Corps de l’article

1. Problématique

1.1. L’intégration du numérique en éducation au Québec

Au tournant des années 2000, le ministère de l’Éducation du Québec (MÉQ) a publié le Programme de formation de l’école québécoise, un document prescriptif qui encadre l’enseignement au primaire et au secondaire en privilégiant une approche par compétences disciplinaires et transversales (MELS, 2006). Par le développement de ses compétences, l’élève est placé·e au centre de ses apprentissages et acquiert les connaissances nécessaires pour être un·e citoyen·ne engagé·e. L’élève mobilise une variété d’outils et de stratégies, dont le numérique (MELS, 2006), par l’utilisation d’une variété de technologies pour accomplir les tâches pédagogiques proposées. Le numérique était, d’abord, une façon d’apprendre et de revitaliser l’enseignement : en l’utilisant, les élèves sont plus motivé·es à accomplir certaines tâches scolaires (Collin, Karsenti et Dumouchel, 2012). Avec le développement accéléré du numérique et le besoin d’avoir une population prête à relever les défis technologiques de demain, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement Supérieur (MÉES) a lancé en 2018 le Plan d’action numérique en éducation et en enseignement supérieur (PAN). Le gouvernement du Québec souhaitait ainsi homogénéiser l’utilisation du numérique à travers le réseau scolaire et assurer une formation de qualité pour la future société numérique. Le numérique devenait ainsi une compétence disciplinaire (MÉES 2019). Les élèves et le personnel enseignant doivent aujourd’hui développer des connaissances sur le numérique comme objet d’apprentissage (MÉQ, 2020). Cette tendance pour le personnel enseignant n’est pas exclusive au Québec selon l’UNESCO (2023), qui a indiqué dans son rapport que la société s’attend à ce que le personnel enseignant intègre le numérique dans divers aspects de sa profession (enseignement, évaluation, communication, etc.). La présence du numérique ne relève plus seulement d’un choix personnel : il s’agit d’un choix politique, économique et social qui n’est pas sans conséquence pour la didactique des langues et l’enseignement du français, langue première.

1.2. Le numérique en didactique des langues

Nombre de recherches font déjà état de l’utilité d’intégrer le numérique dans l’enseignement du français par la considération des pratiques sociales de référence des élèves (qui sont situées dans le numérique) (Lacelle et al., 2017; Penloup, 2017; Vallières, 2018), c’est-à-dire de considérer que les élèves utilisent déjà le numérique pour lire, écrire et communiquer et qu’il est possible de faire appel à ces pratiques pour aborder des notions scolaires. La personne enseignante considère le numérique comme objet (apprendre sur le numérique) et moyen d’apprentissage (utiliser le numérique pour apprendre) pour faciliter le développement de nouvelles connaissances en français. Elle peut enseigner aux élèves comment effectuer une recherche en ligne en vue de produire un texte écrit (numérique comme moyen) ou comment vérifier la crédibilité de l’information lue dans un article multimédia (numérique comme objet) par exemple. La classe de français est une source exponentielle de possibilités quant à l’intégration du numérique, puisqu’il est présent dans l’ensemble des compétences disciplinaires enseignées et qu’il est présent dans toutes les tâches citoyennes qui impliquent la lecture, l’écriture et la communication.

1.3. Les disparités d’utilisation des TIC

Le numérique n’est cependant pas intégré de manière homogène à travers les classes de français ni le système scolaire : il est peu utilisé pour l’enseignement et l’apprentissage (UNESCO, 2023). Plus d’une vingtaine d’années de recherche sur l’intégration du numérique en éducation démontre qu’une pluralité de facteurs empêche une adoption homogène du numérique en enseignement. On indique que les personnes enseignantes ne se sentent pas compétentes dans l’utilisation des TIC (Mastafi, 2015; Stockless, Villeneuve et Beaupré, 2018; UNESCO, 2023), qu’elles n’ont pas suffisamment de financement pour être formées à les utiliser en classe, qu’elles n’ont pas accès à des infrastructures de qualité pour assurer la présence du numérique (UNESCO, 2023) et qu’elles n’ont pas le temps de se les approprier (Karsenti et Collin, 2013). L’UNESCO indique d’ailleurs que le numérique complexifie grandement la gestion de classe (2023). Nous avons choisi de nous intéresser à un facteur qui est moins recensé par la recherche : la non-correspondance entre les politiques d’intégration du numérique et les besoins des personnes enseignantes. Ce facteur s’est dessiné d’abord dans une recherche de Collin et al. (2018) portant sur les usages du numérique en contexte universitaire. L’équipe de recherche a déterminé que si l’adoption du numérique stagnait dans leur milieu de recherche analysé, c’était en partie parce que les politiques et stratégies institutionnelles n’étaient pas représentatives des besoins de tous·tes les utilisateur·rices du numérique, se limitant à représenter les besoins des personnes expertes dans l’intégration du numérique dans leur contexte professionnel. Nous avons ainsi voulu comprendre comment le personnel était consulté pour développer des politiques institutionnelles sur le numérique.

1.4. La consultation des personnes enseignantes dans l’intégration du numérique

Une enquête menée par l’UNESCO, publiée dans son rapport sur les technologies en éducation (2023) a donné une réponse à notre question sur la consultation des personnes enseignantes dans l’intégration du numérique dans les écoles :

Les enseignant(e)s sont également souvent tenu(e)s à l’écart des décisions relatives à la sélection des nouvelles technologies numériques : 45 % des enseignant(e)s de 94 pays participants à l’étude Teaching with Tech de l’Education International ont déclaré que leurs syndicats n’avaient pas du tout été consultés au sujet de l’introduction des nouvelles technologies numériques, tandis que 29 % n’avaient été consultés que sur « quelques aspects ». Dans le même temps, 57 % des personnes interrogées ont indiqué que leurs syndicats n’avaient pas été consultés sur la technologie numérique qu’ils souhaitaient.

