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INTRODUCTION

Récits sur l’alcool et l’ivresse à travers les âges

Depuis toujours, chaque société des civilisations antiques ou traditionnelles jusqu’aux civilisations actuelles ont produit des récits sur l’alcool et sur l’ivresse (Bernard, 2000; Bianquis, 2012; McGovern, 2009; Otto, 1969). Ces récits que l’on retrouve au travers un ensemble de croyances, de légendes ou de mythes, ont ceci de communs qu’ils constituent un ensemble de théories explicatives, plus ou moins reconnues selon les époques comme réalité objective (nous diront aujourd’hui « scientifique »), visant à comprendre ce qui échappe aux connaissances actuelles. Ces récits en tant que tentative de symbolisation cherchant à saisir ce quelque chose d’une réalité qui demeure inlassablement insaisissable, se forgent à la fois à partir des représentations et connaissances dites scientifiques et naïves de l’époque, mais aussi à travers un certain nombre de fantasmes dont la composante imaginaire est aujourd’hui désormais assez transparente. En retraçant ces grands récits, sont ainsi apparus à notre sens, comme tour à tour énigmatique, le procédé de fermentation puis celui de distillation, mais également le caractère dit « chaud » de l’alcool, et, enfin ses capacités psychotropes souvent comparées à une « passion » amoureuse. Bien que le procédé de fermentation soit connu depuis l’ère néolithique avec des découvertes archéologiques faisant remonter la présence de breuvages fermentés à 7000 ans avant J.-C. (McGovern et al., 2004), il faut attente le XVIIIe et les premières descriptions de Lavoisier (1789) pour que soit élucidé le processus de fermentation comme la transformation chimique du sucre en alcool à l’aide de micro-enzymes présents dans diverses levures. Si les descriptions de Lavoisier marquent une transition entre une dimension mystique portée au processus de fermentation vers une dimension dite scientifique, ses descriptions en gardent pour autant la trace. Ainsi, par la métaphore, Lavoisier dira de la fermentation qu’elle ressemble à s’y méprendre à « un brasier ardent excité par une violente ébullition » (Lavoisier, 1789, p.139). Cette idée de « brasier ardent » est en réalité une représentation très ancienne que l’on retrouve dès la Grèce antique, où ce processus se représentait comme une transmutation mystique d’une eau en une autre grâce à une certaine « cuisson ». Dans un même imaginaire, on retrouve tout un ensemble de représentations archaïques que l’on repère également dans les sociétés traditionnelles d’Afrique de l’ouest (Héritier, 2012), autours de théories des humeurs où de la même façon, la transmutation d’un liquide corporel en un autre (Héritier parle « d’alchimie humaine »; 2012, p.82), n’est possible que par une « cuisson ». Celle-ci renvoie à une cuisson du corps dont la chaleur (comme celle de l’alcool) est métonymiquement associée à la vie elle-même. Dans ce contexte, l’alcool qui confère une certaine chaleur (une perception corporelle) et métaphoriquement associé à la « chaleur humaine », était utilisé à des fins médicinales. Il visait à corriger les déséquilibres du corps souffrant alors d’excès de « chaleur » ou d’« humidité ». La « liqueur vineuse » que Platon qualifiait métaphoriquement de « lait des vieillards » (Le Vot-Ifrah, Mathelin et Nahoum-Grappe, 1989), visait à renforcer le sang de ceux-ci, car perdant de leur chaleur. Par ailleurs, il est à noter que cet imaginaire autour de la transmutation se retrouve dans la mythologie antique et judéo-chrétienne. On attribue, par exemple à Dionysos (dieu du vin et de l’ivresse) lors de ses épiphanies, le miracle de l’eau changée en vin (Otto, 1969). Il en est de même pour le Christ (autre figure de l’épiphanie) lors des noces de Cana.

Par ailleurs, dans une période plus proche, on retrouve au XVIIIe ce même imaginaire autour de la composante « chaude » et « inflammable » de l’alcool qui, de la même manière que la fermentation, a dû laisser aux hommes une certaine impression. En effet, la qualité inflammable de l’alcool fait référence au produit obtenu après distillation de produits fermentés. La distillation alors décrite par Lavoisier (1789) figure alors comme un processus visant à en capturer la « quintessence » ou « l’esprit ». On parlait alors « d’esprit de sucre fermentés » ou « d’esprit de vin », auquel le terme générique « d’alcool » en référence au terme arabe « al khôl » lui sera par la suite attribué pour plus de commodité (Lavoisier, 1789). Ces « alcools » ainsi obtenus seront alors désignés comme des « eaux-de-vie », des « eaux ardentes » ou des « eaux de feu », réunissant en un même corps, deux états de nature opposés, « un miracle » que seul accompli l’alcool disait Laplanche[2] (1980, p.144). C’est alors autour de cet imaginaire qu’une fantaisie au sens de Freud apparait entre le début du XVIIIe jusqu’au milieu du XIXe. Repérée par Avrane (2008), elle consistait en des récits de cas de « combustions spontanées ». Décrites par Devergie (Decaisne, 1876), ces combustions se déclenchaient spontanément et à faible distance d’une source ignée. Elles concernaient le plus souvent des femmes « en embonpoint », retrouvées au petit matin, calcinées « dans les parties les plus grasses » alors qu’elles étaient seules. Qualifiées de « dames boissons », ces dernières avaient la réputation d’avoir trop passionnément abusées de la « liqueur spiritueuse » (Henriet, 1867). Les combustions dont elles étaient victimes étaient réputées inextinguibles même par l’eau. Les rares témoins décrivent des flammes bleuâtres pouvant s’attacher à toutes parties du corps « comme si (elles) eut trempé(es) dans une eau-de-vie » (Henriet, 1867, p.4). La croyance était alors que le corps humain pouvait s’imbiber d’alcool telle une éponge, devenant lui-même spontanément inflammable. Avrane (2008) souligne que ces fantaisies sont contemporaines d’un moment précis de l’histoire, où la question de « l’ivrognerie » (une ivresse dit d’habitude) plutôt que l’ivresse en tant que telle, commençait à être reconnue par la médecine comme une maladie (le terme « d’alcoolisme » introduit par Magnus Huss apparait dans les années 1850; Huss, 1852), mais aussi à faire l’objet d’une législation où l’ivresse devenait désormais réprimée afin de combattre « les progrès de l’alcoolisme » (loi du 23 janvier 1873, JORF du 4 février 1873). Avrane fait de cette mythologie une théorie explicative tentant de rendre compte de ce dont quoi souffre l’ivrogne, devenant dans le même mouvement une maladie bientôt désignée par un nouveau signifiant, celui d’« alcoolisme ». Ainsi, les composantes du mythe font se rejoindre l’inexplicabilité d’une flamme inextinguible et spontanée qui enflamme le corps du sujet (comme peut l’être le désir), avec la figure de l’ivrogne, le plus souvent une femme, souffrant d’une passion elle-même inextinguible pour « l’eau ardente », dont la caractéristique était aussi d’être inflammable.

