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INTRODUCTION

Le syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) se caractérise par la présence de plus d’un tic moteur et d’au moins un tic sonore et affecte environ 1 % des enfants d’âge scolaire [American Psychiatric Association (APA), 2013]. La symptomatologie du trouble et l’intervention ciblée se complexifient par une forte prévalence de troubles concomitants (Cavanna, Servo, Monaco et Robertson, 2009). Si depuis les années 1980, l’effet des tics et des symptômes concomitants sur la situation scolaire des élèves est étudié, un déclin de ces études semble s’observer au cours de la dernière décennie. Pourtant, ces élèves peuvent présenter plusieurs déficits (p. ex., difficultés d’apprentissage et de concentration, faible rendement scolaire) qui affectent négativement leur performance scolaire. La méconnaissance du syndrome peut également inciter le personnel scolaire à croire que les tics sont délibérés ou effectués dans une dynamique d’opposition, ce qui peut affecter la relation entre l’enseignant et l’élève. Étant donné la faible prévalence et l’hétérogénéité du syndrome, le personnel scolaire peut aussi se sentir peu outillé afin de soutenir ou même d’intervenir, auprès de ces élèves. Certains auteurs ont fait état des difficultés rencontrées par ces élèves et des interventions mises en place afin de les soutenir (Koutsoklenis et Theodoridou, 2012; Laschou, Dermanopoulou, Marmangelou et Papaspyrou, 2015; Walter et Carter, 1997). Toutefois, ces revues de littérature scientifique étayent particulièrement les difficultés liées aux symptômes concomitants et elles n’incluent pas les études réalisées en contexte scolaire québécois. Par conséquent, le présent article cherche à faire état des connaissances quant à la situation scolaire des élèves qui présentent un SGT, et ce, en ciblant spécifiquement les difficultés découlant de la manifestation des tics à l’école.

CONTEXTE THÉORIQUE

Syndrome de Gilles de la Tourette

Critères diagnostiques

Le SGT est un trouble neurodéveloppemental de la catégorie des troubles moteurs (APA, 2013). Caractérisé par la présence de tics, le SGT se distingue des autres troubles tics par la présence de plus d’un tic moteur et d’au moins un tic sonore (APA, 2013). Les tics doivent persister sur une période minimale d’un an, mais leur intensité, leur fréquence et leur localisation peuvent fluctuer durant cette période. Ceux-ci doivent apparaître avant l’âge de 18 ans (APA, 2013) et l’âge moyen du diagnostic se situe entre 5 et 7 ans (Cavanna et Rickards, 2013).

Un tic se caractérise par un mouvement ou des vocalisations non volontaires, qui apparaissent généralement de manière soudaine, récurrente et stéréotypée. Les tics se divisent en deux catégories : simples et complexes (APA, 2013). Les tics simples ne sollicitent qu’un seul groupe de muscles (p. ex., cligner des yeux, racler la gorge), tandis que les tics complexes sollicitent plusieurs groupes de muscles (p. ex., toucher son épaule avec son cou, répéter des mots). Généralement, les tics atteignent leur sévérité maximale entre l’âge de 10 et 12 ans et semblent se stabiliser ou parfois diminuer à l’âge adulte (Leckman, 2003; Robertson, 2011).

Épidémiologie

La prévalence du SGT se situe entre 0,1 % à 1 % chez les enfants et les adolescents (Bitsko et al., 2014; Scharf et al., 2015; Tabori-Kraft et al., 2012). De plus, le SGT se manifeste de deux à quatre fois plus fréquemment chez les garçons que chez les filles (APA, 2013). La compréhension actuelle des tics repose sur une interaction entre des facteurs génétiques, neurobiologiques, comportementaux et environnementaux : il s’agit d’un processus multidimensionnel (Leclerc, Forget et O’Connor, 2008; O’Connor, Lavoie et Schoendorff, 2017).

Troubles concomitants

Le SGT est un trouble neurodéveloppemental hétérogène : un diagnostic simple de SGT ne représente que 8 % à 12 % des cas (Cavanna et al., 2009; Robertson, Eapen et Cavanna, 2009). La majorité des enfants ayant un SGT présentent également un autre trouble concomitant : de 60 % à 80 % des enfants présentent un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et de 30 % à 60 % un trouble obsessionnel compulsif (TOC; Brand et al., 2002; Cath et al., 2011; Cavanna et al., 2009). La présence de troubles concomitants au SGT semble entraîner un pronostic moins favorable : ceux-ci multiplient les difficultés quotidiennes qu’occasionne la présence de tics (Eddy et al., 2011).

