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INTRODUCTION ET PROBLÉMATIQUE

L’immigration, quels que soient les motifs qui la sous-tendent, renvoie à des logiques familiales et individuelles, elles-mêmes incluses dans un contexte social large et marque des ruptures dans le temps et dans l'espace pour les personnes qui la vivent (Tourn, 2003). En 2015, le Québec a accueilli plus de 48 000 personnes d’après les chiffres du Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI, 2017). De 2006 à 2015, les principaux pays d'origine au Québec sont l'Algérie, la France, la Chine, le Maroc, Haïti, la Colombie et le Liban (Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion du Québec, 2017). Le Québec illustre bien la diversité multiculturelle et ses défis en ce qui concerne les enjeux socio-politiques d’intégrations et de mutations des sociétés. L’étude des renégociations identitaires qui accompagnent le vécu des personnes migrantes constitue un sujet pertinent dans ce contexte. L’individu immigre bien souvent avec sa famille, c’est-à-dire avec ses parents et sa fratrie ou avec sa fratrie uniquement. Les mouvements migratoires impliquent des réaménagements dans la famille qui doit elle-même faire face à des changements dans son environnement et faire preuve d’adaptation. La littérature documente assez bien les implications de l’immigration au niveau de la famille, notamment en ce qui a trait aux processus verticaux de transmissions entre les générations (Helly, Vatz-Laaroussi et Rachédi, 2001). La famille peut se trouver à la fois fragilisée, sans étayage par le groupe social plus large et surinvestie par les membres qui se rapprochent, mettent en commun les apprentissages, voire se replient sur eux-mêmes (Legault et Rachédi, 2008). On assiste en quelque sorte à une mise au travail de la famille qui porte en elle les ressources et les potentialités pour s’ancrer dans un nouveau lieu, mais porte aussi des fragilités issues de son histoire et de ses dynamiques propres. Au niveau des remaniements au sein de la famille, il est souvent observé une inversion des relations entre les parents et les enfants, liée au fait que les enfants s’intègrent souvent plus rapidement que les parents, surtout lorsque la langue d’origine est différente (Moro 1994; Yahyaoui, 2010). Les enfants peuvent devenir les relais, les intermédiaires entre les parents et la société d’accueil : ils médiatisent les apprentissages et les différences culturelles liés à l’immigration dans la famille (Ganem et Hassan 2013; Yahyaoui, 2010).

Peu d’études ou d’auteurs se centrent toutefois sur les changements au niveau de la relation fraternelle, horizontale (Guerraoui et Mousset, 2012; Tilmans-Ostyn et Meynckens-Fourez, 1999; Yahyaoui, 2010). Pourtant, le lien fraternel est décrit comme un des liens les plus significatifs pour l’enfant dans sa famille, le frère ou la soeur étant souvent la personne avec laquelle l'individu passe le plus de temps en dehors de l'école dans son enfance (McHale et Corter, 2005). L’immigration de la fratrie, que ce soit au même moment ou de façon séquentielle (l’un après l’autre), nous apparaît comme un phénomène digne d’attention et assez fréquent malgré l’absence de données chiffrées. En fonction du rang, du sexe, du contexte familial à la naissance, de la préhistoire familiale, frères et soeurs se différencient les uns des autres tout en ayant un sentiment d’identité partagée. Yahyaoui (2010), à partir de sa pratique clinique auprès de familles d’origine maghrébines immigrantes en France, rend compte de certains éclatements du lien fraternel entre le « dedans » familial et le « dehors » de la société au sens large et d’un fort sentiment d’appartenance au groupe fraternel. Il apparaît, pour certains auteurs également, que la fratrie peut être révélatrice des souffrances et des fragilités du couple parental liées au contexte interculturel (Guerraoui et Mousset, 2012; Yahyaoui, 2010). Dans une recherche ayant lieu en France auprès de familles migrantes, Daure et Reveyrand-Coulon (2012) ont identifié des types de réaménagements possibles des fratries qui ont souvent pour fonction de protéger et restaurer l’équilibre familial. Dans un article précédent (Ganem et Hassan, 2013), nous avons rendu compte de résultats préliminaires portant sur les changements dans les rôles et les places pris dans les relations fraternelles et sur comment ces aménagements peuvent influencer la façon dont chacun va trouver sa place, à la fois dans la famille et dans la société. Les résultats nous ont amené à identifier des alliances adaptatives au sein de la fratrie en situation migratoire pour protéger l’identité des membres qui consistent à garder « le bon » à l’intérieur et mettre à l’extérieur le mauvais, l’inconnu. La fratrie, ayant un caractère à la fois familier et étranger, peut être conçue comme un refuge, un espace d’échange et de négociation et représenter la continuité entre le passé et l’avenir, l’ici et là-bas, entre les différentes ruptures imposées par l’immigration. Le frère ou la soeur, notamment par la création d’alliances pour explorer l’inconnu et partager les apprentissages, peut également servir de soutien à l’intégration et à la socialisation du sujet migrant. Dans un contexte où les figures parentales peuvent être mises à mal, rendues vulnérables (inversement des rôles, difficultés d’intégration), les frères et soeurs apparaissent dans cette étude comme des ressources et des figures d’identification possibles pour le sujet migrant. Le sujet migrant, par les changements du dehors et les ruptures reliées à l’immigration, est amené à effectuer un travail de questionnement sur ses origines, ses idéaux, son ancrage tout en s’imprégnant du nouvel espace (Baubet et Moro, 2009). Il s’agit d’un processus dynamique, de négociation entre les différentes parts de l’identité et en interaction avec les autres. Cette renégociation identitaire est une expérience subjective, créatrice de sens pour le sujet et une occasion de s’approprier sa propre histoire singulière (qui suis-je et quelle est ma place), en relation aux autres et aux différents espaces socio-culturels dans lesquels il évolue. Nous faisons l’hypothèse que la relation fraternelle est un espace pouvant favoriser cette expérience subjective d’appropriation, dans un va et vient entre le monde interne et la rencontre avec les autres, proche du mouvement d’appropriation subjective décrit en premier lieu par Winnicott (1975).

Notre objectif dans ce présent article est de développer en profondeur le rôle et les implications du lien fraternel dans la renégociation identitaire et l’appropriation subjective de jeunes adultes immigrants. Nous posons la question suivante : quelles sont les contributions du lien fraternel à la renégociation identitaire de jeunes adultes immigrants au Québec? Cette question est pertinente d’un point de vue théorique et empirique étant donné le manque de littérature sur ces thématiques, mais également d’un point de vue pratique et clinique. En effet, l’intervention clinique au Québec exclut bien souvent la fratrie qui pourtant pourrait être révélatrice de fragilités et de ressources spécifiques et être envisagée comme partie intégrante de l’évaluation et de l’intervention thérapeutique auprès de familles migrantes. Amorcer une compréhension de la complexité du lien fraternel et de ses implications sur l’identité pourrait outiller les cliniciens travaillant auprès de familles et de sujets migrants et aider à penser de nouveaux dispositifs qui prendraient plus en compte la fratrie.

Tenant compte du caractère unique et exploratoire de cette étude, nos résultats sont à interpréter avec prudence et nos hypothèses doivent être conçues comme des pistes interprétatives, des tentatives de compréhension de certains phénomènes qui amènent vers d’autres questionnements et invitent à penser l’influence de ces liens horizontaux, fraternels.

DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE

Choix de méthodologie qualitative

Notre étude s’intéresse au vécu de l’immigration et de l’expérience fraternelle des participants. Cet objet d’étude nous place d’emblée dans une démarche qualitative, prenant en compte la subjectivité des participants (valeurs et idéaux, représentations d'eux-mêmes et du monde, vécu expérientiel) dans leur discours. L’être humain est conçu ici comme un être symbolique, en quête de sens, qui donne des significations à son expérience. Ce sens est rendu accessible grâce au langage qui constitue la voix principale de communication et d’accès aux représentations de soi et du monde (Laplanche, 1987). Notre champ de référence principal est la psychanalyse. Tel que le mentionnent Lepage et Letendre (1998, p. 54), la psychanalyse part du principe selon lequel : « L’être humain est un sujet clivé ou divisé, formé d’une part consciente et d’une part inconsciente; et que la part inconsciente exerce une influence déterminante sur l’existence de sa personne et ce à son insu, c'est-à-dire à l’insu de sa conscience ». Notre recherche tente de tenir compte, dans la mesure du possible, des dynamiques conscientes et préconscientes qui animent le sujet dans la négociation identitaire, mais n’a pas la méthodologie adaptée pour saisir le contenu inconscient directement. Certaines hypothèses interprétatives seront toutefois tirées de nos résultats afin de se rapprocher de la dimension inconsciente de l’être humain. Par ailleurs, nous partons du postulat que la dynamique interne et l’expérience subjective de l’être humain entrent en constante relation avec un contexte familial, historique et culturel complexe qui doit être pris en compte pour le comprendre dans sa globalité (Baubet et Moro, 2009). Enfin, notre démarche est compatible avec l’approche clinique en psychologie définie par Mucchielli comme consistant à « considérer le sujet dans sa singularité historique et existentielle pour l’appréhender dans sa totalité à travers une relation personnelle liée avec lui » (Mucchielli, 2004, p. 19).

Caractéristiques des participants et procédure de recrutement

Les caractéristiques de notre population sont les suivantes : les sujets devaient être âgés de 18 à 30 ans, parler la langue française, avoir immigré au Québec après l’âge de 8 ans, avec au moins un membre de leur fratrie. La tranche d’âge de 18 à 30 ans a été identifiée comme pouvant être une période de transition, pour le sujet, entre la famille et la société, favorable aux remaniements identitaires. Par ailleurs, le fait d’avoir vécu au pays d’origine au minimum jusqu’à l’âge de 8 ans permet au sujet, selon nous, d’avoir accès à une mémoire, des souvenirs, qu’il peut mettre en mots. Nous avons rencontré sept participants pour trois rencontres d’une heure et demi chacune, à environ une semaine d’intervalle. Ils ont été recrutés à partir d’annonces affichées à l’université, à Montréal.

L’âge des participants est compris entre 20 ans et 28 ans. La population d’étude est composée de quatre hommes et trois femmes. Cinq sujets rencontrés sont étudiants au baccalauréat, un sujet est étudiant au doctorat et un étudiant est en recherche d’emploi, mais de niveau bac. Les participants sont arrivés au Québec entre 1996 et 2009, entre l’âge de 8 ans et 23 ans. Un sujet est arrivé enfant (8 ans), un sujet adolescent (15 ans) et 5 sujets au début de l’âge adulte, entre 18 et 23 ans. Trois sujets sont originaires d’Amérique Latine, deux sont originaires d’Afrique de l’Est, un sujet d’Europe de l’Est et un sujet du Moyen Orient. Deux sont réfugiés, trois sont étudiants étrangers et deux sont résidents permanents. Trois ont immigré avec leur fratrie, quatre avec leur famille incluant parents et fratrie. Trois sujets sur sept ont immigré dans un (ou plusieurs autres) pays avant d’immigrer au Québec. Des sept participants rencontrés, deux sont des aînés, deux sont des benjamins, et trois sont des cadets de la fratrie. L’âge de différence maximal dans la fratrie est de 5 ans, l’âge minimal est de 2 ans. Deux sujets ont des fratries unisexuées, et deux fratries contiennent des jumeaux. Le nombre de personnes dans la fratrie varie de 2 à 4 enfants.

Nous avons opté pour un petit échantillon hétérogène favorisant une diversité interne (pays d’origine, statut au Québec, âge d’immigration, etc.) afin de maximiser l’étendue des informations répondant à nos questions de recherche (Guba, 1981) sans avoir la nécessité d’être représentatif de façon typique.

Entrevues semi-directives

Nos entrevues s’inspirent de la démarche clinique psychodynamique, dans le sens où elles visent à laisser au participant la liberté et la spontanéité de son discours dans un cadre précis (Gilbert, 2007), avec des thématiques précises à explorer telles que l’expérience migratoire, les liens au(x) pays d’accueil(s) et d’origine, la qualité des relations fraternelles passées et présentes et les relations dans la famille. Un formulaire éthique de consentement a été lu et cosigné par le chercheur et chaque participant. La conservation de l’anonymat des personnes participant à l’étude a été respectée et certaines données (prénoms, âge, pays d’origine) ont été maquillées à cet effet par des données semblables.

Méthode d’analyse des données

L’objectif de l’analyse a été de repérer chez nos participants les points communs et les recoupements en ce qui concerne les implications du lien fraternel dans l’identité des migrants, sans toutefois perdre de vue les différences individuelles. Ces dernières peuvent varier en fonction de la singularité des expériences, des aspects culturels propres à chaque sujet. Il reste qu’au niveau des processus à l’oeuvre dans l’identité, nous sommes partis du postulat qu’il pouvait y avoir des points communs à explorer. Notre position théorique et la nature de nos questions de recherche nous ont amené à choisir la méthodologie d’analyse thématique et catégorielle décrite par Paillé et Mucchielli (2005).

Toutes les entrevues ont été retranscrites dans leur intégralité. L’analyse thématique et catégorielle consiste à lire phrase par phrase, de façon linéaire et analytique, le matériel et à choisir un ou plusieurs thèmes qui traduisent ce que dit le sujet. Ces thèmes peuvent être larges ou étroits, descriptifs ou plus interprétatifs, ces derniers étant appelés catégories par Paillé et Mucchielli. Ils peuvent, par exemple, évoquer un vécu (« vécu dépressif en lien avec l’immigration »), une représentation (« représentation du pays d’origine »), un processus (« identification à la fratrie »), une dynamique (« rivalité fraternelle »). Un groupe de phrase pouvait faire l’objet de plusieurs thèmes. En parallèle de l’analyse, nous avons organisé nos thèmes de façon à les hiérarchiser en grandes catégories, sous-catégories et sous-sous-catégories, sous forme d’arbre thématique. Le logiciel NVivo a été utilisé comme support à la méthode d’analyse. Les thèmes pertinents par rapport à nos questions de recherche ont été analysés plus en profondeur afin de dégager des éléments communs au vécu des participants qui nous ont amené à progressivement formuler des pistes interprétatives. En parallèle à cette analyse thématique, nous avons effectué des vignettes cliniques pour illustrer la dynamique entre chaque thème soulevé dans le parcours singulier de certains participants, ce qui a permis de faire émerger du sens nouveau qui s’inscrit plus dans les trajectoires individuelles et les processus identitaires. Ces vignettes ne constituent pas des procédures d’analyse en tant que telles (de type étude de cas ou autre), mais ont pour but d’étayer, d’illustrer, d’incarner nos propos à l’aide d’éléments particulièrement pertinents du récit d’un participant en particulier.