UNESCO, 2023, p. 166

Cette conclusion est préoccupante, puisque l’intégration du numérique, qu’il dépende d’une politique institutionnelle ou non, devrait répondre aux besoins du personnel scolaire. Une vision commune du numérique pourrait répondre à ce manque de consultation, ce qui était déjà une préoccupation du Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ) dans son rapport Éduquer au numérique – Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2018-2020 (2020). Il recommandait que les établissements scolaires « développe[nt], au sein des établissements, une vision de la place du numérique en éducation et de s’assurer qu’elle est portée par la direction et partagée par toutes les parties prenantes » (p. 63). Il y avait déjà dès lors l’intérêt d’assurer la consultation des membres de l’équipe-école, d’autant plus que la consultation est une procédure obligatoire prévue dans la Loi sur l’instruction publique (LIP). Les établissements scolaires et les centres de services scolaires (CSS) sont obligés de consulter les membres de l’équipe-école selon le document Objets de consultation en vertu de la Loi sur l’instruction publique et autres obligations (Carpentier et al., 2013). Le numérique ne fait cependant pas partie de ces objets. Ainsi, les gestionnaires n’ont pas l’obligation légale de consulter les membres de leur équipe-école lorsqu’il est question d’intégrer le numérique. De plus, malgré les recommandations du CSÉ (2020) énoncées précédemment, aucun changement n’a été appliqué dans les objets de consultation depuis. Le numérique est un incontournable pour le MÉQ, mais il ne semble pas y avoir d’orientations légales ou d’outils institutionnels gouvernementaux qui amèneraient des gestionnaires à réfléchir sur le numérique dans une perspective démocratique. C’est d’ailleurs un problème dans la mesure où des recherches de Gravelle et al. (2020, 2021) à propos du leadeurship pédagonumérique ont souligné l’importance des gestionnaires dans la mise en place de démarches qui impliquent les personnes enseignantes dans l’implantation du numérique.

L’élaboration et l’implantation d’une politique institutionnelle démocratique d’intégration du numérique pourraient ainsi permettre aux directions d’établissements scolaires de se positionner par rapport au numérique dans leur établissement, de consulter l’ensemble de leur personnel, de considérer les besoins et les inquiétudes du personnel enseignant et de tendre vers une homogénéisation des pratiques pédagogiques numériques au sein de leur équipe. Cependant, il n’existe aucune documentation gouvernementale disponible pour implanter une démarche similaire dans les écoles.

1.5. L’objectif de recherche et la posture épistémologique

Notre recherche avait ainsi pour objectif de développer une démarche démocratique de consultation et de délibération pour rédiger et implanter une politique institutionnelle d’intégration du numérique en contexte pédagogique. Afin de répondre à notre objectif de recherche, nous avons choisi d’adopter une posture pragmatique puisque « c’est par l’action que l’on peut générer des connaissances scientifiques utiles pour comprendre et changer la réalité sociale des individus et des systèmes sociaux » (Roy et Prévost, 2013, p. 129). Nous voulions créer un produit pratique, applicable en contexte scolaire, ce qui est cohérent avec la posture d’Anadón sur la recherche pragmatique (2019).

La deuxième partie de cet article décrit les concepts théoriques, issus des sciences politiques, auxquels nous avons fait appel pour encadrer notre processus de recherche. La troisième partie de cet article définit la recherche-développement (Bergeron et al., 2021) ainsi que notre processus de développement de produit. La quatrième partie est consacrée à la présentation de notre prototype initial ainsi que la démarche d’amélioration et de validation de celui-ci. La cinquième partie présente les points névralgiques de notre prototype validé ainsi que des pistes de recherches futures.

2. Cadre théorique

2.1. La démocratie technique

La démocratie technique a comme objectif d’assurer un renouvèlement des processus de légitimation démocratiques en permettant à « des citoyens “ordinaires” [de] comprendre des processus et enjeux scientifiques complexes, mais aussi [de] se les réapproprier et [de] faire des suggestions raisonnables et judicieuses » (Gaudillière et Bonneuil, 2001, p. 73). Cette forme démocratique amène la population à se réapproprier la technologie : elle n’est plus dépendante des concepteur·rices, mais bien des personnes citoyennes. La démocratie technique « tend à remettre en cause, ou au moins à questionner, les grandes hiérarchies qui structurent la production des savoirs » (Gaudillière et Bonneuil, 2001, p. 76). C’est par le croisement des regards entre les personnes professionnelles et les personnes citoyennes que de nouvelles connaissances sont produites et que la population s’implique plus activement dans les structures publiques. Divers dispositifs (voir 2.4) permettent alors d’organiser et d’encadrer ces processus démocratiques, issus de formes démocratiques complémentaires comme la démocratie participative et la démocratie délibérative, que nous avons analysées.

2.2. La démocratie participative

Apparue vers la fin des années 1960, la démocratie participative vise à améliorer la gestion de diverses structures administratives en impliquant des personnes qui les constituent (Bacqué et Sintomer, 2001). Elle s’est développée sous l’influence de divers mouvements sociaux, qui interrogeaient les limites de la démocratie représentative (Gaudin, 2010), vue comme insuffisamment participative (Pourtois et Pitseys, 2017) afin que les citoyen·nes « ordinaires » aient plus de pouvoirs au-delà que de simplement choisir ses dirigeant·es (Pourtois et Pitseys, 2017). En proposant ce remaniement des structures politiques, les personnes citoyennes étaient activement impliquées dans leur communauté (Barber, 2003). À l’aide de dispositifs participatifs (voir 2.4) et de principes directeurs, la personne citoyenne se rapprochait de structures politiques qu’elle concevait comme « trop éloignées de la population ou impersonnelles » (Langelier, 2013, p. 103). Malgré ces bénéfices de l’implication citoyenne, l’une des critiques principales adressées à la démocratie participative est sa possible instrumentalisation pour maintenir le statu quo (Blondiaux, 2004; Bohman, 2006) et son manque d’écrits législatifs et de procédures claires pour situer son opérationnalisation dans la société (Blondiaux, 2004). C’est d’ailleurs en voulant résoudre cette limite importante que la démocratie délibérative a été développée.

2.3. La démocratie délibérative

Cette forme démocratique prévoit de la documentation et des procédures pour délimiter

les bases qui garantiront la conduite du dialogue idéal avant d’élaborer une constitution. C’est dans cette perspective qu’au sein de cette association un certain nombre de principes guideront les actions communicationnelles pour établir les conditions du dialogue idéal. En ce sens, dans une perspective d’autogestion, les citoyens doivent déterminer les principes qui garantiront le caractère délibératif des institutions.

Langelier, 2013, p. 116

Le processus délibératif est au coeur des échanges pour les personnes participantes, qui votent des solutions optimales à des enjeux étudiés selon la majorité. Il y a dans cette forme démocratique un désir d’abstraction des intérêts personnels (Langelier, 2013) et de représentativité de toutes les strates de la population (Barber, 2003). Il est cependant utopique de penser que les principes de la démocratie délibérative peuvent être appliqués tels quels, puisque de faire abstraction des structures sociales existantes n’est pas possible (Ruano-Barbolan, 2018). De plus, la délibération n’est pas une procédure neutre accessible à tous·tes, elle favorise au contraire des individus de milieux socioéconomiques aisés (Miller, 2006). Certaines personnes peuvent donc être exclues en raison de divers facteurs (valeurs, origines ethniques, origines socioéconomiques, etc.).

