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INTRODUCTION

Les troubles des conduites alimentaires sont des problèmes de santé mentale dont les prévalences sont estimées entre 1 et 3 % en Amérique du Nord (Galmiche et al., 2019). Leurs premiers symptômes apparaissent généralement à l’adolescence, une période caractérisée par des changements neurodéveloppementaux majeurs (Casey et al., 2019; Giedd et al., 1999). Or, un manque de données probantes concerne les mécanismes neurobiologiques sous-jacents, soulignant un besoin flagrant de plus de recherche (Frank et al., 2019; Yilmaz et al., 2015). Plusieurs facteurs sont susceptibles d’être impliqués dans le risque de développer un trouble des conduites alimentaires, dont la génétique, mais également l’environnement dans lequel l’individu se développe (p. ex., environnement obésogène, traumatismes dans l’enfance, intimidation, utilisation des réseaux sociaux) (Aparicio-Martinez et al., 2019; Steiger et Booij, 2020; Vidaña et al., 2020). Dans ce contexte, les mécanismes épigénétiques sont très intéressants à étudier, puisqu’ils témoignent de l’interaction entre les gènes et l’environnement (Bianco-Miotto et al., 2017; Campbell et al., 2011; Szyf, 2015). Les marques épigénétiques sont particulièrement sensibles à l’environnement, tôt dans la vie (Booij, Tremblay, et al., 2015; Gluckman et al., 2010; Steiger et Booij, 2020). En accord avec les théories récentes sur le développement des psychopathologies, une hypothèse plausible est que de tels changements épigénétiques puissent être initiés par différentes formes d’adversité, influençant le développement du cerveau et modifiant la vulnérabilité d’un individu face aux troubles des conduites alimentaires (Booij et Steiger, 2020; Gluckman et al., 2010; Hochberg et al., 2011; Hoffmann et al., 2017). Ces changements neurodéveloppementaux seraient possiblement observables plus tard dans la vie, par des études de neuro-imagerie (Casey et al., 2017).

L’objectif de cette revue narrative est de rassembler les évidences neurobiologiques récentes, en termes de neuro-imagerie et d’épigénétique, concernant les troubles des conduites alimentaires. Cette revue se veut non-exhaustive, comme elle vise principalement à faire connaître de nouveaux domaines de recherche à la frontière entre la psychologique et la santé, en résumant l’état des connaissances actuelles. Les articles d’intérêts ont été sélectionnés à partir de la base de données internationale Pubmed, classiquement utilisée en sciences de la santé et en psychologie, entre mars et octobre 2020. Dans le futur, les connaissances générées par les études en neurobiologie aideront à mieux comprendre pourquoi certaines personnes développent un trouble des conduites alimentaires. Cela offre la promesse d’avancées cliniques importantes dans les années à venir. Par exemple, les travaux en neuro-imagerie et en épigénétique aideront à guider la recherche future, ce qui pourrait mener à la découverte de nouveaux marqueurs cliniques.

L’ANOREXIE MENTALE, LA BOULIMIE ET L’ACCÈS HYPERPHAGIQUE

Les troubles des conduites alimentaires sont des psychopathologies incluant des atteintes psychologiques et physiques. L’anorexie mentale, la boulimie et l’accès hyperphagique sont généralement les plus connus, tant parmi le grand public que dans la littérature scientifique (American Psychiatric Association, 2013).

Dans l’anorexie mentale, les personnes présentent une restriction de leurs apports énergétiques conduisant à un poids significativement trop bas. Chez ces individus, la perception du poids ou la perception de la forme du corps est altérée. Deux types d’anorexie mentale existent: le type restrictif et le type accès hyperphagique/purgatif (American Psychiatric Association, 2013). Dans le type restrictif, la personne maintient un poids significativement trop bas pendant au moins trois mois en restreignant ce qu’elle mange, en jeûnant et/ou en utilisant le surentraînement (American Psychiatric Association, 2013). Dans le type accès hyperphagique/purgatif, la personne maintient un poids significativement trop bas pendant au moins trois mois, mais présente aussi des crises récurrentes d’accès hyperphagique (ou crises de gloutonnerie) et/ou a recours à des comportements compensatoires (American Psychiatric Association, 2013). Ceux-ci incluent des vomissements auto-induits et l’utilisation inappropriée de laxatifs, de diurétiques ou de lavements. Il faut noter que certaines personnes ayant ce sous-type d’anorexie mentale, peuvent présenter exclusivement des comportements compensatoires, sans accès hyperphagiques.

La boulimie est caractérisée par des épisodes fréquents d’accès hyperphagiques accompagnés de comportements compensatoires inappropriés visant à prévenir la prise de poids (American Psychiatric Association, 2013; Fairburn et Harrison, 2003). Pour poser un diagnostic, les crises hyperphagiques et les comportements compensatoires doivent survenir tous les deux au moins une fois par semaine pendant au moins trois mois. Les individus atteints de boulimie sont de poids normal ou en surpoids (c.-à-d., leur poids n’est pas significativement trop bas comme dans l’anorexie mentale de type purgatif) (American Psychiatric Association, 2013).

Enfin, l’accès hyperphagique implique des crises récurrentes d’accès hyperphagiques survenant au moins une fois par semaine pendant au moins trois mois et qui sont accompagnées d’une détresse marquée (American Psychiatric Association, 2013). Les personnes atteintes d’accès hyperphagique n’ont pas recours régulièrement à des comportements compensatoires inappropriés (American Psychiatric Association, 2013). Plusieurs personnes ayant un diagnostic d’accès hyperphagique sont en surpoids ou obèse, mais ce n’est pas toujours le cas (He et al., 2017).