Enfin, une dernière dimension des récits concernant l’alcool concerne cette fois les représentations associées aux effets que produisent l’ivresse, renvoyant celle-ci à une dimension davantage libidinale. Parmi ces récits, les plus anciens concernent les femmes vouant un culte à Dionysos. Dans le mythe, ces dernières, sous l’ivresse provoquée par leur dieu, étaient prises de folie (mania que provoque soit le vin, soit le sang) et quittaient foyers et maris pour rejoindre Dionysos dans des danses et des cortèges Bacchaniques accompagnées de satyres en rut (Otto, 1969). Sous l’effet de leur délire, celles-ci devenaient alors des ménades allaitantes nourrissant faons et louveteaux, puis devenant elles-mêmes assoiffées de sang, faisaient subir le sparagmos (action de démembrement et d’écartèlement) à tout homme étant témoin de leur ivresse. Dans Euripide, l’ivresse des Bacchantes est décrite comme « une chose » qu’il est « défendue de voir », interdit que brave dans le récit Penthée qui, décrit comme ayant lui-même les apparences de l’ivresse, en paiera le prix, mis à mort par sa propre mère lui faisant subir le sparagmos (Euripide, 2011, p.71). Dans la mythologie chrétienne, on retrouve ces mêmes représentations de l’ivresse associée à la passion amoureuse, mais aussi comme permettant d’enfreindre un interdit. Elle est celle, par exemple, qui permet aux filles de Loth d’obtenir de leur père un enfant afin d’en perpétuer la descendance. Et dans une époque plus proche de la nôtre, il n’est pas sans rappeler qu’Abraham disait de l’imaginaire prêté aux effets érotiques des « philtres d’amour » qu’il était tiré de l’enivrement des boissons alcooliques pouvant susciter une excitation sexuelle (Abraham, 1909). Aujourd’hui, les addictologues contemporains parlent aussi de l’ivresse comme un sentiment amoureux, ou de l’amour comme « une drogue douce » activant les mêmes circuits que ceux de la jouissance (Reynaud, 2005).

Le « binge drinking », l’émergence d’un nouveau récit?

Qu’en est-il du discours de nos sociétés actuelles sur l’alcool et ses ivresses? Si les récits sur l’alcool ont toujours comporté une certaine dimension imaginaire se répétant inlassablement tel un mythème où figure le fantasme (un leurre dans lequel la pensée scientifique peut se perdre si celui-ci n’est pas reconnu), peut-on trouver cette même composante dans les discours contemporains sur l’ivresse? Car en effet, ces dernières années, les alcoolisations festives, en particulier chez les jeunes, sont apparues comme un phénomène nouveau, qualifiées par un signifiant, celui du « binge drinking ». Peu de chercheurs se sont intéressés à l’histoire de cette notion, ni aux circonstances de son apparition.

Dans une démarche d’historien, Berridge, Herring et Betsy (2009) soulignent que de la même façon que dans les pays de l’OCDE, le terme de « binge drinking » est apparu ces vingt dernières années comme un mot nouveau, que la définition du « binge » a évolué de la même façon en Angleterre pour qualifier désormais un mode d’alcoolisation particulier parmi les jeunes. Evoqué comme une pratique venue des universités américaines, le « binge drinking » se représente aux USA comme une consommation visant à atteindre une ivresse le plus vite possible, via une intoxication massive sur une courte durée. Dans la littérature, le terme de « binge drinking » apparait principalement au début des années 90 dans des recherches américaines, dans un contexte où le seuil légal de consommation est supérieur à 21 ans. En suivant une politique de prévention et investiguant les conséquences des alcoolisations chez les étudiants n’ayant pas le droit légalement de consommer, ces recherches ont caractérisé un seuil d’alcoolémie au-delà duquel ces alcoolisations pouvaient avoir des conséquences en termes d’ordre publique ou de dommage pour la santé (bagarres, accidents, chutes, relations sexuelles non protégées). Ce seuil s’est alors défini en 2004 selon le très sérieux NIAAA à un taux d’alcoolémie « supérieur ou égal à 0,8 grammes par litre de sang, (soit) une consommation de 5 verres ou plus (pour les hommes), ou de 4 verres ou plus (pour les femmes) en moins de deux heures » (NIAAA, 2004) et pour l’INPES, à une consommation « d’au moins 60 grammes d’alcool (soit 6 verres standards) au cours d’une seule occasion ». Ce sont ces seuils qui sont actuellement utilisés pour mesurer le « binge drinking ». En France, il est question, en 2008, d’« Alcoolisations Ponctuelles Importantes » (API), où ce seuil doit être dépassé au moins une fois par mois au cours des 12 derniers mois (est pris en compte une notion de régularité). À l’international, il est question, dès 2004, d’« Heavy Episodic Drinking » (HED) où ce seuil doit être dépassé au moins une fois au cours des trente derniers jours. Bien que faisant consensus dans la littérature, ces mesures (qui restent des seuils d’alcoolémie à risque), ne constituent qu’une mesure partielle et incomplète de ce que vers quoi veut renvoyer le « binge drinking ». Elles demeurent peu informatives quant aux modalités, aux enjeux et aux motivations des alcoolisations des jeunes.

Pour ce qui est de l’apparition au début XXIe du terme de « binge drinking » en Europe, Berridge et al. (2009) soulignent que ce terme est contemporain de l’émergence de politique publique visant une réduction des risques et de grands observatoires de santé ayant recours à des données épidémiologiques permettant de surveiller un certain nombre d’indicateurs dont celui des ivresses à risque. Comme ces auteurs, il est dès lors intéressant d’interroger si l’émergence du terme de « binge drinking » reflète bien une évolution propre à la jeunesse quant à leur rapport à l’ivresse (réputée consommer « de plus en plus vite » et « de plus en plus tôt »)? Ou si l’émergence de cette notion n’est que la conséquence d’une évolution propre aux politiques publiques qui, allant vers une prévention des risques, pathologise par un nouveau signifiant, celui du « binge », des ivresses désormais désignées comme à risque et ainsi à prévenir?Peut-on dès lors penser que c’est cette pathologisation de l’ivresse qui s’accompagne d’un discours sur l’alcoolisation des jeunes, population parmi laquelle le rapport électif à l’ivresse a toujours existé (Moins, 2010). Évoquer le « binge drinking » comme un phénomène nouveau propre à la « jeunesse » peut en effet prendre le risque sociétal cette fois, de stigmatiser la jeunesse pour ce qu’elle peut représenter pour celui qui veut en dire quelque chose. Le danger serait de faire émerger un discours s’enlisant dans une pensée qui perd en complexité, autour d’une rivalité annoncée entre addictologue et lobbies alcooliers; l’un accusant l’autre « d’inciter la jeunesse à trop boire » et à « détruire la jeunesse », qualifiant cette dernière comme vulnérable et « cherchant (à un tournant de l’histoire occidentale) le sens de sa vie » (Benyamina et Samitier, 2017, p.5). Le récit ainsi obtenu fait du « binge drinking »[3] une épidémie nouvelle, où les jeunes s’alcoolisent « le plus vite possible », à même le goulot et « sans pudeur », vidant d’un trait la bouteille jusqu’au coma éthylique, épinglant au passage « une jeunesse en péril » ou en « quête de sens » (Benyamina et Samitier, 2017; Moins, 2010).