Tout au long du processus de recherche et particulièrement au niveau de l’analyse, nous avons pris en compte, tant que possible, la dimension subjective du chercheur et des participants, à l’aide d’un journal de bord et de rencontres de recherche avec un tiers. Le journal de bord a pu servir de support à l’élaboration de la pensée, des observations et des prises de décision évoluant dans le temps, et avoir fonction de tiers entre le chercheur et les participants[2].

Il est important de souligner que les analyses recueillies n’ont pas l’ambition de construire une théorisation aboutie mais plutôt d’ouvrir sur des hypothèses interprétatives étant donné notre petit échantillon et le caractère exploratoire de notre sujet, situé au croisement de plusieurs disciplines (psychanalyse, psychologie interculturelle) et niveaux de compréhension (intrasubjectif et intersubjectif). Elles sont bien sûr à prendre avec prudence et non généralisables et constituent des invitations, aux chercheurs et aux cliniciens, à poursuivre des recherches et des élaborations sur ce domaine passionnant et peu étudié.

Tableau des participants

Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques des participants de l’étude. Les prénoms ainsi que d’autres données (pays d’origine, âge, constellation familiale) ont été modifiés pour garantir l’anonymat des participants.

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PRÉSENTATION DES RÉSULTATS

Les résultats sont présentés en quatre grandes parties qui illustrent, à l’aide d’exemples et de citations, des fonctions de la fratrie dans la construction identitaire en contexte migratoire. Les thématiques abordées sont les suivantes : la fonction miroir de la fratrie, la fonction de différenciation au sein de la fratrie et la fratrie comme représentant externe du conflit interne lié à la négociation identitaire. La dernière partie illustre les différents points soulevés à partir du récit de Dembélé, un des participants de l’étude.

La fonction miroir, parfois déformant, de la fratrie

Le frère ou la soeur, par le fait d’être dans la même génération et de représenter une figure de continuité, peut agir comme miroir pour le sujet et ce reflet peut avoir des fonctions identitaires. On peut observer, dans le discours de deux participants, la volonté de réduire l’écart entre soi et le frère ou la soeur, ce qui pourrait correspondre à la recherche d’un double qui aurait vécu exactement les mêmes choses, qui peut comprendre totalement le sujet. Joackim, 24 ans, d’origine chilienne, est arrivé au Québec à l’âge de 15 ans avec ses parents, ses deux grandes soeurs alors âgées de 19 et 20 ans et son petit frère âgé de 4 ans à l’époque. Il explique, à propos des festivités de Noël dans son pays d’origine, que son petit frère n’a pas vécu : « j’aimerais ça que mon petit frère vive, vive ça. C’est ce que j’ai vécu ». Il semble faire le constat d’une différence, d’un écart entre lui et son frère qui n’a pas vécu les mêmes fêtes de Noël. Il note qu’il souhaiterait réduire cet écart :

J’aimerais ça qu’il développe aussi euh s’il a des amis hispanophones dans mon pays, peut-être dans, peut-être dans un sens, qu’il développe une vitesse pour penser comme dans mon pays, comme, quand j’avais mes amis, quelqu’un me disait quelque chose, si quelqu’un m’insultait moi, comme ça, je trouvais quelque chose rapide (...) j’aimerais ça que, que mon frère voit ça, qu’il s’amuse que… il voit, il voit la beauté de ça.

À travers son récit, il nomme le souhait que son frère partage les mêmes modes de pensée que lui, la même façon de voir et décoder le monde. De plus, il paraît attribuer à son petit frère des caractéristiques d’un proche qui ne le juge pas, qui l’écoute, qui le comprend (et réciproquement). Nous pouvons supposer qu’il y a chez Joackim une recherche d’un alter égo, d’un double qui remplirait une fonction protectrice pour lui, celle de se sentir complètement compris, alors que dans le pays d’accueil, il peut vivre des moments où il se sent incompris, où il peut avoir du mal à traduire sa pensée.

Cette recherche de double est également très présente dans le vécu rapporté par Adel en lien avec son frère jumeau. Adel et son frère ont quitté la Syrie tous les deux à 18 ans pour aller étudier en Belgique. Ils se sont beaucoup appuyés l’un sur l’autre pour apprendre la langue, réussir leurs études et tisser des liens dans ce nouveau contexte. Ils ont immigré au Québec à l’âge de 23 ans, pour poursuivre leurs études à Trois-Rivières puis à Montréal. Dans le récit d’Adel, l’autre représente un miroir presque identique, au même vécu, une sorte de double presque parfait. Adel explique comment ce double a pu contribuer à son processus d’intégration lié à l’immigration :

Je pense que c’est ça aussi qui m’a fait avancer à comprendre qu’est-ce que je suis et puis comment je veux être et puis mais encore dépendamment de comment Amir il était, comment il voulait être et puis on se parlait et puis moi je voulais être comme lui mais non pas tout à fait et puis on n’était pas tout à fait non plus l’un comme l’autre.

Il s’appuie sur la relation de double pour s’approprier des choses, devenir autre en situation migratoire, tout en maintenant une continuité. La relation correspond à un miroir qui s’ajuste, qui s’adapte aux nouveautés, où chacun commente les comportements de l’autre. Dans le discours d’Adel, le miroir est tellement parfait que cela peut donner l’impression de confusion d’identité, où les deux ne font qu’un, où ils n’ont pas d’individualité distincte. Nous pouvons entrevoir comment cet autre double, confident parfait, peut avoir une fonction rassurante et protectrice pour l’identité, notamment dans les situations de déracinement telles que l’immigration. Dans le cas des jumeaux, le double apparaît comme complémentaire, la part manquante pour former un « tout autosuffisant ». Cependant, cette relation en miroir risque parfois de contribuer au vécu d’isolement, particulièrement en contexte migratoire en freinant l’ouverture à la création d’autres relations significatives.

Irina est originaire d’Ukraine. Elle est l’aînée de sa fratrie, elle a une soeur qui a deux ans de moins qu’elle et une demi-soeur, née au Québec, qui a neuf ans de moins qu’elle. Elle a immigré à l’âge de 8 ans avec sa mère, son beau-père et sa soeur. Elle dit se sentir affectée par les mêmes sujets que sa soeur et qu’il n’est pas nécessaire que cela soit nommer pour que cela soit partagé :

Je sais qu’il y a des affaires qui vont nous toucher ensemble, en même temps, bon mettons, s’il y a quelqu’un qui est malade autour de nous heu si on a peur que les gens autour de nous meurent, je sais que là-dessus on est vraiment … T’sais on pense de la même façon, on va probablement réagir de la même façon, mais on n’a pas le… T’sais, on s’en parle pas là c’est pas nécessaire qu’on s’en parle là, c’est comme un peu tabou t’sais et puis… C’est comme aussi un peu respecter heu… qu’est-ce que l’autre elle vit, même si tu le vis en même temps, t’es pas obligée de le partager heu...