Répercussions du syndrome de Gilles de la Tourette en milieu scolaire

L’école est un milieu de vie important où l’enfant se développe et socialise. En effet, au Canada, les élèves du primaire passent en moyenne 798 heures par année dans une institution scolaire [Organisation de coopérative et de développement économique (OCDE), 2019]. L’expérience et le parcours scolaire d’un élève qui présente des difficultés (p. ex., d’apprentissage, de comportement, d’adaptation sociale, de santé mentale) diffèrent comparativement à un élève tout venant (Hampden-Thompson et Galindo, 2017; Hoagwood et al., 2007). Bien que le SGT n’affecte pas le potentiel intellectuel (Kadesjö et Gillberg, 2000; Rivera-Navarro, Cubo et Almazán, 2014), la présence de tics peut engendrer des répercussions négatives sur la performance académique des élèves ayant le syndrome (Koutsoklenis et Theodoridou, 2012). 

Des interventions adaptées aux spécificités des élèves qui présentent un SGT s’avèrent primordiales, mais peu fréquentes en milieu scolaire. En effet, les difficultés personnelles et scolaires liées au SGT ainsi que les besoins particuliers de ces élèves sont méconnues par le personnel scolaire (Smith, Fox et Trayner, 2015). Les difficultés scolaires qui découlent des tics peuvent être amplifiées par la présence de symptômes concomitants (Abwender et al., 1996; Cubo et al., 2013; Laschou et al., 2015; Storch et al., 2007; Walter et Carter, 1997). Plus précisément, les élèves ayant un SGT présentent entre 21 % et 36 % des cas un trouble spécifique des apprentissages concomitants et entre 16 % et 35 % une dyslexie concomitante (Abwender et al., 1996; Burd, Freeman, Klug et Kerbeshian, 2005; Erenberg, Cruse et Rothner, 1986; Ferreira, Pio-Abreu et Januàrio, 2014; Kadesjö et Gillberg, 2000; Khalifa et Von Knorring, 2006; Shady, Fulton et Champion, 1988; Singer, Schuerholz et Denckla, 1995).

Par leur caractère unique, les tics contribuent à la stigmatisation, à l’intimidation et au rejet par les pairs des élèves qui présentent un SGT. En effet, ceux-ci présentent diverses difficultés sociales, telles que la difficulté à se faire de nouveaux amis et ainsi, de l’isolement (Cavanna et Rickards, 2013; Debes, Hjalgrim et Skov, 2010; Eapen et Črnčec, 2009; Malli, Forrest-Jones et Murphy, 2016; Sukhodolsky et al., 2003). L’enseignant demeure toutefois l’acteur le plus impliqué et présent dans le quotidien scolaire des enfants. Des études montrent qu’une relation positive entre l’élève et son enseignant a un effet positif sur l’expérience, la motivation et l’engagement scolaire des élèves (Fortin, Plante et Bradley, 2011; Rousseau, Deslandes et Fournier, 2009). Or, l’établissement d’une telle relation peut être un défi de taille lorsque l’élève présente un trouble neurodéveloppemental, tel que le SGT. Les élèves qui présentent des difficultés semblent avoir une relation plus fragile avec leurs enseignants et ainsi, une expérience scolaire généralement moins agréable (Hampden-Thompson et Galindo, 2017; Rousseau et al., 2009). Ainsi, cet article se concentre sur les répercussions du SGT, plus particulièrement des tics en eux-mêmes, sur la performance scolaire de l’élève ainsi que sur la relation entre l’élève et l’enseignant.

OBJECTIFS

Trois objectifs guident cette revue de la littérature. L’objectif principal vise à faire état des connaissances quant aux difficultés scolaires rencontrées par les élèves qui présentent un SGT. Le second objectif est d’identifier les attitudes et les besoins rapportés par les enseignants, face à cette clientèle. Le troisième objectif consiste à identifier les interventions spécifiques aux tics en milieu scolaire, qui peuvent être utiles au personnel scolaire afin de soutenir et d’intervenir auprès d’élèves qui présentent un SGT.

