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Gilles Lamontagne a eu une vie professionnelle plutôt chargée au fil de laquelle il a oeuvré dans des domaines aussi diversifiés que le monde des affaires, l’Armée et la politique. C’est surtout à titre de maire de la Ville de Québec, un poste qu’il a occupé entre 1965 et 1977, que la postérité se souvient de lui. À la lumière de l’étiquette de « maire béton » qui continue à l’accompagner plusieurs années après son retrait de la vie politique, force est de constater que son souvenir est encore vif ! Au cours des années, plusieurs auteurs ont commenté et analysé les prises de position et les réalisations de l’administration Lamontagne. Par contre, trop rares ont été les publications qui ont situé leurs analyses dans le contexte général de la pensée et de l’« oeuvre » de Lamontagne. C’est justement à cette lacune que répond une biographie parue à la fin de l’année 2010 sous le titre de Gilles Lamontagne. Sur tous les fronts. Signée par l’historien Frédéric Lemieux, qui a notamment collaboré à l’ouvrage collectif Québec : quatre siècles d’une capitale (Les Publications du Québec, 2008, 712 p.), cette imposante biographie s’adresse autant au grand public qu’à un lectorat averti. Selon l’objectif poursuivi par l’auteur, elle vise à redécouvrir un personnage central de l’histoire de Québec et, à travers lui, à « comprendre les problèmes qu’affrontait Québec à l’époque, et les raisons motivant certains choix qui ont façonné le visage de la ville telle que nous la connaissons aujourd’hui » (p. 17).

Le récit de Lemieux est divisé en vingt-deux chapitres. Les sept premiers portent sur la famille et la jeunesse de Gilles Lamontagne. Ils décrivent également son passé militaire et son intégration prospère au monde des affaires, à Québec dans la période d’après-guerre. À ce stade, le récit biographique met l’accent sur la perpétuation de traits de caractère hérités du père : courage, esprit de travail et persévérance. Les sept derniers chapitres retracent, quant à eux, le passage de Gilles Lamontagne en politique fédérale, entre autres à titre de ministre de la Défense nationale (1980-1983), et son séjour à l’Assemblée nationale comme Lieutenant-Gouverneur de la Province de Québec (1984-1990). Entre les deux extrémités, dix imposants chapitres qui composent le coeur de l’ouvrage se consacrent aux réalisations de l’administration Lamontagne, à Québec, et au contexte dans lequel elles se sont inscrites. On y retrouvera la plupart des dossiers et chantiers qui ont marqué Québec pendant les années 1960 et 1970 : le réaménagement de la Colline parlementaire, l’assainissement et la bétonisation de la rivière Saint-Charles, l’aménagement de la circulation dans le sillage du rapport Vandry-Jobin (1968), la rénovation urbaine des quartiers Saint-Roch et Saint-Sauveur, et l’opposition farouche qu’elle a suscitée de la part de comités de citoyens locaux, la restauration du Vieux-Québec, etc. L’intérêt du traitement de Lemieux réside dans le fait qu’en trame de fond de la plupart de ces chantiers majeurs, on entrevoit le développement de la ville « moderne », qu’il s’agisse des questions relatives à son financement à travers la croissance de l’assiette foncière, à la structuration de sa représentation politique et de son appareil administratif, à la contestation citoyenne ou encore à son rapport tendu avec les gouvernements supérieurs – une question récurrente dans le traitement de l’auteur.

L’élégance de la rédaction de l’ouvrage et le corpus documentaire assez large sur lequel il s’appuie sauront plaire à tous. Le lectorat averti sera peut-être agacé par les nombreuses répétitions que comporte l’ouvrage, mais, à cet égard, il reconnaîtra la difficulté d’un projet d’écriture conçu en fonction de deux lectorats bien distincts. À y regarder de près, il notera toutefois que le mode de la biographie sur lequel l’auteur a conçu et structuré son récit a parfois pour effet de réduire son potentiel analytique. Par exemple, à de nombreuses reprises, l’auteur évoque le contexte de la rénovation urbaine (notamment la vétusté de l’habitat) pour situer et, dans une certaine mesure, légitimer les actions de réaménagement entreprises par l’administration Lamontagne. Par contre, il n’inscrit pas son propos dans la sphère de l’étude des idéologies comme l’exige pourtant la rénovation urbaine, dont les postulats idéologiques fonctionnalistes sont bien connus. De telles remarques ne doivent en rien occulter la richesse de la biographie de Frédéric Lemieux, qui comble une évidente lacune en offrant un produit à la fois accessible, critique et bien documenté.