Un aspect important de la classification du DSM-5 pour ces trois troubles des conduites alimentaires est qu’ils sont mutuellement exclusifs (American Psychiatric Association, 2013). Ainsi, une personne ne peut pas avoir plusieurs diagnostics de troubles des conduites alimentaires à un même moment. Toutefois, bien que ce ne soit pas fréquent, le diagnostic peut changer au fil du temps (American Psychiatric Association, 2013; Fichter et al., 2017; Schaumberg et al., 2019). Par exemple, une personne atteinte de boulimie pourrait faire des aller-retour vers l’anorexie mentale, ou encore migrer vers un diagnostic d’accès hyperphagique (American Psychiatric Association, 2013). Cela souligne le besoin de soutien psychologique et d’interventions qui ne visent pas seulement la suppression des comportements alimentaires inappropriés ou le retour à un poids normal.

Les pensées reliées à la nourriture, au poids et à l’image corporelle peuvent générer de la détresse chez les individus atteints d’un trouble des conduites alimentaires (American Psychiatric Association, 2013). Ces pensées génèrent de la détresse chez les individus atteints. Les taux de suicide sont d’ailleurs parmi les plus élevés de toutes les conditions psychiatriques chez les individus présentant un trouble des conduites alimentaires (Chesney et al., 2014). En particulier, une étude britannique récente estime la prévalence des tentatives suicidaires graves (c.-à-d., nécessitant l’hospitalisation) à 6,8 % chez les individus ayant un diagnostic de trouble des conduites alimentaires (Cliffe et al., 2020). Sur le long terme, les taux de rémission de ces conditions sont très inquiétants : ils seraient inférieurs à 50 % chez les individus présentant des cas sévères d’anorexie mentale ou de boulimie (van Hoeken et Hoek, 2020).

DES PROBLÈMES DE SANTÉ MULTI-SYSTÉMIQUES

Dans un autre ordre d’idées, les conséquences des troubles des conduites alimentaires n’affectent pas seulement le bien-être psychologique ou la masse corporelle des individus qui en sont atteints. Dans l’anorexie mentale, la malnutrition prolongée affecte tout le corps. Elle peut mener à des changements parfois irréversibles dans la densité osseuse, ou encore dans la structure et le fonctionnement du cerveau (American Psychiatric Association, 2013; Brownell et Walsh, 2017). À l’opposé, une conséquence fréquente de l’accès hyperphagique est l’obésité, qui prédispose à plusieurs maladies chroniques (American Psychiatric Association, 2013; Brownell et Walsh, 2017).

Récemment, un lien entre les troubles alimentaires, l’obésité, la régulation de l’appétit et le métabolisme énergétique a été proposé (Duncan et al., 2017; Hussain et al., 2019; Steiger et Booij, 2020; Watson et al., 2019). On entend par métabolisme énergétique, le système qui gère l’énergie dans tout le corps et permet de l'emmagasiner sous forme de graisse, ou de l’utiliser en cas de besoin. Le métabolisme énergétique est souvent dérégulé dans l’obésité. Par exemple, l’obésité est souvent associée à des changements dans les concentrations lipidiques sanguines (Jung et Choi, 2014; Rui, 2013). Dans les troubles des conduites alimentaires, et plus particulièrement dans l’anorexie mentale, on retrouve aussi des changements métaboliques (Duncan et al., 2017; Hussain et al., 2019; Steiger et Booij, 2020; Watson et al., 2019). Par exemple, selon une méta-analyse récente incluant 48 études, les concentrations lipidiques seraient plus élevées dans l’anorexie mentale comparativement à des contrôles sains (Hussain et al., 2019). Cela porte à croire que les étiologies des troubles des conduites alimentaires et de l’obésité pourraient être davantage reliées qu’on le croyait auparavant, et ce, possiblement par l’entremise du métabolisme énergétique (Duncan et al., 2017; Steiger et Booij, 2020; Watson et al., 2019).

Le système immunitaire serait aussi impliqué dans les troubles des conduites alimentaires (Duncan et al., 2017; Hedman et al., 2019; Watson et al., 2019; Zerwas et al., 2017). Des études récentes suggèrent que les individus ayant une maladie auto-immune (ou une histoire familiale de telle maladie) sont plus à risque de trouble des conduites alimentaires (Hedman et al., 2019; Steiger et Booij, 2020; Zerwas et al., 2017). Une hypothèse à ce sujet est que certains désordres immunitaires affectent les structures cérébrales régulant l’appétit (ex., hypothalamus), menant à une perte de poids favorisant l’apparition de symptômes de trouble des conduites alimentaires (Zerwas et al., 2017). Les individus atteints de troubles des conduites alimentaires sont aussi plus à risque de maladies auto-immunes, ce qui suggère une relation bidirectionnelle entre les troubles des conduites alimentaires et certaines maladies auto-immunes (Hedman et al., 2019; Zerwas et al., 2017).

Enfin, il est possible que d’autres mécanismes qui ne sont pas encore identifiés puissent intervenir dans la relation entre les troubles des conduites alimentaires, l’obésité, le métabolisme énergétique et le système immunitaire. D’autres études seront donc nécessaires pour mieux comprendre ces phénomènes et déterminer si les différences observées sont impliquées dans le développement de troubles des conduites alimentaires, ou s’ils en sont uniquement des conséquences. Le fait de clarifier cette relation permettra de mieux comprendre les facteurs biologiques impliqués dans le développement des troubles des conduites alimentaires. Pour l’instant, il semble que cette origine ne soit pas exclusivement en lien avec l’adversité psychosociale, mais également avec une vulnérabilité biologique.