MÉTHODE

Les articles utilisés ont été recherchés sur les plateformes : PsychInfo, Virtuose et GoogleScholar. Les articles ont été sélectionnés sur la base de leur accessibilité sur les plateformes de recherche, leur titre, leur résumé et leur langue (français, anglais). Pour être sélectionnés, les articles devaient comporter les termes « Tourette » ou « tic » dans le titre et être publiés entre 1986 et 2018, et ce, pour l’ensemble des objectifs. Les résumés des articles devaient aborder l’effet des tics sur la situation scolaire (p. ex., difficultés scolaires, difficultés avec les enseignants) ou les interventions utiles à la gestion des tics. Aussi, les articles devaient présenter des résultats (qualitatif ou quantitatif) : les recensions de la littérature ont été exclues. Les articles jugés pertinents ont ensuite été lus et triés selon leurs thèmes principaux.

L’utilisation de mots clefs liés à la situation scolaire (c.-à-d. les difficultés, l’expérience, le parcours scolaire, la relation avec les enseignants) des élèves qui présentent un SGT a permis de répondre au premier et au second objectif. Des mots clefs français (situation scolaire, difficultés scolaires performance scolaire, scolarisation, difficultés d’apprentissage, réussite scolaire, enseignants, personnel scolaire, relation) et leur traduction anglaise respective (school situation, school difficulty, school performance, schooling, learning difficulties, academic success, school success, teachers, school staff/members, relation) ont été employés. En considérant l’hétérogénéité du SGT, il peut être difficile de distinguer les effets des troubles associés aux tics, sur la situation scolaire des élèves. Néanmoins, les articles inclus dans cette recension devaient distinguer l’effet des tics à l’effet des troubles associés. Certaines études quantitatives comportaient des groupes distincts (c.-à-d. SGT sans trouble associé), alors que d’autres isolaient l’effet des troubles associés dans les analyses. Les résultats qualitatifs quant à l’effet des tics ont été inclus. Pour le troisième objectif, les mots clefs : méthode d’intervention (intervention methods), enseignant (teachers) et personnel scolaire (school staff/members) ont été utilisés.

Pour le premier et le second objectif, 40 articles ont été sélectionnés où 30 utilisent une méthode quantitative et 10 une méthode qualitative. Pour le troisième objectif, 15 articles ou guides d’interventions ont été sélectionnés.

ANALYSE DES ARTICLES

Difficultés scolaires des élèves Tourette

Bien que le SGT soit un trouble hétérogène, les tics moteurs et sonores sont à la base du diagnostic. Les manifestations comportementales associées spécifiquement aux tics créent des difficultés scolaires. Les paragraphes suivants abordent l’effet des tics sur différentes sphères de la performance scolaire d’élèves atteints du SGT.

Difficultés de concentration

Les difficultés de concentration conséquentes aux tics sont identifiées par les élèves, parents et enseignants comme étant la problématique principale en milieu scolaire (Wadman, Glazebrook, Beer et Jackson, 2016). Les élèves qui présentent un SGT tentent fréquemment de cacher leurs tics, en effectuant des efforts de rétention (suppression des tics) afin de se conformer aux normes sociales (Happich, 2012). Or, ces efforts de suppression ont des conséquences négatives sur leurs capacités d’attention en milieu scolaire (Cutler, Murphy, Gilmour et Heyman, 2009; Happich, 2012; Packer, 1997; Smith et al., 2015; Wadman et al., 2016). Jusqu’à 81,9 % des élèves qui présentent un SGT rapportent avoir des difficultés de concentration (Shady et al., 1988; Storch et al., 2007). Les tics en soi peuvent être une distraction : « mon tic de clignement des yeux affecte ma concentration puisqu’il m’empêche de bien voir ce que le professeur écrit au tableau », rapporte un élève de 11 ans [traduction libre] (Wadman et al., 2016). Selon les enseignants, les tics semblent épuiser les élèves, ce qui affecte directement la quantité de travail accompli (Wadman et al., 2016).

Selon certains parents d’enfants présentant un SGT, l’environnement de la classe (p. ex., bruit, nombre d’élèves) contribue par ailleurs à amplifier les difficultés de concentration causées par les tics (Wadman, Glazebrook, Beer et Jackson, 2016). Conséquemment, le rendement scolaire de ces élèves est affecté (Happich, 2012; Wadman et al., 2016; Zhu, Man Leung, Liu, Zhou et Su, 2006).