2.4. Les dispositifs participatifs

Les dispositifs participatifs représentent des procédures qui permettent de guider la participation et la délibération à partir de divers critères et d’éléments récurrents (Gourgues et Petit, 2022; Gourgues et Segas, 2021). Peu importe le dispositif, il vise essentiellement à indiquer qui participe, la forme de participation et l’objectif de celle-ci. Nous avons choisi de cibler les minipublics délibératifs pour notre étude, puisqu’ils étaient les dispositifs les plus accessibles dans leur implantation, particulièrement dans un contexte scolaire.

Les minipublics sont définis comme des « assemblée[s] de citoyen·nes tirés au sort qui délibère[nt] sur une question politique déterminée afin de formuler des recommandations relatives à cette question » (Paulis et al., 2022). Chaque dispositif issu des minipublics délibératifs partage des caractéristiques communes comme l’inclusion par tirage au sort, le respect des personnes participantes, l’adoption de principes directeurs basés sur la raison et l’émotion, la promotion de la diversité d’opinions, de valeurs et d’expériences personnelles, etc. Les dispositifs issus de cette famille sont organisés selon des phases d’information, de consultation et de délibération (Escobar et Elstub, 2017). Les personnes participantes sont formées sur le sujet étudié et elles délibèrent ensemble en petits groupes pour proposer des solutions visant à résoudre l’enjeu soulevé. Au terme de la délibération, une phase de suivi est mise en place pour diffuser les résultats du processus et implanter les changements.

Trois types de minipublics délibératifs ont été analysés pour leur degré raisonnable de faisabilité en contexte scolaire : le jury citoyen (Barbier et Bedu, 2021), le sondage délibératif (Blondiaux et Sintomer, 2009) et le questionnaire de choix (Bütschi, 1998, 1999). Chaque dispositif avait cependant des limites qui semblaient trop complexes à relever au regard de l’organisation administrative scolaire. Nous n’avons pas conclu que les dispositifs participatifs ne pouvaient aucunement être considérés en éducation, mais nous voulions réfléchir aux principes et aux caractéristiques pertinents qui pourraient nous permettre de répondre à notre objectif de recherche. Ainsi, il était nécessaire de s’attarder aux caractéristiques des dispositifs participatifs plutôt qu’aux dispositifs eux-mêmes. Afin de favoriser une création collaborative à l’image de la posture d’une personne professionnelle en enseignement, nous avons adopté la recherche-développement (RD) (Bergeron et al., 2021) comme méthodologie de recherche.

3. Méthodologie

3.1. L’approche méthodologique

Nous avons mobilisé la RD définie par Bergeron et al. (2021) comme « une activité de résolution de problèmes vécus dans la pratique, à l’aide des connaissances issues de la recherche, de manière à générer de nouvelles connaissances appliquées, profitables tant au chercheur-développeur qu’à l’utilisateur cible » (p. 8), puisqu’elle était l’approche la plus cohérente avec notre objectif de recherche et notre posture épistémologique. La RD a pour finalités de concevoir ou d’adapter un produit et de générer des connaissances scientifiques (Bergeron et al., 2021). Malgré son caractère créatif, elle demeure une démarche scientifique encadrée par des critères auxquels le·a chercheur·se-développeur·se doit se soumettre (Harvey, 2007, cité dans Harvey et Loiselle, 2009). Pour opérationnaliser notre RD, nous avons analysé diverses démarches de développement (Bergeron et al., 2020; Nonnon, 1993, adapté par Cervera, 1997; Van der Maren, 2003; Beaudry, 2009; Harvey et Loiselle, 2009). Chaque démarche est divisée en cinq (ou six) phases, où les étapes de développement sont délimitées. Nous avons choisi d’adopter la démarche itérative de Bergeron et al. (2020), présentée dans la figure ci-dessous.

Figure 3.1

Démarche itérative de la RD (Bergeron et al., 2020, s. p.)

Démarche itérative de la RD (Bergeron et al., 2020, s. p.)

-> Voir la liste des figures

Nous avons choisi ce modèle, car il est le modèle scientifique résultant d’une métasynthèse sur les modèles de développement recensés dans la recherche (Bergeron et al., 2020). Il se démarque des autres modèles par la mise en lumière des convergences dans l’opérationnalisation de la démarche de recherche (Bergeron et al., 2020). La RD est représentée ici comme une démarche itérative divisée en cinq phases, où le·a chercheur·se-développeur·se fera des va-et-vient entre des activités de développement et des activités de recherche (Bergeron et al., 2021). La figure ci-dessous présente les liens interdépendants entre ces activités.

Figure 3.2

Les volets interdépendants de la RD (Bergeron, Rousseau et Dumont, 2021, p. 29)

Les volets interdépendants de la RD (Bergeron, Rousseau et Dumont, 2021, p. 29)

-> Voir la liste des figures

3.2. La démarche itérative

3.2.1. La phase de précision

La première phase de la démarche, la phase de précision, représente le choix de l’objectif général du produit que le·a chercheur·se-développeur·se souhaite créer. Cette personne fait une analyse des besoins pour s’assurer que son produit répond à des préoccupations du terrain et elle explore les écrits scientifiques et les produits existants pour cerner son problème de recherche. Dans le cadre de notre recherche, lors de cette première phase, nous avons choisi de limiter le processus de développement à une mise à l’essai fonctionnelle de notre produit, soit la validation de celui-ci par un comité d’expert·es (Harvey et Loiselle, 2009), en raison de contraintes de temps et de faisabilité pour compléter la recherche. Nous avons mis sur pied un comité d’expert·es responsable de guider notre processus de développement. Nous avons sollicité diverses spécialisations : des spécialistes de la recherche sur l’intégration du numérique en éducation, des personnes enseignantes de français au secondaire, des personnes conseillères technopédagogiques et des gestionnaires de l’éducation. Ces choix ont été faits dans une perspective complémentaire afin d’avoir une meilleure représentativité du réseau scolaire par le croisement des idées, des commentaires et des suggestions des personnes participantes. Nous avons fait appel à une méthodologie d’échantillonnage non probabiliste intentionnelle (Fortin et Gagnon, 2022) : chaque personne participante a été choisie et recrutée en lien avec son champ d’expertise et ses réalisations scientifiques et professionnelles. Chaque personne participante a été contactée par courriel et a rempli un formulaire de consentement dans lequel elle acceptait de lever son anonymat. Nous avons pris cette décision afin de justifier de manière transparente nos choix d’expert·es. Au total, nous avions neuf (n=9) personnes participantes : deux spécialistes de la recherche sur l’intégration du numérique en éducation (M. B., P. G.), trois gestionnaires (C. B., F. G., J. R.), deux conseiller·ères technopédagogiques (F. L., M. P.) ainsi que deux enseignantes de français au secondaire (A. P., A. V.). Les tâches complétées par les personnes participantes ont été menées en groupes de spécialisation et aussi de manière autonome. Il est à noter que certaines des tâches présentées dans les prochaines sous-sections n’ont pas été complétées par l’entièreté des membres du comité.

