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Membre de la Société des Dix et rattaché à la Chaire Fernand-Dumont du centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique à Québec, Fernand Harvey a publié ces dernières années une série d’études sur les politiques culturelles de l’État québécois, notamment dans Les Cahiers des Dix et le Bulletin d’histoire politique. Ses travaux l’ont alors mené à se pencher sur l’action et la pensée d’un homme politique qui fut « un pionnier dans l’élaboration d’une ’politique culturelle’ avant la lettre » (p. 11), Athanase David, secrétaire de la province (1919-1936) et sénateur (1940-1953). Grâce à lui, jamais l’État québécois n’avait autant investi dans la culture, ce qui fait dire à l’auteur « qu’on peut bien parler d’un avant et d’un après Athanase David » (p. 14). Dans ce livre au titre bien choisi, l’auteur tente de dégager ou de circonscrire « la vision culturelle d’Athanase David ».

Pour y parvenir, Harvey a rassemblé dans cet ouvrage légèrement illustré les douze principaux textes et discours de David sur la question. Ces pièces, soigneusement identifiées, les unes annotées, les autres commentées, sont regroupées selon deux grands thèmes : « le Québec et la société canadienne-française » (p. 51-163) d’une part, « histoire et culture » (p. 165-250) d’autre part. Mais avant d’en arriver à ces documents, à ces sources qui révèlent au grand jour le discours de l’homme politique, l’historien a toutefois fait oeuvre de synthèse afin d’en faire bénéficier le lecteur. Dans une introduction (p. 13-50), rédigée d’une main de maître, Harvey nous présente comment il conçoit, comment il se représente la vision culturelle d’Athanase David. Il nous livre par le fait même ses clés de lecture de la pensée de l’homme politique en la matière.

C’est en ayant en tête l’avenir du Canada français que David s’intéresse autant à la culture. Pour lui, la « mentalité » ou l’identité canadienne « n’est ni française, malgré la fidélité à ses origines, ni anglaise, malgré l’apport des institutions britanniques » (p. 16). Il insiste également sur la « double appartenance » des Canadiens français au Québec et au Canada (p. 17), ce qui n’est pas sans rappeler le concept de la « double conscience », mis de l’avant par William Edward Burghardt Du Bois, selon lequel l’identité nord-américaine, dans son ensemble, est issue d’une tension constante entre deux appartenances : l’une à un groupe plus petit – sa « petite patrie », le Québec –, l’autre à un ensemble plus vaste – « sa grande patrie », le Canada. C’est dans cette optique et pour rapprocher ces deux pôles identitaires afin de consolider l’identité canadienne, que David propose l’instauration d’un manuel unique d’histoire du Canada, autant pour les Canadiens anglais que pour les Canadiens français. Cette proposition, qui ne sera pas adoptée, provoque une polémique considérable à l’époque.

Pour David, l’avenir du Canada français passe nécessairement par la « ’recherche de la supériorité’ fondée sur l’éducation et la compétence » (p. 17). Il considère en effet que « la formation d’une élite économique appelle, en complément, celle d’une élite culturelle et artistique » (p. 28). En sa qualité de secrétaire de la province, il aura l’occasion de mettre en oeuvre un plan d’action en conséquence, notamment avec la bonification du programme de bourses d’études en Europe (p. 30) et la fondation des Écoles des Beaux-Arts à Québec et Montréal qui échappent au contrôle de l’Église catholique à une époque où cela n’était guère aisé (p. 20). Couronnées de succès, ces mesures et d’autres ouvrent la voie aux réformes importantes de la Révolution tranquille dans le domaine de la culture qui culmineront avec la création du ministère des Affaires culturelles en 1961, dont le premier titulaire fut Georges-Émile Lapalme.