Difficultés d’apprentissage

Les tics semblent influencer négativement la performance scolaire des élèves qui présentent un SGT (Abwender et al., 1996; Comings et Comings, 1987; Conelea et al., 2011; Cubo et al., 2013, 2017; Dooley, Brna et Gordon, 1999; Gorman et al., 2010; Happich, 2012; Leckman et al., 1998; Packer, 2005; Wadman et al., 2016; Wilson et Shrimpton, 2003). Certains élèves qui présentent un SGT rapportent qu’ils remarquent une lenteur d’apprentissage, lorsqu’ils se comparent à leurs camarades de classe (De Lange, 2000; Rivera-Navarro et al., 2014; Smith et al., 2015). Une étude montre que 51 % des élèves ayant un SGT présentent une difficulté dans un domaine scolaire, 21 % dans deux domaines et 11 % dans trois domaines ou plus (Burd, Freeman, Klug et Kerbeshian, 1992; 2005). En effet, les tics peuvent engendrer des difficultés qui interfèrent avec les acquisitions scolaires dans les matières principales enseignées.

Lecture. Généralement, les élèves qui présentent un SGT ont davantage de difficulté en lecture (17,45 %) que les élèves issus d’un groupe contrôle (3,7 %; Dykens et al., 1990; Shady et al., 1988). Les tics sonores peuvent interférer avec la fluidité verbale des élèves, causant des hésitations dans le discours et de la lenteur lors de la lecture (Dykens et al., 1990; Shady et al., 1988). Conséquemment, une faible rétention de l’information et compréhension de la lecture peut être observée (Burd et al., 2005; Comings et Comings, 1987). Certains élèves évitent de lire à voix haute ou de poser des questions en classe, craignant d’être embarrassés par les pairs en raison de leurs tics vocaux (Packer, 2005). Les élèves rapportent également des difficultés lors des tâches d’épellation (Burd et al., 2005). D’autre part, cinq études montrent que les tics moteurs (p. ex., clignements des yeux, mouvements du cou) peuvent entraîner une difficulté chez l’élève à garder le regard sur la page qu’il doit lire (Comings et Comings, 1987; Packer, 1997, 2005; Wadman et al., 2016).

Écriture. Les tics moteurs peuvent affecter les habiletés motrices des élèves : entre 24 % et 62 % montrent des difficultés d’écriture (Harris, 1993; Storch et al., 2007). Les tics impliquant spécifiquement un mouvement des mains obstruent les capacités d’écritures (Cravedi et al., 2018; Dedmon, 1990; Packer 1997, 2005). De même, que les enseignants qualifient l’écriture de ces élèves comme « peu soignée et désordonnée » [traduction libre] (Wadman et al., 2016). Renforçant cette même idée, un élève de 13 ans mentionne [traduction libre] : « mes tics sont vraiment répétitifs, donc je ne peux à peine écrire » (Edwards et al., 2017). La capacité d’écriture est parfois si faible que la prise de note et la complétion des exercices en sont atteintes (Dedmon, 1990). Parfois, les élèves sont tellement dérangés, voire même fâchés, à propos de leurs tics moteurs, qu’ils refusent d’entamer une tâche d’écriture (Harris, 1993; Packer, 2005).

Mathématiques. Six études portent sur les déficits spécifiques en mathématiques que rencontrent les élèves qui présentent un SGT (Burd et al., 2005; Dykens et al., 1990; Harris, 1993; Huckeba, Chapieski, Hiscock et Glaze, 2008; Shady et al., 1988). Lorsque comparés à un groupe contrôle, les élèves qui présentent un SGT montrent une plus faible performance aux tests d’arithmétiques (Huckeba et al., 2008). Entre 50 % et 57 % de ces élèves présentent des difficultés en arithmétique (Dykens et al., 1990; Harris, 1993; Shady et al., 1988).

Difficultés dans l’accomplissement des tâches scolaires

Les symptômes d’irritabilité et de désorganisation liés aux tics semblent compliquer l’accomplissement de tâches scolaires, telles que les devoirs et les examens (Wadman et al., 2016). Près de 22 % des élèves éprouvent de la difficulté à compléter leurs devoirs en raison de la fatigabilité engendrée par les tics (Conelea et al., 2011; Storch et al., 2007; Wadman et al., 2016). D’autres élèves n’arrivent pas à terminer les examens dans les temps alloués en raison de leurs tics (Shady et al., 1988; Wadman et al., 2016). En effet, la crainte d’effectuer des tics sonores durant l’examen et de déranger les pairs accentue le stress initial créé par l’examen (Wadman et al., 2016).