L’intérêt pour le « binge drinking » en France

En effet, il est important de souligner que le rapport des jeunes à l’ivresse et à la fête n’est pas un phénomène nouveau. Il demeure un phénomène intemporel que Freud désignait déjà en 1905 de « Bierschwefel (ivresse du buveur de bière) de l’étudiant » (Freud, 1905, p.148). En France, on repère dans les archives du Monde des premières descriptions datant des années 80 de l’alcoolisation des jeunes et ceux, dans des modalités similaires à celles d’aujourd’hui, avec des premières ivresses connues entre 14 et 16 ans, réalisées le plus souvent loin des parents, vécues comme un signe de virilité par les garçons et facilitant les premiers émois amoureux (Priestley, 1981). On retrouve également dans ces mêmes archives et dès les années 50, des articles traitant de la curieuse façon de boire des étudiants américains, où « l’ivresse est un sport », où l’alcool se consomme dans des sortes « d’orgies collectives », aux antipodes de « l’art de boire » à la française (Lemaire, 1950). À cette époque, la consommation d’alcool des jeunes français était plutôt repérée comme anecdotique, l’intérêt premier des pouvoirs publiques visait à lutter efficacement contre « le fléau de l’alcoolisme », mais également contre les dangers de l’ivresse au volant où les « jeunes » à nouveau, « de moins de trente ans » toujours, étaient déjà réputés « plus sensibles (…) à la toxicité de l’alcool » (Leroy, 1974). C’est beaucoup plus tard, vers la fin des années 90, que la consommation d’alcool des jeunes devient un objet de préoccupation. Conformément à l’hypothèse de Berridge et al. (2009), cette dernière est contemporaine des premières grandes enquêtes épidémiologiques qui apparaissent pour la première fois en 1992 avec les données du Baromètre Santé Alcool (consommation de la population générale française de 18 à 75 ans) , suivi en 1999 de l’enquête ESPAD (consommation des collégiens de 15-16 ans à travers l’Europe; Choquet, Ledoux, Hassler, Beck et Peretti-Wattel, 2000) et de l’enquête ESCAPAD en 2000 (consommation des lycéens français de 17-18 ans; Beck, Legleye et Peretti-Wattel, 2000). C’est en fait entre fin 2000 et début 2010 qu’apparait pour la première fois en France le terme de « binge drinking » toujours au regard de l’évolution des indicateurs cités précédemment. Cette préoccupation pour les alcoolisations massives des jeunes, tant dans la communauté scientifique que chez les préventeurs, a été d’autant motivée que l’opinion a été frappé par différents décès, non pas en raison d’accidents de la route (danger désormais bien connu et identifié), mais bien des effets directs d’intoxications alcooliques massives avec 5 disparitions par noyade à Bordeaux sur une même année en 2012, trois à Lille en 2011, et d’un décès à Paris en 2013 des suites d’insuffisance respiratoire dû à un coma éthylique. Ces évènements marquants ont donné lieux à plusieurs mesures visant à diminuer les risques de telles alcoolisations avec : l’interdiction des « open-bars » ou des ventes d’alcool au forfait, l’interdiction de la vente d’alcool aux mineurs, l’encadrement des ventes de boissons alcooliques entre 22 heures et 8 heures, et l’encadrement de la publicité sur internet, notamment sur les sites dédiés à la jeunesse. Mais par ailleurs, d’autres phénomènes ayant fait grande impression ont également accentué cette préoccupation, comme par exemple en 2014 avec le bref phénomène de « neck nomination », un jeu à gage par vidéo interposée « venu (à nouveau) d’outre-Atlantique » et partagé sur les réseaux sociaux, consistant à défier trois amis à se filmer en buvant cul-sec une grande quantité d’alcool (parfois une bouteille; Haza, Delorme et Pineau-Delabi, 2017). Il n’existe pas de données objectives permettant de savoir si de telles pratiques ont également été menées en France ou si elles sont restées à l’état d’épiphénomène. Ce jeu a été suivi par un autre passé plus inaperçu, mais non sans un imaginaire commun, consistant à défier de la même manière trois personnes à « se jeter à l’eau » ou « à payer un resto ». Défis s’étant soldé à nouveau par un drame, avec la mort par noyade en 2014 d’un jeune homme dans le Morbihan...

Les données épidémiologiques sur l’ivresse et le « binge drinking »

C’est alors dans cette inquiétude grandissante quant à l’alcoolisation des jeunes que s’interroge une évolution du rapport de la jeunesse à l’ivresse et au travers de celle-ci, d’une modalité de consommation dite ipso facto « rapide et massive ». Une des tentatives d’objectivation a été de consulter les différents indicateurs disponibles, notamment ceux des grandes études épidémiologiques. À partir des derniers chiffres de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), on note, en 2014 en France, que la prévalence d’HED est de 29,8 % avec, de manière récurrente, une surreprésentation des HED parmi les hommes (45,4 % contre 14,4 % parmi les femmes). Mais cet écart s’estompe dès lors que l’on se concentre sur les plus jeunes, où on observe chez les 15-19 ans, un écart de 4 points seulement avec respectivement 46,3 % et 50,7 % d’HED (W.H.O., 2014). Par ailleurs, si on regarde l’effet de l’âge, on observe bien que les API sont surreprésentées parmi les plus jeunes. En revanche, elles ne restent pas moins inexistantes parmi les tranches d’âge suivantes. En 2010, 30,1 % des 18-25 ans déclarent avoir eu des API, ils sont 23,2 % chez les 26-34 ans et 17,1 % chez les 35-54 ans (Richard, Beck et Spilka, 2013). Enfin, si l’on regarde l’évolution à travers le temps des alcoolisations massives, celles-ci restent stables. En Europe, les HED de 2015 des 15-16 ans restent identiques à celles de 1995 (European School Survey Project on Alcohol and Other, 2016). De même, les API des 17-18 ans de 2017 (44 %) rejoignent celles de 2008 (48,7 %; Spilka, Le Nézet, Brissot, Phillippon, Shah et Chyderiotis, 2018). Ainsi, la tendance générale de ces 20 dernières années autour des alcoolisations massives va dans le sens d’un phénomène stable au cours du temps. Elles demeurent une modalité de consommation essentiellement masculine en population générale, mais cet effet semble disparaitre chez les plus jeunes. Ce type d’alcoolisation qui démarre le plus souvent vers 14-15 ans, est surreprésenté parmi les 18-24 ans, mais continue chez les 25-35 ans. Nous n’avons pas, à notre connaissance, de données permettant d’avancer l’idée d’une accélération ces 20 dernières années des API ni de la vitesse des consommations. Néanmoins, le rapport étroit à l’ivresse parmi les adolescents et les jeunes adultes semble en effet bien caractériser les alcoolisations de cette tranche d’âge. Enfin, pour ce qui est des passages aux urgences, l’enquête du réseau Oscour montre qu’en 2011, la tranche d’âge la plus hospitalisée pour Intoxication Ethylique Aiguë (IEA) n’est pas les 15-24 ans qui représentent 17 % des IEA, mais bien les 35-54 ans avec 47 % d’IEA (Perrine et Develay, 2013). Il n’existe pas à notre connaissance d’études longitudinales sur le taux d’hospitalisation pour IEA en France permettant d’avancer l’idée d’une aggravation dans le temps de celles-ci, et ce, parmi une tranche d’âge donnée.