Nous avons ensuite choisi et développé nos outils de collecte de données pour assurer le développement, l’amélioration et la validation de notre prototype de dispositif participatif. Nous avons utilisé le journal de bord afin de conserver des traces de nos décisions prises lors de notre processus de développement, de nos justifications et de la nature itérative de notre démarche de recherche. C’est un outil de consignation fréquemment utilisé dans la RD (Rousseau et al., 2021). Nous avons privilégié des entrées chronologiques papier que nous avons ensuite rédigées à l’ordinateur sous la forme d’un texte cohérent scientifique qui nous a permis de restituer l’entièreté de notre processus de développement (Taschereau, 2024, p. 218).

De plus, afin d’encadrer notre analyse de besoins, nous avons fait appel à l’entretien semi-dirigé (Fortin et Gagnon, 2022). C’est un outil fréquemment mobilisé en RD (Rousseau et al., 2021) pour recueillir les besoins des utilisateur·rices du produit. Nous avons élaboré notre guide (Taschereau, 2024, p. 165) selon deux thèmes qui stimuleraient nos réflexions sur le développement de notre prototype de dispositif participatif : le vécu, les expériences, les représentations et les jugements des personnes participantes lorsque des décisions sur l’intégration pédagogique du numérique sont prises ainsi que les besoins spécifiques et les idées des personnes participantes sur les façons de consulter le personnel scolaire lorsqu’il est question de l’intégration pédagogique du numérique. Ces thématiques sont justifiées en raison des considérations méthodologiques de la RD, soit d’être à l’écoute des besoins des milieux professionnels (Bergeron et Rousseau, 2021). Puisque l’entretien a été mené auprès de diverses spécialisations en éducation, nous avons créé des copies de chaque guide adaptée pour ces spécialisations. Les adaptations mineures ont servi à adapter les questions aux réalités professionnelles des personnes participantes. À titre d’exemple, nous avons demandé aux gestionnaires combien de fois par année ils consultaient leur personnel sur l’intégration pédagogique des TIC alors que nous avons demandé aux personnes enseignantes de français au secondaire combien de fois par année elles étaient consultées sur ce sujet.

Nous avons également développé deux questionnaires (Fortin et Gagnon, 2022) que nous avons utilisés dans notre analyse de besoin et notre validation de produit (Taschereau, 2024, p. 191-199; p. 204-215). Pour les deux questionnaires, nous avons suivi le modèle en trois phases de Fortin et Gagnon (2022), soit la planification, le développement et la mise en forme du questionnaire. Pour le questionnaire de pré-développement, nous souhaitions que les personnes participantes analysent et comparent les dispositifs participatifs présentés en 2.4 ainsi que les caractéristiques de ceux-ci pour statuer sur la forme que pourrait prendre notre prototype de dispositif participatif. Nous avons choisi certains critères pour faciliter la comparaison : le degré de faisabilité du dispositif, le temps nécessaire pour l’implanter, les ressources matérielles et financières à mobiliser et le degré d’investissement nécessaire de la part des personnes participantes. Des questions sur l’intérêt et les enjeux des dispositifs ont également été ajoutées. Pour le questionnaire de validation de notre prototype, nous avons repris les mêmes thèmes pour faciliter l’analyse et la rédaction des commentaires par les personnes participantes en utilisant des échelles de Likert pour évaluer leur degré d’accord sur le réalisme, la faisabilité, l’adaptabilité et la clarté du prototype.

Nous avons aussi choisi de collecter des données à partir des commentaires écrits des personnes participantes sur notre prototype de dispositif participatif. Nous voulions qu’elles puissent l’annoter en commentant sa facilité d’utilisation, son potentiel pour mener une consultation démocratique sur le numérique, son attrait et son caractère esthétique. Pour faciliter la réflexion et la mise sur papier des commentaires, nous avons proposé un document d’accompagnement dans lequel nous avions indiqué des questions d’analyse (Taschereau, 2024, p. 216).

Avec les outils de collecte de données validés, nous avons débuté le développement de notre prototype en menant l’analyse de besoins auprès du comité d’expert·es. Chaque groupe de spécialisation a été rencontré dans le cadre d’un entretien sur Zoom entre les mois de juin et juillet 2023. Les entretiens ont duré entre une heure et demie à deux heures. Les réponses des personnes participantes ont été analysées dans le but de cibler les principes et besoins à adopter pour encadrer la suite de notre processus de développement présentés dans le tableau ci-après (Taschereau, 2024).

Tableau 3.1

Principes et besoins à adopter pour encadrer le développement du prototype de dispositif participatif

Principes et besoins à adopter pour encadrer le développement du prototype de dispositif participatif

-> Voir la liste des tableaux

Notre journal de bord comprend l’analyse détaillée des propos des personnes participantes ainsi que les convergences et divergences entre les discours des groupes de spécialisation.

3.2.2. La phase de structuration

La deuxième phase correspond à la structuration, où le·a chercheur·se-développeur·se formalise son idée et délimite ses étapes de développement à partir d’un cahier de charges.

Lors de cette deuxième phase, nous avons développé un cahier de charge (Harvey et Loiselle, 2009; Van der Maren, 2003) sous la forme d’une documentation théorique sur les dispositifs participatifs et les minipublics délibératifs (Taschereau, 2024, p. 264-281) afin de stimuler les réflexions chez notre comité d’expert·es. Cette documentation s’est ajoutée à notre questionnaire de pré-développement, ce qui nous a permis de produire une seconde synthèse informative. Les informations recueillies nous ont permis de situer les caractéristiques à privilégier dans le développement de notre prototype que nous détaillons ci-dessous à l’aide des figures suivantes.

Figure 3.3

Caractéristiques des minipublics délibératifs à privilégier dans le développement du prototype (n=8)

Caractéristiques des minipublics délibératifs à privilégier dans le développement du prototype (n=8)

-> Voir la liste des figures

Figure 3.4

Caractéristiques des dispositifs participatifs à privilégier pour le développement du prototype (n=8)

Caractéristiques des dispositifs participatifs à privilégier pour le développement du prototype (n=8)

-> Voir la liste des figures

La première figure cible les caractéristiques spécifiques aux minipublics délibératifs alors que la deuxième cible les caractéristiques plus générales des dispositifs participatifs. Pour les membres du comité d’expert·es, il était essentiel, en ordre de priorité, d’avoir accès à des espaces de délibération, de voter pour les recommandations lors du processus, d’avoir accès à des expert·es indépendant·es pour mener et encadrer la consultation, d’avoir une présence d’expert·es spécialisé·es dans l’enjeu étudié (p. ex. l’intégration pédagogique du numérique) pour délibérer et de produire un document de recommandation au terme de la démarche et le soumettre à la personne en autorité. De plus, il était pertinent pour le comité de remettre un document informatif sur l’enjeu étudié (rédigé par des expert·es) aux membres de l’équipe-école, de sélectionner et d’adopter les meilleures solutions à l’enjeu par un vote et d’avoir une formation en amont pour comprendre le processus de consultation et y participer.