Réussite et parcours scolaire

Aux États-Unis, près de 65 % des élèves qui présentent un SGT échouent à progresser selon les attentes du programme scolaire (Dedmon, 1990; Packer, 2005). Certains de ces élèves redoublent une année scolaire, voire deux et plus (Abwender et al., 1996; Bitsko et al., 2014; Cubo et al., 2013; Erenberg, 1986). Des études rapportent également un taux élevé d’absentéisme de la part des élèves qui présentent un SGT (Claussen, Bitsko, Holbrook, Bloomfield et Giordano, 2018; Wadman et al., 2016; Zhu et al., 2006). Près de 72 % des élèves qui présentent un SGT reçoivent un soutien éducatif additionnel en classe ou bénéficient d’adaptations pédagogiques (Packer, 2005; Wadman et al., 2016). Entre 7 % et 39 % des élèves qui présentent un SGT ont recours à une éducation spécialisée, dans une classe « spéciale » à temps plein (Comings et Comings, 1987; Cubo et al., 2011; Cubo et al., 2013; Debes et al., 2010; Erenberg et al., 1986; Khalifa et Von Knorring, 2006; Kurlan et al., 2001; O’Hare et al., 2016). Une prévalence similaire s’observe pour l’éducation spécialisée à temps partiel (Debes et al., 2010; Erenberg et al., 1986; Khalifa et Von Knorring, 2006). Outre le placement en éducation spécialisée, le SGT peut entraîner le retrait des élèves de l’école ou des changements multiples d’écoles (Debes et al., 2010). Le SGT était la cause principale d’un changement d’institution scolaire pour 20,7 % d’élèves, afin de favoriser un placement dans une école spécialisée (Debes et al., 2010; Packer, 2005). Au Québec, le type de scolarisation des élèves semble également diversifié : certains élèves reçoivent un soutien éducatif (p. ex., orthopédagogie, éducation spécialisée, classe spécialisée), alors que d’autres fréquentent une classe « ordinaire » (Leclerc et Forget, 2013).

La sévérité des tics semble avoir un effet sur la scolarisation : les élèves qui expriment des tics sévères, se soucient moins de leur réussite scolaire et reçoivent habituellement plus d’éducation spécialisée que les élèves avec des tics de faible intensité (Claussen et al., 2018; Debes et al., 2010; Eapen, Robertson, Zeitlin et Kurlan, 1997; Zhu et al., 2006). D’autre part, certains élèves qui présentent un SGT rapportent qu’une diminution significative des tics mène à une amélioration de leur performance scolaire (Packer, 2005).

Attitudes et besoins des enseignants face aux élèves qui présentent un Tourette

Attitudes des enseignants

Parfois, les manifestations comportementales qui découlent des tics peuvent être mal interprétées par les enseignants. Certains enseignants perçoivent les tics (p. ex., grimaces, injures, sons) ou symptômes tributaires aux tics (p. ex., inattention) comme volontaires, voire même de l’opposition ou de l’hyperactivité (Smith et al., 2015; Zhu et al., 2006). De ce fait, ces élèves peuvent être réprimandés, mis en retrait à l’extérieur de la classe ou même mener à un placement en classe spécialisée (Dedmon, 1990; Harris, 1993; Rivera-Navarro et al., 2014; Wadman et al., 2016; Zhu et al., 2006). En présence de telles réactions négatives de la part de l’enseignant, certains élèves qui présentent un SGT peuvent se sentir anxieux et/ou frustrés. Conséquemment, la fréquence et l’intensité des tics en classe tendent à augmenter, alors que le sentiment de bien-être et la motivation de l’élève tendent à diminuer (Wadman et al., 2016). Ainsi, la méconnaissance du SGT en milieu scolaire semble significativement nuire à la relation entre l’élève et l’enseignant, puisque près de la moitié des élèves rapportent avoir des difficultés relationnelles avec leurs enseignants (Debes et al., 2010; Rivera-Navarro et al., 2014; Shady et al., 1988; Smith et al., 2015). Inversement, lorsque l’enseignant est bien informé sur la nature et les manifestations du syndrome, les tics seront perçus comme une action non volontaire de la part de l’élève (Wadman et al., 2016).