LE DÉVELOPPEMENT DU CERVEAU DANS LES TROUBLES DES CONDUITES ALIMENTAIRES

Le cerveau a un rôle central dans la régulation des émotions et du comportement humain, dont le comportement alimentaire (Rui, 2013; Volkow et al., 2011). Cela implique de nombreuses régions cérébrales, dont l’hypothalamus (le principal régulateur de l’homéostasie corporelle, qui reçoit de l’information sur l’état nutritionnel), mais aussi le cortex limbique (le système responsable des émotions, incluant celles qui motivent l’humain à se nourrir, comme le plaisir) (Rui, 2013; Steward et al., 2018). Durant le développement foetal ou tôt dans l’enfance, des altérations neurodéveloppementales peuvent survenir en réponse à l’adversité (p. ex., problèmes de santé maternels durant la grossesse, restrictions de croissance intra-utérines, expériences psychosociales négatives durant l’enfance) (Booij, Tremblay et al., 2015; O’Donnell et Meaney, 2017; Rivera et al., 2015). Ces altérations développementales se répercutent possiblement sur la structure et le fonctionnement du cerveau à plus long terme, modifiant la vulnérabilité d’un individu face aux troubles des conduites alimentaires. Cela doit toutefois être étudié davantage.

DES CHANGEMENTS DANS LA STRUCTURE DU CERVEAU

À ce sujet, les avancées en neuro-imagerie permettent désormais d’étudier la structure et le fonctionnement du cerveau plus efficacement (Frank, 2012; Frank et al., 2019). Cela a permis de constater une diminution significative du volume du cerveau chez les individus présentant une anorexie mentale comparativement à des individus sains (King et al., 2018; Seitz et al., 2016; Zhang et al., 2018). Par exemple, selon une méta-analyse synthétisant 22 études d’imagerie par résonance magnétique (IRM), incluant au total 463 participantes ayant un diagnostic d’anorexie mentale et 450 contrôles, ces réductions de volume seraient de 4,6 % pour la matière grise et 2,7 % pour la matière blanche (Seitz et al., 2016). Cette méta-analyse a également révélé une augmentation de 14,2 % du volume de liquide cérébrospinal chez les individus atteints d’anorexie mentale (Seitz et al., 2016). Parmi les régions précises dont le volume est constamment trouvé comme étant diminué dans l’anorexie mentale, on retrouve le cortex cingulaire moyen (une structure cérébrale importante dans la réponse émotionnelle), ainsi que le précuneus et le cortex cingulaire postérieur (tous deux impliqués dans la conscience de soi) (Zhang et al., 2018). Certains travaux comparant des adolescents ou des adultes à différents stades de la maladie avec des contrôles sains suggèrent que ces changements pourraient être différents selon l’âge de l’individu, mais aussi réversibles, du moins en partie, avec la reprise de poids (Frank, 2019; Frank et al., 2019; Kaufmann et al., 2020; King et al., 2018; Seitz et al., 2016). Des études dans des modèles animaux et sur des cerveaux humains post-mortem suggèrent aussi des différences dans la morphologie et le nombre de neurones et de cellules gliales en lien avec le diagnostic d’anorexie mentale (Frank et al., 2019; Frintrop et al., 2019; King et al., 2018). Ces différents modèles offrent une opportunité hors du commun pour étudier les traits neurobiologiques sous-jacents, ou les conséquences que peut avoir l’anorexie mentale. En étudiant davantage ces différences cérébrales et leur temporalité, il sera possible de déterminer si les changements cérébraux observés reflètent une dégénérescence de certaines fonctions cérébrales selon la gravité de la condition. Si tel est le cas, ces connaissances pourraient être grandement utiles pour assurer un suivi approprié des personnes atteintes. Si, au contraire, ces différences cérébrales sont présentes avant l’apparition de l’anorexie mentale, elles reflètent possiblement une vulnérabilité biologique. Le fait d’identifier des marqueurs cérébraux associés à cette vulnérabilité offrirait les connaissances de base pour stimuler la recherche visant le développement de stratégies préventives, afin de mieux accompagner les individus les plus à risque, et ce, plus rapidement.

Les évidences en neuro-imagerie concernant la boulimie sont, pour leur part, moins nombreuses. La boulimie est associée à une épaisseur corticale diminuée, particulièrement au niveau frontal, pariétal et cingulaire (Frank, 2019). Cliniquement, ces changements seraient associés à la fréquence des épisodes hyperphagiques et des comportements compensatoires (Frank, 2019). Ainsi, il semble que les différences cérébrales associées aux troubles des conduites alimentaires aillent au-delà des conséquences de la malnutrition observée dans l’anorexie mentale.

LA COMMUNICATION À TRAVERS LE CERVEAU

La communication entre les régions du cerveau, dont celles régulant les émotions, l’appétit, la conscience de soi ou le contrôle cognitif, peut également être étudiée grâce aux méthodes de neuro-imagerie (Boehm et al., 2020; Cowdrey et al., 2014; Gaudio et al., 2016, 2019; King et al., 2018; Mansur et al., 2018). Par exemple, l’IRM de diffusion permet d’étudier la connectivité de la matière blanche, qui serait altérée dans plusieurs régions cérébrales, chez les individus ayant un diagnostic d’anorexie mentale (Frank, 2019). Ces régions comprennent le cingulum et le fornix (des acteurs importants du système limbique) ainsi que le corps calleux (qui permet la transmission de l’information entre les deux hémisphères cérébraux) (Barona et al., 2019; Gaudio et al., 2019; King et al., 2018). Cela suggère que la transmission d’informations à travers le cerveau pourrait être altérée, et ainsi modifier la réponse au traitement dans certains troubles des conduites alimentaires (Barona et al., 2019; Gaudio et al., 2019; King et al., 2018). Les études d’IRM de diffusion pourraient aussi aider à mieux comprendre les mécanismes neurobiologiques liés à certains symptômes, dont la perception altérée de la forme du corps et de l’image corporelle, qui implique la communication entre plusieurs structures cérébrales (Barona et al., 2019; Gaudio et al., 2019). Ces découvertes en neuro-imagerie pourraient alors aider à préciser les interventions selon la physiopathologie des troubles des conduites alimentaires.