3.2.3. La phase de développement

La troisième phase correspond au développement, où le·a chercheur·se-développeur·se collabore avec divers·es partenaires pour développer le prototype de son produit. Cette personne organise des rencontres de codéveloppement pour offrir un espace aux acteur·rices du terrain auxquels le produit est adressé. Elle conserve toutes les traces de ses décisions dans le but d’analyser son processus de développement et de justifier ses choix.

Lors de cette troisième phrase, nous avons organisé le développement et la création de notre prototype qui a traversé les étapes suivantes : la définition des objectifs du prototype (basés sur notre problématique et cadre théorique), le format de présentation du matériel inclus dans le prototype, le format de la participation pour les personnes participantes, l’organisation de la séquence temporelle des activités du prototype ainsi que le contenu des activités. Les objectifs du prototype de dispositif participatif étaient de mettre en oeuvre une démarche de consultation et de délibération démocratique sur le numérique, d’amener une équipe-école à réfléchir sur les enjeux et les besoins d’intégration pédagogique du numérique et de rédiger une politique cohérente avec les résultats de la démarche. Nous avons ensuite choisi une forme de participation cohérente avec la synthèse des entrevues semi-dirigées, soit une participation volontaire des membres de l’équipe-école, reconnue en temps (ou en argent) dans leur tâche enseignante ou professionnelle. Nous avons également choisi de rendre disponible l’entièreté du prototype produit sur un site Web pour faciliter la consultation et l’évaluation de celui-ci par le comité d’expert·es. Nous avons ensuite organisé la séquence temporelle des activités selon trois phases : la planification, la consultation et la délibération. Ces phases reprenaient ainsi le processus que nous voulions mettre en place selon notre objectif de recherche et nos objectifs du prototype. Nous avons ensuite créé les activités pour chacune des phases. Nous avons consigné l’entièreté de notre processus de développement dans notre journal de bord, disponible en annexe, et nous avons produit le prototype initial.

3.2.4. La phase d’amélioration

La quatrième phase, l’amélioration, correspond à une mise à l’essai du produit (Harvey et Loiselle, 2009) selon divers paramètres : la soumission du produit à un comité d’expert·es pour validation, l’intégration du produit auprès d’un petit nombre d’utilisateur·rices ou l’intégration à grande échelle avec un cadre méthodologique rigoureux pour valider l’efficacité du produit. Le·a chercheur·se-développeur·se s’assure d’avoir une variété de personnes participantes pour améliorer son prototype et adopte plusieurs outils méthodologiques pour trianguler ses données (Rousseau et al., 2021).

La version initiale de notre prototype a été remise au comité d’expert·es pour validation avec le questionnaire d’analyse et de validation ainsi que les consignes pour encadrer la tâche. À la réception des commentaires, nous avons appliqué des changements immédiats et nous avons consigné les changements à faire en vue d’une mise à l’essai dans un établissement scolaire.

3.2.5. La phase de diffusion

La cinquième phase, la diffusion, amène le·a chercheur·se-développeur·se à diffuser les résultats de sa recherche et à mettre le produit à la disposition des utilisateur·rices. Nous avons conclu notre démarche en diffusant notre prototype de dispositif participatif à la collectivité dans le cadre de communications et d’articles professionnels et scientifiques.

4. Résultats

4.1. Le prototype initial de dispositif participatif

Les prochaines sous-sections seront liées à un lien Web qui renvoie aux contenus du prototype initial soumis au comité d’expert·es.

4.1.1. Le site Web, les documents d’encadrement de la démarche et le calendrier détaillé de la démarche et les tâches associées

L’internaute peut accéder au site Web intitulé Démarche de consultation et de délibération – Développement d’une politique d’intégration du numérique en contexte pédagogique . Sur la page d’accueil, l’internaute peut consulter l’objectif général de la démarche (développer une politique interne d’intégration du numérique en contexte pédagogique) ainsi que les objectifs spécifiques (définir une vision commune de l’intégration du numérique et encadrer la démarche selon les besoins de l’établissement) en lien avec les recommandations du CSÉ (2020). Les contenus du site (les activités proposées) ainsi que le public cible sont ensuite détaillés. L’internaute a accès, sur la page d’encadrement de la démarche, à une infographie sur les principes recommandés pour la consultation et la délibération, issue des recommandations du comité d’expert·es et des principes sur lesquels est fondée la démocratie délibérative. Nous avons également ajouté des recommandations de la Commission de l’éthique en science et en technologie (2020) quant aux règles à adopter en situation de délibération. Finalement, nous avons ajouté de l’information sur l’intégration pédagogique des TIC, tirée du Cadre de référence de la compétence numérique (MÉES, 2019). L’internaute a aussi accès, sur la page Calendrier de la démarche et tâches détaillées à deux documents interactifs dans lequel il peut consulter la séquence temporelle des tâches selon les trois phases de la démarche (planification, consultation et délibération) et les tâches à compléter dans le cadre de la démarche selon le corps d’emploi dans l’équipe-école.

4.1.2. Les activités de la démarche

L’internaute a accès à l’ensemble des activités du prototype selon les phases de planification, de consultation et de délibération. Les contenus des activités ont été rédigés dans un gabarit qui comprend les objectifs de l’activité, des informations essentielles (temporalité de la tâche, personnes impliquées, tâches à compléter en amont, matériel et ressources financières, temps requis, etc.), le déroulement de l’activité ainsi que des recommandations théoriques selon l’activité proposée basée sur l’analyse de besoins auprès du comité d’expert·es ainsi qu’une section de notes synthèses de l’activité. La démarche initiale, prévue sur trois années scolaires, est lancée à partir de la fin d’une année scolaire (pour planifier), afin d’être poursuivie l’année scolaire suivante (pour consulter et délibérer) dans le but d’implanter les changements à l’année scolaire subséquente. Les titres des activités et leur phase associée (planification, consultation et délibération) sont indiqués dans le tableau ci-dessous.

