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C’est peu dire d’affirmer que ces dernières années la francophonie nord-américaine en est à l’heure du bilan : en témoignent, parmi d’autres, les récents travaux d’Anne Gilbert, de Linda Cardinal, de Joseph Yvon Thériault et d’Yves Roby. Plus que jamais, les chercheurs s’intéressent à sa vitalité – statut, démographie et soutien institutionnel – et entreprennent d’en faire le point. Dans cette foulée paraît le collectif La francophonie nord-américaine. Mobilisant 36 auteurs, l’ouvrage présente dans une trame richement illustrée pas moins de 56 planches qui aspirent en somme à « mener à bien une synthèse géohistorique à même la spécificité des lieux et des communautés ayant composé la francophonie nord-américaine à diverses époques » (p. 2).

De l’époque coloniale à nos jours en passant par la période des grandes migrations, le collectif présente en cinq chapitres les grands moments de l’évolution de la présence des locuteurs de langue française en Amérique du Nord. Le portrait d’ensemble, relativement complet, est rythmé par un jeu d’échelles et de comparaisons entre territoires, chaque auteur apportant du sien en misant sur ses champs d’intérêts propres.

Les contributions sont toutefois de qualité inégale. Le portrait dressé par certains auteurs offre par moment une image bien statique de la présence francophone en certains lieux. Les raisons des départs, les difficultés d’enracinement et les rapports avec les autres groupes ethnolinguistiques sont parfois absents du bilan. Si c’est avec intérêt que nous avons lu le texte d’Annick Foucrier sur la présence francophone en Californie, d’autres nous ont plutôt laissé perplexe, dont celui sur « L’Acadie contemporaine » par Samuel P. Arsenault, Nicole Barrieau et Cécyle Trépanier. Reprenant essentiellement les thèses de leurs propres travaux, les auteurs esquivent ceux d’André Magord et de Chedly Belkhodja ainsi que de Julien Massicotte. De plus, ils font fi du concept de l’Acadie sentie et vécue – pourtant traité ailleurs par Trépanier – qui s’inscrit de plain-pied dans le champ des bouleversements identitaires sur lesquels s’interrogent les directeurs du collectif en conclusion. S’agit-il d’un oubli de la part des auteurs ou d’une conséquence de la longévité d’un projet en branle depuis l’année 2000 ? Ajoutons que certaines absences, comme les répercussions de la loi Combes de 1905 sur le paysage religieux francophone nord-américain, nous apparaissent comme des omissions, car ces éléments auraient dû trouver leur place dans l’étude.

Enfin, nos critiques sont davantage issues de déceptions émanant de nos intérêts personnels d’historien que d’un manque de rigueur de la part des directeurs. L’ouvrage est en somme fort réussi. Sa cartographie évolutive ainsi que ses textes concis, fluides et densément documentés lui donnent tous les attraits d’un outil de pédagogie et de référence. Nous ne pouvons que souhaiter que d’autres entreprennent de poursuivre ce travail, qui ouvre sur des questionnements se rapportant aux nouvelles dynamiques de la francophonie, notamment sa vitalité en contexte sud-américain et ses défis identitaires en lien avec l’intégration de nouveaux groupes issus de l’émigration et des programmes d’immersion.