Nous pouvons supposer que l’impression d’avoir cet autre qui peut comprendre et vivre exactement les mêmes affects, surtout dans le cas de situations douloureuses en situation d’immigration peut avoir une fonction rassurante, protectrice.

L’autre-même-que-soi, qui peut remplir une fonction protectrice pour le moi, un alter ego, un double imaginaire qui vit les mêmes enjeux que Moi, peut aussi apparaître comme menaçant pour la singularité du sujet (Mitchell, 2003). De plus, le miroir n’est jamais complètement identique, mais le sujet peut s’appuyer sur les similitudes pour se rapprocher du modèle par identification ou peut au contraire porter son attention sur les différences, ce qui mène à une distinction entre ce qui est Moi et non Moi (Kaës, 1998). Le sujet peut alors chercher à se différencier de cet alter égo, à s’en dégager afin de mener à une affirmation personnelle, participant au processus de devenir sujet (Vivona, 2007). Les processus de différenciation peuvent porter, par exemple, sur des caractéristiques « données dès la naissance » (telles que l’âge, le sexe, le nom) ou sur des caractéristiques de la personnalité propre qui se construisent progressivement. Nous illustrons, dans la prochaine partie, certains éléments qui participent à ces différenciations entre le sujet et ses frères et soeurs, ayant un impact sur la construction identitaire individuelle.

Différenciations dans la fratrie en contexte migratoire

Dans cette partie, nous avons tenté de rendre compte de certains éléments qui pouvaient avoir une fonction de différenciation au sein de la fratrie, entre le sujet et ses frères et soeurs, dans la constitution de son identité singulière. Ces caractéristiques, tirées du récit des participants, sont les suivantes : la place dans la fratrie, l’âge à l’immigration et le sexe dans la fratrie.

La place dans la fratrie

La place dans la fratrie peut être un élément différenciateur, donné dès le début de la vie qui inscrit le sujet dans une sérialité, un ordre. En fonction des pratiques familiales et culturelles, la place dans la fratrie va définir des rôles particuliers au sein de la famille ou peut avoir des implications sur les attentes parentales et la transmission familiale (Von Benedeck, 2013). Ici, nous rapporterons certains propos des participants illustrant l’influence de leur place dans la fratrie sur la constitution de leur identité en mouvement.

Fanta est arrivée au Québec à 18 ans, rejoindre ses deux grands frères installés depuis 5 ans. Elle et sa famille sont originaires de la Côte d’Ivoire, mais Fanta et sa famille ont vécu dans quatre pays d’Afrique différents jusqu’à ses 11 ans à cause de la profession de ses parents. Elle a ensuite vécu au Maroc de l’âge de onze ans jusqu’à son arrivée à Montréal. À propos de sa place dans la famille, elle note : « Moi j’suis bien au milieu. Pis ça me va. Ça me va parce que je sais que y’a pas trop d’attentes par rapport à moi… ». Elle relie sa place dans la fratrie aux attentes parentales vis-à-vis d’elle qui sont moins exigeantes que pour ses grands frères. À propos de ses frères, elle dit :

Ils ont 4 ans de plus que moi, en plus c’est les gars. Fait que c’était plus eux leur avis, pis ils sont super proches de ma mère que moi. Fait que c’était surtout ça euh (…) Ben c’est toujours eux qui ont raison… Surtout dans notre culture à nous.

Fanta décrit vivre une injustice, où son avis n’est pas pris en compte dans la famille. Elle semble le relier à la fois à sa place dans la famille et à son sexe. Cela rejoint les propos de Govindama indiquant que dans certaines traditions culturelles, le fils aîné peut représenter le prolongement de la figure paternelle, ce qui lui donne une position enviée par les autres et peut empêcher toute complicité fraternelle (Govindama, 2012).

Les discours des participants mettent aussi en évidence qu’avec les attentes et projections parentales (qui peuvent être reliées au rang mais pas uniquement), viennent une responsabilité qu’il n’est pas forcément facile de remplir dans un contexte migratoire. Irina évoque, à propos de son rang d’aîné et de l’investissement de ses grands-parents à son égard :

C’était heu t’sais ils m’ont beaucoup heu ils ont beaucoup misé sur moi aussi vu que je suis l’aînée (…) là c’est rendu triste parce qu’ils sont vieux, mais ils ont beaucoup le désespoir de la mort qui embarque là, c’est toi qui va les sauver hein, t’sais ils ont pas besoin d’être sauvés là, mais t’sais le fait que je sois rendue à l’université t’sais mes autres soeurs sont plus jeunes, elles sont au Cégep et puis au secondaire, mais tu vois pour eux ça a toujours été comme… une chance qu’elle est intelligente! Quand je suis … t’sais c’est je suis l’aînée j’ai comme heu (…) Bah c’est pas une pression mais tu sais c’est comme un j’ai, la pression ne se fait pas genre tu dois faire ça, c’est que mon dieu qu’on est fiers avec toi et qu’on se vante à tout le monde.

En fonction de son rang et de la dynamique et l’histoire familiale, les attentes vont être différentes pour le sujet et sa fratrie. Il peut être intéressant d’observer ce que le sujet va faire de ces attentes, comment ces dernières vont jouer dans sa vision de lui-même et dans ses projets. Irina met, par exemple, l’emphase sur la réussite de ses études, envisageant de peut-être avoir une carrière lui permettant de faire le lien entre l’Ukraine et le Québec.

Par ailleurs, Joackim, en tant que grand frère, s’est donné comme mission de représenter, pour son petit frère, le pays d’origine. Il dit, à propos de son frère : « Mon frère a une pensée de, du Chili (tousse) dans la tête. Mais veux, veux pas, il évolue avec des pensées d’ici. ». Il prend une attitude parentale ou s’identifie aux parents dans leur rôle éducateur vis-à-vis de son frère. Il veut représenter le Chili aux yeux de son petit frère, il se fait donc passeur, pont entre deux cultures, modèle en tant qu’aîné. Cette nécessité de transmission du pays d’origine semble reliée à des angoisses chez lui induites par le mouvement migratoire, de perdre son ancrage culturel, « d’oublier d’où il vient ». Il semble ainsi vouloir remplir un rôle de transmission, de modèle pour son frère dans un contexte de perte des modèles identificatoires. Cet aspect rejoint les observations de Daure et Reveyrand-Coulon (2012) qui ont mis en évidence des modalités relationnelles dans les fratries d’enfants de migrants en lien avec la renégociation de l’héritage familial et culturel. Ces modalités ont bien souvent comme fonction de protéger le couple parental et de restaurer un équilibre familial ébranlé par l’immigration. Les enfants peuvent, par exemple, être investis comme continuateurs d’une culture d’appartenance, certains enfants s’identifiant totalement ou partiellement à une certaine culture d’appartenance et les autres à une autre. Le risque de cette configuration est la rigidification des rôles et positionnements, ce qui peut entraver le mouvement de subjectivation de chacun (Daure et Reveyrand-Coulon, 2012).