Tableau 4.1

Activités prévues dans le prototype de dispositif participatif

Activités prévues dans le prototype de dispositif participatif

Tableau 4.1 (suite)

Activités prévues dans le prototype de dispositif participatif

-> Voir la liste des tableaux

4.2. Les résultats du questionnaire de mise à l’essai fonctionnelle (n=5)

Le comité d’expert·es a analysé le prototype de dispositif participatif selon le temps d’implantation, la quantité de ressources matérielles et financières à mobiliser, le degré d’investissement demandé aux personnes prenant part à la démarche et la description des tâches incluses dans la documentation. Il était également possible pour le comité de laisser des commentaires en lien avec chacun des éléments d’analyse.

4.2.1. Le temps d’implantation

Le graphique ci-dessous présente le nombre de répondant·es total ayant répondu sur le réalisme et la faisabilité du temps d’implantation du prototype de dispositif participatif selon chaque degré d’accord.

Figure 4.1

Degré d’accord des membres du comité d’expert·es sur le réalisme et la faisabilité du temps d’implantation du dispositif participatif (n=5)

Degré d’accord des membres du comité d’expert·es sur le réalisme et la faisabilité du temps d’implantation du dispositif participatif (n=5)

-> Voir la liste des figures

La majorité des personnes participantes ayant répondu au questionnaire indique que le temps d’implantation du prototype est réaliste et faisable. Seule une des personnes participantes a souligné que le prototype serait trop exigeant en termes de temps, surtout pour une petite équipe-école qui n’aurait pas les ressources suffisantes pour organiser l’ensemble des activités de la démarche dans un temps raisonnable. Des propositions ont cependant été formulées pour diminuer le temps nécessaire pour mener la démarche (voir 4.3).

4.2.2. Les ressources matérielles

Le graphique ci-dessous présente le nombre de répondant·es total ayant répondu sur le réalisme et l’adaptabilité de la quantité de ressources matérielles à mobiliser pour implanter le prototype de dispositif participatif selon chaque degré d’accord.

Figure 4.2

Degré d’accord des membres du comité d’expert·es sur le réalisme et l’adaptabilité de la quantité de ressources matérielles à mobiliser pour implanter le dispositif participatif (n=5)

Degré d’accord des membres du comité d’expert·es sur le réalisme et l’adaptabilité de la quantité de ressources matérielles à mobiliser pour implanter le dispositif participatif (n=5)

-> Voir la liste des figures

Le comité indique que les ressources matérielles nécessaires sont réalistes et adaptables selon une variété de contextes d’établissements scolaires.

4.2.3. Les ressources financières

Le graphique ci-dessous présente le nombre de répondant·es total ayant répondu sur le réalisme et l’adaptabilité de la quantité de ressources financières à mobiliser pour implanter le prototype de dispositif participatif selon chaque degré d’accord.

Figure 4.3

Degré d’accord des membres du comité d’expert·es sur le réalisme et l’adaptabilité de la quantité de ressources financière à mobiliser pour implanter le dispositif participatif (n=5)

Degré d’accord des membres du comité d’expert·es sur le réalisme et l’adaptabilité de la quantité de ressources financière à mobiliser pour implanter le dispositif participatif (n=5)

-> Voir la liste des figures

Le comité indique que les ressources financières sont réalistes et adaptables sauf pour l’une des personnes participantes, qui n’est pas en accord ou en désaccord. Elle a d’ailleurs indiqué, dans les commentaires, qu’il serait facilitant d’avoir un portrait plus clair du temps nécessaire à reconnaitre aux personnes enseignantes et aux autres membres du personnel scolaire pour planifier plus rigoureusement les couts exacts associés à ces libérations.

4.2.4. Le niveau d’investissement

Le graphique ci-dessous présente le nombre de répondant·es total ayant répondu sur le caractère raisonnable et adaptable du degré d’investissement demandé aux personnes impliquées dans la mise en oeuvre du prototype (préparation à la participation, tâches à accomplir, etc.) selon chaque degré d’accord.

Figure 4.4

Degré d’accord des membres du comité d’expert·es sur le caractère raisonnable et adaptable du degré d’investissement demandé aux personnes participant au dispositif participatif (n=5)

Degré d’accord des membres du comité d’expert·es sur le caractère raisonnable et adaptable du degré d’investissement demandé aux personnes participant au dispositif participatif (n=5)

-> Voir la liste des figures

Aucun membre du comité n’est fortement en accord avec le caractère raisonnable et adaptable du degré d’investissement demandé aux personnes impliquées dans la mise en oeuvre du dispositif et dans la participation aux activités. Les commentaires laissés en marge de cette question permettent de saisir cette position. D’abord, deux membres du comité ont souligné que le temps devait être maximisé pour éviter un niveau d’investissement trop important : « Puisque c’est parfois long, on demande beaucoup de temps à l’ensemble des acteurs. Il faut penser à maximiser le temps » (A. P.) « Par contre, considérant que les gestionnaires ont un horaire de temps fort chargé, il va être important de concevoir des capsules vidéo, afin de minimiser leur temps de lecture pour pas [sic] qu’ils considèrent le tout comme étant une surcharge de travail » (F. G.). Pour deux autres des membres du comité, l’investissement lié aux tâches est raisonnable, mais le tableau interactif des tâches pourrait être trop imposant pour certaines personnes.

4.2.5. La description des tâches, des rôles et des responsabilités

Le tableau ci-dessous présente le nombre de répondant·es total ayant répondu sur la clarté des descriptions des tâches à accomplir pour tous les corps d’emploi selon chaque degré d’accord. Nous avons demandé au comité d’analyser si les tâches étaient compréhensibles pour les futures personnes utilisatrices qui testeraient le matériel.

Tableau 4.2

Degré d’accord des membres du comité d’expert·es sur la clarté de la description des tâches, des rôles et des responsabilités dans le dispositif participatif selon le corps d’emploi (n=5)

Degré d’accord des membres du comité d’expert·es sur la clarté de la description des tâches, des rôles et des responsabilités dans le dispositif participatif selon le corps d’emploi (n=5)

-> Voir la liste des tableaux

Pour l’ensemble du comité, la description des tâches est claire, sauf pour la description des tâches des conseiller·ières technopédagogiques, où l’une des expertes (C. B.) a demandé de clarifier le rôle des conseiller·ières technopédagogiques par rapport à celui des gestionnaires, ce qu’A. V. a également nommé dans ses commentaires. C. B. a également suggéré d’avoir des annexes pour clarifier les rôles et les responsabilités du personnel ainsi qu’un plus grand rôle pour le comité responsable de certaines activités du dispositif.

4.3. Les changements apportés au prototype

À partir des commentaires écrits du comité d’expert·es à même les documents du prototype de dispositif participatif, nous avons créé trois catégories de commentaires dans lesquels diverses thématiques ont été identifiées : les propositions de modifications mineures, les propositions de modifications majeures et les réflexions, les questions et les réactions.