Un nombre plus limité d’études d’IRM de diffusion ont été réalisées chez les individus atteints de boulimie comparativement à des individus sains. Ces études suggèrent la présence d’altérations dans la connectivité de la matière blanche dans le cerveau des personnes atteintes de boulimie (Gaudio et al., 2019). Tel que mentionné précédemment, ces différences peuvent avoir plusieurs répercussions qui ne sont pas totalement bien comprises pour l’instant, d’où l’importance de poursuivre la recherche dans ce domaine (Gaudio et al., 2019).

Une autre technique de neuro-imagerie dans l’étude des troubles des conduites alimentaires est l’IRM fonctionnelle, qui permet de mesurer l’activité cérébrale de différentes régions en temps réel. Dans les troubles des conduites alimentaires, ces études se sont principalement concentrées sur le réseau cérébral de saillance (un système cérébral qui détermine les stimuli dignes d’attention) et le réseau cérébral de contrôle exécutif (qui permet le traitement de tâches cognitives complexes), et ce, lorsque le cerveau est « au repos ». Les études d’IRM fonctionnelle ont permis d’identifier des différences dans la connectivité de ces réseaux cérébraux chez des personnes ayant un diagnostic (ou étant rétablies) d’anorexie mentale, comparativement à des personnes en santé (Boehm et al., 2020; Cowdrey et al., 2014; Frank et al., 2019; Gaudio et al., 2016). Ainsi, les systèmes permettant le traitement des émotions, mais aussi la régulation de tâches cognitives complexes, seraient potentiellement altérés chez les personnes atteintes d’anorexie mentale, ce qui pourrait aider à expliquer certains symptômes (p. ex., altération de la perception de la forme du corps, changement dans le contrôle cognitif) (Boehm et al., 2020; Cowdrey et al., 2014; Gaudio et al., 2016).

LA NEUROTRANSMISSION DANS LES TROUBLES DES CONDUITES ALIMENTAIRES

Enfin, d’autres techniques comme la tomographie par émission de positrons (TEP) ou la tomographie par émission monophotonique (TEMP) permettent d’étudier la distribution des récepteurs de différents neurotransmetteurs dans le cerveau in vivo (Frank et al., 2019; Gianni et al., 2020). À ce sujet, deux neurotransmetteurs largement étudiés dans les troubles des conduites alimentaires sont la dopamine et la sérotonine (Brownell et Walsh, 2017). Entre autres, la dopamine et la sérotonine sont impliquées dans la régulation et le traitement des émotions, mais influencent également l’appétit et les comportements motivés par la récompense. Les études de TEP et de TEMP suggèrent des changements dans ces systèmes de neurotransmissions, dont certains pourraient être plus stables que d’autres à travers les stades des troubles des conduites alimentaires. Par exemple, la liaison au récepteur-2A de la sérotonine serait normale dans l’anorexie mentale en phase aigüe, mais diminuée après la rémission (Frank et al., 2019; Gianni et al., 2020). Au contraire, pour le récepteur-1A, il y aurait une augmentation de la liaison de la sérotonine dans l’anorexie mentale, tant en phase aigüe qu’en rémission, cette dernière observation étant aussi vraie dans la boulimie (Frank et al., 2019; Gianni et al., 2020). Ces résultats supportent l’importance de la sérotonine dans les troubles des conduites alimentaires, faisant d’elle une potentielle candidate pour devenir un marqueur clinique dans ces conditions (Gianni et al., 2020). La sérotonine a d’ailleurs été associée à des symptômes précis dans l’anorexie mentale, dont les altérations de la perception du corps et de la forme (Riva, 2016). Puisqu’il semble y avoir certaines similarités et différences entre les types de troubles des conduites alimentaires, les altérations sérotoninergiques pourraient peut-être contribuer à l’amélioration de la classification de ces diagnostics (Gianni et al., 2020).

Dans la boulimie, une diminution de la libération de la dopamine a été associée avec la fréquence des épisodes hyperphagiques (Frank et al., 2019; Gianni et al., 2020). Cela appuie l’hypothèse selon laquelle les mécanismes neurobiologiques associés aux épisodes hyperphagiques présentent certaines similarités avec les mécanismes neurobiologiques observés dans les addictions (Gianni et al., 2020). Cela offre une nouvelle perspective pour guider la recherche visant à développer des interventions basées sur la neurobiologie auprès d’individus atteints de boulimie. Par exemple, ce chevauchement neurobiologique permet de se demander si certains traitements utilisés chez les personnes avec un diagnostic d’abus de substance pourraient être applicables et efficaces auprès de personnes atteintes de boulimie. Cela pourrait également offrir une piste pour mieux comprendre la comorbidité bien documentée entre certains troubles des conduites alimentaires et l’abus de substance (Fouladi et al., 2015).

Par ailleurs, les changements dopaminergiques observées auprès d’individus atteints de boulimie suggèrent un lien cérébral entre les troubles des conduites alimentaires et l’obésité, dans laquelle l’activité dopaminergique est aussi altérée (Brownell et Walsh, 2017; Frank, 2012; Mansur et al., 2018; Volkow et al., 2011). En effet, les individus atteints d’obésité présentent des changements dopaminergiques possiblement similaires à ceux observés dans les addictions (Chen et al., 2018; Wang et al., 2001, 2009). Ces résultats soulèvent plusieurs questions en lien avec les troubles des conduites alimentaires. Par exemple, est-il possible que les mêmes systèmes cérébraux soient altérés dans toutes ces conditions, mais que ces altérations soient associées à différentes prédispositions biologiques?