L’âge à l’immigration

Une autre caractéristique qui peut avoir une fonction différenciatrice dans la fratrie et qui est intimement liée au rang est l’âge à l’immigration. Les aînés ont souvent vécu, de façon significative, plus longtemps dans le pays d’origine que les plus jeunes et ainsi leur attachement peut-être plus inscrit dans leur expérience sensorielle, dans leur mémoire individuelle. Irina constate que son lien à son pays d’origine est très fort car il est sensoriel, teinté par ses souvenirs d’enfance qui imprègnent son expérience de façon peut-être plus significative que ses plus jeunes soeurs. Par ailleurs, elle évoque que sa plus jeune soeur Anne-Laure, née au Québec, n’a pas les mêmes enjeux de réussite, les mêmes attentes parentales qu’elle et son autre soeur née en Ukraine ont reçues. Elle raconte l’importance, pour sa mère, qu’elle et Ivanna ramènent les meilleures notes et des médailles à la maison alors que pour Anne-Laure, elle se montrait plus souple, moins exigeante sur les performances de cette dernière. Cela rejoint les observations de Daure et Reveyrand-Coulon (2012) indiquant que chaque enfant représente une époque de la vie familiale et qu’il peut exister une scission entre les enfants nés au pays d’origine et ceux nés au pays d’accueil.

La responsabilité vis-à-vis de la conservation et de la transmission de l’héritage peut aussi se retrouver chez les plus jeunes de la fratrie, pouvant constater que les plus grands se sont éloignés de certains modèles et valeurs parentales, notamment avec le mouvement migratoire, et ces puînés se retrouvent avec la mission de restaurer la continuité, remplir la mission de représenter le pays d’origine que les aînés ont échoué à conserver. Par exemple, selon Fanta, c’est parce que ses frères sont arrivés si tôt qu’ils se sont aussi éloignés de leur pays d’origine, qu’ils ont oublié les valeurs de leur pays d’origine. Elle dit à leur propos : » C’est vrai, quand tu changes un pays, essaie de changer un peu ta mentalité, faut être un peu plus ouvert, mais faut quand même pas oublier d’où tu viens. ». Dembélé, originaire du Mali et ayant vécu en Tunisie avec ses parents lors de son adolescence, a rejoint son grand frère et sa soeur déjà installés au Québec à l’âge de 18 ans. Il raconte avoir constaté un décalage entre les modes de vies de ses frères et soeurs et le sien à son arrivée. Il dit à ce propos :

Moi j’étais encore en mode, en mode de la vie en Tunisie etc. Par exemple, ça me faisait bizarre de voir de l’alcool sur la table ou du tabac et des choses comme ça, ouais… Donc heu ouais, non je trouvais ça un peu heu, bah non je sais pas, c’était un peu bizarre quoi.

Ce décalage a pu être doublement déroutant, car c’est faire l’expérience de l’étrangeté dans un espace qui était à priori familier pour Dembélé.

Le sexe dans la fratrie

Frères et soeurs, en fonction de leur sexe, vont aussi se positionner différemment vis-à-vis de l’héritage familial et culturel, surtout s’il existe des différences marquées entre la place de l’homme et de la femme et entre les pays d’origine et d’accueil. Dembélé explique que les attentes parentales vis-à-vis de sa soeur sont différentes que celles pour les garçons :

C’est sûr que bah ma soeur a toujours eu un peu plus de pressions que, que nous dans, pour la réussite etc. Mais enfin heureusement elle travaillait déjà bien à la base… Mais c’est… c’est toujours le cas d’ailleurs, y a toujours un peu plus de pressions par rapport à certaines choses, par exemple par rapport à la personne avec qui elle va finir, aux gens avec qui elle traîne.

Dembélé commente les positionnements de sa soeur par rapport à son pays d’origine: « en tout cas, elle, c’est sûr, elle a aucune envie de retourner là-bas (petit rire) parce que quelque chose d’extraordinaire mais genre c’est comme un peu la philosophie du pays, c’est quand même patriarcal là-bas ». En effet, être né fille ou garçon aura des influences sur ce qui va être projeté sur l’enfant et sur la place dans la famille et dans la société. Avec l’immigration, les rapports entre les femmes et les hommes peuvent être réaménagés, si bien qu’ils invitent différemment jeunes hommes et jeunes femmes à se positionner par rapport à ce qui a été donné à l’origine. Cela peut, par exemple, mener à des prises d’autonomie vis-à-vis des modèles d’origine, notamment pour les jeunes femmes qui peuvent tenter de se dégager de ce qu’on attend d’elles, mais peut être aussi très déstabilisant et source de conflits surtout dans les familles où les repères organisateurs de relations hommes/femmes sont très nettement définis.

Frère ou soeur comme représentant externe du conflit interne lié à la négociation identitaire

Frères et soeurs pourraient constituer des points de repères qui évoluent en même temps que le sujet, sur lesquels le sujet peut s’appuyer à la recherche de similitudes ou à la recherche de différences pour asseoir son identité singulière. Nous observons que dans le discours des participants, les figures fraternelles peuvent agir comme des points de comparaison, des zones de références pour le sujet qui peuvent l’aider à se positionner lui-même, en particulier en lien avec les enjeux identitaires reliés à la situation migratoire l’amenant à faire des compromis identitaires. Par exemple, Dembélé parle des différences entre lui et ses frères et soeurs lors des visites dans son pays d’origine :

[Mon grand frère] veut toujours montrer que il est vraiment malien, il va parler en bambara qui est la langue du Mali et tout, il va essayer de montrer que oui moi je suis un vrai malien, je vais manger à la main etc. (…) Heu moi je, moi je suis un peu comme lui [son grand frère] mais en moins exagéré, quoi. Parce que je vais quand même rester dans des, dans ce que je connais quand même, quoi.

Ainsi, il nomme comment son grand frère cherche à adopter de façon fidèle le langage et les pratiques dans le pays d’origine, pour être reconnu comme tel dans son pays d’origine. Contrairement à son grand frère, ses petits frères et soeurs ont un rapport différent à la langue du Mali. Il poursuit sur ses visites au pays d’origine :

[Nos tantes] nous parlent en bambara, elles disent « Ah donc toi tu parles pas encore bambara et tout, tu es encore soit un soudanais soit un européen, etc, dépendamment du point de vue, quoi (petit rire)… Et donc je sais que bon moi, moi ça me dérangeait pas tant que ça, là. Mais bon des fois j’essaie quand même de parler en bambara etc. Mais mon petit frère par exemple, ma soeur, eux ça leur tapait sur le système parce que ça arrivait souvent donc là ils allaient retourner dans la chambre tranquillement se reposer etc.

Dembélé évoque, dans ses termes, le rapport à la langue maternelle de chacun des frères et soeurs et la façon dont lui et sa fratrie sont perçus par les membres de la famille élargie au pays d’origine. Il décrit comment lui et sa fratrie peuvent être renvoyés à leur étrangeté par les membres de leur pays d’origine, alors qu’ils peuvent, conjointement, entretenir un lien intime, complexe et familier au pays d’origine. Cela rejoint l’observation de Gierin (Bengston, Acock, Allen, Dilworth-Anderson et Klein, 2005) selon laquelle les mouvements identificatoires vis-à-vis des membres du pays d’origine et l’appropriation des modes de vie, des valeurs, du langage vont pouvoir être variables en fonction des moments de vie et des individus au sein d'une même famille: certains vont les maintenir, d'autres vont les rejeter, d'autres vont s'en servir comme refuge.

