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Comme le souligne Ingo Kolboom, directeur du Centre interdisciplinaire de recherches franco-canadiennes / Québec-Saxe à l’Université de Dresde, cet ouvrage, consacré aux lieux de mémoire dans l’autre Amérique, est la troisième publication du CIFRAQS. Depuis sa fondation en 1994, le CIFRAQS favorise l’émergence des études canadiennes et québécoises en Allemagne. Les chercheurs allemands, comme bien d’autres (on compte plus de 2 500 Québécistes dans plus de 60 pays), s’intéressent au Québec dans la mesure où la communauté francophone représente un cas significatif d’une petite société en situation de minorité dans le contexte nord-américain. C’est ce qui conduit Alain Finkielkraut à écrire : « Nous sommes tous dans le même bateau. Mais nous ne le savons pas, car la menace qui pèse sur nous se présente sous forme anesthésiante et même enthousiasmante du génie de la liberté. » À ce titre, le Québec devient pour l’équipe de chercheurs du CIFRAQS un excellent laboratoire pour l’étude des sociétés minoritaires.

La thématique de l’histoire et de la mémoire collective trouve un ancrage profond au Québec. Depuis longtemps, les chercheurs québécois s’intéressent tout particulièrement aux liens étroits entre histoire et mémoire collective dans la mesure où les intellectuels tentent de donner un sens à l’identité nationale. Les travaux menés par les historiens français sur les lieux de mémoire ont eu un écho profond au Québec. Pierre Nora et tous ceux qui l’ont suivi sur cette voie ont alimenté les réflexions des chercheurs québécois sur l’identité collective, depuis le milieu des années 1980. On a vu apparaître de nombreuses études sur la question, mais ce concept a également pris forme dans l’univers patrimonial québécois à travers les musées et les lieux de commémoration, qui se multiplient depuis 25 ans. Rappelons simplement que le réseau des musées compte aujourd’hui 431 institutions muséales, ce qui demeure relativement élevé pour une société de la taille du Québec. À ce réseau, on doit ajouter les interventions du gouvernement fédéral qui par l’intermédiaire de Parcs Canada et du ministère du Patrimoine canadien multiplie les commémorations. Cette tendance s’est d’ailleurs concrétisée dans la création de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs en 1996 par les gouvernements français et québécois. La Commission a d’ailleurs entrepris la réalisation d’un inventaire des lieux de mémoire communs France-Québec pour la période de la Nouvelle-France qui prendra bientôt la forme d’un atlas (édition papier et site Internet). Soulignons par ailleurs que l’exposition permanente du Musée national de la civilisation du Québec intitulée « Mémoires » explore les méandres de la mémoire collective. Bref, la question de l’identité collective au Québec demeure d’actualité.

Contrairement aux nombreux ouvrages québécois qui abordent cette question, celui du CIFRAQS propose apporte un éclairage neuf. Des chercheurs allemands et québécois proposent des réflexions sur des thèmes centraux. La première partie intitulée Mythen der Freiheit / Émotions : mythes de la liberté aborde la question du mythe nord-américain de la liberté dans la littérature québécoise. La seconde partie s’intéresse plus particulièrement à la commémoration et aux lieux de mémoire. Les cas particuliers du Drapeau de Carillon et du Refus global illustrent bien la construction d’une mémoire nationale qui façonne une nouvelle identité collective. La troisième partie, Tradition und Infragestellung / Contestation : l’enjeu de la tradition, propose notamment un article qui apporte un éclairage neuf sur la Révolution tranquille à travers l’oeuvre méconnue de l’écrivain et journaliste Jean-Charles Harvey. Enfin, la quatrième partie, Das geöffnete gedächntnis / Construction : une mémoire plurielle, regroupe des textes qui explorent la pluralité d’une nouvelle mémoire. On y retrouve par exemple un article consacré au metteur en scène avant-gardiste Robert Lepage ; celui-ci comme le Cirque du Soleil incarne la nouvelle vague de la culture québécoise qui exporte sa vision et son savoir-faire à l’international.

Cet ouvrage a le double mérite de faire voir que le cas du Québec s’inscrit dans la problématique d’une culture minoritaire qui se construit une identité collective en résistant au nivellement de la mondialisation, tout en montrant que la culture québécoise participe à la culture internationale et qu’à ce titre, elle porte une certaine universalité. Les auteurs québécois et allemands nous offrent des textes dans leur langue d’origine qui font la preuve d’une actualité toujours renouvelée des lieux de mémoire comme espace identitaire de la culture francophone en Amérique du Nord. Bref, un ouvrage différent et inspirant pour ceux que la question de l’identité intéresse.