Les propositions de modifications mineures ont inclus des commentaires portant sur la qualité du français écrit et les éléments typographiques, en vue d’harmoniser la lecture du matériel du prototype de dispositif participatif, ainsi que toute autre proposition de changement qui n’impacte pas la structure même des activités ou leur fonctionnement (ordre des phrases, clarification d’énoncés, etc.). Les propositions majeures ont inclus des commentaires pour modifier l’organisation des activités, les responsabilités données, les personnes incluses, la structure, etc. Les réflexions, les questions et les réactions ont inclus des commentaires qui ne demandaient pas de modifications dans le matériel. Une synthèse des modifications majeures demandées par les membres du comité, ainsi que les changements apportés, peut être consultée dans le tableau ci-dessous.

Tableau 4.3

Changements apportés au prototype du dispositif participatif selon la modification demandée

Changements apportés au prototype du dispositif participatif selon la modification demandée

Tableau 4.3 (suite)

Changements apportés au prototype du dispositif participatif selon la modification demandée

-> Voir la liste des tableaux

5. Discussion

5.1. Objectif général de recherche

L’objectif était de développer un processus de consultation et de délibération démocratique pour implanter une politique numérique en milieu scolaire. Grâce à une méthodologie itérative (Bergeron et al., 2020), nous avons répondu à notre objectif de recherche. En effet, nous avons développé notre prototype de dispositif participatif en menant une analyse de besoins auprès de différents corps d’emplois, nous avons soumis une documentation théorique pour cibler les principales caractéristiques à intégrer dans notre dispositif, nous avons consigné l’ensemble de notre processus de développement à l’aide de notre journal de bord (Taschereau, 2024, p. 218). La rétroaction des expert·es a permis d’optimiser le matériel produit et de mieux définir les tâches entre les membres de l’équipe-école. Nous avons également réduit le temps consacré à plusieurs des activités pour décharger le personnel. Nous avons également inclus une variété de recommandations pour favoriser le respect mutuel des personnes participantes pour encadrer les délibérations. Ainsi, nous avons développé un produit qui a répondu à notre objectif de recherche. Bien qu’il soit prometteur pour le comité d’expert·es, il doit être analysé afin d’identifier les possibles points névralgiques de sa mise en oeuvre et ses possibles effets.

5.2. La participation en contexte scolaire

Nous avons tenté de créer un dispositif qui permet de reprendre des caractéristiques générales (Gourgues, 2013) : le public ciblé, la forme de participation et l’objectif de celle-ci. Bien que nos documents définissent clairement ces aspects, nous nous questionnons sur la participation et la non-participation, « le fait de ne pas prendre part à une invitation à participer formulée par une autorité organisatrice » (Jacquet et Petit, 2022, https://www.dicopart.fr/non-participation-2022). Ces aspects sont critiqués dans les formes démocratiques participatives et délibératives (Blondiaux, 2004; Miller, 2006; Ruano-Borbalan, 2018) et constituent une des limites théoriques principales de notre prototype.

D’abord, les configurations sociales des personnes participantes peuvent influencer leur investissement dans la démarche : les inégalités socioculturelles renforcent l’idée d’une incompétence politique (Bourdieu, 1979) et amènent des individus à s’exclure des activités. La non-participation s’explique aussi par le peu de poids que les individus ont dans la mise en oeuvre des choix collectifs (Jacquet et Petit, 2022). En éducation, dans la gouvernance scolaire, un modèle de gestion descendante (Lalancette, 2014) est employé. Cette vision descendante pourrait impacter la mise en oeuvre de notre prototype, surtout dans la mesure où la démarche est menée pour répondre seulement aux besoins des gestionnaires. Si les membres de l’équipe-école ne se sentent pas concerné·es ou sentent qu’iels n’ont pas de pouvoir dans le processus, iels pourraient s’exclure. La figure des gestionnaires pourrait contribuer au caractère illusoire de la démarche et au cynisme du personnel de l’équipe-école, surtout s’iels prennent des décisions qui ne sont pas alignées avec les besoins et les valeurs de leur équipe. Bien que nous ayons intégré des recommandations dans toutes nos activités pour sensibiliser les gestionnaires, il est impossible pour nous de garantir leur posture de leadeurship. Nous soulignons avoir misé sur la participation collégiale dans nos activités par l’instauration d’un comité responsable de la mise en oeuvre du dispositif participatif. La direction générale et la direction des services pédagogiques, bien que présentes dans notre dispositif, ne sont pas en contrôle de l’entièreté des activités, ce qui pourrait faciliter la participation et la collégialité (Mambéri, 1999).

La non-participation pourrait aussi se manifester en réponse aux jugements des membres de l’équipe-école sur le numérique et son intégration dans l’enseignement. Le numérique s’inscrit dans une vision de modernisation et d’innovation de la pédagogie (MÉES, 2019), ce qui facilite la présence de discours technophiles (Selwyn, 2021). À l’inverse, certains discours réfractaires sur le numérique sont aussi présents, notamment en lien avec les effets délétères de l’utilisation du numérique (Selwyn, 2021). Il peut également s’agir de personnes enseignantes avec un faible sentiment de compétence d’utilisation du numérique qui se braquent contre des décisions qui pourraient les léser dans leurs approches pédagogiques. Ces personnes pourraient s’exclure du dispositif, ne se croyant pas assez compétentes pour participer au processus et ne croyant pas que leurs idées seront reçues de la même manière que les autres membres de l’équipe-école lors des séances de délibération. Bien que nous ayons intégré des recommandations dans nos activités pour alimenter des discussions de qualité et des espaces neutres pour échanger, les personnes participantes auront toujours la liberté de se restreindre dans leur parole pour éviter un mauvais regard de la part des autres ou même pour éviter des représailles de la part de la direction d’établissement, ce qui pourrait influencer la qualité de la mise en oeuvre du dispositif, puisqu’il dépend de la participation honnête et bienveillante des autres.