Dans le même ordre d’idée, en fonction de l’âge et de leur place dans la fratrie, Joackim et sa fratrie ont développé différents types de liens avec leur pays d’origine. Il se représente ses deux soeurs comme ayant un positionnement totalement opposé par rapport à leurs appartenances culturelles. Dans son discours, il apparaît que l’une porte toute l’étrangeté, l’autre est garante de la famille, l’une se sépare, l’autre cherche la réunion, la reproduction : « Elle euh, elle se comprend avec des gens qui sont comme elle, en comparaison avec ma grande soeur qui va toujours chercher des gens qui, qui la ressemble pas ». Il semble qu’elles représentent pour Joackim deux personnages de théâtre auxquels il peut se référer, se comparer pour se situer lui-même. Nous pourrions dire qu’elles représentent deux compromis identitaires, deux façons de gérer l’entre-deux culturel, deux tendances de conservation et de changement, qui peuvent se montrer opposées ou en conflit. On peut faire l’hypothèse que ces deux tendances se retrouvent comme conflit interne pour Joackim (peur de perdre sa culture, sa langue d’origine : enjeux de conservation forts tout en voulant prendre son autonomie) qu’il peut en partie projeter sur ses soeurs et vont l’incarner dans la réalité intersubjective. Notons que ces deux mouvements sont inhérents au processus de devenir adulte, tel que décrit par De Singly (2001), dans lequel le jeune vise à la fois à prendre son autonomie en dehors de la famille en se créant un monde intime séparé de ses parents et maintenir la filiation, c’est-à-dire conserver l’héritage familial. Nous supposons que dans les situations migratoires, ce processus peut connaître des modalités d’expression particulières, en lien avec la négociation identitaire entre la culture d’origine et la culture d’accueil. Dans le cas de Joackim, l’incarnation de ces deux tendances (conservation et changement) portée par ses deux soeurs, peut possiblement lui permettre de mettre au travail ces différentes parties de soi et de l’autre, de se réapproprier des éléments, c’est-à-dire de l’aider à se positionner lui-même. Nous posons l’hypothèse que les figures fraternelles peuvent servir de supports pour une prémisse du processus de subjectivation, qui vont aider le sujet à se positionner lui-même, d’abord en comparant ses frères et soeurs entre eux puis en se comparant lui-même avec eux. En lien avec la perspective de Winnicott (1975), nous pourrions émettre l’idée selon laquelle la relation fraternelle serait envisagée comme un espace transitionnel et participer à la mise en place de frontières entre soi et l’autre, nécessaire à la négociation identitaire.

Par ailleurs, Fanta est amenée à se positionner elle-même par rapport à ses grands frères à propos d’un éventuel retour au pays d’origine : « J’sais pas, je sais qu’y’en a un qui aimait vraiment, Moussa, qui avait vraiment envie de retourner. Mais Sekou, comme je dis, lui, il est tellement, il est tellement à côté, là, lui son, lui c’était aller s’installer en Chine carrément. … ». Elle fait le constat que ses frères ont deux projets de vie complètement opposés : la Chine représentant l’étrangeté encore plus grande et le retour au pays d’origine. Elle poursuit : « Jumeaux mais si différents! Finalement, c’est peut-être moi la plus normale [petit rire] c’est ce que je me dis là. ». Elle semble percevoir ses deux frères comme ayant des visions complètement opposées du compromis identitaire. De plus, son discours évoque qu’elle se situerait quelque part entre les deux, dans une norme qui serait entre ces deux extrêmes. Il s’agit d’un processus similaire exposé plus haut pour Dembélé et Joackim : décrire les positionnements identitaires des frères et soeurs (perçus parfois comme clivés, opposés) pourrait amener à se positionner soi-même. Fanta constate qu’elle est peut-être plus traditionnelle qu’elle le pensait, qu’elle tient aux normes et valeurs de son pays d’origine (alors qu’elle essayait de lutter contre la hiérarchie dans la famille étant plus jeune). Elle peut se montrer rebelle contre l’autorité dans la famille mais se représente aussi comme porteuse de la tradition.

Tout se passe comme si chaque membre de la fratrie portait un compromis de valeurs potentiellement contradictoires qu’ils vont confronter entre eux. Le conflit de valeurs peut être mis au dehors, au sein de la relation fraternelle et mener à des éclatements parfois intenses. Par exemple, Dembélé est témoin de conflits de valeurs perçus entre sa soeur et son grand frère : il dit, à propos de sa soeur et de son grand frère :

Elle l’aime beaucoup etc. mais en même temps il y a des choses qu’elle pouvait pas lui dire … genre par exemple quand elle disait que ouais, genre, un tel, un tel garçon la draguait, c’était plus à moi qu’elle le disait, quoi (…) Et ça a fait plein de tensions mais don heu, en tout cas je sais qu’elle l’aime beaucoup mais il y a des choses qu’elle peut pas lui dire parce que, supposément il serait trop traditionnel.

Dans sa position de témoin, cela donne l’impression qu’il expose le conflit avec les différents protagonistes (sa soeur et son frère) en comprenant les motivations de chacun, et il peut éventuellement dire à qui il se rallie ou s’identifie.

Ainsi, nous voyons, dans les récits des participants, des éléments contribuant aux processus de différenciations entre le sujet et sa fratrie. Ces processus, visant à soutenir la singularité du sujet, ont été décrits par Vivona (2007) : ils peuvent être des amplifications des différences, des projections de qualités distinctes sur soi et sur l’autre de façon à bien délimiter les sujets dans la fratrie et reconnaître des qualités propres à chacun. Dans la situation migratoire, ces processus sont peut-être encore plus visibles, car exacerbés par la négociation culturelle et par la menace de se perdre et perdre son lien aux origines dans ce processus (Kaës, 1998; Tourn, 2003). Le nouvel héritage ouvre des nouvelles potentialités pour se différencier et s’approprier son histoire, mais déstabilise également le sujet et sa famille au niveau des repères culturels et psychiques, des bases narcissiques. C’est comme si la fratrie répartissait, au sein de ses membres, les différents liens d’appartenance, représentaient différents compromis identificatoires. Cette idée converge avec les observations de Daure et Reveyrand-Coulon (2012) selon lesquelles les frères et soeurs, en particulier les aînés, sont souvent amenés à faire le lien entre le dedans familial et le dehors, à restaurer une certaine continuité qui avait été rompue par l’immigration (Daure et Reveyrand-Coulon, 2012; Guerraoui et Mousset, 2012). De plus, les termes utilisés pour décrire les compromis identitaires de certains membres de la fratrie sont parfois amplifiés et qualifiés de « tout bon » ou « tout mauvais », où, par exemple, un membre de la famille porte le mauvais (car il s’éloigne des valeurs traditionnelles) et les autres maintiennent le bon (conservent les valeurs). Nous retrouvons ici des défenses familiales de la famille migrante décrites par Yahyaoui (2010) telles que le clivage entre les membres, l’idéalisation et le déni qui peuvent être témoins de souffrances dans la famille et avoir des influences considérables sur la construction identitaire des frères et soeurs.