Bien que ces résultats permettent de se poser des questions qui aideront à aller de l’avant, les études de neuro- imagerie demeurent peu nombreuses dans le domaine des troubles des conduites alimentaires et les résultats relativement variables en raison des tailles d’échantillons souvent faibles et des différences dans les méthodologies utilisées, entre autres (Frank, 2019; Gianni et al., 2020; King et al., 2018). L’origine des différences cérébrales observées dans les troubles des conduites alimentaires n’est pour l’instant pas bien comprise et il n’est pas clair si celles-ci sont présentes avant l’apparition de la condition ou si elles en sont la conséquence, ni quelle proportion des changements cérébraux est explicable par d’autres facteurs (p. ex. par la malnutrition dans le cas de l’anorexie mentale). En somme, davantage d’études sont nécessaires (Barona et al., 2019; Frank, 2019; Frank et al., 2019; Gaudio et al., 2016, 2019; Gianni et al., 2020; King et al., 2018). Pour l’instant, les études de neuro-imagerie portent tout de même à croire que certains mécanismes seraient similaires entre l’anorexie mentale, la boulimie, et peut-être même l’obésité, tandis que d’autres seraient distincts. Ces différences pourraient éventuellement permettre de classifier plus précisément les troubles des conduites alimentaires les uns par rapport aux autres, mais aussi par rapport à d’autres conditions. De plus, comme certains changements cérébraux présentés ont été corrélés avec des symptômes clés dans les troubles des conduites alimentaires, ils pourraient guider les recherches futures pour identifier des voies cérébrales sur lesquels agir, afin d’identifier des traitements plus efficaces et précis, ou encore dans le but de mesurer l’efficacité des interventions. Un jour, il sera peut-être possible d’utiliser ces nouvelles connaissances en clinique grâce à l’avancement des technologies.

L’INFLUENCE DES GÈNES

Un autre élément qui aidera possiblement à mieux comprendre les troubles des conduites alimentaires est la génétique. Brièvement, l’information génétique d’un individu est comprise dans l’ADN, qui est composé des quatre bases nucléiques (c.-à-d., arginine (A), thymine (T), guanine (G) et cytosine (C)). Les gènes sont des sections d’ADN qui peuvent être transcrits pour produire des protéines. Les gènes et les protéines qu’ils produisent remplissent des fonctions très variées. Certains d’entre eux régulent le développement et le fonctionnement du cerveau. Ainsi, étudier ces gènes pourrait permettre de mieux comprendre la vulnérabilité génétique associée aux troubles des conduites alimentaires. Par ailleurs, l’existence de polymorphismes, des variations normales et fréquentes (c.-à-d., généralement présentes chez >1 % de la population) dans les lettres qui forment l’ADN, permet à chaque individu d’avoir un code génétique qui lui est unique (Brookes, 1999). Par exemple, certains individus ont la lettre A à un endroit précis de leur code génétique, tandis que d’autres ont la lettre G à cette même position.

Souvent, les polymorphismes n’ont pas d’effet observable sur la santé, ils sont simplement le reflet de la grande diversité génétique humaine. Toutefois, dans les dernières années, des polymorphismes précis ont été associés aux troubles des conduites alimentaires, dont l’héritabilité est estimée entre 32 et 76 % pour l’anorexie mentale, 28 et 83 % pour la boulimie et 39 et 45 % pour l’accès hyperphagique (Duncan et al., 2017; Steiger et Booij, 2020; Watson et al., 2019). Dans une visée plurifactorielle, les polymorphismes ne sont pas une cause unique, mais ils peuvent augmenter le risque de développer un trouble des conduites alimentaires au cours de la vie. Plusieurs de ces polymorphismes se trouvent dans des gènes codant pour des protéines qui jouent un rôle dans le cerveau, alors que d’autres ont des fonctions encore plus variées (Duncan et al., 2017; Müller et al., 2012; Watson et al., 2019).

DES ÉTUDES À TRAVERS LE GÉNOME

Les études génétiques qui ont étudié des milliers de sites polymorphiques à travers le code génétique (c.-à-d., utilisant une approche pangénomique, souvent appelée « GWAS ») soutiennent l’importance du métabolisme énergétique et du système immunitaire dans l’anorexie mentale (Duncan et al., 2017; Müller et al., 2012; Steiger et Booij, 2020; Watson et al., 2019). Dans une large étude incluant près de 4 000 participants avec anorexie mentale et 11 000 contrôles en santé, le site le plus fortement associé à l’anorexie mentale était d’ailleurs lié au diabète de type 1 (Duncan et al., 2017). De façon intéressante, le diabète de type 1 est une maladie métabolique dans laquelle le risque de troubles des conduites alimentaires est augmenté comparativement à la population générale, sans que l’on comprenne très bien pourquoi (Hedman et al., 2019; Winston, 2020; Zerwas et al., 2017). Selon une deuxième étude pangénomique du même groupe, l’anorexie mentale est inversement corrélée génétiquement au pourcentage de masse grasse, à l’indice de masse corporel (IMC), à l’embonpoint et l’obésité (Watson et al., 2019). Une corrélation génétique inverse est également observée entre l’anorexie mentale et des marqueurs métaboliques comme l’insuline (et la résistance à l’insuline) et la leptine, entre autres (Watson et al., 2019). Cela signifie que les gènes augmentant la vulnérabilité face à l’anorexie mentale augmenteraient aussi le risque d’avoir un IMC plus faible ou diminueraient le risque d’embonpoint, par exemple.