Besoins des enseignants

Les enseignants rapportent être peu formés et peu soutenus dans le choix des interventions auprès des élèves qui présentent un SGT, ce qui nuit à l’efficacité du soutien éducatif offert à cette clientèle (Packer, 1997; Wilson et Shrimpton, 2003). La nature et les manifestations du SGT ne font pas partie des troubles de santé mentale abordés dans la formation générale des enseignants, d’autant plus que ce n’est pas l’ensemble de ceux-ci qui seront confrontés dans leur carrière à l’intervention auprès d’un élève ayant le syndrome (Wilson et Shrimpton, 2003). Toutefois, les enseignants rapportent le désir de se conscientiser face au SGT, dans le but de soutenir l’élève et réduire la stigmatisation liée au syndrome (Rivera-Navarro, 2014; Wadman et al., 2016; Wadman et al., 2016). 

Stratégies d’intervention

Considérant la visée de cet article, seules les interventions spécifiques à la gestion des tics en eux-mêmes et aux difficultés scolaires qui découlent de leur manifestation en classe sont abordées. Le Tableau 1 présente des stratégies d’intervention qui peuvent être appliquées par l’ensemble du personnel scolaire, notamment les enseignants. Les adaptations pédagogiques proposées dans ce tableau permettent principalement de réduire l’anxiété ressentie par les élèves qui présentent un SGT en période d’évaluation. Il est important de noter que d’autres stratégies d’interventions plus générales peuvent être mises en place auprès des élèves qui présentent un SGT afin de les soutenir dans leurs difficultés (p. ex., soutien dans l’organisation, dans le respect des règles, dans l’opposition, dans la gestion de la colère). Toutefois, peu de stratégies ont été évaluées empiriquement, en raison de la faible prévalence du SGT et de l’hétérogénéité des profils associés au syndrome. Les besoins particuliers de ces élèves nécessitent une intervention individualisée, ce qui complexifie l’évaluation de l’effet des stratégies. 

DISCUSSION

Le premier objectif de cette recension de la littérature consistait à faire l’état des connaissances par rapport aux difficultés scolaires vécues par les élèves qui présentent un SGT. Les symptômes tributaires aux troubles associés au SGT (p. ex., hyperactivité, agitation, opposition) ne peuvent être complètement écartés du diagnostic : il s’agit d’un portait hétérogène. Les symptômes associés accentuent les difficultés scolaires, en plus d’être fréquemment perçus par une tierce personne (p. ex., le parent, l’enseignant) comme plus perturbateurs que les tics (Dooley et al., 1999; Ghanizadeh, Mohammadi et Dehbozorgi, 2010). Néanmoins, les études recensées montrent que les tics en tant que symptôme principal au SGT affectent considérablement la situation scolaire des élèves qui présentent le syndrome. Les difficultés liées aux mathématiques et aux tâches scolaires semblent toutefois associées aux effets des tics en lecture (p. ex., perdre le fil de la lecture) et en écriture (p. ex., peu soignée, désorganisée).

Tableau 1

Stratégies d’interventions proposées pour la gestion des difficultés liées aux tics

Stratégies d’interventions proposées pour la gestion des difficultés liées aux tics
Références. Bronheim, 1991; Chowdhury et Christie, 2003; Comings et Comings, 1987; Koutsoklenis et Theodoridou, 2012; Laschou et al., 2015; Nussey, Pistrang et Murphy, 2013; Nussey et al., 2014; Packer, 1997, 2005; Prestia, 2003; Shaw, Woo et Valo 2007; Sulkowski, McGuire et Tesoro, 2016; Thomas et al., 2013; Wadman et al., 2016, Walter et Carter 1997

-> Voir la liste des tableaux

Les études de cette recension de la littérature proviennent de différents pays, mais qu’en est-il de la situation scolaire des élèves qui présentent un SGT en milieu québécois ? À notre connaissance, l’article de Leclerc et Forget (2013) est le seul article qui fait état de la scolarisation des élèves québécois qui présentent le SGT. Un total de 90 % de leur échantillon (n = 32) manifestent des tics à l’école. Leurs résultats montrent d’abord que les élèves qui présentent un SGT sont identifiés à l’aide de codes de difficultés différents [voir document du Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MÉES) 2017]. Toutefois, 40 % des élèves qui présentent un SGT n’ont aucun code de difficulté d’attribué. Les résultats de cette étude soulignent l’hétérogénéité qui caractérise le SGT : les élèves ont des profils variés et les services éducatifs reçus varient en conséquence. L’absence de services et d’adaptations adéquates peut considérablement nuire à la réussite scolaire de ces élèves. Ceci reflète le besoin alarmant de sensibiliser le personnel scolaire quant au diagnostic du SGT, notamment face aux difficultés scolaires que le diagnostic peut occasionner chez ces enfants. Certes, davantage d’études sont nécessaires afin de cibler adéquatement les difficultés et les besoins, à la fois des élèves et des enseignants en milieu québécois.