Un flou quant à la définition du « binge drinking »

Ainsi, force est de constater que s’observe un premier écart entre les données objectives et l’interprétation faite de ces données (tant dans la littérature que dans le discours médiatique) se concentrant sur un temps court, c’est-à-dire commentant les chiffres sur un intervalle de quelques années et non sur un temps long. En effet, sur le long terme, il n’existe pas d’élément permettant de confirmer une accélération ou une aggravation du phénomène, ni a priori d’en attribuer une dimension nouvelle[4]. Par ailleurs, nous pouvons observer un second écart entre le « binge drinking » tel qu’il est mesuré dans la littérature et ce que les indicateurs mesurent en réalité. Si le « binge drinking » renvoie, entre autres, à la notion « d’ivresse », les API et les HED ne permettent pas d’identifier et de différencier des ivresses dites « simples » (avec phase d’excitation et d’incoordination psychomotrice) des ivresses dites « pathologiques » (avec « risque d’auto ou d’hétéro-agressivité, d’amnésie antérograde et de coma »; Viennet, Schwan, Gillet, Laprevote, et Fiumano, 2013, p. 58). Aussi, l’évaluation rétrospective de l’ivresse chez un individu demeure complexe. Elle renvoie à un état subjectif pour lequel la quantité d’alcool nécessaire peut varier d’un individu à un autre. De plus, ces indicateurs ne permettent pas de prendre en compte la notion d’abus pourtant intrinsèque à ce vers quoi souhaite renvoyer le « binge drinking », et qui se définie dans le DSM-IV comme une consommation chronique responsable de dommages sociaux, somatiques ou psychologiques sans critère de dépendance (Viennet et al., 2013). Par ailleurs et non des moindres, peu de recherches, à notre connaissance, n’ont évalué à proprement parler si les notions d’API ou d’HED demeurent bien en lien, en dehors du simple critère quantitatif, avec la modalité de consommation à laquelle renvoi le binge drinking. Cet aspect est d’autant plus important à souligner que l’alcoolisation des jeunes fait l’objet d’un discours collectif où celle-ci a tendance à n’apparaitre désormais plus que sous le prisme unimodal et ipso facto pathologique du binge drinking. Ainsi et dans une démarche d’objectivation, cette série d’écarts renvoie à un problème méthodologique. Elle interroge un problème de définition que souligne également Berridge et al. (2009) qui, en questionnant le flou inhérent à celle-ci, vont jusqu’à interroger la pertinence de la notion de « binge drinking ». C’est ce flou quant à la définition que nous souhaitons interroger ici. D’une part, il renvoie selon nous à un troisième écart, c’est-à-dire un écart entre le récit tel qu’il peut être fait de l’alcoolisation des jeunes dit ipso facto de « binge drinking » représenté comme une alcoolisation où les jeunes consomment « le plus vite possible et de plus en plus tôt » à même le goulot, vidant cul-sec des bouteilles jusqu’au coma, se noyant au sens littéral comme au sens figuré dans (et à cause) de l’alcool, et la consommation des jeunes telle qu’elle est en réalité chez une population d'étudiants tout venant. D’autre part, ce flou quant à la définition renvoie à un manque de caractérisation non seulement du binge drinking, mais plus généralement de l’ivresse non plus uniquement cette fois d’un point de vue quantitatif, mais d’un point de vue qualitatif et cela au-delà du récit actuel et unidimensionnel fait de l’alcoolisation des jeunes. Cette caractérisation gagnerait à être mise en lumière par le fonctionnement mental d’individus s’adonnant à l’ivresse de manière régulière, et par l’analyse des aspects métapsychologiques tirés de ce fonctionnement mental. Par conséquent, ces interrogations nous emmènent vers une hypothèse de travail à deux niveaux. D’une part et au plus près de la réalité clinique, notre hypothèse interroge les représentations, attentes, motivations et enjeux de ces ivresses au sein d’une tranche d’âge dite la plus exposée au « binge drinking ». Elle vise à établir différentes dimensions ou typologies de l’ivresse et parmi celle-ci à tenter de rendre compte de la notion de « binge drinking ». Et d’autre part, elle propose d’interroger, à partir des représentations de l’ivresse en général, ce que peut représenter l’alcoolisation des jeunes.

MÉTHODOLOGIE

Participants et procédures

Notre étude porte sur une cohorte de 97 étudiants de l’Université Paris Nanterre, âgés entre 18 et 24 ans. L’âge moyen est de 20,84 ans (ÉT = 2,089). L’échantillon est composé à 45 % d’hommes (n = 44) et à 55 % de femmes (n = 53). La majorité des étudiants (75,5 %; n = 71) étaient inscrits en Licence, seulement 24,5 % étaient inscrits en Master (n = 23). Les participants ont été recrutés entre janvier 2012 et octobre 2013 directement sur le campus de l’université par les chercheurs menant cette recherche. Les participants n’ont pas été rémunérés, la participation s’est faite sur la base du volontariat. La passation du protocole de recherche après signature d’un formulaire de consentement éclairé avait lieu dans une des salles de recherche dédiées de notre laboratoire. Le formulaire de consentement éclairé visait : à garantir l’anonymat des participants, à leur exposer les tenants et aboutissants de la recherche, à leur rappeler le caractère non obligatoire de la passation, ainsi que la possibilité de pouvoir arrêter à tout moment s’ils le souhaitaient. Le protocole de recherche consistait en la passation de questionnaires, et d’un entretien de recherche semi-directif. Les passations étant menées par des chercheurs en psychopathologie, ont été exclu pour des raisons de déontologie, tout étudiant inscrit en psychologie.

Mesures

Afin d’évaluer les modalités, les enjeux, les motivations et attentes des participants quant à leur consommation, et dans le but de dresser différents profils, nous avons mis en place des entretiens semi-directifs et individuels d’une durée standardisée d’une heure, au cours desquels étaient explorées les représentations quant à leur consommation, mais également quant à celle de leurs parents. Les techniques d’entretiens visaient à être le moins directives possible afin de rendre compte au mieux des représentations intrapsychiques et intersubjectives des sujets. Il était alors demandé aux participants de « raconter leur consommation d’alcool et tout ce qui (leur) vient à l’esprit à ce sujet ». Ces modalités visaient à rendre compte de différents éléments psychodynamiques dont la composante imaginaire développée autour des représentations, des croyances et fantasmes sur l’alcool et l’ivresse, ainsi que ceux relatifs aux enjeux dynamiques et économiques liés à l’alcool et à l’ivresse (enjeux constitués de conflits intrapsychiques entre différentes instances dont les représentations des désirs face aux interdits, et des mouvements d’investissement et de désinvestissement d’objet). Chaque entretien a été enregistré puis retranscrit. Afin de mesurer les modalités de consommation de notre cohorte, nous avons utilisé l’AUDIT version française, validé et construit par l’OMS, composé d’une échelle de 10 items mesurant la consommation d’alcool au cours des douze derniers mois. Nous avons utilisé l’item 3 de l’AUDIT afin de mesurer les API telles qu’elles sont définies par l’INPES. Afin de mesurer les variations interindividuelles quant aux modalités de consommation et le rapport à l’ivresse, nous avons construit trois items explorant au cours des six derniers mois : la fréquence des consommations festives (« combien de fois en moyenne vous est-il arrivé de consommer de l’alcool dans un climat festif? »); la rapidité de la consommation (« quand vous consommez de l’alcool dans un climat festif, à quel rythme buvez-vous en nombre de verres par heure? »); et le nombre d’ivresses connues (« dans ces contextes festifs, combien de fois avez-vous été ivre? »). Afin de mesurer la dimension psychopathologique des alcoolisations, nous avons utilisé le MINI International Neuropsychiatric Interview, qui est un guide d’entretien diagnostic explorant les principaux troubles psychiatriques de l’axe I du DSM-IV. Nous avons retenu la dépendance ainsi que l’abus.