LES ÉTUDES PAR GÈNES CANDIDATS

Parallèlement, d’autres études se sont aussi intéressées à des gènes spécifiques et leurs associations avec le risque de trouble des conduites alimentaires, utilisant une approche par gène candidat (Trace et al., 2013). Contrairement aux approches pangénomiques qui s’intéressent aux polymorphismes à travers le génome, les études par gènes candidats sélectionnent à priori un ou quelques gènes d’intérêts. Ces choix se basent généralement sur la littérature antérieure ainsi que sur les connaissances sur les fonctions de ces gènes. Un exemple d’étude par gène candidat dans les troubles des conduites alimentaires concerne un polymorphisme dans le gène « fat mass and obesity-associated protein » (FTO), le gène le plus constamment associé à l’obésité polygénique, qui a été corrélé positivement au risque de boulimie et d’anorexie mentale (Müller et al., 2012). Les individus ayant une variation génétique à un endroit précis dans ce gène ont donc un risque plus élevé de boulimie et possiblement d’anorexie mentale, que ceux n’ayant pas ce variant (Müller et al., 2012). D’autres auteurs se sont plutôt intéressés à la relation génétique entre les troubles des conduites alimentaires et des gènes codant pour des neurotransmetteurs, comme la sérotonine (p. ex., HTR2A, 5-HTTLPR), la dopamine (p. ex., DRD2, DRD4, COMT), ou encore pour des hormones impliquées dans les comportements alimentaires, comme la ghréline ou la leptine, trouvant des évidences d’association dans certains cas, mais pas toujours (Quinton et al., 2004; Trace et al., 2013). Les études par gènes candidats comprennent certaines limites, particulièrement car elles sont basées sur des hypothèses à priori et que leurs tailles d’échantillons sont généralement petites, amenant des résultats souvent difficiles à répliquer et difficilement transférables cliniquement – du moins pour le moment (Steiger et Booij, 2020). Les technologies et méthodes statistiques évoluant très rapidement en génétique, il sera peut-être possible d’outrepasser ces limites très prochainement. Cela faciliterait la recherche dans ce domaine prometteur dans le but de mieux comprendre les origines génétiques des troubles des conduites alimentaires. Jusqu’à maintenant, les études génétiques existantes suggèrent que plusieurs variants peuvent affecter le risque de trouble des conduites alimentaires. Elles supportent également que la physiopathologie des troubles des conduites alimentaires va bien au-delà du cerveau, ce qui représente déjà un pas important vers leur meilleure compréhension.

L’ÉPIGÉNÉTIQUE : UN LIEN ENTRE LES GÈNES ET L’ENVIRONNEMENT

De son côté, l’épigénétique permet l’interaction entre les gènes et l’environnement (Szyf, 2015). Par exemple, des modifications épigénétiques pourraient survenir suite à l’exposition d’un foetus au tabac, à l’alcool, à la malnutrition ou à des conditions métaboliques maternelles durant la grossesse (p. ex., diabète gestationnel, hypertension) (Booij, Tremblay et al., 2015; Gagné-Ouellet et al., 2020; Szyf, 2015). Il existe plusieurs mécanismes épigénétiques. L’un d’entre eux est la méthylation de l’ADN, qui consiste en l’ajout d’une molécule, un groupement méthyle, sur une cytosine (c.-à-d., la lettre « C » de l’ADN) (Szyf, 2015). La méthylation de l’ADN est une marque observable sur l’ADN, qu’il est possible de comparer à un post-it que l’on apposerait dans un livre de recettes : la méthylation de l’ADN ne modifie pas directement l’information qui se trouve dans le livre comme les polymorphismes génétiques, mais elle en modifie l’interprétation. C’est donc une information additionnelle qui complète l’information fournie par l’ADN. Fonctionnellement, la méthylation de l’ADN influence la quantité de protéines produites en modifiant la façon dont l’ADN est lu (Szyf, 2015). Concrètement, lorsque l’on mesure les niveaux de méthylation dans un échantillon (souvent de sang, de cellules buccales ou de salive), on obtient un pourcentage de méthylation, ce qui permet, par exemple, de comparer les individus entre eux (Szyf, 2015). Ces marques épigénétiques sont un sujet d’étude intéressant, puisqu’elles sont influencées par l’environnement. Une hypothèse est qu’elles pourraient faire le lien entre l’adversité tôt dans le développement, la croissance et le fonctionnement du cerveau, ainsi que le risque de psychopathologies à plus long terme (Booij, Tremblay, et al., 2015; Szyf, 2015; Wheater et al., 2020). Par exemple, des changements dans les niveaux de méthylation de l’ADN pourraient survenir dans des gènes impliqués dans les fonctions de la dopamine ou de la sérotonine, ou encore des gènes liés au métabolisme et au comportement alimentaire comme celui de la leptine, affectant le risque de trouble des conduites alimentaire ou d’obésité (Boehm et al., 2020; Booij, Tremblay, et al., 2015; Frodl et al., 2015; Gagné-Ouellet et al., 2020; Neyazi et al., 2019). Des études à ce sujet ont vu le jour dans les dernières années et seront abordées dans la section suivante.

UN FUTUR MARQUEUR DANS LES TROUBLES DES CONDUITES ALIMENTAIRES?