Le second objectif de cette recension de la littérature était d’identifier les attitudes et les besoins des enseignants à l’égard des élèves qui présentent un SGT. Tout comme les comportements extériorisés, les tics peuvent perturber le bon fonctionnement de la classe et ainsi, les autres élèves (Dedmon, 1990). Certains élèves peuvent se moquer ou même imiter les tics, ce qui complexifie la gestion de la classe pour l’enseignant (Storch et al., 2007; Zinner, Conelea, Glew, Woods et Budman, 2012). D’autre part, les difficultés que manifestent les élèves en milieu scolaire sont similaires à celles présentes à la maison (MÉES, 2017). Ainsi, une collaboration entre les parents et l’école fréquentée s’avère essentielle. Or, une telle collaboration semble négativement affectée lorsque l’enfant présente des difficultés comportementales ou scolaires. En raison de la méconnaissance du SGT, des relations tendues peuvent apparaître entre le parent et l’enseignant (p. ex., confondre les tics avec de l’hyperactivité ou de l’opposition; Wadman, 2016). Néanmoins, l’étude de Wilson et Shrimpton (2003) montre que les enseignants ainsi que les parents aspirent à une collaboration, afin d’uniformiser et d’enrichir les différentes interventions utilisées auprès de l’enfant. D’une part, ceci favorise une relation positive entre l’élève et son enseignant, puisque ce dernier est sensible aux difficultés de l’élève. D’autre part, cette approche permet une prévention des comportements perturbateurs ainsi qu’une intervention qui est adaptée aux difficultés de l’élève.

En considérant les répercussions des tics sur la performance scolaire des élèves et sur les attitudes des enseignants envers le SGT, cet article comporte un troisième objectif : proposer des interventions au personnel scolaire afin de soutenir et d’intervenir auprès des élèves qui présentent un SGT. D’une part, il est important de noter que les élèves ayant un SGT ne nécessitent pas d’emblée des adaptations pédagogiques en classe, mais que la majorité en bénéficie (Leclerc et Forget, 2013). Celles-ci doivent varier en fonction des besoins et des difficultés de l’élève, de la sévérité de ses tics ainsi que des symptômes concomitants au SGT. La flexibilité constitue ainsi une recommandation essentielle dans le choix des stratégies d’interventions auprès de cette clientèle. Cette recommandation est d’ailleurs soulevée dans la Politique de la réussite éducative au Québec (MÉES, 2017). Selon celle-ci, chaque élève, peu importe son profil et ses difficultés, est en droit de recevoir les services éducatifs appropriés pour atteindre son plein potentiel à l’école. D’autre part, les adaptations et les interventions appliquées ne doivent pas affecter, voire réduire, l’apprentissage du concept ou de la matière enseignée.

Pour ce faire, les interventions proposées dans cet article sont de nature préventive, afin d’offrir un soutien aux élèves ayant un SGT dans leur parcours scolaire avant l’apparition de difficultés en classe (p. ex., gêne, atteinte à l’intégrité physique de l’élève, symptômes anxieux). Par ailleurs, la sensibilisation du personnel scolaire et des pairs demeure l’une des interventions les plus bénéfiques à appliquer en milieu scolaire pour soutenir un élève qui présente un SGT (Koutsoklenis et Theodoridou, 2012; Sulkowski, Wingfield, Jones et Coulter, 2011). Ceci contribuerait à une meilleure acceptation du jeune et à augmenter son estime de soi, ainsi que sa participation aux activités en classe (Nussey, Pistrang et Murphy, 2014). Ces stratégies préventives peuvent également faciliter la gestion de classe de l’enseignant, notamment par une meilleure acceptation de l’élève par les pairs ainsi que par une meilleure compréhension des besoins de l’élève par l’enseignant.