Le processus de dés-idéalisation participant au processus d’appropriation : illustration de l’expérience de Dembélé

Il nous semble pertinent, afin de soutenir nos propos, d’exposer l’expérience fraternelle et migratoire de Dembélé. Cette illustration vise à intégrer et mettre en relation les différents éléments discutés dans cet article. Dembélé se situe au milieu d’une fratrie de quatre enfants. Il a grandi principalement au Soudan, mais ses parents sont originaires du Mali, où il retourne occasionnellement rendre visite à sa famille élargie. Sa famille a immigré en Tunisie pour des raisons professionnelles pendant son adolescence. Dembélé et son petit frère les ont suivis, alors que son grand frère et sa soeur sont partis vivre au Québec pour leurs études. Il évoque son lien à son grand frère dans son enfance : « j’étais petit etc. et que je voulais pas le décevoir ». Il a grandi avec la recherche d’amour de son grand frère tout en s’en servant de modèle : « C’est le grand frère, c’est lui genre, c’est lui qui parle, il faut l’écouter quoi. Et de toute façon c’est un exemple donc on est obligés de, on est presque obligés de faire ce qu’il dit. ». Leur relation était basée sur une forme d’alliance implicite: il devait le respect à son grand frère et suivre ses pas, et son grand frère devait en retour se montrer protecteur, modèle. Il dit « Il… fait tout pour qu’on soit bien, il fait rien pour qu’on ait des, des problèmes, quoi… … Et c’est le grand frère, donc … c’est comme ça. Y a comme un respect qui vient avec. ». Le processus de devenir adulte passait par une identification au grand frère. Le projet d’immigration est en partie envisagé dans ce sens : suivre les pas du grand frère va mener à un accomplissement et une réussite professionnelle. Tout porte à croire que le Canada était déjà perçu par Dembélé comme terre de réunification avec son grand frère et de réalisation personnelle, lieu déjà investi et possiblement idéalisé, cette idéalisation étant peut-être amplifiée par le fait que le vécu quotidien de son adolescence était difficile. Il évoque au sujet de son projet migratoire :

À partir du moment où je voyais mes frères qui réussissaient et qui commençaient à partir, là je me disais que ouais, c’est une récompense etc. Ça va être bien, quoi. Et aussi le fait de, de pouvoir les rejoindre aussi, ça me tentait bien, quoi.

Nous pouvons nous demander comment cet espace idéalisé, tant sur le plan de la réunion que de la réussite, a pu être décevant de par l’écart entre le fantasme et la réalité de son vécu migratoire? En effet, lors de son arrivée à Montréal à 18 ans, il a rejoint son frère aîné et s’est séparé de son petit frère qui devait compléter son secondaire avant de les rejoindre. Il dit s’être senti seul et loin de son petit frère à son arrivée à Montréal et son grand frère s’est montré peu présent pour lui. Ses premières années à l’université ont pu être parfois difficiles et Dembélé a pu se sentir un peu isolé dans sa famille et à l’université :

Donc heu ouais, non je trouvais ça un peu heu, bah non je sais pas, c’était un peu bizarre quoi. Bah au début, ça allait, ça allait plutôt bien parce qu’on, enfin on s’occupait un peu de moi etc. Mais après c’était un peu plus difficile, heu, je m’isolais peut être un peu aussi. Je trouvais que … en fait, y avait beaucoup de choses, y avait des problèmes dont je pouvais pas vraiment parler parce que je savais pas à qui en parler. Par exemple, je savais pas comment dire que c’était difficile quand même l’université parce que j’arrivais pas à me faire des amis à long terme et tout, que je trouvais les gens un peu bizarres parce que, heu y avait beaucoup de gens qui me disaient bonjour et une semaine plus tard, c’est comme si on se connaissait pas, des choses comme ça que je trouvais un peu difficiles et tout.

Nous pouvons supposer qu’il a ressenti un décalage par rapport aux jeunes étudiants et par rapport à ses frères et soeurs, sans alter égo avec qui partager ses expériences nouvelles, comme il pouvait faire avec son plus jeune frère auparavant. Il fait état d’un vécu dépressif en lien avec l’immigration et, possiblement, en lien avec l’absence de proximité espérée avec ses frères :

Je voulais retourner au pays etc., que je me sentais pas très bien ici. Avec heu ouais, mon grand frère, genre je sentais qu’il s’intéressait pas, qu’il avait d’autres choses à faire, il s’intéressait pas vraiment à ce que je faisais et… Bah, enfin, les études ça allait mais je sais pas c’était… c’était un peu monotone, quoi.

Par rapport à son grand frère, il semble faire le constat qu’il a progressivement adopté des valeurs et des modes de vie qu’il déplore (consommation d’alcool, par exemple). Nous supposons que, pour Dembélé, l’alliance fraternelle entre lui et son grand frère (respect versus protection) s’est rompue avec le temps. Ce processus paraît s’accompagner d’un mouvement de dés-idéalisation, illustrant le décalage entre ce qui avait pu être fantasmé et la réalité. Il ajoute :

Moi je suis quand même à ne pas genre, je veux dire je voulais pas sortir de ma place, quoi, je voulais rester tranquille, etc. Mais quand je commençais à voir que on n’avait pas les mêmes idées des choses etc heu… J’ai commencé à être un peu plus critique, et tout. Ou bien genre bah l’année dernière, en 2011, quand j’étais de mauvaise humeur, de mauvais poil et tout, heu là comme j'en avais marre et tout, je parlais plus trop, je voulais même plus parler, quoi. Mais c’était comme je considérais pas, je considérais plus vraiment mon frère comme un, je le considérais encore comme mon frère mais pas comme un exemple, quoi. Encore, encore maintenant, c’est comme, je le considère comme mon frère mais je veux dire heu pas… je sais pas, je trouve qu’il a … je comprends qu’il a son mode de vie et tout, je veux avoir mon mode de vie aussi par exemple.

Tel que décrit par Dembélé, le modèle fraternel semble s’effondrer : sa fonction de protection est perçue comme absente, ses valeurs apparaissent s’éloigner des siennes. Nous faisons l’hypothèse que ce constat a pu participer au vécu dépressif chez Dembélé tout en l’amenant à se redéfinir lui-même, autrement qu’à partir de sa place dans la fratrie. Il apparaît que c’est étant livré à lui-même, seul ou en faisant ses propres expériences à l’extérieur de la famille, qu’il trouve d’autres modèles d’identification (avec sa copine, son entraîneur, dans la religion) qui l’amènent à se différencier de ses frères et soeurs. À propos du respect envers son frère dans son pays et de l’observation des familles québécoises qui l’a amené à se repositionner, il dit :

Non, c’est pas une chose qu’on peut faire, quoi. Mais c’est comme quelque chose qui m’a, que je trouve, qui m’a donné un peu, qui m’a fait réfléchir justement au fait que tu peux… t’es pas obligé de … d’être derrière ton frère si heu, parce que il est déjà dans son monde et tout, c’est pas comme si il va s’occuper vraiment de toi, et tout.

Il semblerait que se séparer, pour Dembélé, c’est aussi se sentir plus libre de penser par soi-même. En effet, l’avis de son grand frère apparaît moins primordial pour lui : « ce que je veux dire c’est que je suis moins soucieux de ce qu’il pourrait penser par rapport à ce que je ferais, quoi ». Dembélé va progressivement se définir lui-même, autrement qu’en relation à son grand frère. Il va s’approprier, mettre en lui de nouveaux modèles, faire un travail psychique entre ce qui est donné et repris, et cela contribue à sa construction identitaire. Dans l’évolution des trois entrevues, l’utilisation du « Je » émerge progressivement du « Nous », ce qui pourrait illustrer le phénomène de séparation et de différenciation du groupe fraternel.