Analyse des données

Les verbatims ont fait l'objet d'une analyse thématique. Des tests inférentiels ont été utilisés afin de comparer différentes modalités au sein d’une variable numérique (t de student) ou au sein d’une variable catégorielle (Chi²). Le seuil de significativité est à 0,05. Des profils à partir des invariants de l’analyse thématique ont été mis en évidence grâce à une analyse en composante principale (ACP) avec rotation varimax (valeur propre > 1 et seuil de saturation > 0,40). L’ACP consiste à résumer la dispersion des scores des participants (autrement dit la variance) en une série d’axes ou facteurs indépendants (c’est-à-dire ne corrélant pas entre eux). La rotation varimax permet de faciliter l’interprétation des résultats en opérant une rotation des axes sur la base d’indices de corrélation tout en conservant leur indépendance.

RÉSULTATS

Caractéristiques de la consommation d'alcool

Conformément à la littérature, on relève que la consommation des étudiants de notre cohorte se caractérise par un rapport particulier à l'ivresse, mais aussi à la fête. Ces derniers déclarent au cours des six derniers mois être ivres en moyenne 4,3 fois (ÉT = 8,16) et consommer de l'alcool toutes les deux semaines lors d'occasions festives (m = 16,36; ÉT = 18,29). Conformément à la définition du NIAAA, la vitesse de consommation ici égale à 2,45 verres par heure (ÉT = 1,38) est un critère nécessaire, mais non suffisant puisque l’ivresse n'est pas atteinte systématiquement (une alcoolisation sur quatre en moyenne). Dans ce rapport à la fête et à l'ivresse, on remarque des différences significatives selon le sexe d’appartenance non pas en termes d'occasions festives, mais en termes d'ivresses. Ces dernières sont davantage masculines avec une différence de 3,7 points (ÉT = 6,74; t(85) = 21,4, p < 0,05). On retrouve aussi cette tendance avec la dépendance où moins d'un homme sur quatre répond positivement au critère de dépendance contre moins d'une femme sur dix (X²(1, 95) = 3,82, p < 0,05; voir Tableau.1).

Tableau 1

Caractéristique de la consommation d’alcool au regard du sexe d’appartenance et de la fréquence des API

Caractéristique de la consommation d’alcool au regard du sexe d’appartenance et de la fréquence des API

a Une API par mois ou plus au cours des 12 derniers mois; b Moins d’une API par mois au cours des 12 dernier mois;

* p < 0,05; ** p < 0,01; *** p < 0,00

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Si nous utilisons les API comme critère de répartition, on observe que ce dernier est un critère sensible quant à la fréquence et l’intensité des ivresses. Ainsi, les étudiants ayant des API mensuelles (au moins une API par mois au cours des 12 derniers mois) sont ivres plus régulièrement (plus d'une fois par mois en moyenne contre moins d'une fois par mois pour ceux ayant des API annuelles[5]; t(85) = 4,90, p < 0,001) mais aussi plus systématiquement. Près d'une alcoolisation sur trois mène à l'ivresse contre moins d'une alcoolisation sur six pour les étudiants ayant des API annuelles. Il en est de même pour le nombre d'alcoolisations festives (25,55 fois en moyenne au cours des six derniers mois contre 7,78 fois pour les API annuelles; t(85) = 5,16, p < .001). En revanche, les API n'apparaissent pas comme un indicateur sensible à la dépendance (il n’y a pas significativement plus de dépendants parmi les étudiants ayant des API mensuelles que chez ceux ayant des API annuelles; (1, 95) = 1,21, n.s.), au contraire de l'abus, où nous retrouvons davantage d'étudiants abuseurs parmi ceux ayant des API mensuelles (26,7 % contre 4 % des API annuelles; (1, 95) = 9,69, p < 0,01). Enfin, il est intéressant de noter que de même que pour les consommations festives, il n’y a pas de différence significative entre hommes et femmes en termes d’API ((1, 97) = 2,26, n.s.; voir Tableau 1).

Par conséquent, nous pouvons retenir l’API comme un critère objectif de fréquence et d’intensité de consommation, nous permettant de rendre compte d'un rapport particulier à l'ivresse, indépendant des notions de dépendance, mais proche de celle d'abus.

Différentes typologies d'ivresses

L'analyse thématique nous a permis de dégager différentes modalités d'attentes, d'enjeux et de motivations quant aux ivresses. Sur la base des représentations de leur consommation et de celles de leur parent, ainsi que de consommations et de comportements à risque liés à ces ivresses, nous avons dégagé 29 thématiques ayant un effectif au moins supérieur ou égal à 1/10e de l’effectif total de la cohorte (voir Tableau 2). Parmi celles-ci, 20 se sont montrées pertinentes quant aux ivresses en présentant des différences significatives entres ceux ayant un rapport davantage électif à l'ivresse (avec des API mensuelles), et ceux ayant un moindre rapport électif à l'ivresse (avec des API annuelles). Ces thématiques ont été soumises à une analyse en composantes principales (ACP) avec rotation varimax. Ont été conservés les quatre premiers facteurs, car expliquant plus de 50 % de la variance. Ont été retenues par facteurs les thématiques ayant un seuil de saturation supérieur ou égal à 0,40 (voir Tableau 3).

Tableau 2

Attentes, motivations et comportements liés à la consommation d’alcool au regard des API

Attentes, motivations et comportements liés à la consommation d’alcool au regard des API

* p < 0,05; ** p < 0,01; *** p < 0,001

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Tableau 3

Répartition des unités thématiques selon les 4 facteurs de l’ACP avec rotation varimax

Répartition des unités thématiques selon les 4 facteurs de l’ACP avec rotation varimax