En outre, le contrat d’enseignement dans les écoles québécoises, qui inclut des tâches définies, peut conditionner la participation par des éléments externes comme la rémunération et le temps reconnu, ce qui peut remettre en question l’idée d’une participation volontaire. La démocratie participative et délibérative se base cependant sur le désir intrinsèque des personnes participantes à améliorer les structures dans lesquelles elles sont impliquées (Langelier, 2013), ce qui n’est pas mis de l’avant dans notre prototype. Cet aspect de notre dispositif pourrait influencer la manière dont le personnel participe, notamment s’il est obligé de participer en raison de la rémunération. Nous considérons cependant que l’inverse, soit de ne pas reconnaitre le temps de participation dans la tâche enseignante, aurait provoqué des effets délétères dans la mise en oeuvre potentielle du dispositif participatif en raison de la lourdeur de la tâche enseignante et du manque de temps pour compléter les activités prévues, ce qui faisait partie des principales préoccupations du comité d’expert·es. Nous sommes d’avis qu’il est plus pertinent de reconnaitre l’apport du personnel par une rétribution. En adoptant cette posture, nous sommes de nouveau confrontés à l’enjeu de non-participation, dans la mesure où la participation est obligatoire et inscrite dans la tâche. C’est un enjeu essentiel à creuser, d’autant plus que le comité d’expert·es avait indiqué que la non-participation devait être acceptée dans notre prototype de dispositif participatif. Nous avons intégré plusieurs recommandations pour encourager la participation et l’investissement des membres de l’équipe-école, mais nous n’avons pas anticipé cet aspect de non-participation. Si une personne enseignante ne souhaite pas participer, devrait-elle demander à se faire retirer la tâche de son contrat et accepter l’exclusion totale de la démarche et accepter des tâches additionnelles pour combler le temps retiré ? Qu’en est-il de la reddition de comptes pour la participation ou la non-participation ? Un gestionnaire pourrait-il intervenir auprès d’une personne enseignante en raison de sa « faible » participation ou tenir des discours culpabilisants, car elle ne souhaite pas s’impliquer dans l’équipe-école, même en échange d’une rémunération ? Le coeur de notre questionnement se situe ainsi sur les conditions favorables à adopter pour atteindre une pleine participation et une délibération dans un contexte éducatif, tout en respectant le temps des membres de l’équipe-école.

5.3. Situer le dispositif dans les enjeux de la didactique des langues

Notre prototype peut sembler, de prime abord, éloigné de la classe de français au secondaire, mais nous misons sur le potentiel réflexif de notre dispositif pour nous rapprocher d’enjeux situés dans la didactique des langues. Puisqu’il n’y a pas de consensus sur les effets des TIC en enseignement des langues (Larose et al., 2010) et que très peu de recherches recensent les usages pédagogiques et didactiques du numérique en enseignement du français (Beaudry et Brehm, 2017), il est possible de croire que notre dispositif pourrait faciliter le développement de discours plus critiques sur le numérique (Collin et al., 2015). Il pourrait aussi favoriser une cohérence et une uniformité dans les logiciels, applications, etc., utilisés pour faire l’enseignement-apprentissage de la lecture, de l’écriture et de la communication orale par le biais de la politique d’intégration pédagogique du numérique, ce qui permettrait aux élèves d’éviter d’accumuler des tâches d’appropriation du numérique en parallèle des tâches didactiques à compléter. Finalement, l’implantation de celle-ci pourrait servir à relancer de nouvelles recherches sur les usages numériques des élèves dans la classe de français en comparant les usages prescrits dans la politique et les usages réels par les personnes enseignantes et les élèves en situation d’apprentissage.

5.4. Les limites de notre recherche

L’absence d’une mise à l’essai empirique et systématique (Harvey et Loiselle, 2009) empêche de conclure à l’efficacité de notre prototype. Le comité d’expert·es, bien qu’essentiel, ne représente pas toutes les spécialités dans une équipe-école, ce qui limite la portée des conclusions tirées de l’analyse de besoins. Celle-ci aurait pu être menée auprès d’un public élargi pour enrichir nos réflexions de développement. Enfin, des contraintes de temps ont pu influencer la qualité des retours des expert·es.

Conclusion

La présente étude a permis de concevoir une démarche de consultation et de délibération sur l’intégration du numérique en contexte pédagogique dans le but de favoriser l’implication directe des membres de l’équipe-école dans les processus décisionnels en lien avec l’intégration du numérique. Cette démarche a pris la forme d’un prototype de dispositif participatif basé sur la démarche de RD de Bergeron et Rousseau (2021), dans lequel nous avons mené des activités professionnelles et de recherche pour développer notre produit. Sa validation par notre comité d’expert·es a permis de mettre en lumière ses forces et ses limites à résoudre. La version bonifiée de notre prototype est ainsi pertinente pour les domaines du numérique en éducation et de la didactique des langues. La démarche que nous proposons vise à amener un établissement scolaire privé secondaire à se doter d’une vision commune du numérique par la mise en oeuvre d’activités collectives menant à l’adoption d’une politique institutionnelle rédigée et délibérée par les membres de l’équipe-école. Elle vise également à stimuler les réflexions sur l’intégration pédagogique du numérique, particulièrement en classe de français au secondaire, considérant que le numérique a transformé l’éducation. L’apport de notre recherche se situe dans le fait que nous avons étudié la disparité d’utilisation des TIC à partir d’un facteur peu étudié dans la littérature scientifique : l’inadéquation entre les politiques institutionnelles d’intégration des TIC et les besoins des personnes enseignantes. À partir des écrits de Collin et al. (2018) et de l’UNESCO (2023), nous avons analysé et identifié l’enjeu principal que nous voulions résoudre : le manque de consultation et d’implication du personnel enseignant dans les processus décisionnels en lien avec l’intégration pédagogique du numérique. Les objets de consultation et les méthodes privilégiées sont peu recensés (Taschereau, 2024) et le gouvernement du Québec n’a pas produit ou diffusé publiquement de la documentation pour encadrer le développement et l’adoption d’une politique institutionnelle axée sur le numérique. Notre proposition de prototype de dispositif participatif se veut ainsi novatrice dans la mesure où cet outil a le potentiel d’amener des gestionnaires d’établissements scolaires à revoir leurs politiques institutionnelles et à impliquer leur équipe-école dans un modèle de gestion ascendant. La mise en oeuvre de notre prototype de dispositif participatif soulève cependant des enjeux éthiques propres à l’organisation scolaire et à la profession enseignante qui mériteraient d’être étudiés en organisant une mise à l’essai empirique (Harvey et Loiselle, 2009) de notre dispositif participatif auprès d’une équipe-école. Bien que les caractéristiques générales des dispositifs participatifs et plus spécifiquement des minipublics délibératifs (Paulis et al., 2022) offrent des avenues pertinentes pour favoriser la participation et la délibération, il reste que les dispositifs n’ont pas transité en éducation. Il est donc essentiel de tester le dispositif pour cerner les conditions optimales d’implantation. Ce faisant, le matériel proposé pourrait être bonifié pour encadrer la participation et la non-participation du personnel scolaire. Dans cet esprit, notre projet de recherche constitue une première étape vers la démocratisation du numérique en éducation, et nous invitons d’autres chercheur·ses-développeur·ses à s’emparer de notre produit et à en faire une mise à l’essai systématique et empirique dans les écoles québécoises.