Cette illustration met en évidence un phénomène influencé par l’immigration qui traverse les récits des autres participants et touche à un mouvement identitaire de différenciation et de séparation des figures fraternelles, modèles d’identification. Nous pouvons retrouver un mouvement similaire vis-à-vis des figures parentales dans le processus de devenir adulte : distanciation et développement d’autres modèles identificatoires en dehors de la famille, ce qui permet progressivement de construire son propre point de vue de sujet et de s’approprier son histoire, de trouver sa place dans d’autres groupe que le groupe familial fraternel (Kaës, 1998). Cela nous donne l’impression que le mouvement migratoire vient rejouer, répéter une expérience dans la fratrie, à un moment et dans un lieu différent, surtout chez les sujets qui immigrent de façon séquentielle et viennent rejoindre leur fratrie dans le même ordre que les naissances. Cette expérience de rupture pourrait créer les conditions de remettre au travail, requestionner le sujet sur sa place dans les groupes et ce qui lui appartient de propre, de singulier.

CONCLUSION

L’objectif de cet article consistait à décrire les implications du lien fraternel dans les processus à l’oeuvre dans la négociation identitaire de jeunes adultes immigrants au Québec. Les relations avec la fratrie vont étayer la construction identitaire du sujet migrant par la présence ou l’absence de ces figures fraternelles, leur caractère étranger et familier, leur place à la fois dans la famille et hors de la famille, leur rôle de tiers avec les figures parentales. Au sein de sa fratrie, le sujet peut être amené à opérer des différenciations psychiques (Vivona, 2007) entre ce qui est donné (transmission verticale, place dans la fratrie) et créé, construit au sein des relations fraternelles. Ces mouvements contribuent à la création d’une nouvelle perception de soi, à l’attribution de qualités propres et à l’affirmation de soi en opposition aux autres. Ces processus identitaires consistent à faire la distinction entre ce qui est au départ donné, imposé par l’extérieur avec ce qui est repris, choisi par la suite par le sujet et placent la négociation identitaire du sujet dans la dialectique impliquant les tendances de reproduction et de changement. Nous faisons l’hypothèse que l’immigration pourrait offrir des nouvelles occasions de différenciations d’avec la fratrie et la famille, c’est-à-dire la possibilité de prendre conscience de ce qui a été transmis, avec la distance opérée par le mouvement migratoire. En effet, l’immigration introduit un espace tiers, un ailleurs fantasmé (là-bas), qui va être investi par le sujet et engager le sujet dans un travail psychique visant un compromis identitaire (Tourn, 2003). Celui-ci consiste à trouver comment conserver l’héritage familial et culturel tout en s’autonomisant et trouvant une place dans la société d’accueil (Daure et Reveyrand-Coulon, 2012). Pour reprendre l’expression de Dembélé, les plus jeunes « suivent les pas des aînés », mais cela va être à eux d’en faire une expérience qui leur est propre, c’est-à-dire différente de leurs frères et soeurs. Frères et soeurs peuvent remplir des figures de double protecteur pour l’identité et, conjointement, le sujet peut s’appuyer sur l’expérience de ses frères et soeurs et s’en dégager, allant à la recherche de nouveaux modèles d’identification et de groupes d’affiliations. Le sujet peut même avoir besoin de l’étayage offert par la fratrie comme environnement vis-à-vis duquel il peut s’opposer pour s’affirmer. Nous faisons l’hypothèse que la mise en jeu des compromis identitaires dans la sphère relationnelle fraternelle de façon répétée peut participer à la négociation identitaire des jeunes immigrants par les processus d’identification et de différenciation.

Par ailleurs, la position d’immigrant implique d’arriver dans un espace qui existait avant soi. Ce phénomène parait d’autant plus visible pour les fratries qui sont arrivées par ordre des naissances, où quelque chose de l’ordre de trouver sa place, sa singularité dans le groupe se répète, ce qui pourrait s’apparenter à une nouvelle naissance avec la différence fondamentale qui est la suivante : le sujet n’arrive pas à neuf, mais avec son expérience passée, l’histoire de ses relations familiales ancrées en lui. Les premiers temps de l’immigration impliquent souvent une immersion, où le sujet peut parfois être dans une position passive d’apprentissage, où il « met en lui » (langue, éléments culturels, nouveaux modes de vie…). Nous faisons l’hypothèse, à partir des récits des participants, qu’il est progressivement nécessaire de faire l’expérience d’une position active, avec le sentiment d’être créateur de ce qui lui arrive, de devenir acteur et de se réapproprier quelque chose favorisant l’aménagement identitaire, que ce soit par le biais de la diffusion de concerts, de la création artistique, de l’aide apportée aux nouveaux immigrants. Nous faisons ici le parallèle avec la pensée de Winnicott (1975) à propos du passage de la dépendance absolue à l’indépendance relative dans le développement du sujet et lors de la transition à l’adolescence, dans laquelle l'adolescent va recréer, avec la société, une aire transitionnelle et va tenter de se sentir réel dans la société élargie. C’est aussi l’occasion, dans le cas des jeunes immigrants, de s’approprier leur parcours, d’en faire quelque chose de créatif ou qui pourrait contribuer à soutenir d’autres immigrants. L’espace fraternel pourrait être conçu comme une surface de jeu, d’échange des apprentissages où les éléments appris peuvent être repris, élaborés, questionnés. Il pourrait favoriser une mise au dehors et, par la même, une répétition des enjeux identitaires posés par l’immigration ainsi que des tentatives de résolution, de compromis qui participent à l’appropriation subjective, à devenir acteur dans ce processus.

Cette étude propose des éléments de compréhension visant à nourrir la clinique sur des phénomènes complexes reliant trajectoire migratoire individuelle et familiale, relations fraternelles et construction de soi. Elle vise à donner du sens, à articuler les implications du lien fraternel dans la construction identitaire en contexte d’immigration. Des études portant spécifiquement sur le phénomène des fratries immigrant seules, permettant de cibler plus spécifiquement les ressources et les zones de vulnérabilités de cette population, pourraient constituer des prolongements intéressants de ce travail et contribuer à mieux ajuster les interventions avec une meilleure compréhension du phénomène. Cette étude révèle parfois, à travers les récits des participants, des situations de souffrance familiale et individuelle parfois bloquées, qui pourraient bénéficier d’intervention familiale ciblée.

Enfin, les résultats de cette recherche doivent être pris avec prudence. Ils ne visent en aucun cas à tirer un portrait généralisateur du phénomène étudié. Ils sont issus d’une méthodologie qualitative qui porte sur l’expérience particulière d’un petit groupe de sujets dans un contexte donné. La grande diversité à l’intérieur de l’échantillon et la nature exploratoire de l’étude amènent une richesse dans l’analyse, mais ont pu parfois générer des difficultés à relier les expériences des participants entre elles, à voir ce qu’elles pouvaient avoir de commun sans trop réduire l’expérience particulière de chacun. Des études ayant un échantillon plus large mais ciblé, portant par exemple sur les fratries immigrantes d’une région du monde en particulier, pourraient faire apparaître de façon plus spécifique les enjeux culturels reliés à la négociation identitaire rencontrés par ces populations et proposer des pistes d’intervention plus ciblées.