Note. En gras, les unités thématiques dont le poids factoriel est > à 0,40

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Les ivresses festives

Le premier facteur de l’ACP (18,29 % de la variance) regroupe les thématiques les plus citées par les étudiants. Le fait de boire « pour faire la fête », « s’amuser », se « désinhiber » et « rechercher les effets de l’ivresse » sont des thématiques qui saturent fortement sur le premier axe et sont celles qui sont partagées par plus de 70 % des sujets. Il en est de même avec le fait de boire « pour faciliter les échanges » qui concerne cette fois plus d’un étudiant sur deux (voir Tableau 3). Si ce premier axe semble souligner la dimension festive des ivresses, le bénéfice tiré de celles-ci est à comprendre et à déplier sur plusieurs niveaux. En analysant les verbatims, nous pouvons souligner qu’il est d’abord question, à travers ces ivresses, d’une modification de l’économie psychique. L’ivresse est perçue comme permettant de réduire un certain montant de déplaisir. Beaucoup d'étudiants diront alors qu’en compensation du « stress » qu’ils relient le plus souvent aux exigences et conditions de leurs études, d’attendre de ces alcoolisations qu'elles puissent leur permettre de « décompresser », et ainsi de les « détendre » en faisant baisser une certaine « pression ». Cette modification de l’économie psychique s’accompagne d’une certaine euphorie. La gaité de ces ivresses, en tant qu’éconduction d’un affect de joie ou d’une exaltation de l’humeur, peut s’entendre comme le signe manifeste d’un certain montant d’investissement à nouveau disponible. L’origine de ce montant est à interroger, il renvoie à des conflits psychiques dont il est alors possible de s’affranchir par le biais de l’alcool. D’une part, ces conflits renvoient aux exigences de la réalité (celles liées aux études) et dont il est possible de se soustraire un temps par le biais de l’alcool. Mais d’autre part, ces conflits peuvent interroger des difficultés quant aux relations d’objet. En effet, les étudiants disent que l’alcool leur permet de se libérer d’un certain nombre « d’inhibitions » et se faisant, d’aller plus facilement vers les autres. Ainsi, c’est bien en définitive la relation à l’autre (le plus souvent le groupe) qui est recherché au travers de l’alcool. Reste à interroger la nature de ces inhibitions qui font que dans cette rencontre, l’alcool soit nécessaire? Elle interroge se faisant la nature du conflit sous-jacent cette relation d’objet (voir plus loin les « ivresses amoureuses »). Par ailleurs, cette diminution des « inhibitions » citée précédemment est également à entendre à un autre niveau. Elle permet la possibilité de retrouver un certain plaisir du non-sens où l’alcool permet sans « gêne » ni « honte », « d’agir sans conséquence » au travers « le masque » de l’ivresse, « comme si » eût été retrouvé la période de « l’enfance ». Mais il est à noter que cette levée des inhibitions et ce plaisir retrouvé du non-sens ne sont possible que dans un cadre bien précis, celui de la fête, lieu contenant où ce qui est auparavant interdit devient pour un temps permis. Néanmoins, bien qu’il soit question d’une levée des inhibitions, il n’est pas question pour autant de passage à l’acte ou de comportement à risque tels que l’on peut les retrouver dans les ivresses pathologiques. Ces éléments se retrouvent en revanche dans les trois axes suivants et participent de conflits psychiques bien particuliers.

Les ivresses aux comportements auto et/ou hétéro-agressifs

Le second facteur (13,10 % de la variance) regroupe les thématiques ayant le plus de liens électifs avec des comportements dits à risque. Nous retrouvons dans cet axe des modalités des ivresses pathologiques avec la présence de « trou de mémoire », et de « comportements hétéro et/ou auto-agressifs », à savoir des situations où le sujet a pu se retrouver blessé, être mêlé à des rixes ou des bagarres ou à se retrouver dans des situations représentées après-coup comme dangereuses ou ayant pu engendrer la mort. Ces comportements sont également corrélés avec la présence d’ivresses familiales – des « ivresses parentales » et/ou des ivresses du sujet « en présence de sa famille »; ainsi que par le fait que soit identifié comme « alcoolique » un parent ou un proche parent (voir Tableau 3). Par ailleurs, il est intéressant de noter de manière indépendante, que les étudiants dits dépendants au MINI sont significativement plus nombreux sur ce même axe (t(78) = 2,44, p < 0,01; voir Tableau 4).

Ce lien entre comportements hétéro et/ou auto-agressifs et ivresses familiales est alors intéressant à interroger. Il renvoie, après analyse du verbatim, à la dimension imaginaire prêtée aux ivresses, et plus particulièrement à celles des parents. En effet, on observe de manière assez générale que l’ivresse en famille est posée par les étudiants comme relevant d’une « limite implicite ». Ces derniers opposent assez clairement leur consommation avec leur groupe de pair à celle qu’ils peuvent avoir avec leur famille. Dans la première, l’ivresse est recherchée, elle est visible et réservée à un groupe issu d’une même génération. Elle s’obtient le plus souvent avec des alcools forts, aussi au travers de jeux, où l’alcool est consommé pour ses effets enivrants. Dans la seconde, la consommation relève le plus souvent d’alcools tel que le vin ou le champagne, appréciés pour leurs goûts et consommés avant ou au cours du repas. Elle ne donne pas lieu à des ivresses. Bien au contraire, ces dernières se font hors du milieu familial et comportent une dimension « secrète » et génèrent un sentiment de « pudeur ». Ainsi, le fait d’être ivre en famille constitue une « limite implicite », c’est-à-dire un interdit symbolique, dont il convient de ne pas dépasser ou d’enfreindre. Cet interdit fait d’ailleurs l’objet d’une interrogation récurrente, notamment à travers la question des ivresses parentales. Les sujets vont en effet interroger tour à tour s’ils ont été à un moment donné témoin de l’ivresse d’un de leur parent et se faisant, s’ils ont été inclus ou non dans ce type de relation avec leurs parents, d’autant plus qu’un certain nombre d’entre eux se représente l’ivresse comme faisant partie de leur psychosexualité (voir paragraphe suivant). En d’autres termes, cette interrogation quant aux ivresses parentales interrogent un fantasme de scène primitive au travers duquel se pose la question des « limites ». Lorsque nous nous intéressons aux représentations des étudiants qui partagent un certain nombre d’ivresses familiales, on observe que ce sont ceux qui, lorsqu’ils consomment en dehors du cadre familial, se font le plus souvent mal. Et pour cause, les récits que font ces étudiants des ivresses de leurs parents prennent assez nettement soit la forme de scène de séduction plus ou moins reconnue comme telle (un parent enivré qui devient trop séducteur, trop chaleureux, ou qui participe de près ou de loin au premier enivrement de leur enfant), soit la forme de scène primitive où est donné à voir ce qui en temps normal porte le sceau d’un interdit implicite. En conséquent, ces étudiants lorsqu’ils évoquent ces-mêmes ivresses familiales où cet interdit symbolique n’a pas été signifié par le parent, vont dans le même mouvement et dans un jeu d’identification, évoquer des situations (hors du cadre familial cette fois) où ils se retrouvent eux-mêmes cette fois à avoir enfreint, en état d’ivresse, « la limite », et se faisant se sont fait mal, se sont accidentés ou se sont retrouvés dans des situations représentées après-coup comme ayant pu craindre la mort. C’est-à-dire que contrairement aux autres étudiants qui, de la même façon, cherchent lors de leurs ivresses festives ou en groupe « à tester » ou à « connaitre (leurs) limites », ces derniers ne font que répéter des situations où les limites ne sont pas suffisamment établies, et où l’ivresse (même en groupe) renvoie trop souvent et par le fantasme, au dépassement d’un interdit. Dès lors, on ne peut que s’interroger quant à la part d’expression, chez ces étudiants particulièrement, d’un sentiment inconscient de culpabilité et d’un besoin de punition dans la manifestation des conduites agressives et/ou auto agressives auxquelles mènent ces ivresses.