Les niveaux de méthylation de l’ADN varient en fonction de chaque tissu, il est donc difficile de savoir avec certitude si ceux mesurés à partir d’échantillons obtenus en périphérie (p. ex., sang, salive) reflètent bien ce qui se passe dans le cerveau (Booij et Steiger, 2020). À ce sujet, plusieurs études ont été conduites chez des animaux, dans des tissus cérébraux post-mortem, ou en combinant des données d’imagerie cérébrale humaine avec les niveaux de méthylation de l’ADN mesurés en périphérie (Booij et Steiger, 2020). Ces travaux antérieurs pointent vers l’utilité et la validité d’utiliser de tels tissus lorsque l’on étudie la méthylation de l’ADN en psychiatrie (Booij et Steiger, 2020). Cela est d’autant plus intéressant lorsque l’on étudie les troubles des conduites alimentaires, puisque ceux-ci ont un impact sur la santé bien au-delà du cerveau. Plusieurs équipes de recherche se sont intéressées à la méthylation de l’ADN dans les dernières années et ont observé des différences en comparant des personnes atteintes d’anorexie mentale ou de boulimie à d’autres individus en santé (Booij, Casey, et al., 2015; Kesselmeier et al., 2018; Neyazi et al., 2019; Steiger et al., 2019). Certains de ces travaux permettent même d’envisager que les différences de méthylation de l’ADN puissent s’atténuer lorsque les personnes vivant avec l’anorexie mentale regagnent du poids (Neyazi et al., 2019; Steiger et al., 2019), bien qu’encore une fois, davantage d’études seront nécessaires pour s’en assurer. Comme pour les études génétiques, deux principales approches sont possibles pour analyser des données de méthylation de l’ADN : les approches par gènes candidats (c.-à-d., étude de certains gènes précis selon des hypothèses à priori) et les approches pangénomiques (c.-à-d., étude de milliers de sites à travers le génome dans des gènes et des régions régulatrices) (Steiger et Booij, 2020). L’approche par gènes candidats en épigénétique offre des limitations similaires qu’en génétique, dont le fait que les résultats sont hétérogènes et difficiles à répliquer. Les gènes candidats étudiés dans les troubles des conduites alimentaires se chevauchent entre les études génétiques et épigénétiques : on retrouve dans la littérature plusieurs gènes impliqués dans les voies de la dopamine, de la sérotonine et de la leptine, entre autres (Boehm et al., 2020; Booij et Steiger, 2020; Neyazi et al., 2019). Un avantage des études par gènes candidats est qu’elles nécessitent moins de puissance statistique que les études pangénomiques, ce qui permet d’étudier, chez les mêmes sujets, la relation entre l’adversité environnementale (p. ex., stress, adversité durant la grossesse), les niveaux de méthylation de l’ADN et des marqueurs d’intérêts, comme l’IMC, l’adiposité ou les symptômes de trouble des conduites alimentaires (Bianco-Miotto et al., 2017; Cao-Lei et al., 2015; Gagné-Ouellet et al., 2020; Kazmi et al., 2017; Steiger et Booij, 2020).

De façon intéressante, les études épigénétiques pangénomiques rapportent elles aussi un chevauchement entre les gènes différemment marqués par la méthylation de l’ADN dans l’anorexie mentale et ceux identifiés par les études génétiques (Booij et Steiger, 2020). Ainsi, les différences de méthylation de l’ADN seraient particulièrement importantes dans les gènes liés à certaines fonctions cérébrales (p. ex., récepteurs de la sérotonine), au métabolisme énergétique et aux fonctions immunitaires. De plus, trois études ont soulevé des différences de méthylation de l’ADN dans deux mêmes gènes, entre des personnes atteintes d’anorexie mentale ou non. Ces gènes sont NR1H3 et TNXB, le premier étant associé au métabolisme des lipides et à des processus inflammatoires, et l’autre avec des maladies des tissus conjonctifs (Booij, Casey et al., 2015; Kesselmeier et al., 2018; Steiger et al., 2019; Steiger et Booij, 2020). L’identification de ces gènes par plusieurs études renforcit l’hypothèse que des voies biologiques au-delà de la neurobiologie sont probablement importantes dans le développement des troubles des conduites alimentaires. Cet aspect devra être investigué davantage et pourrait enrichir la compréhension des troubles des conduites alimentaires.

ALIMENTER LA RECHERCHE VERS DES AVANCÉES CLINIQUES

Un champ de recherche récent consiste à utiliser la neuro-imagerie en combinaison avec l’épigénétique. Cela a offert une vue d’ensemble sur d’autres psychopathologies, dont la dépression (Booij, Szyf et al., 2015; Chiarella et al., 2020; Wheater et al., 2020), mais à ce jour, ces aspects n’ont été explorés qu’une fois dans l’anorexie mentale (Boehm et al., 2020). Ces auteurs ont soulevé un lien entre la méthylation d’un gène codant pour un transporteur de la sérotonine (c.-à-d., SLC6A4) et la connectivité du réseau cérébral de saillance, chez des participantes ayant un diagnostic d’anorexie mentale (Boehm et al., 2020). La connectivité du réseau cérébral de saillance était également augmentée dans l’anorexie mentale et agissait comme médiateur dans la relation entre les niveaux de méthylation de l’ADN et la sévérité des symptômes d’anorexie mentale (Boehm et al., 2020). En somme, puisque la méthylation de l’ADN s’obtient facilement à partir d’échantillons en périphérie, il est possible qu’elle puisse un jour devenir un marqueur facilement accessible des mécanismes cérébraux impliqués dans les troubles des conduites alimentaires.