De plus, il est important de noter que peu de stratégies ont été évaluées empiriquement, en raison de l’hétérogénéité du syndrome. Le choix des interventions appliquées par les enseignants semble varier en fonction de leurs connaissances sur le syndrome : plus un enseignant est formé sur le SGT, plus il a tendance à mettre en application des interventions proactives et positives. Parfois, l’élève ayant un SGT peut être enclin à refuser une adaptation (p. ex., temps additionnel pour un examen) ou une intervention (p. ex., avoir un coin spécifique dans la classe pour libérer ses tics) par crainte d’être perçu différemment par ses pairs. L’enseignant peut ainsi être confronté à une certaine résistance de la part de l’élève, qu’il doit dépasser afin d’offrir un soutien à ce dernier. Pour ce faire, l’enseignant et l’élève peuvent trouver une entente sur certaines adaptations afin de soutenir l’élève dans ses difficultés scolaires, et ce, en respectant ses choix. Par exemple, intégrer des périodes de relaxation dans la routine de la classe permet de réduire la tension musculaire et l’anxiété de l’élève qui manifeste des tics, tout en évitant qu’il soit perçu différemment, puisque toute la classe y participe. Il est important de noter qu’une telle résistance à l’intervention peut s’observer chez l’ensemble des élèves, ayant un SGT ou non.

Bien que cette recension de la littérature n’en ait pas pris compte, les relations avec les pairs s’imbriquent dans l’expérience scolaire des élèves. En effet, les pairs jouent un rôle important dans l’apprentissage et la socialisation de l’élève (Nussbaum et Rocha, 2008). Des relations positives et la collaboration avec les camarades de classe semblent avoir un effet positif sur l’implication et la réussite scolaire des élèves. Des techniques pédagogiques (p. ex., travaux d’équipe, tutorat par les pairs) ciblent spécifiquement l’inclusion des pairs dans le processus d’apprentissage scolaire. Or, plusieurs élèves qui présentent un SGT éprouvent des difficultés relationnelles (p. ex., intimidation, isolement, rejet par les pairs, stigmatisation) en raison des manifestations comportementales qui découlent des tics, ce qui entraîne une faible estime de soi chez ces élèves et une réduction de leur qualité de vie (Cavanna et al., 2013; Eddy et al., 2011; Sukhodolsky et al., 2003; Storch et al., 2007). Les effets positifs de l’implication des pairs dans le processus d’apprentissage peuvent ainsi être réduits, renchérissant l’importance qui devrait être accordée à l’éducation psychologique du SGT.

Limites et recherches futures

Une des limites de cette recension de littérature réside dans le fait qu’il ne s’agit pas d’une recension systématique de la littérature. Cependant, les articles ont été sélectionnés sur diverses plateformes de recherches et la sélection s’est basée sur la pertinence et la rigueur de l’article. Les articles recensés permettent de présenter un portrait de la situation scolaire des élèves qui présentent un SGT.

Les études recensées ont montré que le SGT et plus précisément les tics, ont une influence sur la performance académique et la scolarisation des élèves qui présentent ce syndrome. Or, des recherches additionnelles sont nécessaires pour cibler les perceptions, les difficultés et les besoins du personnel scolaire à l’égard de cette population, afin d’intervenir adéquatement. En effet, cette recension a mis en lumière la méconnaissance du syndrome par le personnel scolaire. Au Québec, un projet (ÉDU-Tourette) est en cours : il vise à documenter les interventions utilisées par le personnel scolaire ainsi que leur sentiment d’efficacité personnelle auprès des élèves ayant un SGT. En complémentarité, un projet de recherche doctoral est en préparation qui consiste à recueillir la perception des élèves qui présentent un SGT à l’égard des interventions reçues.

Forces et retombées

À notre connaissance, il s’agit de la première recension de la littérature qui inclut trois objectifs spécifiques en lien à la population SGT. D’abord, cette recension de la littérature contribue à une meilleure compréhension des difficultés scolaires rencontrées par les élèves qui présentent un SGT, tout en spécifiant les besoins rapportés par les enseignants face à cette population. De plus, cet article identifie les interventions pertinentes à appliquer par le personnel scolaire afin de soutenir académiquement les élèves qui présentent un SGT. De ce fait, cet article peut être une référence pour les psychologues scolaires, dans l’objectif de favoriser l’inclusion et la réussite éducative du plus grand nombre d’élèves (MÉES).

Cet article appuie le besoin de formation des enseignants et du personnel scolaire à l’égard de la clientèle qui présente un SGT. D’ailleurs, les articles recensés montrent la volonté des enseignants à être davantage formée afin de mieux intervenir auprès des élèves qui présentent un SGT. Informer, sensibiliser et outiller le personnel scolaire face aux symptômes et conséquences du SGT semble une avenue prometteuse afin de réduire la stigmatisation de ces élèves, tout en permettant un soutien approprié aux élèves.