Tableau 4

Score moyen au facteur de l’ACP selon les caractéristiques de consommation d’alcool

Score moyen au facteur de l’ACP selon les caractéristiques de consommation d’alcool

* p < 0,05; ** p < 0,01; *** p < 0,001

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Les ivresses « amoureuses »

Le troisième facteur (9,78 % de la variance) regroupe les thématiques illustrant une dimension des ivresses ayant trait davantage à la vie amoureuse. Figurent ainsi dans cet axe, des ivresses vécues comme « facilitant les rencontres », des « passages à l’acte de type sexuel » constitués en majorité d’étreintes et de baisers, de manière moins fréquente d’exhibitionnismes pour la plupart essentiellement masculins et enfin, de manière plus anecdotique, de rapports sexuels dont aucun n’a été énoncé comme non voulu. Ces thématiques sont suivies par la notion de « recherche d’ivresse », ce qui énonce bien qu’il s’agisse d’une autre dimension de l’ivresse et la présence d’amnésies antérogrades, ce qui peut en indiquer son intensité (voir Tableau 3). Cette dimension plus libidinale des ivresses que souligne ce troisième axe est sans doute celle qui est la plus reprise dans l’imaginaire collectif, et ce, dès lors qu’elle touche à la sexualité. Ainsi, émerge dans le récit des étudiants un imaginaire commun autour d’un alcool pouvant susciter la passion amoureuse. Dans une répétition du même, nous trouvons cette idée de chaleur où l’ivresse est une « cuite » par laquelle les étudiants sont « chauds » à faire des rencontres. En tant que pourvoyeur de cette chaleur, l’alcool est décrit comme « décuplant les sentiments » où tout est vécu plus « intensément », jusqu’à « augmenter le désir sexuel » lui-même. Il permet, par ses effets désinhibants, de permettre le rapproché, de « s’avouer ses sentiments » et d’entrer plus facilement dans un jeu de séduction où chacun se « chauffe » mutuellement. Cette dimension de l’ivresse qui à trait à la vie amoureuse, parce qu’elle a lieu en groupe et grâce au groupe, rappelle des métaphores bacchanales que certains étudiants utilisent en comparant ces réunions à des « orgies », bien qu’elles « n’en soient pas en réalité », précisent-ils. Cette sexualité de groupe et en groupe renvoie l’ivresse à sa composante imaginaire (déjà évoquée), celle de scènes primitives qu’il est possible cette fois de partager avec des pairs d’une même génération, où chacun, par un jeu d’identification, tente de trouver sa place dans le processus complexe du choix amoureux. Elles participent se faisant de la psychosexualité des sujets (c’est-à-dire tout ce qui est lié aux plaisirs au sens large, dont ceux menant à la sexualité). Enfin, si ces ivresses peuvent être l’occasion de faire des rencontres amoureuses qui se concrétisent et s’investissent le plus souvent en dehors du cadre de la fête, le fait que l’alcool soit utilisé afin de passer outre un certain nombre de positions phobiques, interroge la nature des inhibitions et du confit intrapsychique à l’oeuvre. Si nous nous intéressons à la nature des agirs de cet axe que permet l’ivresse, on observe qu’un certain nombre d’étudiants relatent non sans culpabilité, des passages à l’acte amoureux ayant lieu le plus souvent avec des personnes symboliquement désignées comme non permises. Il s’agit le plus souvent de personnes avec qui ils « n’auraient pas dû », car ces dernières étant déjà en couple ou déjà convoitées par un ou une de leurs ami(e)s avec qui ils se retrouvent dès lors en rivalité. Ces agirs sous alcool illustrent bien à nouveau toute la complexité du choix et de la rencontre amoureuse, où l’objet choisi est toujours un succédané d’un premier objet tendrement investi devenant également, à un moment donné du développement psychosexuel, symboliquement non permis. Cette dimension de l’ivresse prise dans cette conflictualité bien particulière est d’autant plus saillante qu’elle a lieu à un âge où la question du choix d’objet est à l’oeuvre. Il ne reste qu’au demeurant, cette dimension de l’ivresse peut se retrouver à différents âges de la vie, à chaque fois que s’opère une quête d’objet d’amour.

Les ivresses « antialcoolique »

Enfin, le quatrième facteur (9,47 % de la variance) regroupe des thématiques relevant d’un excès important d’alcool. On retrouve sur cet axe des ivresses pouvant donner lieu à des amnésies antérogrades, mais également à des vomissements, chez des étudiants évoquant avoir « dépassé leur limite » au sens cette fois physiologique du terme. Aussi et de manière plus curieuse, on trouve associé à cet axe des étudiants disant « ne jamais boire seul » (voir Tableau 3). Quand nous analysons le verbatim, on observe que ces derniers sont ceux qui ont les représentations les plus négatives de la consommation « solitaire », représentée comme une consommation « d’habitude », où s’installe « la dépendance ». Elle est associée à celle de « l’alcoolique », buvant en raison de sa « tristesse ». Ces étudiants définissent ainsi leur consommation comme antithèse de la consommation de « l’alcoolique » et déclarent ne « jamais boire seul », toujours en groupe, pour s’amuser le weekend et entrecoupé de semaines d’abstinence. Pourtant, ce sont bien ces mêmes étudiants qui consomment le plus souvent par abus, à en dépasser leurs limites, basculant le plus souvent dans des ivresses pathologiques, dont la récurrence et l’intensité de celles-ci commencent à les préoccuper. En effet, ce sont ces mêmes étudiants qui vont énoncer le plus souvent défensivement « ne pas être alcoolique ». Or, c’est sur cet axe uniquement que l’on trouve le plus d’étudiants dit abuseurs au MINI (t(78) = 2,726, p > 0,01; voir Tableau 4), ce qui interroge ce faisant quant aux potentialités de basculement à long terme de ces étudiants vers la dépendance.

CONCLUSION

Conformément à la littérature, nous retrouvons chez les jeunes de notre échantillon, un rapport électif à l’ivresse chez près d’un sujet sur deux. Néanmoins, si ce lien à l’ivresse semble prégnant, nos résultats mettent en avant quatre types d’ivresses différentes que nous avons tenté d’expliquer selon le modèle métapsychologique. Parmi ces ivresses, en allant du plus normal au plus pathologique, nous avons identifié des ivresses dites « festives » qui, par une modification de l’économie psychique, correspondent à une diminution des déplaisirs et une réduction des inhibitions permettant une éconduction d’affects de joie et un plaisir retrouvé du non-sens. Nous avons identifié également des ivresses dites « amoureuses » qui, permettant d’aller à la rencontre de l’objet amoureux en et par le groupe (d’une même génération), participent à la psychosexualité du sujet. Ces deux ivresses non encore pathologiques, sont celles qui peuvent se retrouver à différents âges de la vie, dès lors qu’elles s’inscrivent dans une quête de plaisir au travers ou non d’objets. Puis dans une dimension plus pathologique, nous avons identifié des ivresses dites « agressives » qui, parce qu’elles questionnent l’effraction d’un interdit symbolique quant aux ivresses familiales, sont celles où nous retrouvons le plus d’ivresses pathologiques avec des conduites hétéro et/ou auto-agressives, mais également le plus d’étudiants dépendants. Et, enfin, celles dites « antialcooliques » qui, bien qu’elles correspondent à des alcoolisations massives et répétées avec dépassement des limites physiologiques (se rapprochant ainsi le plus du « binge drinking », tel qu’il est représenté) sont celles qui sont énoncées défensivement comme antithèse de « l’alcoolisme », là où l’on retrouve pourtant le plus d’étudiants abuseurs.

