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Ce petit ouvrage aborde une question de plus en plus débattue dans les écrits scientifiques et populaires : la dépression postnatale. Elle est encore de nos jours un état inavouable et demeure pour plusieurs un tabou, tant la norme du bonheur s’impose aux mères qui doivent se montrer épanouies. La naissance d’un enfant n’est pourtant pas toujours synonyme de sérénité et peut engendrer de la souffrance, un sentiment d’incapacité, voire de la honte.

Fruit d’une recherche fouillée, l’ouvrage se compose de cinq chapitres, lesquels analysent principalement le discours scientifique, le contenu des écrits populaires sur cette maladie et les images de la mère véhiculées dans les corpus retenus. Les auteures visent à montrer que même si les mères sont accablées par la tristesse, l’insomnie, le manque d’énergie, qu’elles ont l’impression de ne pas s’en sortir, elles doivent tendre vers le contrôle d’elles-mêmes pour répondre à l’idéal de la maternité.

D’entrée de jeu, les auteures se demandent si la dépression maternelle présente des symptômes spécifiques, différents de ceux qui apparaissent quand la dépression survient à une autre période de la vie. Sur cette question, les avis ne concordent pas. L’ouvrage insiste, en revanche, pour dire que de nombreuses études vont au-delà de l’explication biologique hormonale pour comprendre cette maladie. Celles-ci révèlent que des facteurs liés à l’environnement de la nouvelle mère tels le manque de soutien social, la présence de facteurs de stress, comme les difficultés conjugales, sont systématiquement associés à un risque plus élevé de dépression postnatale. La position des auteures permet ainsi de poser un regard autre que médical et convainc d’étudier les liens sociaux entourant la mère pour mieux cerner les contours de cette pathologie énigmatique.

La seconde direction que prend cet ouvrage est l’analyse des écrits publiés dans les revues féminines. Souvent rédigés de façon stéréotypée, ils visent à informer, à expliquer les symptômes de la maladie et à faire réagir les nouvelles mères au moyen de conseils souvent prescrits sur un ton impératif. Les propositions faites à la lectrice l’engagent dans un processus de self help : elles visent à en faire un sujet compétent, capable d’accomplir des actions qui induiront un changement d’attitude et de pratique (p. 74). On suggère entre autres à la mère déprimée de se détendre, de faire de l’exercice, d’avoir des loisirs, de se confier à son entourage et à son conjoint.

Or, cette étude sociologique a le mérite de montrer à juste titre que ces femmes généralement issues du milieu populaire n’ont souvent pas accès à ces ressources. Les auteures affirment avec véhémence que ces recommandations, plutôt que d’aider, sont peu en phase avec la gravité de la maladie et la réalité des femmes visées.

Maladie du présent, la dépression est, nous semble-t-il, un révélateur de la société postmoderne. La souffrance qu’elle traduit mérite que la sociologie s’y intéresse, ce qu’ont fait les auteures. Leur ouvrage est judicieux, nécessaire, oserions-nous ajouter, notamment parce qu’il permet de conjuguer détresse et maternité et de mettre, dans la foulée, en question le dogme de la mère parfaite.