En résumé, la recherche révisée dans ce manuscrit vise une meilleure compréhension des troubles des conduites alimentaires. Un manque de connaissances neurobiologiques caractérise la littérature sur les troubles des conduites alimentaires. En comblant petit à petit ce manque de preuves scientifiques, des opportunités de recherche verront vraisemblablement le jour pour ouvrir la porte à des avancées cliniques. Par exemple, la compréhension des phénomènes liés aux troubles des conduites alimentaires, comme l’épigénétique, pourrait éventuellement devenir très utile pour créer de nouveaux outils cliniques, facilitant le diagnostic et les interventions dans les troubles des conduites alimentaires, par exemple en informant sur le stade de la maladie d’une personne (Steiger et Booij, 2020). Concrètement, si la méthylation de l’ADN est bel et bien réversible suite au traitement de l’anorexie mentale comme le supportent certaines évidences émergentes (Neyazi et al., 2019; Steiger et al., 2019), elle pourrait devenir une cible thérapeutique ou un marqueur de la réponse au traitement, utilisable en clinique et favorisant une médecine de précision (Steiger et Booij, 2020). D’autre part, en comprenant davantage l’évolution des symptômes vers un trouble des conduites alimentaires diagnostiqué, il sera peut-être envisageable de les prévenir précocement. Pour finir, en sensibilisant la population, le milieu de la recherche en neurobiologie offre déjà une opportunité de diminuer la stigmatisation reliée aux troubles des conduites alimentaires, qui sont hors du contrôle de la personne qui en est atteinte et qui ne relèvent en aucun cas d’un choix, mais d’une combinaison de facteurs biologiques prédisposant et de leurs interactions avec l’environnement (Steiger et Booij, 2020).

DISCUSSION ET CONCLUSION

En terminant, considérant les faibles taux de rémission complète et la grande mortalité associée aux troubles des conduites alimentaires, il y a un besoin clinique pressant de meilleures connaissances à leur sujet. L’optimisation des soins pour les personnes atteintes est un objectif ultime, dont on peut espérer se rapprocher dans les prochaines années grâce aux découvertes et avancées en sciences fondamentales, qui alimenteront les travaux de recherche clinique.

L’objectif de cette revue narrative était de mettre en évidence deux concepts prometteurs liés à la neurobiologie des troubles des conduites alimentaires : la neuro-imagerie et l’épigénétique. Ces deux domaines ont longtemps été investigués séparément (Booij, Casey et al., 2015; Frank, 2019; Frank et al., 2019; Steiger et al., 2019). Récemment, des études incluant à la fois des données de neuro-imagerie et des données épigénétiques sont apparues dans le domaine de la psychiatrie et de la psychologie (Boehm et al., 2020; Frodl et al., 2015; Wheater et al., 2020). Parmi celles-ci, une seule, à ce jour, concerne les troubles des conduites alimentaires, étudiant exclusivement l’anorexie mentale (Boehm et al., 2020). Ainsi, davantage d’études sont nécessaires afin de clarifier l’association entre les changements cérébraux observés dans l’anorexie mentale et la méthylation de l’ADN. Une piste intéressante pour de futurs travaux serait de démystifier cette association dans d’autres troubles des conduites alimentaires. Comme l’étude de Boehm et al. (2020) s’est exclusivement concentrée sur le réseau cérébral de saillance et la méthylation de l’ADN du gène SLC6A4, il sera également pertinent de considérer d’autres structures cérébrales, d’autres méthodes de neuro- imagerie, ainsi que d’autres gènes et sites de méthylation de l’ADN.

Par ailleurs, un aspect à retenir de ce manuscrit est que les troubles des conduites alimentaires n’ont pas de cause unique (American Psychiatric Association, 2013; Brownell et Walsh, 2017). La biologie est importante dans les troubles des conduites alimentaires, mais l’hypothèse la plus plausible est que c’est une combinaison de facteurs biopsychosociaux qui favorisent leur développement (American Psychiatric Association, 2013; Brownell et Walsh, 2017). À ce jour, on ne connaît pas bien l’évolution de ces facteurs de risque à travers le temps ni la façon dont ils interagissent. Des études dans la communauté et auprès de personnes jugées plus vulnérables, comme les membres d’une famille où il y a un historique de trouble des conduites alimentaires, ou encore chez des personnes présentant des symptômes, mais pas de diagnostic, devront être conduites afin de mieux comprendre ces phénomènes. Cela pourrait offrir les bases scientifiques qui favoriseront l’établissement de meilleures recommandations pour prévenir les symptômes de troubles des conduites alimentaires dans la communauté, et promouvoir une bonne santé mentale pour tous. Une chose est certaine: la recherche sur les troubles des conduites alimentaires doit continuer d’évoluer.

En termes de limitations, ce type de recension, une revue narrative, a été choisi parce qu’il permet de mettre ensemble plusieurs aspects de la recherche pour lesquels les évidences sont parfois peu nombreuses. Il faut toutefois noter qu’une revue narrative peut induire des biais, dont un biais de sélection. Considérant que seul un article incluait à la fois des données épigénétiques et de neuro-imagerie dans un seul trouble des conduites alimentaires, d’autres méthodes de recension étaient peu envisageables. Néanmoins, il sera pertinent de conduire une recension plus rigoureuse (ex., revue systématique ou méta-analyse) sur la neuro-imagerie et l’épigénétique dans les troubles des conduites alimentaires, lorsque davantage de preuves seront présentes dans la littérature. Cela permettra de rassembler les données d’une façon limitant davantage les biais.

En conclusion, les troubles des conduites alimentaires englobent de nombreux sujets d’étude fascinants, dont certains, comme le métabolisme énergétique, le système immunitaire et la neurobiologie, n’ont que vaguement été explorés. En plongeant davantage dans ces sujets novateurs et en considérant la génétique, le corps et le cerveau comme un ensemble, des liens insoupçonnés entre la santé mentale et physique seront peut-être révélés, menant à la meilleure compréhension des troubles des conduites alimentaires. Cette meilleure compréhension, obtenue grâce aux sciences fondamentales, offrira de belles éventualités pour mieux guider la recherche clinique, afin de favoriser la promotion de la santé et d’améliorer la prévention et le traitement des troubles des conduites alimentaires.