Ainsi, cette description de l’ivresse en différents profils donne une certaine complexité quant aux enjeux psychiques que peut revêtir l’ivresse qui ne peut se comprendre de manière unidimensionnelle. La composante pathologique que décrit ces profils d’ivresse n’est pas en lien avec une certaine « quête d’ivresse » (critère non suffisant qui s’inscrit du normal au pathologique), mais avec ceux dont le type d’ivresse répond déjà positivement aux critères connus des troubles classiques de la consommation (abus et dépendance) et qui n’ont d’ailleurs aucunes raisons, par ailleurs, d’épargner les jeunes en raison de leur âge. Aussi et pour ce qui est de la notion de « binge drinking », nos résultats ne nous permettent pas de repérer une recherche d’ivresse « le plus vite possible » via une consommation massive et sans limite de grande quantité d’alcool et ce jusqu’au coma. En effet, peu d’étudiants de notre cohorte déclarent avoir déjà eu des consommations similaires. 20,7 % déclarent avoir déjà eu des consommations rapides d’un trait de plusieurs verres (le plus souvent de « shot[6] » d’alcool). 11 % disent avoir déjà connu un endormissement non prémédité suite à une consommation massive. Et, enfin, aucun ne fait mention de coma éthylique passé (voir Tableau 2). Néanmoins, 35,4 % déclarent avoir déjà joué à des jeux d’alcool, jeux consistant dans les faits à parvenir plus rapidement à l’ivresse; cet élément peut aller dans le sens d’une banalisation ou d’une non conscience de la recherche rapide d’ivresses chez ces étudiants. Néanmoins, cette pratique, bien que davantage présente chez les étudiants ayant un rapport plus électif à l’ivresse avec des API mensuelles ((1, 82) = 5,65, p < 0,01), ne semble pas assez rendre compte d’une part importante de la dispersion des sujets et se faisant, d’une dimension significative de l’ivresse. Aussi, pour ce qui est de l’insuffisance de nos résultats à rendre compte de la notion de « binge drinking », nous pouvons en premier lieu interroger un manque de représentativité de notre échantillon. Néanmoins, il est à noter que le taux d’API de notre cohorte est dans la fourchette supérieure des taux retrouvés dans les grandes enquêtes épidémiologiques, et notre taux d’étudiants abuseurs et dépendants est quatre fois supérieure à la prévalence retrouvée en population générale (W.H.O., 2014). Ainsi, la part d’étudiants ayant des modalités de consommation propre au « binge drinking » ne devrait pas être en théorie moins importante au sein de notre cohorte, sauf à laisser penser que le critère d’API, bien qu’il soit un indicateur sensible quant au rapport des étudiants à l’ivresse, demeure indépendant de la notion de « binge drinking »? Aussi, il est possible de penser que le « binge drinking » ne soit pas assez représenté chez des étudiants tout venant issus de filières universitaires, mais davantage parmi des filières issues de grandes écoles, ou d’écoles de commerce. Une étude similaire sur une population non universitaire serait alors intéressante à réaliser. Enfin, les différents profils que nous avons obtenus à partir de récits déclaratifs, c’est-à-dire à partir de l’analyse thématique tirée de verbatims d’entretiens semi-directifs, gagneraient à être validés soit par la réplication de cette recherche sur une même population, soit par la construction d’échelle permettant de mettre à l’épreuve ces différentes typologies d’ivresses.

Enfin, pour ce qui est des représentations de l’ivresse, il est à noter qu’au travers ces profils et représentations des étudiants émergent du côté de l’imaginaire, des composantes qui se retrouvent également dans les récits qui ont depuis toujours existé sur l’alcool. De la même façon que pour les sociétés traditionnelles et antiques, on retrouve l’ivresse comme étant fortement associée au sentiment sexuel ou amoureux, où l’alcool devient pourvoyeur du désir (alors qu’il ne fait que désinhiber en réalité) et la « chaleur » qu’il procure en devient la métaphore. Et de la même façon que dans les mythes antiques (le destin de Penthée) et judéo-chrétiens (le mythe de Noé[7]), on retrouve l’ivresse du parent comme objet d’un interdit symbolique, c’est-à-dire comme déplacement de l’interdit oedipien. Dès lors, ces répétitions à travers le temps nous permettent d’une part de renforcer davantage l’aspect imaginaire que peut véhiculer l’alcool et l’ivresse que nous repérons dans nos résultats, et demeure par ailleurs un bon critère pour penser que cet imaginaire est également présent en population générale. D’autre part, ces répétitions nous font nous interroger également sur ce qui se répète quant à la composante imaginaire issue du récit actuel fait du « binge drinking », puisque celui-ci véhicule également une certaine représentation de l’ivresse. Ainsi, si on donne au récit fait du « binge drinking » la valeur de fantaisie, on peut l’interroger de la même manière qu’a pu le faire précédemment Avrane (2008), c’est-à-dire dans un mouvement où se pathologise l’ivresse, comme une théorie explicative visant à comprendre ce dont quoi souffre (comme le « binge drinkeur ») celui qui est « malade de l’ivresse »? Dans une continuité du même, nous pouvons souligner que comme le fut l’alcool jadis, que les jeunes font office dans le récit, de représentants de la vie pulsionnelle, car étant ceux où « la quête d’ivresse » (c’est-à-dire métaphoriquement la quête des désirs) est la plus forte. Et que de la même façon que pour l’alcool[8], l’interprétation couramment donnée au « binge drinking » (hors du champ des représentations des étudiants quant à leur ivresse où cette dimension n’apparait pas) comme étant un « rituel de passage de l’enfance à l’âge adulte » (Phan, 2013, p.75) renvoie à un ensemble de récit autour du « passage ». Lévi-Strauss décrit cet imaginaire[9] autour du passage comme l’expression symbolique du processus de transformation culturelle (Bianquis, 2012). De la même façon, Freud, à travers le mythe de Prométhée (un autre récit autour du passage[10]), évoque cette même symbolique qu’il réfère à un « travail de culture », mais auquel il ajoute métapsychologiquement, que ce dernier ne peut « s’édifier (que) sur la contrainte et le renoncement » pulsionnel (Freud, 1927, p.147). Par conséquent, si nous souhaitons dégager à notre tour la dimension symbolique à travers l’analyse de qui se répète dans le récit collectif d’une société sur l’alcoolisation des jeunes nouvellement désignée par la notion de « binge drinking », nous proposons l’idée que celui-ci constitue une métaphore contemporaine quant au travail de culture que tout un chacun doit effectuer et qui exige, à un moment donné du développement psychosexuel, un renoncement pulsionnel. Cette mise en récit a la particularité, dans nos sociétés actuelles, de se représenter à travers la figure du jeune adulte, car symboliquement désigné comme en transition entre deux états (l’adolescence et l’âge adulte). Ce dernier devient alors dans le récit, le représentant (comme le fut jadis Prométhée) de celui qui doit accomplir un certain « travail de culture » ou de « domestication » (Freud, 1930) de ses désirs (ici des ivresses dont il est désigné malade) et devant alors renoncer au plaisir de l’ivresse (métaphore du pulsionnelle) afin de passer symboliquement au statut d’adulte, c’est-à-dire celui qui peut supporter, sans illusions narcotiques aucunes, les dures réalités de la vie.