de la violence conjugale, de la menace ou encore son sentiment de blâme, constituent des variables qui ont tendance à accentuer les difficultés éprouvées par ces enfants exposés. Le sexe des enfants, l’âge, la période à laquelle ont débuté les violences ainsi que le fait pour l’enfant d’avoir subi des maltraitances directes, sont autant de caractéristiques qui doivent être appréhendées et dont il faudrait davantage préciser les effets en raison de résultats parfois disparates. La question des rôles et de la place de l’enfant au sein de sa famille, des relations avec chacun des membres pourrait être davantage approfondie pour comprendre le développement de l’enfant exposé. Les études semblent également éluder le père alors qu’il pourrait être pertinent d’interroger l’enfant à son sujet, sur les relations entretenues et l’ambivalence.

Enfin, les résultats issus de ces différentes études, au-delà de mettre en évidence les effets délétères de l’exposition à la violence conjugale sur les enfants, permettent d’envisager des pratiques professionnelles qui soient adaptées pour eux. Ainsi, le point de vue que l’enfant porte sur la violence conjugale apparait fortement influencer ses difficultés. Par exemple, le sentiment de blâme serait en lien avec les difficultés extériorisées des enfants (Jouriles et al., 2000), témoignant dès lors de l’importance de travailler ces dimensions avec l’enfant afin de réduire ses symptômes. Ces études font ressortir que ce n’est pas tant l’intensité de l’exposition à la violence conjugale qui est délétère, mais plutôt l’interprétation et le sens que l’enfant y met (Grych et Fincham, 1990). Ces études tendent aussi à montrer que la qualité de la relation mère-enfant peut être considérée comme un facteur de protection et doit servir de point d’appui pour les interventions auprès de ce public. Il semble également nécessaire d’interroger la place des auteurs de violence conjugale auprès de leurs enfants, en obtenant des données scientifiquement validées et qui pourront servir les pratiques d’intervention et les modalités de garde des enfants lors d’une séparation conjugale. Ainsi, les interventions doivent, à minima, mettre en oeuvre des prises en charge conjointes mère-enfant, mais également s’appuyer sur les perceptions de l’enfant quant à la violence conjugale ainsi qu’à la place et au rôle qu’il s’attribue au sein de la famille.